Par Robin Degron
Dans le sillage des Accords de Paris de 2015 et sous l’impulsion de l’OCDE, de nombreux États ont engagé un processus complexe et progressif de budgétisation verte. La France s’inscrit dans ce mouvement avec une démarche originale de cotation environnementale des dépenses budgétaires et fiscales de l’État à partir de la loi de finances pour 2021. Toutefois, le poids de la fiscalité écologique dans le total des prélèvements obligatoires montre que la « fiscalité verte » reste globalement modeste au sein des pays de l’OCDE, en Europe et spécialement en France. La montée en puissance des préoccupations environnementales sur les plans budgétaires et fiscaux questionne la capacité des États à arbitrer entre les trois composantes économiques, sociales et écologiques du développement durable.
La crise écologique appelle la mobilisation de compétences qui dépasse dorénavant la seule sphère des écologues. Géographes, économistes, gestionnaires, juristes et financiers contribuent aux débats publics et participent à l’émergence de solutions innovantes en commençant par porter un regard neuf sur les outils à disposition des États.
Les instruments concourant à la transition écologique sont de nature variée (Bontemps et Rotillon, 2013) : la réglementation environnementale dont l’exigence va croissante, en particulier au sein de l’Union européenne participe à la limitation des pollutions et la préservation des espaces naturels ; l’établissement de marché de droits à polluer, spécialement des droits à émettre des gaz à effet de serre, tend à donner un coût aux externalités négatives écologiques, notamment dans le cadre de la directive UE relative au système européen de quotas ; la fiscalité verte, en particulier dans sa composante énergétique, contribue elle aussi à donner un prix à des pratiques néfastes pour l’environnement.
Plus récemment apparu, un nouvel outil dit de « budgétisation verte » devrait à terme permettre d’ajuster les dépenses publiques en faveur de l’environnement ou, au contraire, de réduire les moyens alloués à des politiques nuisibles. Cette nouvelle approche, embryonnaire, mérite un examen spécifique.
Dans le sillage des Accords de Paris de 2015, l’OCDE a ouvert la voie à la conceptualisation de la « budgétisation verte » qui commence juste à se décliner dans plusieurs pays.
Le « budget vert » présenté par la France à l’occasion du projet de loi de finances pour 2021 est une illustration d’un mouvement qui présente de multiples facettes (Degron et Stroeymeyt, 2021). Il y a en effet plusieurs stades d’adaptation des finances publiques aux nouveaux enjeux écologiques.
Il s’agit donc de savoir où nous en sommes et de préciser le sens d’un concept qui recouvre aussi bien des stratégies de protection de l’environnement chiffrées qu’une refonte totale du droit budgétaire ou le simple développement d’une documentation écofinancière.
Par ailleurs, les finances publiques considérées comme l’ensemble des règles encadrant les dépenses et les recettes publiques impliquent une attention soutenue à la fiscalité verte, attention qui permet de relativiser les ambitions affichées en matière de présentation du budget de l’État.
Enfin, la réflexion écologique doit être replacée dans une perspective plus large de développement durable et donc inclure la prise en compte des enjeux économiques, sociaux et environnementaux de manière conjointe afin de préserver la cohérence de l’action publique.
Après un rappel de l’initiative portée par l’OCDE et une présentation de ses premières traductions nationales, l’article repositionne le débat sur le « budget vert » dans le cadre plus large de « finances publiques vertes » qui inclut la fiscalité et pointe les contraintes de nature socio-économique à intégrer pour tendre vers un verdissement durable de nos finances.
Les initiatives en matière de budgétisation « verte » depuis la COP 21
Une réflexion originale sur le « budget vert » portée par l’OCDE
Dans le cadre de ses travaux sur la gouvernance financière, l’OCDE a développé des recommandations sur le pilotage budgétaire qui impliquent en particulier de concevoir l’acte de budgétisation, y compris dans sa dimension pluriannuelle qui fait souvent défaut au sein des pays développés, en particulier en France, comme un outil au service de choix stratégiques (Moretti et Kraan, 2018).
Cette réflexion budgétaire de fond a rencontré les engagements souscrits lors des Accords de Paris qui ont marqué un tournant dans la mobilisation internationale en matière de protection de l’environnement, en particulier s’agissant de la lutte contre le changement climatique (Ourbak, 2017).
Dès le rapport de la Commission pour l’environnement et le développement des Nations unies, dit rapport Brundtland (1987), la notion de « budgétisation verte » avait implicitement émergé :
the major central economic and sectoral agencies of governments should now made directly responsabible an fully accountable for ensuring that their policies, programmes, and budgets support development that is ecologically sustainable (cf. chapitre 12, point 1.2).
Les travaux sur la gouvernance financière de l’OCDE et les actions en faveur du développement durable du système onusien finissent par converger à partir de 2017 à travers le « Collaboratif de Paris sur les budgets verts » lors du One Planet Summit, conférence internationale de haut niveau sur le changement climatique.
L’objet de cette conférence est de promouvoir des outils pour évaluer et mener des initiatives nationales de dépenses et de recettes en phase avec les objectifs de lutte contre le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité dans le droit fil des conventions sur le climat et la biodiversité de 1992 (Degron, 2012).
Plus qu’une fin en soi, la « budgétisation verte » est un processus relativement complexe et structuré en plusieurs étapes.
Les étapes de la budgétisation verte selon l’OCDE
Source : OCDE, 2020 [traduction libre du graphique de l’anglais vers le français]
La démarche impulsée par l’OCDE considère quatre étapes ou blocs (OCDE, 2020a) qui sont autant de formes de « budgétisation verte » (voir graphique ci-dessus).
Étape première, la définition par les gouvernements de stratégies nationales en faveur de la lutte contre le changement climatique ou de la protection de l’environnement passe par des objectifs clairs et chiffrés qui soient susceptibles de servir à la réflexion budgétaire, voire qui interrogent la soutenabilité financière à l’aune des risques écologiques (cf. Composante 1 : cadre stratégique solide). Ce prérequis est aujourd’hui servi par la multiplication des stratégies nationales de développement durable, des stratégies nationales bas-carbone ou encore des stratégies de préservation de la biodiversité. En soi, la réalisation de cette phase programmatique environnementale participe radicalement de la « budgétatisation verte ».
Deux blocs viennent ensuite (cf. Composantes nos 2 et 3 : Outils pour la production de données et la cohérence des politiques ; Reporting pour faciliter la responsabilité et la transparence). L’ensemble de ces deux blocs porte une logique commune de développement d’une documentation sur les effets des mesures budgétaires sur les composantes de l’environnement. La cotation des activités soutenues par les budgets publics relève de ce champ. Le bloc no 3 prolonge d’une certaine façon le trait à travers la promotion d’instruments de rapportage permettant aux parties prenantes du processus de budgétisation, en particulier les parlements, de suivre régulièrement les impacts des choix financiers publics sur l’environnement.
La dernière étape envisagée dans la dynamique de maturation de la budgétisation verte est portée par un bloc no 4 (cf. Composante no 4 : Un cadre de gouvernance favorable). Ici, on touche effectivement au « budget vert » stricto sensu, à savoir un cadre budgétaire qui fait le lien entre les programmations stratégiques de nature écologique et les choix financiers des États.
Cette instrumentation budgétaire au service de la protection de l’environnement ne se réduit pas à la vision annuelle de l’acte de prévision des recettes et des dépenses mais appelle une vision pluriannuelle d’autant plus importante en matière d’environnement que la résolution des problèmes rencontrés s’inscrit, le plus souvent, par nature, sur le temps long.
De l’analyse de ces trois grandes étapes, que nous synthétiserons sous les termes de Stratégie écologique / Documentation écofinancière / Trajectoire écobudgétaire et écobudget, découle une typologie de mesures qui permettent d’apprécier où se situent les pays dans la démarche progressive, de « budgétisation verte ».
Des mises en œuvre nationales hétérogènes et globalement récentes
Sans rentrer dans le détail de la présentation exhaustive des expériences nationales d’ailleurs bien recensées par l’OCDE (2020b), force est de constater que les pays ont entrepris de nombreuses initiatives qui peuvent toutes se placer sous la bannière de « budget vert ».
Dès 2009, dans le cadre d’une étude commanditée par son ministère fédéral des finances, l’Allemagne a commencé d’analyser des scenarii budgétaires différenciés selon diverses hypothèses climatiques et socio-économiques (Peter et al, 2009).
Pionnière, cette approche n’a vraiment commencé à se généraliser qu’après 2016, dans le sillage des Accords de Paris, en particulier : aux Pays-Bas (2019) avec une stratégie nationale ambitieuse pour l’époque de réduction de 49 % des émissions de GES entre 1990 et 2030 (cf. Encadré ci-après) ; au Mexique (2018) où le gouvernement a structuré un programme national en faveur de la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD qui recouvrent notamment des enjeux écologiques, en particulier les ODD nos 13, 14 et 15 relatifs au climat et la biodiversité).
À travers cette première génération et le bloc no 1 de « budgétisation verte », on notera que le champ couvert peut être plus ou moins ambitieux en se focalisant uniquement sur la question climatique ou bien en ouvrant plus large la focale aux questions d’environnement, voire de développement durable.
La définition d’objectifs quantifiés de réduction de GES aux Pays-Bas
En 2019, le Gouvernement néerlandais a établi un accord sur le climat visant à prendre en compte l’objectif de réduction des émissions de GES dans l’ensemble de ses politiques publiques. Le but affiché par cet accord était alors de réduire de 49 % lesdites émissions en 2030 par rapport à 1990. Cet objectif global était décliné cibles sectorielles exprimées en mégatonnes de CO2. En complément à cette approche sectorielle, des programmes d’action transversaux ont été définis pour favoriser l’innovation, l’évolution du marché du travail et de la formation ainsi que la transformation des outils de financement de l’économie.
Les initiatives nationales relevant des blocs no 2 et 3 de la démarche promue par l’OCDE renvoient à la documentation entre les interactions des choix budgétaires avec les enjeux environnementaux.
Elles fleurissent à partir de la fin des années 2010 : le Royaume-Uni ouvre la voie en 2018 à travers les recommandations de son « Livre vert » produit par le Trésor britannique (Cf. Encadré ci-après).
Le « Livre vert » produit par le Trésor britannique
Le « Livre vert » produit par le Trésor britannique (HMTreasury) en 2018 expose une méthodologie d’approche des interactions entre les politiques environnementales d’une part et l’ensemble des politiques, programmes ou projets publics d’autre part. Il développe par ailleurs des outils de suivi et d’évaluation ex ante, in itinere et ex post desdits programmes et projets mis en œuvre. Le champ des instruments à disposition des pouvoirs publics est large puisqu’il recouvre non seulement les dépenses budgétaires et la fiscalité mais également les outils de régulation et les modes d’utilisation des actifs. Il ne se limite pas à la question climatique mais embrasse les enjeux de gestion de l’énergie et de préservation des milieux. Sans aller à l’approche holistique par le développement durable, il reste par ailleurs un rapport « one shot », sans suivi dans la durée des externalités environnementales des finances publiques du Royaume-Uni.
La Nouvelle-Zélande va plus loin en 2019 avec l’établissement d’un bilan coûts/avantages des politiques publiques au filtre de la prise en compte des enjeux de bien-être au sens large (cf. Encadré ci-après).
Le rapport annuel sur le bien-être néo-zélandais
En 2019, le Trésor néo-zélandais a élaboré un cadre de référence des standards de vie (Living Standards Framework [LSF]) afin de conceptualiser un référentiel de bien-être intergénérationnel comprenant un jeu d’indicateurs. Ceux-ci étaient structurés autour de quatre types de facteur : naturel, physico-financier, humain et social. Sur cette base, un suivi du bien-être a pu être établi. Il s’est alors s’agit d’utiliser l’outil pour évaluer l’efficience (money-for-value) du budget de l’État de Nouvelle-Zélande sur les composantes du bien-être de sa population. Depuis lors, le Trésor néo-zélandais utilise son instrument LSF pour établir un rapport annuel de performance nationale en matière de bien-être. Ce rapport sert de fil à une transition vers un modèle de société intégrant davantage l’ensemble des composantes de la vie des citoyens dans les préoccupations de l’État.
La cotation environnementale des dépenses de l’État qui a été développée en France en 2020 s’inscrit dans le courant porté par les blocs nos 2 et 3 de la démarche proposée par l’OCDE avec deux caractéristiques : une couverture des externalités environnementales au sens large, pas seulement climatique, mais sans aller jusqu’à une vision globale des facteurs du développement durable y compris sociaux ; une volonté de rapportage annuel qui fait sortir l’approche française d’une simple étude ponctuelle comme celle réalisée par le Royaume-Uni en 2019 (cf. point suivant).
La constitution d’un cadre budgétaire écologique, d’un écobudget, y compris dans sa dimension pluriannuelle (cf. Composante n° 4 des étapes de la budgétisation verte selon l’OCDE, voir plus haut), relève quant à elle d’un haut degré de maturation du processus de « budgétisation verte ».
Il n’y a pas, à ce jour, d’exemple de réalisation de cette étape finale lourde de conséquences car impliquant l’élaboration d’écobudgets qui aligneraient l’ensemble des recettes et des dépenses publiques sur les objectifs stratégiques d’un État en matière environnementale.
Cet exercice est certes guidé par des recommandations de l’OCDE mais il implique des choix politiques difficiles, non seulement en termes d’arbitrage entre les enjeux socio-économiques d’une part et des enjeux écologiques d’autre part, mais également des choix dans la priorité à donner à certains enjeux environnementaux plutôt qu’à d’autres.
À titre d’exemple, l’idée de promouvoir résolument des énergies renouvelables, des panneaux photovoltaïques, des éoliennes ou des barrages hydroélectriques peut générer des conséquences néfastes en matière de consommation de terres rares, de rupture de corridors migratoires ou encore de destruction d’écosystèmes terrestres. En outre, la prise en compte de la dimension long-termiste des choix évoqués imposent de raffermir les outils de programmation pluriannuelle dont disposent les États.
En France, les lois de programmation des finances publiques introduites par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 restent pour l’instant indicatives comme l’a rappelé la décision DC no 2012-653 du 9 août 2012 en soulignant la primauté du principe d’annualité.
L’initiative française en faveur d’un « budget vert »
Le choix français de développer l’information environnementale en adossant à son projet de loi de finances depuis 2019 un Jaune budgétaire et en développant depuis fin 2020 une cotation écologique multicritères des dépenses et dépenses fiscales de l’État attire l’attention de par sa dimension holistique et l’effort de transparence engagé, en cohérence avec l’exigence imposée par la LOLF du 1er août 2001 (Bouvier et al., 2020).
Lors de la clôture du One Planet Summit de 2017, le président de la République française avait annoncé la participation de son pays à cette initiative et la présentation prochaine d’un budget vert . Cette annonce n’a pas été immédiatement suivie d’effet, mais le Parlement français s’est appuyé dessus pour relancer le processus de budgétisation verte en 2018 (Degron et Stroeymeyt, 2021 op. cit.).
Lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2019, l’idée d’un budget vert a commencé de se concrétiser. Sur la base d’un amendement parlementaire, il a été convenu que
le Gouvernement présente au Parlement, en annexe au projet de loi de finances de l’année, un rapport intitulé « Financement de la transition écologique : les instruments économiques, fiscaux et budgétaires au service de l’environnement et du climat » …/… Il donne une vision intégrée de la manière dont les instruments fiscaux incitent les acteurs économiques à la prévention des atteintes portées à l’environnement, en application de l’article 3 de la Charte de l’environnement, et de leur efficacité. Il contribue ainsi à la performance, à la lisibilité de la fiscalité environnementale, et à la cohérence de la réforme fiscale.
Cet amendement, devenu article 179 de la loi de finances pour 2020 du 28 décembre 2019, a amorcé une réflexion de fond pour la prise en compte des enjeux environnementaux dans le budget national.
Une mission conjointe a été diligentée en 2019 par l’Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général pour l’environnement et le développement durable (CGEDD) afin de définir les voies et moyens pour arriver au fameux « budget vert ». La mission a remis son rapport en octobre 2019 au ministre en charge du budget. Ce dernier s’était alors engagé à produire le premier « budget vert » dans le cadre du PLF pour 2021.
En attendant, la documentation budgétaire adossée au PLF pour 2020 a été refondue et étoffée. Celle-ci s’appuyait déjà sur plusieurs annexes importantes. Hormis les présentations des comptes d’affectation spéciale et des comptes de commerce ayant directement trait à l’environnement, jusqu’au PLF pour 2019, on disposait : du « bleu » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ; des « jaunes » portant « Rapport sur le financement de la transition énergétique », « État récapitulatif de l'effort financier consenti en 2018 et prévu en 2019 au titre de la protection de la nature et de l'environnement » et « Rapport sur la gestion du fonds de prévention des risques naturels majeurs » ; du « orange » consacré à la « Lutte contre le changement climatique ».
La méthodologie française et le champ de la budgétisation verte
Le premier rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État, annexé au projet de loi de finances pour 2021, analyse l’incidence environnementale du budget de l’État en 2021 et présente l’ensemble des financements, publics comme privés, mobilisés en faveur de la transition écologique dans la continuité des jaunes budgétaires déjà à disposition.
En pratique, le « budget vert » introduit une nouvelle classification des dépenses permettant de recenser l’impact sur l’environnement des dépenses de l’État. Il s’applique à l’Objectif total des dépenses de l’État (ODETE) en crédits budgétaires comme en dépenses fiscales. Il présente en outre les résultats de la budgétisation verte appliquée à l’ensemble du plan de relance national présenté par le Gouvernement en septembre 2020.
Sur le plan thématique, le rapport évalue l’impact du budget de l’État sur six axes de politique environnementale : l’atténuation du changement climatique ; l’adaptation au changement climatique et la prévention des risques naturels ; la gestion de la ressource en eau ; l’économie circulaire, les déchets et la prévention des risques technologiques ; la lutte contre les pollutions (ex. : air, sols) ; la biodiversité et la protection des espaces naturels, agricoles et sylvicoles.
L’évaluation ex ante se fonde sur une cotation de l’impact de chaque dépense sur les six champs environnementaux précités. Pour chacun des six axes, chaque dépense est cotée comme « favorable », « sans impact » ou « défavorable ».
Dans certains cas, la cotation prête à discussion puisqu’une dépense peut très bien avoir un impact mixte, à savoir un impact favorable sur un des axes mais défavorable sur un autre (ex. : le développement des éoliennes participe à la production d’énergie décarbonée, mais peut être une nuisance sonore pour les riverains et perturber la circulation de l’avifaune et donc dégrader le milieu).
Juridiquement, il est exagéré de parler d’un authentique budget vert pour la France car la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 n’a pas été modifiée pour organiser les PLF selon une structuration de nature environnementale des dépenses et recettes de l’État. En revanche, l’initiative française s’inscrit pleinement dans le mouvement de budgétisation verte structurée par la réflexion de l’OCDE en se situant à hauteur du bloc no 3 de la typologie établie en 2020.
Le « budget vert » français adossé au PLF pour 2021 est un rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État et une nouvelle annexe budgétaire qui permet d’obtenir, de manière régulière, une vision large sur les impacts environnementaux des finances de l’État central. Il s’agit là d’une avancée importante mais non essentielle du droit financier national.
Des progrès de la « fiscalité verte » qui restent mesurés dans une perspective de développement socio-économique durable
Une taxation verte disparate et globalement modeste dans les pays de l’OCDE
Replacée dans le cadre de la budgétisation verte, l’analyse de fiscalité écologique, de la « fiscalité verte », enrichit le débat sur le verdissement effectif des finances publiques en appréciant la distance qui sépare la qualité de la documentation budgétaire et la réalité des actions menées par les États pour l’environnement.
La « fiscalité verte » est, par définition, un instrument économique qui contribue à la transition écologique puisqu’elle a pour objectif d’intégrer dans le prix payé par les acteurs économiques les coûts liés aux externalités négatives sur l’environnement (Albert et al, 2011 ; Fumaroli et Schmitt, 2018).
En traduisant monétairement les atteintes à l’environnement, la « fiscalité verte » tend à dissuader les comportements préjudiciables aux biens communs (ex. : climat, air, eau). Sans ce « signal », ces derniers seraient considérés comme des ressources sans prix, donc sans valeur dans une approche économique étroite du bien-être.
Les développements de la fiscalité verte sont assez récents et doivent eux aussi beaucoup, comme pour la budgétisation verte, aux impulsions données par l’OCDE et relayées par l’Union européenne.
À l’échelle de l’OCDE, force est ainsi de constater que le niveau des taxes environnementales reste encore limité avec, en 2014, des montants variant de 0,06 % du PIB au Mexique à 4,1 % du PIB au Danemark (OCDE, 2017). Pour 2014, la moyenne se situe à 1,8 % du PIB et la médiane à 2 % du PIB.
L’OCDE estime que la tendance est orientée à la baisse consécutivement à la réduction des revenus observée depuis 1995 et aussi, en Europe, aux effets de la crise des années 2008-2012 qui n’a pas favorisé l’essor de nouvelles taxes, notamment écologiques. De manière générale, les taxes sur l’énergie constituent actuellement l’essentiel de la taxation écologique.
Niveau 2014 et évolution de taxes environnementales depuis 1995 dans différents États
Source : OCDE Base de données sur les instruments utilisés pour les politiques d’environnement
La fiscalité écologique en France et l’effet « gilets jaunes »
En France, la fiscalité écologique au sens d’Eurostat est composée d’une quarantaine de dispositifs : énergie, transports, pollutions et ressources.
Selon le Jaune budgétaire de 2019 consacré à cette question, la fiscalité « verte » représente près de 58 Mds€ en 2019, soit environ 5 % des prélèvements obligatoires et 2,3 % du PIB. La fiscalité énergétique occupe une part prépondérante dans la fiscalité écologique puisqu’elle représente 83 % du total des recettes.
Avec 33,3 Mds€ de recettes, la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétique (TICPE) concentre les enjeux financiers les plus significatifs. Viennent s’ajouter les recettes des autres taxes sur l’énergie telles que les taxes intérieures de consommation sur l’électricité, le gaz naturel et le charbon. Les taxes sur les transports représentent près de 12 % du montant des taxes environnementales.
Au total, 21 dispositifs sont identifiés, parmi lesquels peuvent être cités les taxes relatives aux certificats d’immatriculation des véhicules, comme le « malus » automobile pour les véhicules les plus émetteurs de CO2, ou la taxe sur les véhicules de société. Les taxes sur les pollutions et les prélèvements sur les ressources représentent à peine plus de 5 % de la fiscalité environnementale. Les redevances perçues par les agences de l’eau et les différentes composantes de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) constituent les deux mesures les plus importantes en ce domaine.
Par-delà la diversité des taxes vertes nationales, il convient d’en souligner la relative faiblesse quantitative globale.
En termes de proportion de PIB, la France ne se situe qu’au 22e rang sur 28 en Europe selon les dernières données disponibles pour l’ensemble de l’UE en 2014 (Ministère en charge de l’écologie, 2017). En moyenne communautaire (UE à 28), le taux de fiscalité verte représente 2,5 % du PIB ; il n’est que de 2,1 % pour l’Hexagone à la même époque.
C’est surtout la faiblesse relative des taxes sur les transports qui distingue la France de nombreux pays européens : elles sont plus faibles d’environ -0,2 pt de PIB, soit environ 40 %, par rapport à la moyenne de l’UE 28 (en 2014) : la disparition de la « vignette automobile » en 2000 a réduit les taxes sur les transports d’un quart. En outre, la taxe sur les « cartes grises », dont le produit revient aux régions, est relativement modeste, alors que ce type de taxe peut atteindre des montants très élevés dans d’autres pays européens. Enfin, la part des taxes énergétiques françaises est légèrement plus faible que la moyenne européenne en 2014 (-0,25 pt de PIB, soit -13 %).
À partir du PLF pour 2019, dans le sillage de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), l’augmentation sensible de la composante carbone dans la fiscalité sur les carburants aurait dû renforcer le niveau moyen de taxation nationale des énergies (Degron, 2021).
On connaît la suite et la réaction d’automobilistes périurbains ou ruraux prisonniers de l’usage quotidien de leur voiture avec, le plus souvent, au moins deux véhicules par foyer, et qui ne peuvent accepter un relèvement brutal du prix des carburants et la suppression de fait de la prime dont bénéficiait jusque-là la motorisation diesel qui domine alors largement le parc automobile français (Conseil des prélèvements obligatoires, 2019). Depuis le mouvement des gilets jaunes, l’Exécutif ne considère-t-il pas avec prudence la fiscalité verte ? Ne faut-il pas voir dans cette retenue fiscale la première explication du verdissement de l’information budgétaire publique ?
Sans remettre en cause l’intérêt d’innover en la matière, il convient toutefois de relativiser l’importance d’un « budget vert » 2021 affiché comme pionnier avec un niveau moyen des taxes environnementales françaises en Europe. La transition écologique butte, en Europe et spécialement en France, à un poids déjà élevé des prélèvements obligatoires et au primat donné au financement de la protection sociale.
Une structure des prélèvements obligatoires défavorable à la fiscalité verte
En France, la montée en puissance d’une fiscalité verte, au diapason de la volonté politique affichée de réaliser la transition écologique, se heurte à un niveau élevé de prélèvements obligatoires et à une structure historiquement favorable au financement de la Sécurité sociale.
Ainsi, selon l’Insee, le montant des prélèvements obligatoires (PO) en France est de 1 070 Md€, soit 44,1 % du PIB, en 2019. Il se situe à 44,8 % du PIB en 2018.
Selon les données de l’OCDE, dont la méthodologie comptable diffère de celle de l’Insee sur le traitement des crédits d’impôt notamment, le taux des PO représentait 46,1 % du PIB en 2018 plaçant ainsi la France au premier rang de l’Union européenne en matière de pression fiscale, à plus d’un point de PIB du Danemark (44,9 % en 2018), et sachant que notre partenaire commercial privilégié est l’Allemagne dont le taux de PO se situe à 37,5 % du PIB en 2018.
Les variations du taux de prélèvement obligatoire, considérables entre les pays, y compris ceux de l’Union, renvoient à des choix de société et à un portage différencié de la protection sociale par les administrations publiques.
C’est particulièrement le cas en matière d’assurance maladie et de prise en charge des retraites. La France a fait le choix de sacraliser ses dépenses sanitaires et sociales pour y consacrer une grande part de la richesse nationale. Ainsi, en 2019, la répartition des prélèvements obligatoires entre les différents segments des administrations publiques fait-elle la part belle aux administrations de Sécurité sociale avec 54,6 % du total contre 30,4 % pour les administrations publiques centrales et leurs organismes divers d’administration centrale et 14,6 % du montant total des PO attribué aux administrations publiques locales.
Comme nous l’écrivions déjà en 2014 (Degron, 2014)
Très difficiles à maîtriser, quasiment impossibles à réduire, les dépenses sociales ont joué à la façon d’un rouleau compresseur sur les dépenses de la Nation. Elles ont mis sous pression les autres segments de l’administration publique, en particulier l’État » Et de souligner que l’analyse des interactions entre la fiscalité et la transition écologique « doit être replacée dans une perspective de développement durable, c’est-à-dire en intégrant, outre la dimension environnementale, la question sociale. En effet, en raisonnant à niveau de prélèvements obligatoires constants, le risque existe de devoir arbitrer entre une imposition à finalité sociale versus une fiscalité à visée écologique. Le financement de la transition écologique suppose de dégager de nouveaux moyens …/… Ces moyens ne peuvent provenir que de redéploiements budgétaires …/… il faudrait pouvoir envisager de réduire la pression fiscale traditionnelle pour y substituer une fiscalité environnementale taxant les activités polluantes ou génératrices d’externalités négatives afin d’envoyer un signal prix aux agents économiques.
La tension décrite n’a pas manqué de se manifester à l’occasion de la crise des gilets jaunes (2018-2019) et avant elle, déjà, avec le mouvement des bonnets rouges (2013) opposé à la taxation des poids lourds, en particulier sur le réseau du Centre-Ouest. Au-delà de ces exemples, c’est bien un problème systémique d’organisation des prélèvements obligatoires qui induit une tension dans la réalisation concomitante des objectifs à la fois économiques, sociaux et environnementaux du développement durable.
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Près de trente ans après le Sommet de la Terre de Rio, dans le sillage des Accords de Paris de 2015, de nombreux États ont engagé un processus complexe et progressif de budgétisation verte. L’OCDE a décrit les différentes étapes d’une démarche ambitieuse, susceptible de modifier des équilibres socio-économiques.
La France s’inscrit dans ce mouvement d’ensemble avec une démarche originale de cotation des crédits budgétaires et des dépenses fiscales du budget de l’État à partir de la loi de finances pour 2021. L’effort est louable et fait écho au principe de transparence qui prévaut dans notre droit budgétaire depuis la LOLF. Cependant, il convient de relativiser l’importance de cette initiative qui ne constitue pas, à proprement parlé, un budget vert, ni sur le pas de temps annuel ni sur le pas de temps pluriannuel qui serait pourtant l’horizon adéquat d’une politique budgétaire utile à la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement.
Par ailleurs, le « juge de paix fiscal », à savoir le poids de la fiscalité écologique dans le total des prélèvements obligatoires montre que la « fiscalité verte » reste globalement modeste au sein des pays de l’OCDE. C’est particulièrement vrai en France où la pression fiscale atteint déjà un très haut niveau et finance prioritairement les dépenses sociales.
Sans doute située dans le peloton de tête de la budgétisation verte, la France est surtout à l’avant-garde de l’expérimentation, parfois périlleuse, de la fiscalité écologique à l’heure d’un développement durable qui n’oublie pas les réalités socio-économiques, en particulier sociales.
Robin Degron
À propos de l'auteur
Robin Degron est professeur associé à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne (HDR). Il est responsable de l’enseignement des finances publiques à la prép’ENA Paris 1 – ENS Ulm et maître de conférence en développement durable à Sciences Po.
Albert Jean-Luc (dir.). « Fiscalité et environnement, Dossier spécial », Revue française de finances publiques, dossier spécial, no 114, 7 juin 2011.
Bontemps Philippe, Rotillon Gilles, 2013. L’économie de l’environnement, collection Repères, Éd. La Découverte.
Bouvier Michel, Esclassan Marie-Christine et Lasalle Jean-Pierre (†), 2020. Finances publiques, LGDJ Lextenso, 19e édition 2020-2021, septembre 2020.
Brundtland Gro Harlem, 1987. « Notre avenir à tous », Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, présidée par Mme Brundtland, 10 mars 1987.
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L’article dont est tiré ce texte sera prochainement publié dans le numéro 179 de la Revue française d’administration publique sous le titre « Les finances publiques vertes en France entre ambition écologique et réalités socio-fiscales ».