Arrêt de la cour dappel de Paris (1re chambre, section H) en date du 28 janvier 2005 relatif au recours formé par la société Orange Caraïbe contre la décision no 04-MC-02 (*) du Conseil de la concurrence en date du 9 décembre 2004 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Bouygues Telecom Caraïbe à lencontre de pratiques mises en uvre par les sociétés Orange Caraïbe et France Télécom, suivi dun arrêt rectificatif derreur matérielle de la cour dappel de Paris (1re chambre, section H) en date du 8 mars 2005 |
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NOR : ECOC0500081X Demandeur au recours : La société Orange Caraïbe, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, ayant son siège social 41-45, boulevard Romain-Rolland, 92120 Montrouge, représentée par la SCP Groppotte Benetreau, avoués associés à la cour, assistée de Me Hugues Calvet, avocat au barreau de Paris, 130, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris. Défendeurs au recours : La société Bouygues Telecom Caraïbe, prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège social Oasis, quartier Bois-Rouge, 97224 Ducos, représentée par la SCP Monin, avoué à la cour, assistée de Me Joseph Vogel de la SCP Vogel & Vogel, avocat au barreau de Paris, 30, avenue dIéna, 75116 Paris. La société France Telecom SA, prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège social 6, place dAlleray, 75015 Paris, non comparant. En présence de M. le ministre de léconomie, des finances et de lindustrie, 59, boulevard Vincent-Auriol, 75703 Paris, représenté par M. Michel Roseau, muni dun pouvoir spécial. Composition de la cour : Laffaire a été débattue
le 10 janvier 2005, en audience publique, devant la cour composée
de : qui en ont délibéré. Greffier, lors des débats : M. Truet-Callu. Ministère public représenté lors des débats par M. Woirhaye, avocat général, qui a fait connaître son avis. Arrêt contradictoire, prononcé publiquement par M. Carre-Pierrat, président, signé par M. Carre-Pierrat, président, et par M. Truet-Callu, greffier présent lors du prononcé. * Après avoir, à laudience publique du 10 janvier 2005, entendu les conseils des parties, les observations de M. le représentant du ministre de léconomie, des finances et de lindustrie et celles du ministère public, les conseils des parties ayant eu la parole en dernier ; * La société Orange Caraïbe, détenue à 99 % par la société Orange Holding, elle-même détenue à 99 % par France Télécom, dispose dune licence dutilisation de fréquences GSM délivrée par arrêté du 14 juin 1996, modifié par un arrêté du 23 janvier 2002. Cette entreprise a déployé dans les trois départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane un réseau de téléphonie mobile et y propose des offres commerciales de services de téléphonie mobile depuis septembre 1996. La société Bouygues Telecom Caraïbe, détenue à 99 % par la société Bouygues Telecom, dispose dune licence dutilisation de fréquences GSM délivrée par arrêté du 19 juillet 2001. Cette entreprise a déployé un réseau de téléphonie mobile couvrant les trois départements des Caraïbes et propose des offres commerciales de services de téléphonie mobile depuis décembre 2000. Faisant valoir que les sociétés Orange Caraïbe et France Telecom mettent en uvre diverses pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la téléphonie mobile dans les trois départements français des Caraïbes et soutenant, notamment, que la société Orange Caraïbe abuse de sa position dominante sur ce marché en imposant une clause dexclusivité aux distributeurs de ses produits ainsi quau seul réparateur agréé de terminaux dans les Caraïbes, à savoir la société Cétélec Caraïbe, en pratiquant pour les tarifs quelle propose à ses clients une différenciation excessive et discriminatoire entre les appels on net et les appels off net et en captant la clientèle par des pratiques de fidélisation abusives, la société Bouygues Telecom Caraïbe a saisi le Conseil de la concurrence par lettre enregistrée le 9 juillet 2004 et a, accessoirement à sa saisine au fond, demandé sur le fondement de larticle L. 464-1 du code de commerce que des mesures conservatoires soient prises à lencontre des sociétés Orange Caraïbe et France Télécom. Par décision no 04-MC-02 du 9 décembre 2004, le Conseil de la concurrence a dit : Art. 1er. - Il est enjoint à Orange Caraïbe, à titre conservatoire et dans lattente dune décision au fond, de supprimer dans tous les contrats, en cours ou à venir, conclus avec ses distributeurs indépendants les obligations dexclusivité liant ces derniers, et notamment le quatrième alinéa du premier article du « Contrat dagent commercial » et les dispositions de larticle 14 du même contrat intitulé « Non concurrence ». Orange Caraïbe devra en informer lensemble de ses distributeurs indépendants par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision. Cette lettre devra comprendre, en annexe, une copie de lintégralité de la présente décision. Art. 2. - Il est enjoint à Orange Caraïbe, à titre conservatoire et dans lattente dune décision au fond, de supprimer lensemble des obligations dexclusivité quelle impose à Cétélec Caraïbe. Orange Caraïbe devra informer Cétélec Caraïbe de cette mesure par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision. Art. 3. - Il est enjoint à Orange Caraïbe, à titre conservatoire et dans lattente dune décision au fond, de faire en sorte que pour toutes les offres comportant des tarifs différents pour les communications on net, dune part, et off net, dautre part, lécart entre ces tarifs on net et off net ne dépasse pas lécart entre les coûts quOrange Caraïbe supporte pour lacheminement de ces deux types de communications. Orange Caraïbe en informera ses clients par mention sur leur prochaine facture et par affichage visible dans les agences France Télécom et les points de vente Orange. Cette mesure devra prendre effet dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision. Art. 4. - Il est enjoint à Orange Caraïbe, à titre conservatoire et dans lattente dune décision au fond, de permettre que ses clients utilisent les points de fidélité quils ont acquis ou dont ils pourraient faire lacquisition, en tant quà-valoir venant en déduction du prix de tout achat dun bien ou dun service quelle propose à sa clientèle, la valeur du point étant celle fixée par Orange Caraïbe. Cette dernière en informera ses clients par mention sur leur prochaine facture et par affichage visible dans les agences France Télécom et les points de vente Orange. Cette mesure devra prendre effet dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision. La cour : Vu le recours régulièrement formé par la société Orange Caraïbe à lencontre de la décision susvisée, par voie dassignation à laudience du 10 janvier 2005, délivrée à la société Bouygues Telecom Caraïbe, à la société France Télécom, au ministre chargé de léconomie et au Conseil de la concurrence et aux termes de laquelle la requérante demande à la cour : - à titre principal, dannuler la décision déférée ; - à titre subsidiaire, de la réformer, sagissant de la première injonction, en excluant de son champ dapplication les 26 boutiques dans lesquelles Orange Caraïbe a consenti des investissements significatifs et toute autre boutique dans laquelle elle investirait significativement à lavenir ; - sagissant de la deuxième injonction, en prévoyant quOrange Caraïbe doit recevoir une compensation pour tous les investissements réalisés dans Cétélec Caraïbe et non seulement pour la mise à disposition de terminaux ; - sagissant de la troisième injonction, en lui accordant un délai supplémentaire de mise en uvre de deux mois ; - sagissant de la quatrième injonction : - dune part, en limitant au sein de loffre alternative « Changez de mobile » quOrange Caraïbe doit mettre en place, les services que doit proposer Orange Caraïbe à ses clients pour leur permettre dutiliser les points acquis au sein de son programme aujourdhui appelé « Changez de mobile » à lachat de minutes de communications par lots, et - dautre part, en accordant un délai supplémentaire de mise en uvre de deux mois ; - de condamner la société Bouygues Telecom Caraïbe à lui payer la somme de 15 000 euros en application des dispositions de larticle 700 du nouveau code de procédure civile ; Vu le mémoire de la société Bouygues Telecom Caraïbe en date du 5 janvier 2005 par lequel cette partie demande à la cour : - de déclarer irrecevable le recours de la société Orange Caraïbe ; - de rejeter sa demande dannulation et, subsidiairement, sa demande de réformation ; - de confirmer la décision no 04-MC-02 du Conseil de la concurrence en lensemble de ses dispositions ; - de condamner la société Orange Caraïbe à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de larticle 700 du nouveau code de procédure civile ; Ouï le représentant du ministre chargé de léconomie en ses observations tendant au rejet du recours et le ministère public en ses conclusions tendant au rejet du recours ; Sur ce : Considérant que, bien que régulièrement assignée, la société France Télécom na pas déposé de conclusions ; Sur la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence : Considérant que, par lettre du 20 septembre 2004, le rapporteur général a, en application des dispositions de larticle 34 du décret no 2002-689 du 30 avril 2002 fixé des délais pour la production dobservations et de pièces justificatives et pour leur consultation par les intéressés ; que, conformément au calendrier ainsi fixé, la société Bouygues Telecom Caraïbe a déposé le 21 octobre 2004 des observations complémentaires à la saisine qui ont été mises à la disposition de la société Orange Caraïbe à compter du 22 octobre 2004 ; Considérant que, par lettre adressée au rapporteur le 24 octobre 2004, la société Orange Caraïbe, invoquant lampleur et le caractère tardif de ce dépôt, a sollicité un réaménagement de lensemble du calendrier de la procédure ; que cette demande sest heurtée au refus du rapporteur général, exprimé par lettre du 28 octobre 2004 ; Considérant que la requérante fait grief au Conseil de la concurrence, lequel a refusé décarter des débats les observations déposées par Bouygues Telecom Caraïbe le 21 octobre 2004, davoir violé le principe du contradictoire et méconnu, ce faisant, les dispositions de larticle 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales ; Mais considérant que la société Orange Caraïbe ne justifie daucune atteinte au principe du contradictoire, lequel doit sapprécier au regard de lurgence inhérente à la procédure applicable en matière de mesures conservatoires, dès lors quelle a disposé dun temps suffisant pour prendre connaissance et pour répondre utilement, avant la date fixée pour le dépôt de ses propres observations et, à plus forte raison, avant la séance du conseil du 9 novembre 2004, aux observations par lesquelles la société Bouygues Telecom Caraïbe a complété largumentation exposée au soutien de sa saisine et précisé, sur des points mineurs, les demandes qui y étaient formulées ; Quil sensuit que la demande dannulation de la décision déférée nest pas fondée ; Sur la recevabilité du recours en tant quil est dirigé contre le chef de la décision du Conseil de la concurrence déclarant la saisine recevable : Considérant quaux termes de son assignation (p. 15) la requérante fait valoir que « dès lors quaucun élément suffisamment probant ne permet de présumer sérieusement lexistence de pratiques anticoncurrentielles imputables à Orange Caraïbe, la cour ne pourra quannuler la décision attaquée en ce quelle a prononcé la recevabilité de la saisine de la société Bouygues Telecom Caraïbe » ; Considérant cependant que si le Conseil de la concurrence a, en accueillant la demande de mesures conservatoires formée par la société Bouygues Telecom Caraïbe, nécessairement admis que la saisine était appuyée déléments suffisamment probants, le recours nest pas recevable en tant quil vise ce chef de la décision indépendamment de celui relatif aux mesures conservatoires ; Considérant, en effet, quil résulte des dispositions des articles L. 464-7 et L. 464-8 du code de commerce que le recours en annulation ou en réformation devant la cour dappel de Paris prévu par ces textes nest pas ouvert contre les décisions par lesquelles le Conseil de la concurrence estime que les faits invoqués à lappui de la saisine sont suffisamment probants ; Sur les mesures conservatoires : Considérant quil résulte des dispositions de larticle L. 464-1 du code de commerce que le prononcé de mesures conservatoires, lesquelles ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à léconomie générale, à celle du secteur intéressé, à lintérêt des consommateurs ou à lentreprise plaignante et doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à lurgence, implique que lautorité compétente, si elle nest pas tenue de constater lexistence dune pratique anticoncurrentielle avec le même degré de certitude que celui requis pour la décision sanctionnant une telle pratique, caractérise une présomption dinfraction raisonnablement forte aux règles de la concurrence ; Considérant que le Conseil de la concurrence a exactement défini le marché pertinent comme celui de la téléphonie mobile dans les trois départements français de la zone Antilles Guyane ; quau demeurant cette appréciation nest pas critiquée par la requérante ; Considérant que la société Bouygues Telecom Caraïbe, qui ne le conteste pas davantage, occupe une position dominante sur ce marché ; quil suffit de relever ici quà la fin du mois de juin 2004, la part de marché dOrange Caraïbe sur le parc de clients actifs de téléphonie mobile était supérieure à 82 % ; Considérant, sur les pratiques ayant motivé le prononcé de mesures conservatoires, que le Conseil de la concurrence a, par des motifs complets et pertinents, que la cour fait siens et qui ne sont pas utilement combattus par largumentation développée et les pièces produites par la requérante, estimé quil peut être raisonnablement présumé que la société Orange Caraïbe exploite abusivement sa position dominante sur le marché considéré en imposant une obligation dexclusivité et, après cessation des relations contractuelles, de non-concurrence aux distributeurs diffusant ses services, en imposant des liens dexclusivité au seul réparateur de terminaux mobiles agréés dans les Caraïbes, en appliquant une tarification préférentielle non justifiée aux appels émis par ses clients à lintérieur de son propre réseau par rapport à ceux destinés aux clients de Bouygues Telecom Caraïbe et, enfin, en mettant en uvre certains programmes tendant à la fidélisation de la clientèle ; Considérant quil suffit de relever ici, en premier lieu, que les contrats dagent commercial liant la requérante aux distributeurs indépendants, lesquels assurent lessentiel des ventes dOrange Caraïbe puisque celles réalisées dans les agences France Télécom, autres distributeurs exclusifs des services de téléphonie mobile proposés par Orange Caraïbe et des téléphones associés à ceux-ci, ne représentent que 18 % des ventes à destination du marché résidentiel et 27 % de celles aux entreprises, prévoient systématiquement que lagent soblige à représenter à titre exclusif le service dOrange Caraïbe et sinterdit, en conséquence, daccepter la représentation dun service concurrent sans laccord exprès et préalable dOrange Caraïbe que celle-ci « peut refuser à son entière discrétion » ; quil est en outre stipulé, sous la mention « Non concurrence » que lagent sengage à ne pas distribuer de quelque manière que ce soit, aux Antilles, de services de radiotéléphonie substituables au service dOrange Caraïbe, sauf accord écrit et préalable de cette dernière, et que cette obligation de non-concurrence sapplique pendant la durée du contrat et deux ans après sa cessation ; Considérant que de telles clauses faisant obstacle à la distribution multimarque entravent laccès au marché de la distribution dès lors que Bouygues Telecom Caraïbe doit, pour trouver des distributeurs indépendants qualifiés et disposant dun emplacement attractif, sur de petits territoires, faire des efforts bien supérieurs à ceux quil aurait besoin de fournir dans des conditions de concurrence normale, alors surtout que cet opérateur est arrivé sur le marché quatre ans après Orange Caraïbe ; quil importe peu, sous langle de la licéité de cette pratique, reprochée à une entreprise en position dominante, que la requérante ait, comme elle laffirme, consenti des investissements significatifs pour laménagement de certaines boutiques, en vue de la mise en place de la marque Orange ; Considérant, en deuxième lieu, que le « contrat de services de maintenance » conclu entre Orange Caraïbe et la société Cétélec Caraïbe, seul réparateur de téléphones mobiles agréé par les constructeurs de ces appareils pour la zone géographique en cause, fait obligation à Cétélec Caraïbe de ne pas effectuer, de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, sur le territoire, de prestations de maintenance de mobiles au profit dun concurrent et de ses clients pendant la durée dudit contrat, sauf accord écrit et préalable dOrange Caraïbe ; Que lexclusivité ainsi imposée à Cétélec Caraïbe au profit dOrange Caraïbe, qui a pour effet dinterdire à Bouygues Telecom Caraïbe laccès aux prestations locales de réparation de téléphones dès lors que cet opérateur na pas une activité suffisante pour se doter de son propre centre de réparation en raison de limportance des coûts fixes liés au la mise en place dun tel centre, est de nature à augmenter ses coûts et à dégrader limage du service offert au consommateur par cet opérateur compte tenu des délais nécessaires à la réparation dans un centre métropolitain et, par voie de conséquence, à susciter la migration de clients au profit de lopérateur dominant et à rendre plus difficile lacquisition de nouveaux clients ; quest inopérante au regard de la qualification que peut recevoir le comportement ainsi imputé à Orange Caraïbe linvocation par cette dernière des investissements consentis pour linstallation et le fonctionnement de Cétélec Caraïbe ; Considérant, en troisième lieu, que le Conseil de la concurrence a constaté, au vu de lavis émis sur sa demande, le 14 octobre 2004, par lAutorité de régulation des télécommunications, que la société Orange Caraïbe met en uvre une pratique de surtarification des communications passées par ses clients à destination de ceux de la société Bouygues Telecom Caraïbe (appels off net) par rapport aux communications passées par ses clients à destination de son propre réseau (appels on net), sétendant à une partie substantielle de sa gamme tarifaire puisquelle sapplique aux communications émises en dépassement du forfait contractuel et aux offres de cartes prépayées, lesquelles sont très largement utilisées dans la zone géographique considérée ; que le conseil relève, en outre, conformément à lavis de lART, et sans être utilement contredit, que les différences de prix de détail entre les appels on net et les appels off net napparaissent pas justifiées par les écarts de coûts dacheminement de ces appels, au regard des niveaux de prix des terminaisons dappel facturées par Orange Caraïbe, dune part, et par Bouygues Telecom Caraïbe, dautre part ; Considérant que cette pratique de discrimination tarifaire non justifiée par une différence objective de situation, appliquée par un opérateur en position dominante, est de nature à renforcer ce dernier par un effet de réseau, ou « effet de club », dans la mesure où les clients sont incités à restreindre le volume des appels destinés à lopérateur concurrent et, lors du premier achat ou dun renouvellement, à tenir compte du réseau auquel appartiennent leurs principaux correspondants ; quil en est dautant plus ainsi lorsquune telle pratique est observée sur un marché étroit (moins dun million de clients potentiels), ne comportant que deux acteurs aux positions fortement asymétriques ; Considérant, en quatrième lieu, que le marché de la téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane, où lon observe pour les départements de la Martinique et de la Guadeloupe un taux de pénétration supérieur à 70 %, est un marché mature, où les primo-accédants sont rares, comme le montre la faible croissance, voire la stagnation du parc total, relevée par lART (avis susvisé, p. 6) ; que les deux acteurs ayant seuls déployé des réseaux couvrant lensemble de la zone considérée ne peuvent, en conséquence, espérer augmenter leur part de marché quen proposant des offres attractives aux clients de leur concurrent ; Considérant que dans un tel contexte le dispositif de fidélisation de la clientèle mis en uvre par la société Orange Caraïbe sous la dénomination « Changez de mobile », en vertu duquel sont attribués aux clients titulaires dun forfait (prépayé ou post-payé) des points dont le nombre est indiqué sur la facture mensuelle, en fonction notamment du montant de celle-ci, mais qui ne peuvent être utilisés par labonné que par imputation sur le prix dun nouveau terminal et sous la condition de souscrire un nouvel abonnement dune durée de 24 mois, à défaut de quoi le client perd le bénéfice des points accumulés, est de nature à produire un effet de cristallisation des écarts de parts de marché en dissuadant le consommateur de faire jouer la concurrence au seul moment où cela lui est possible, cest-à-dire au terme de sa période dengagement ; Considérant, quant à latteinte grave et immédiate à léconomie générale, à celle du secteur intéressé, à lintérêt des consommateurs ou à lentreprise plaignante, que les pertes cumulées de la société Bouygues Telecom Caraïbe, dont la part de marché était limitée à 17,5 % fin juin 2004 après avoir atteint 26 % et dont les pertes cumulées étaient proches de 80 millions deuros fin 2003, sont dune ampleur telle quil existe un risque sérieux de désengagement de Bouygues Telecom, son unique actionnaire, en labsence de redressement de la situation financière ; que la sortie du marché du seul opérateur de réseau alternatif, qui aurait pour conséquence de soustraire Orange Caraïbe à toute pression concurrentielle, ne pourrait quentraîner des conséquences négatives pour léconomie du secteur intéressé et lintérêt des consommateurs ; que le conseil observe pertinemment que le maintien de Bouygues Telecom Caraïbe sur le marché dans les conditions actuelles, impliquant un report des investissements dans les nouvelles technologies nécessaires à lamélioration du service rendu au consommateur aurait, à terme, des effets proches de ceux de la situation de monopole quemporterait le retrait du groupe Bouygues Telecom ; Considérant que, contrairement à ce que soutient la requérante, les pratiques déviction ci-dessus caractérisées, qui tendent à entraver le marché de la distribution au détail et les transferts de clientèle et à élever les coûts du concurrent, sont, par leur cumul et leur durée, la cause directe et certaine de latteinte à lentreprise plaignante - dont il nest pas établi quelle ait ignoré les spécificités du marché antillo-guyanais, sur lequel elle a fortement investi - et, à travers elle, au secteur concerné et aux intérêts des consommateurs ; Considérant que, sous réserve de la précision ci-après apportée quant au délai dexécution des troisième et quatrième injonctions, les mesures conservatoires prises par le Conseil de la concurrence, proportionnées à latteinte relevée, sont strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à lurgence ; Considérant, à cet égard, dabord, sagissant des mesures relatives aux obligations dexclusivité pesant sur les distributeurs dOrange Caraïbe et sur la société Cétélec Caraïbe, que la situation ci-dessus décrite impose la levée sans condition ni réserve de lensemble de ces obligations, cette mesure nayant pas, au demeurant, pour conséquence de priver Orange Caraïbe du bénéfice commercial lié aux investissements dédiés à la marque Orange ; Considérant, ensuite, quen donnant injonction à lopérateur dominant de faire en sorte que pour toutes les offres comportant des tarifs différents pour les communications on net, dune part, off net, dautre part, lécart entre ces tarifs ne dépasse pas lécart entre les coûts quOrange Caraïbe supporte pour lacheminement de ces deux types de communication, le conseil na pas pour autant retiré à cette dernière la maîtrise de ses prix de détail ni « interdit la souplesse nécessaire pour une bonne politique commerciale adaptée aux besoins des consommateurs ». Considérant, encore, quOrange Caraïbe ne rapporte pas la preuve de linadaptation alléguée du champ dapplication de la quatrième injonction relative à lutilisation des points acquis dans le cadre de son programme de fidélisation aujourdhui dénommé « Changez de mobile », étant rappelé que les points acquis par labonné ne peuvent être actuellement dépensés que pour lachat dun bien, à savoir un téléphone mobile ; Que la requérante est en revanche fondée en sa demande tendant à ce que les délais maximum de mise en uvre des troisième et quatrième injonctions soient portés à quatre mois à compter de la date de notification de la décision déférée, eu égard notamment aux impératifs techniques liés aux modifications à apporter à son système de facturation et aux dispositions de larticle L. 121-84 du code de la consommation issues de la loi no 2004-669 du 9 juillet 2004 selon lesquelles tout projet de modification des conditions contractuelles de fourniture dun service de communications électroniques est communiqué par le prestataire au consommateur au moins un mois avant son entrée en vigueur ; Considérant quil y a lieu de rejeter les demandes réciproquement formées en application des dispositions de larticle 700 du nouveau code de procédure civile ; Par ces motifs : Rejette le recours en annulation formé par la société Orange Caraïbe ; Réforme la décision no 04-MC-02 du 9 décembre 2004 du Conseil de la concurrence mais seulement en ce quelle a fixé à deux mois à compter de la notification de ladite décision le délai maximum de mise en uvre des troisième et quatrième injonctions ; Et statuant à nouveau de ce chef : Fixe à quatre mois à compter de la notification de la décision susvisée du Conseil de la concurrence le délai maximum de mise en uvre des troisième et quatrième injonctions par la société Orange Caraïbe ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Orange Caraïbe aux dépens.
Demandeur : La société Bouygues Telecom Caraïbe, prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège social Oasis, quartier Bois-Rouge, 97224 Ducos, représentée par la SCP Monin, avoué à la cour, assistée de Me Joseph Vogel de la SCP Vogel & Vogel, avocat au barreau de Paris, 30, avenue dIéna 75116 Paris. Défendeurs : La société Orange Caraïbe, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, ayant son siège social 41-45, boulevard Romain-Rolland, 92120 Montrouge, représentée par la SCP Grappotte Benetreau, avoués associés à la cour, assistée de Me Hugues Calvet, avocat au barreau de Paris, 130, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris. La société France Télécom SA, prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège social, 6, place dAlleray 75015 Paris, non comparant. En présence de M. le ministre de léconomie, des finances et de lindustrie, 59, boulevard Vincent-Auriol, 75703 Paris, représenté par M. Michel Roseau, muni dun pouvoir spécial. Composition de la cour, Laffaire a été débattue le 15 février 2005, en audience publique, devant la cour composée de : M. Carre-Pierrat, président ; Greffier, lors des débats : M. Truet-Callu. Ministère public représenté lors des débats par M. Woirhaye, avocat général, qui a fait connaître son avis. Arrêt contradictoire, prononcé publiquement par M. Carre-Pierrat, président, signé par M. Carre-Pierrat, président, et par M. Truet-Callu, greffier présent lors du prononcé. * Vu la requête en date du 3 février 2005 par laquelle la société Bouygues Telecom Caraïbe sollicite la rectification dune erreur matérielle affectant la première ligne du dernier paragraphe de la page 5 de larrêt du 28 janvier 2005 susvisé ; Vu les conclusions en date du 11 février 2005 par lesquelles la société Orange Caraïbe déclare sen rapporter à justice sur le mérite de cette requête ; Vu larticle 462 du nouveau code de procédure civile ; Considérant quil y a lieu, conformément aux dispositions du texte susvisé, de rectifier lerreur matérielle visée par la requête de la société Bouygues Telecom Caraïbe ; Par ces motifs : Dit quà la première ligne du dernier paragraphe de la page 5 de larrêt de cette cour du 28 janvier 2005 (RG : 2004/23525) les mots : « société Bouygues Telecom Caraïbe » sont remplacés par les mots : « société Orange Caraïbe » ; Dit que le présent arrêt rectificatif sera mentionné sur la minute de larrêt rectifié et notifié comme celui-ci ; Laisse les dépens afférents au présent arrêt à la charge du Trésor Public.
(*) Décision n° 04-MC-02 du Conseil de la concurrence en date du 9 décembre 2004 parue dans le BOCCRF n 3 du 31 mars 2005. |