<< sommaire du BOCCRF n° 2004-09

Arrêt de la cour d’appel de Paris (1re chambre, section H) en date du 29 juin 2004 relatif au recours formé par la SA Neuf Télécom et la SA Neuf Télécom Réseau contre la décision no 04-MC-01 (*) du Conseil de la concurrence en date du 15 avril 2004 relative aux demandes de mesures conservatoires présentées par les sociétés Free, Iliad, LDCOM et 9 Télécom

NOR :  ECOC0400310X

    Demandeurs et défendeurs aux recours :
    SA Neuf Télécom, prise en la personne de ses représentants légaux, 40, quai du Point-du-Jour, 92100 Boulogne-Billancourt, représentée par Me François Teytaud, avoué à la cour, assisté de Me Olivier Fraget, avocat au barreau de Paris, cabinet Bird & Bird, 6, rue de Caumartin, 75009 Paris, toque R 255 ;
    SA Neuf Télécom Réseau, prise en la personne de ses représentants légaux, 38, quai du Point-du-Jour, 92100 Boulogne-Billancourt, représentée par Me François Teytaud, avoué à la cour, assisté de Me Olivier Fraget, avocat au barreau de Paris, cabinet Bird & Bird, 6, rue de Caumartin, 75009 Paris, toque R 255.

    Défendeurs et demandeurs au recours :

    SA France Télécom, prise en la personne de son président-directeur général, 6, place d’Alleray, 75015 Paris, représentée par la SCP Gibou-Pignot & Grappotte-Benetreau, avoués associés près la cour, assistée de Me Christophe Clarenc, avocat au barreau de Paris, cabinet Latham & Watkins, 53, quai d’Orsay, 75007 Paris, toque T 09.
    Société TPS (Télévision par satellite), prise en la personne de ses représentants légaux, 145, quai de Stalingrad, 92100 Boulogne-Billancourt, représentée par Me Dominique Olivier, avoué à la cour, assistée de Me Louis Vogel, avocat au barreau de Paris, SCP Vogel et Vogel, 30, avenue d’Iéna, 75116 Paris Cedex 16, toque P 151.

    En présence de :

    Société Free, prise en la personne de ses représentants légaux, 8, rue de la Ville-l’Evêque, 75008 Paris ;
    Société Iliad, prise en la personne de ses représentants légaux, 8, rue de la Ville-l’Evêque, 75008 Paris, ayant pour avocat Me Yves Coursin, avocat au barreau de Paris, 49 rue Galilée, 75116 Paris, toque M 1611 ;
    Société TF 1, prise en la personne de ses représentants légaux, 1, quai du Point-du-Jour, 92100 Boulogne-Billancourt, représentée par Me Dominique Olivier, avoué à la cour, assistée de Me Louis Vogel, avocat au barreau de Paris, SCP Vogel et Vogel, 30, avenue d’Iéna, 75116 Paris Cedex 16, toque P 151.
    Société Métropole Télévision (M 6), 89-92, avenue Charles-de-Gaulle, 92200 Neuilly-sur-Seine, représentée par la SCP Roblin-Chaix de Lavarene, avoué près la cour.

    En présence du ministre chargé de l’économie, DGCCRF, bureau 1, bâtiment 5, 59, boulevard Vincent-Auriol, 75013 Paris, représenté par M. Michel Roseau, muni d’un pouvoir régulier.

    Composition de la cour :

    L’affaire a été débattue le 25 mai 2004, en audience publique, devant la cour composée de :
    Mme Pezard, président ;
    M. Savatier, conseiller ;
    M. Penichon, conseiller,
qui en ont délibéré.
    Greffier, lors des débats : Mme Dalmas.
    Ministère public représenté lors des débats par M. Woirhaye, substitut général, qui a fait connaître son avis.
    Arrêt contradictoire, prononcé publiquement par Mme Pezard, président, signé par Mme Pezard, président, et par Mme Dalmas, greffier présent lors du prononcé.

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    I.  -  Apparue en 1999, l’ADSL (Asymetric Digital Subscriber Ligne) est une technologie qui permet la transmission, sur les lignes téléphoniques, de forts volumes de données numérisés, sans qu’il soit nécessaire d’installer de nouveaux câbles. Elle permet à l’utilisateur, abonné, une connexion internet permanente à haut débit, indépendante de l’utilisation faite du téléphone : ce dernier utilise les fréquences basses de la ligne téléphonique tandis que le haut débit emprunte les fréquences hautes (> 4 000 Hz).
    1.1.  L’accès à l’abonné se fait par la boucle locale cuivre de France Télécom. La boucle locale cuivre désigne la partie du réseau de France Télécom située entre l’abonné final et le central local, encore dénommé « répartiteur », qui concentre l’ensemble des lignes des usagers d’une zone avant de les renvoyer vers le réseau cœur. Le support physique de ces raccordements est une paire de cuivre torsadée. La boucle locale cuivre achemine ainsi différents services de téléphonie, des flux ADSL et des services haut débit.
    L’abonné qui souhaite avoir accès à cette technologie ADSL doit installer un filtre et un modem ADSL à son domicile, à la sortie de sa ligne téléphonique. En regard, côté répartiteur, l’opérateur d’accès doit installer un DSLAM (digital subscriber line access multiplexer), qui dialogue avec ce modem pour transmettre les données haut débit reçues depuis le réseau cœur. Il existe différentes sortes de DSLAM, les uns restreints à la seule fourniture d’accès internet, les autres (DSLAM vidéo) comportant des accès internet et télévisuels.
    La paire de cuivre, sur laquelle France Télécom détient un quasi-monopole, constitue une ressource essentielle car elle n’est pas duplicable à un coût raisonnable par les opérateurs. Elle doit être mise à la disposition de ces derniers dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires par l’opérateur historique. Cette mise à disposition s’effectue techniquement par la voie du dégroupage.
    Le dégroupage (ou option 1) est une offre de gros de France Télécom qui permet à un opérateur d’avoir un accès direct à la boucle locale cuivre et de raccorder les clients finaux. Les opérateurs déploient leurs infrastructures et installent leurs équipements techniques (DSLAM, communateurs...) dans des salles de dégroupage, au sein des répartiteurs de France Télécom. Ils développent ensuite leur propres services sur la paire de cuivre et les commercialisent soit sur le marché de détail directement aux clients finaux, soit sur le gros auprès de fournisseurs de services comme les fournisseurs d’accès internet (FAI).
    Le dégroupage revêt deux formes : la mise à disposition de la paire de cuivre nue (accès totalement dégroupé) utilisée pour construire des offres à valeur ajoutée pour les entreprises ou la mise à disposition des fréquences hautes de la paire de cuivre (accès partiellement dégroupé), France Télécom continuant, dans ce dernier cas, d’assurer la composante téléphonique classique de la ligne.
    Actuellement, pour une ligne donnée, un seul opérateur peut exploiter les fréquences hautes de la paire de cuivre. En revanche, disposant de la totalité de ces fréquences, il a la faculté de diviser la bande passante disponible entre plusieurs flux indépendants correspondant à des services d’accès à internet, d’accès télévisuel et de téléphonie.
    Les réseaux câblés constituent une infrastructure de boucle locale alternative à la boucle locale cuivre permettant le développement sur le réseau filaire de services diversifiés : internet haut débit, téléphonie classique, services couplés.
    1.2.  Différents services peuvent être proposés par les opérateurs sur un acccès ADSL : les services d’accès internet à haut débit et les services d’accès télévisuels sur ADSL. Ils peuvent être couplés pour offrir au client des services « multiple play » sur ADSL.
    Les services d’accès à internet par ADSL comportent deux composantes : l’accès et le transport des flux, auxquels s’ajoute la connectivité à internet gérée par le FAI. Au sein de ces derniers, on distingue, outre l’option 1, présentée plus haut :
    L’offre « l’ADSL » qui, initialement, proposait l’accès découplé du transport : l’abonné achetait l’accès à France Télécom directement (commercialisé sous le nom de Netissimo) et s’adressait pour avoir accès aux services internet à un FAI qui pouvait se procurer la prestation de transport auprès de France Télécom ; l’offre Ma Ligne TV de France Télécom est proche de ce schéma ; cette offre Nettissimo a été, dans une large mesure, remplacée par une offre groupée, dénommée « l’ADSL » intégrant accès, transport et connectivité internet, commercialisée directement auprès des clients finaux par les FAI, qui font l’acquisition auprès de France Télécom ou de l’un de ses concurrents de l’offre de gros correspondante ;
    L’option 3 (ADSL Connect ATM), usitée dans des zones insuffisamment denses pour permettre un développement viable du dégroupage : les opérateurs achètent à France Télécom une prestation de collecte du trafic ADSL jusqu’à un niveau intermédiaire du réseau et vendent aux FAI une prestation globale d’accès et de collecte ADSL. Le FAI est indépendant de France télécom pour une partie de la collecte.
    L’option 5 (offre IP/ADSL de France Télécom) dans laquelle le trafic de l’abonné ADSL est livré au FAI directement sur son centre serveur par France Télécom. Le FAI est indépendant de France Télécom pour l’accès et la totalité de la collecte.
    Les offres d’accès télévisuel sur ADSL, à l’heure actuelle exclusivement fondées sur le dégroupage, sont organisées, d’un point de vue technique, en réseaux présentant des physionomies différentes. Au départ, la tête du réseau est l’équipement qui reçoit le flux vidéo et l’envoie vers le point de présence de l’opérateur (POP) sur un réseau de transport, lequel présente deux types d’architecture :
    L’architecture en boucle, utilisant la technologie gigabit Ethernet (opérateurs alternatifs), où les répartiteurs sont connectés entre eux par une fibre « en série ». Pour pouvoir former une boucle entre le POP et les différents répartiteurs, l’opérateur ayant recours à cette technologie doit installer un commutateur Ethernet dans le POP et dans chaque répartiteur. Au niveau du premier répartiteur, le commutateur dirige le flux vers chacun des DSLAM vidéo localisés dans ce répartiteur et vers les répartiteurs suivants ; un seul flux de 350 bits/s envoyé depuis le POP vers la boucle suffit à desservir toute la boucle en flux télévisuels et/ou internet (en prenant l’exemple de 100 chaînes à 3,5 bits/s chacune) ;
    L’architure en étoile, plus ancienne, utilisant la technologie ATM (principalement France Télécom), où les flux sont envoyés un à un d’un « nœud central » vers chacun des répartiteurs ; dans ce cas, le commutateur Ethernet situé dans le POP doit envoyer vers chacun des DSLAM vidéo de sa zone le flux de 350 Mbits/s.
    Enfin, les services de « multiple play » par ADSL sont des offres multiservices, consistant à fournir plusieurs services (accès à internet, téléphonie, accès télévisuel). Ils sont à l’origine pour les opérateurs d’une économie de coûts fixes. Une fois qu’un opérateur a décidé de lancer son service dans une configuration (boucle ou étoile), il lui est très difficile de changer d’architecture, les coûts de migration étant structurellement élevés dans un réseau en exploitation commerciale.

    II.  -  Un certain nombre d’opérateurs de téléphonie et de télévision se sont intéressés aux services de « multiple play » au cours des années 2001 à 2003.

    Le 1er décembre 2003, la société Free, opérateur de télécommunication, a commercialisé, par l’intermédiaire de son modem, le premier service de télévision par ADSL comprenant la diffusion de chaînes gratuites et progressivement de chaînes thématiques payantes venant s’ajouter à un accès à internet à haut débit et à un service de téléphonie pour le prix de 29,99 euros par mois.
    Le 1er août 2003, la société France Télécom et la société TPS, filiale de TF 1 et de M 6, opérateur de bouquet par satellite et éditeur de chaînes payantes, ont signé un protocole d’accord intitulé « Memorandum of Understanding » (l’accord) ayant pour objet « la mise en place et la commercialisation auprès du public par TPS et France Télécom d’offres de services de communication audiovisuelle au moyen d’un accès ADSL vidéo ».
    Selon cet accord, France Télécom assure :
-  l’acheminement des chaînes depuis la tête du réseau de TPS jusqu’aux abonnés ;
-  la gestion du réseau de télécommunications ADSL et de la plate-forme de services ;
-  le contrôle d’accès ;
-  la fourniture d’accès ADSL vidéo et sa gestion commerciale ainsi qu’un service de vidéo à la demande ;
-  la fourniture à TPS de sa logistique commerciale par l’intermédiaire de ses agences et la commercialisation des offres de programme et d’accès susmentionnées au client final.
    La société TPS, pour sa part, est responsable de la régularité de son bouquet vis-à-vis de ses clients et de ses fournisseurs, à l’exclusion de France Télécom, ainsi que du cryptage des chaînes au moyen du système Viaccess.
    L’accord, après avoir mentionné, « le caractère incertain du cadre juridique et réglementaire dans lequel s’inscrivent les offres » prévoit que les parties sont engagées ensemble pour une durée de 10 ans, sans exclusivité.
    Enfin, compte tenu du modem utilisé par le client final qui doit être compatible avec un accès internet ADSL et l’accès ADSL vidéo, les parties conviennent de se rapprocher des FAI.
    Le 18 décembre 2003, les sociétés France Télécom et TPS ont lancé leur service de télévision par ADSL à Lyon, puis à Paris, à la fin du mois de mars 2004. Ce service se présente sous la forme de deux abonnements : l’un, à « Ma Ligne TV » par lequel France Télécom fournit à l’abonné « un accès ADSL vidéo », un terminal récepteur-décodeur numérique et une télécommande ainsi qu’un service de vidéo à la demande, moyennant le versement mensuel d’une somme de 16 euros, et l’autre, à « TPS L » par lequel la société TPS fournit à ce même consommateur un bouquet de chaînes pour un coût de 21 euros par mois.
    Par ailleurs, d’autres offres de télévision par ADSL vont être commercialisées, notamment par le groupe Canal Plus. La société Neuf Télécom prévoyait de lancer à Marseille une offre de service de télévision par ADSL pour laquelle elle ne fournirait directement aucun service au client final mais serait chargée de l’accès au service, du transport des flux audiovisuels et de la fourniture du modem : son offre est effective depuis le 22 mars 2004.
    III.  -  Par une demande enregistrée le 28 novembre 2003, les sociétés Free et Illiad, opérateurs alternatifs de réseaux, ont saisi le Conseil de la concurrence de certaines pratiques mises en œuvre par le Groupe TF 1 (dont sa filiale, la société TPS), par la société Métropole Télévision (M 6) et France Télécom qu’elles estiment prohibées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce et qui concernent le service de télévision par ADSL (offre « Ma Ligne TV » de la société France Télécom et « TPS L » de la société TPS).
    Les sociétés Illiad et Free ont assorti cette saisine d’une demande de mesures conservatoires.
    Par une demande enregistrée le 26 décembre 2003, les sociétés Louis Dreyfus Communications (LDCOM devenue Neuf Télécom) et 9 Télécom Réseau ont également saisi le conseil de pratiques mises en œuvre par la société France Télécom qu’elles estiment prohibées par l’article L. 420-2 du code de commerce et qui concernent le service de télévision par ADSL (« Ma Ligne TV » de la société France Télécom).
    Cette saisine était accompagnée d’une demande de mesures conservatoires.
    Le 31 décembre 2003, le conseil a procédé à la jonction des deux affaires.
    Les sociétés Free et Illiad contestent le refus opposé par le groupe TF 1 (dont la société TPS) de communiquer l’ensemble des conditions contractuelles et tarifaires concernant la diffusion des chaînes du groupe TF 1 et de sa filiale TPS. Elles font également état du refus que leur a opposé la société Métropole Télévision pour la reprise de ses contenus audiovisuels dans l’offre de télévision par ADSL proposée par la société Free.
    La société Neuf Télécom dénonce les comportements suivants de la part de France Télécom :
-  le fait de proposer des offres de télévision par ADSL alors qu’elle agit également dans le secteur de la télévision par câble ;
-  le fait de grouper plusieurs prestations (transport, accès et équipements) dans le cadre de son service de télévision par ADSL ;
-  les niveaux des tarifs proposés ;
-  les entraves au développement d’offres d’accès ADSL vidéo concurrentes ;
-  l’exclusion des offres d’accès ADSL fondées sur le dégroupage ;
-  l’incompatibilité des modems.
    Par décision no 04-MC-01 du 15 avril 2004, statuant sur la demande de mesures conservatoires, le Conseil de la concurrence a décidé :
    « Article 1er. - La saisine de la société Neuf Télécom est rejetée pour défaut d’éléments probants en ce qu’elle vise la société France Télécom pour sa position dans le secteur du câble et le choix des modems utilisés pour le service “Ma Ligne TV”.
    Article 2.  -  Il est enjoint à la société TPS, à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond :
    D’insérer, en caractères nettement lisibles, dans tous ses documents promotionnels ou publicitaires relatifs à la commercialisation du service “TPS L” diffusés à compter de la date de notification de la présente décision, la mention “Offre soumise aux conditions techniques particulières figurant à l’article 2.2 (point 2) des conditions générales d’abonnement”,
étant précisé qu’aux termes de cet article :
    L’accès aux services proposés par TPS est conditionné par le fait que la ligne téléphonique fixe de l’abonné soit :
-  analogique ;
-  raccordable techniquement aux conditions d’accès de France Télécom ;
-  éligible géographiquement et techniquement et capable techniquement de supporter les débits nécessaires à la technologie ADSL.
    Ladite ligne téléphonique fixe ne doit pas, par ailleurs, être dégroupée : en particulier, si l’abonné est également abonné à un fournisseur d’accès à internet qui a recours à un opérateur de télécommunications pratiquant le dégroupage pour échanger des données sur le réseau téléphonique grâce à une liaison haut débit ADSL ou bas débit, l’accès aux services proposés par TPS ne sera pas possible. Le dégroupage de la ligne téléphonique fixe de l’abonné est considéré par TPS comme un motif légitime de résiliation du présent contrat.
    Article 3.  -  Il est enjoint à la société France Télécom, à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond :
    D’insérer, en caractères nettement lisibles, dans tous ses documents promotionnels ou publicitaires relatifs à la commercialisation du service “Ma Ligne TV” diffusés à compter de la date de notification de la présente décicion, la mention “Offre soumise aux conditions techniques particulières figurant à l’article 4 (point 3 du premier paragraphe) des conditions spécifiques”,
étant précisé qu’aux termes de cet article : “Pour pouvoir être raccordé au service, le client doit disposer d’une ligne téléphonique non dégroupée, isolée, analogique, en service et répondant aux caractéristiques de la technologie ADSL utilisée par France Télécom pour la fourniture de ce service. Si le client est internaute, ce dernier s’informe, et se tient régulièrement informé, auprès de son fournisseur d’accès à internet, du fait que les conditions d’accès à internet satisfont aux conditions d’accès au service.”
    Dans un délai de deux semaines à compter de la notification de la présente décision, d’autoriser la société Neuf Télécom à installer les équipements nécessaires au raccordement de ses DSLAM vidéo à son réseau de desserte en boucle, notamment les commutateurs Ethernet et de répondre aux commandes d’accès de la société Neuf Télécom, y compris lorsque cet opérateur est à la fois “émetteur” et “preneur”. Ces prestations sont fournies à la société Neuf Télécom, dans le cadre des relations contractuelles existantes, dans des conditions non discriminatoires et dans la limite des fonctionnalités que permettent les DSLAM commercialisés sur le marché ;
    A compter de la date de notification de la présente décision, de présenter séparément, dans tout contrat relatif à des prestations ADSL vidéo, y compris dans les contrats existants, le prix du transport et le prix de desserte locale des flux vidéo. Cette présentation tarifaire précise également que les deux prestations sont commercialement indépendantes et peuvent être assurées par deux opérateurs différents. »

            La cour,
    Vu le recours formé par les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau à l’encontre de la décision no 04-MC-01 du 15 avril 2004, par voie d’assignation à l’audience du 25 mai 2004, délivrée le 3 mai 2004, aux termes de laquelle elles demandent à la cour :
-  de les recevoir en leur recours et les déclarer bien fondées ;
-  de réformer partiellement la décision en ajoutant un nouvel article formulé comme suit :
    « Article 4.  -  Il est enjoint à la société France Télécom à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond de suspendre :
    La commercialisation de l’offre “Ma Ligne TV” ou de toute offre de services de télécommunications analogue destinée au consommateur final ayant les caractéristiques décrites dans la présente décision ;
    L’application des clauses et dispositions des contrats signés avec les éditeurs de bouquet en ce qu’ils prévoient une rémunération forfaitaire du transport par POP pour la durée des accords, qui n’est pas proportionnelle au nombre d’accès activés, ainsi que le prix et le contenu des prestations offertes au consommateur final et visant directement ou indirectement à imposer la location d’un décodeur de manière groupée avec une prestation d’accès comme système de cryptage particulier » ;

    En tout état de cause,
-  de confirmer la décision pour le surplus ;
-  de condamner la société France Télécom à leur payer la somme de 10 000 Euro au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
    Vu le recours formé par la société France Télécom à l’encontre de la décision précitée, par voie d’assignation à l’audience du 25 mai 2004, délivrée le 3 mai 2004, aux termes de laquelle elle demande à la cour :
    A titre principal :
-  de dire que les mesures conservatoires prononcées à son encontre violent les exigences du principe de motivation ainsi qu’en fait et en droit, les exigences de l’article L. 464-1 du code de commerce ;
-  en conséquence, d’annuler les mesures conservatoires prononcées par le conseil ;
-  de dire qu’il n’y avait lieu de prononcer des mesures conservatoires à son encontre ;
    A titre subsidiaire :
-  de réformer les mesures prononcées à son encontre par le conseil ;
    Vu le recours formé par la société TPS à l’encontre de la décision précitée, par voie d’assignation à l’audience du 25 mai 2004, délivrée le 7 mai 2004, aux termes de laquelle elle demande à la cour :
-  de déclarer recevable son recours incident formé à l’encontre de la décision du conseil ;
-  de dire que cette décision doit être annulée dans son intégralité ;
    A titre subsidiaire :
-  de dire que la décision du conseil doit être réformée en ce qu’elle a considéré qu’il existait une atteinte à l’économie du secteur et aux consommateurs justifiant le prononcé de mesures conservatoires ;
-  en conséquence, « de réformer la décision du conseil en ses articles 2 et 3, 2e point, en annulant ces mesures » ;
-  de rejeter les recours des sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau ;
-  de condamner les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau au paiement d’une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

    Vu les conclusions déposées le 21 mai 2004 par les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau ;
    Vu les conclusions déposées les 19, 21 et 24 mai 2004 par la société France Télécom ;
    Vu les conclusions déposées le 24 mai 2004 par la société TPS (deux mémoires) ;
    Vu les conclusions déposées le 24 mai 2004 par la société France Télécom ;
    Vu les conclusions déposées le 25 mai 2004 par les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau ;
    Bien que régulièrement assignées, les sociétés Free, Iliad, TF1 et Métropole Télévision (M6) n’ont pas déposé de conclusions ;
    Ouï le représentant du ministre de l’économie en ses observations tendant à la réformation partielle de la décision du conseil de la concurrence et le ministère public en ses conclusions de rejet du recours ;
            Sur ce,
    Considérant qu’il est de l’intérêt d’une bonne justice de juger ensemble les recours formés contre la décision du conseil no 04-MC-01 du 15 avril 2004 par les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau, France Télécom et TPS, inscrits au répertoire général de la cour respectivement sous les numéros 2004/8236, 2004/8227 et 2004/8821 ;
    Considérant, en droit, qu’aux termes de l’article L. 464-1 du code de commerce les mesures conservatoires que le conseil peut prendre lorsqu’elles lui sont demandées ou qu’elles lui apparaissent nécessaires, « ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante », et « doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence » ;
    Que, si l’autorité compétente n’est pas tenue de constater prima facie une infraction aux règles de la concurrence avec le même degré de certitude que celui requis pour la décision sanctionnant un tel manquement, elle doit être, pour prononcer de telles mesures, convaincue de l’existence d’une présomption d’infraction raisonnablement forte, à savoir une entente ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ou l’exploitation abusive d’une position de domination sur le marché ; qu’à tout le moins, les faits dénoncés et dont le conseil s’estime valablement saisi au fond doivent être suffisamment caractérisés pour être tenus comme la cause directe et certaine de l’atteinte relevée ;

I.  -  Sur le recours formé par la société France Télécom

    Considérant qu’à l’appui de sa demande tendant à l’annulation des mesures conservatoires prononcées à son encontre par le conseil dans l’article 3 de sa décision, France Télécom prétend, pour l’essentiel, que ces dernières violent les exigences du principe de motivation et, en fait et en droit, celles de l’article L. 464-1 du code de commerce ;

            Sur la première mesure :

    Considérant que France Télécom fait notamment valoir que le conseil n’a pas caractérisé la présomption de pratique anticoncurrentielle raisonnablement forte à l’origine de la première des mesures conservatoires ordonnées à son encontre et que cette dernière, outre qu’elle résulte d’une erreur manifeste d’appréciation des faits, « méconnaît les conditions de l’atteinte grave et immédiate » mentionnée à l’article L. 464-1 précité dès lors que les supports promotionnels relatifs à l’offre « Ma Ligne Tv » comportent une mention informant les consommateurs sur les « conditions techniques » de cette offre plus explicite que celle retenue par le conseil « Offre soumise aux conditions techniques particulières figurant à l’article 4 des conditions spécifiques » ;
    Considérant que le conseil justifie sa mesure d’insertion par le fait que les documents publicitaires et promotionnels relatifs à l’offre « Ma Ligne Tv » ne font pas « directement ou indirectement référence aux incompatibilités existant entre services » (§ 134 de la décision) ;
    Mais considérant qu’à supposer démontrée une présomption de manquement raisonnablement forte, l’existence d’une atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante, mentionnée à l’article L. 464-1 précité, n’est pas suffisamment caractérisée, la mesure conservatoire ordonnée proposant un avertissement au consommateur de même nature que celui mentionné sur les supports promotionnels de l’offre « Ma Ligne Tv » de sorte qu’elle n’apparaît pas strictement limitée à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence ;

            Sur la deuxième mesure :

    Considérant que, pour contester la deuxième mesure conservatoire ordonnée à son encontre, la société France Télécom invoque, d’une part, la méconnaissance par le conseil de la compétence spéciale dévolue à l’Autorité de régulation des télécommunications (ART) en matière de régulation opérationnelle de l’offre de dégroupage, et, d’autre part, une erreur manifeste et grave d’appréciation rendant inapplicable la mesure prononcée, en ce que l’installation des commutateurs Ethernet dans les salles de dégroupage ne saurait être mise en œuvre « dans le cadre des relations contractuelles existantes au titre du dégroupage » et en ce qu’elle ne saurait prendre à sa charge la prestation de commande de migration de raccordement des accès ADSL vers un DSLAM vidéo, son offre excluant de telles installations et prestation ;
    Considérant, en premier lieu, qu’à l’appui de l’exception d’incompétence du conseil, France Télécom fait valoir, excipant de l’avis de l’ART no 04-72 du 15 mai 2004, que son offre de référence ne prévoit pas un accès aux commutateurs Ethernet indépendant, contrairement à l’analyse retenue par le conseil, et que dès lors, l’ART est seule compétente pour statuer sur le différend entre les parties en application de l’article 4 du règlement CE no 2887/2000 du 18 décembre 2000 relatif au dégroupage de l’accès à la boucle locale, lequel prévoit que « L’autorité réglementaire nationale est habilitée à imposer des modifications de l’offre de référence pour l’accès dégroupé à la boucle locale et aux ressources connexes y compris les prix, lorsque ces modifications sont justifiées » ;
    « L’autorité réglementaire nationale peut intervenir, lorsque cela se justifie, de sa propre initiative pour assurer la non-discrimination, une concurrence équitable ainsi que l’efficacité économique et le plus grand bénéfice pour les utilisateurs »;
    Mais considérant que, dans sa décision no 96-378 DC du 23 juillet 1996, le Conseil constitutionnel a précisé que « les décisions de l’autorité pourront trancher des litiges relevant du droit de la concurrence ou des différends de nature commerciale ou technique survenus dans la négociation ou l’exécution des conventions d’interconnexions, lesquelles, en vertu de l’article L. 34-8 du code des postes et télécommunications, constituent des conventions de droit privé ; qu’il en sera de même des litiges entre opérateurs s’agissant des possibilités et conditions d’une utilisation partagée entre eux des installations existantes ou des conditions de mise en conformité avec l’article L. 34-4 du même code des conventions relatives à la fourniture des services de télécommunications visés par cet article ; que la saisine des autorités par l’une et l’autre des parties est facultative ; qu’au cas où les opérateurs n’auront pas choisi de saisir l’autorité de régulation, les litiges seront portés selon le cas soit devant le Conseil de la concurrence et en cas de contestations devant la cour d’appel de Paris, soit devant le juge du contrat ; que la loi déférée tend ainsi à unifier sous le contrôle de la Cour de cassation l’ensemble des contentieux spécifiques visés aux I et II de l’article L. 36-8 » ; que les dispositions du règlement communautaire susvisé n’ont pas modifié cette répartition des compétences ; qu’il s’ensuit que les parties ont la faculté de saisir l’ART ou le conseil ; que, dès lors, l’exception d’incompétence du Conseil de la concurrence doit être rejetée ;
    Considérant, en second lieu, sur l’erreur manifeste et grave d’appréciation dénoncée par France Télécom, que cette entreprise prétend, pour l’essentiel, que la mesure prononcée fondée sur les seules déclarations de Neuf Télécom, lesquelles ne sont étayées par aucun indice précis, ne serait pas en relation avec une pratique anticoncurrentielle identifiée, ne caractérisant pas l’atteinte grave et immédiate mentionnée à l’article L. 464-1 précité et serait devenue sans objet ;
    Considérant qu’à supposer qu’une présomption d’abus de position dominante raisonnablement forte soit caractérisée il résulte des écritures de France Télécom, non utilement contredites par le conseil ou les parties, qu’une offre d’hébergement ayant pour objet d’autoriser et d’organiser l’installation des commutateurs Ethernet dans les salles de dégroupage, dont le conseil a reçu communication le 27 février 2004, a été faite par cette entreprise à Neuf Télécom et que cette dernière société a annoncé le lancement d’une offre d’accès ADSL vidéo à Marseille, pour le 22 mars suivant ; qu’il n’y a donc plus lieu de craindre une atteinte grave et immédiate à la concurrence nécessitant la mise en œuvre d’une mesure d’urgence de sorte que, pour l’ensemble de ces raisons, la mesure conservatoire apparaît sans objet ;

            Sur la troisième mesure :

    Considérant que France Télécom allègue que la troisième mesure conservatoire prononcée à son encontre n’est pas motivée au regard de l’exigence de la caractérisation d’une présomption de manquement raisonnablement forte ;
    Qu’en réplique les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau font valoir que, par suite du couplage tarifaire opéré par France Télécom entre les prestations de desserte locale et de transport national de flux vidéo dans les contrats relatifs au service ADSL vidéo, les fournisseurs de programmes de télévision, clients de France Télécom, telle la société TPS, n’ont aucun intérêt à faire appel aux différents opérateurs d’accès qui pourraient exister en aval d’un même opérateur de transport ;
    Considérant que, se fondant sur les seules allégations de Neuf Télécom et de 9 Télécom Réseau, le conseil a conclu que le « couplage tarifaire » susdécrit menaçait la concurrence du secteur de l’ADSL et portait gravement atteinte à son économie (§ 142 et § 143 de la décision) sans toutefois caractériser plus avant l’infraction reprochée ni démontrer l’atteinte grave et immédiate qui en résulterait pour l’économie générale, le secteur concerné, l’intérêt des consommateurs ou l’entreprise plaignante alors même qu’il résulte du dossier de la procédure qu’un fournisseur de programmes de télévision autre que TPS a fait appel à différents opérateurs d’accès, parmi lesquels Neuf Télécom, en passant un accord de diffusion de son bouquet de télévision ADSL ;
    Qu’il s’en déduit que cette mesure comme les précédentes n’est pas fondée au regard des exigences posées par l’article L. 464-1 du code de commerce ;

II. - Sur le recours formé par la société TPS

            Sur la recevabilité du recours :
    Considérant, tout d’abord, que, contrairement à ce que soutient la société TPS, la faculté d’exercer un recours incident contre une décision ordonnant des mesures conservatoires n’est ouverte aux parties en cause devant le conseil ni par le décret no 87-849 du 19 octobre 1987 - la section II relative aux mesures conservatoires et la section IV concernant les dispositions communes n’évoquant pas cette possibilité - ni par les dispositions des articles 543 et suivants du nouveau code de procédure civile relatives à l’appel, qui ne sont pas applicables à la matière, le décret précité ayant précisément pour objet de fixer les modalités particulières des recours ; que, toutefois, la société TPS doit être déclarée recevable en son recours - nonobstant la qualification qu’elle lui a donné - dès lors qu’en l’absence de production de l’avis de réception de la lettre de notification de la décision du conseil il n’est pas établi que le délai prévu par l’article L. 464-7 du code de commerce était expiré lorsque cette société a placé son assignation ;
    Considérant, ensuite, que, contrairement à ce que font valoir les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau, la caractérisation prima facie par le conseil du marché de la position dominante de l’entreprise sur celui-ci et des pratiques d’entente ou d’abus de domination, éléments constitutifs de l’incrimination, « ne ressortit pas au seul examen de la recevabilité de la saisine au fonds » mais constitue l’une des conditions exigées par l’article L. 464-1 du code de commerce pour l’octroi de mesures conservatoires ; que le moyen ne peut être accueilli ;

            Sur le fond :
    Considérant que la société TPS soutient que le conseil n’a pas caractérisé l’existence d’une présomption d’infraction raisonnablement forte au droit de la concurrence ; qu’à cet égard, elle fait valoir, d’une part, que les marchés pertinents ne sont pas précisément identifiés, d’autre part, que la position dominant de TPS n’est pas démontrée et, enfin, qu’aucune présomption d’entente illicite entre TPS et France Télécom n’est établie ;
    Considérant, en premier lieu, que la délimitation d’un marché s’opère à partir d’une analyse de la substituabilité des produits ou des services en cause ; que si, au stade des mesures conservatoires, cet examen ne peut être mené de manière exhaustive, la définition du marché ne peut résulter de la seule référence à des décisions n’ayant aucun caractère préparatoire à la décision déférée, sans qu’au moins soient rappelés - fût-ce succinctement - les éléments du raisonnement conduisant à la délimitation du marché à partir de l’analyse de l’interchangeabilité des produits et services concernés ;
    Or considérant, que, se fondant sur diverses décisions (§ 41), notamment celle du TPICE du 30 septembre 2003, pour définir un premier marché dit de la télévision à péage, « séparé mais complémentaire du marché des services de télévision interactive numérique » (§ 42), d’où il déduit, d’une part, l’existence d’un marché émergent des offres multiservices de communication par ADSL, et, d’autre part, que la télévision par ADSL, en tant que « nouveau support de diffusion audiovisuelle, en l’occurrence le réseau d’accès cuivre du réseau téléphonique, à côté du réseau hertzien terrestre, du câble ou du satellite », pourrait ne pas constituer un marché autonome (§ 43), le conseil n’a pas suffisamment explicité les motifs qui justifient son analyse des marchés en cause dans la présente affaire ;
    Considérant, en second lileu, que, pour caractériser la position dominante de TPS, à laquelle seule des mesures conservatoires ont été notifiées, le conseil, examinant la capacité de cette entreprise à s’abstraire de la concurrence sur le marché de la télévision à péage, a pris successivement en considération, en se fondant sur diverses décisions, la part du marché du groupe TF1 (24 % contre 50 % pour Canal Plus), la part d’audience des chaînes thématiques dans le palmarès des 10 chaînes les plus regardées (4 chaînes pour TF1 et 2 pour Canal Plus), la part d’audience des chaînes généralistes hertziennes diffusées sur la télévision à péage et l’intégration des sociétés appartenant au groupe TF1, dominant sur le marché connexe de la publicité télévisuelle et détenant une présence forte sur l’ensemble des programmes d’informations sur la télévision, sur l’activité d’édition des programmes du groupe TF1 et sur la télévision à péage ; qu’il en a déduit qu’« en l’état de l’instruction, il ne peut être exclu qu’au moins dans la phase de lancement de la télévision par ADSL, telle qu’elle se présente aujourd’hui, la société France Télécom et le groupe TF1 détiennent, par l’intermédiaire des marchés qui y sont liés, un avantage concurrentiel important par rapport à leurs concurrents ou apparaissent comme des partenaires obligés pour les nouveaux opérateurs entrant sur le marché » ;
    Mais considérant qu’opposant à cette argumentation d’autres décisions, la société TPS apporte des éléments selon lesquels le groupe TF1 ne détiendrait aucune position dominante sur les marchés étudiés mais serait, au contraire, fortement concurrencé par d’autres entreprises, tel le groupe Canal Plus ; qu’elle fait valoir que, sur le marché de la télévision à péage, la part de marché du groupe TF1 est de 11,7 % contre 64,8 % pour Canal Plus ainsi qu’il résulte de la décision 03-MC-01 du 23 janvier 2003 du Conseil de la concurrence et que sur le marché de l’édition et de la commercialisation des chaînes thématiques, il n’occupe aucune position dominante comme l’indique la Commission européenne dans sa décision TPS du 30 avril 2002 ; que TPS remarque, à juste titre, que l’éventuelle position dominante détenue sur le marché de la publicité télévisuelle par le groupe TF1 ne peut justifier un abus de sa part sur les marchés visés par la décision que s’il existe un lien de connexité entre tous ces marchés ainsi qu’un lien de causalité entre la position dominante de TF1 sur le premier et l’abus commis sur les seconds, lesquels ne sont nullement établis ; qu’elle fait enfin justement observer que le conseil ne peut déduire de cette analyse l’existence d’un avantage concurrentiel de France Télécom et de TF1, sans préciser la manière dont s’exerce cette domination conjointe et sur quels marchés ;
    Considérant, dans ces conditions, qu’en l’absence concrète de la position de TPS sur les marchés en cause, la confrontation des décisions de justice citées par les parties avec les autres pièces du dossier de la procédure ne mettent pas la cour en mesure de s’assurer du caractère vraisemblable de la position dominante de TPOS, partant de l’existence d’une présomption raisonnablement forte d’abus de position dominante ;
    Considérant, en troisième lieu, que pour caractériser la présomption d’entente tarifaire verticale et horizontale illicite résultant de l’accord du 1er août 2003 conclu entre France Télécom et TPS, le Conseil de la concurrence se borne à relever, à l’instar des sociétés Neuf Télécom et Télécom Réseau, que les offres « Ma Ligne Tv » et TPS L sont vendues à un prix maximal équivalent à celui payé pour « accéder aux offres de TPS sur le marché de la télévision payante » et qu’elles sont distribuées dans les agences de France Télécom, ce qui constitue « un avantage considérable en raison du maillage territorial qu’assurent les agences et de la possibilité d’y commercialiser les services Wanadoo » ;
    Mais considérant que ces seuls éléments sont insuffisants, en l’état, pour caractériser la vraisemblance de l’objet et de l’effet anticoncurrentiel de « l’entente tarifaire » existant entre les parties ; qu’en premier lieu les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau ne démontrent ni le caractère prétendument « artificiel » du prix, en l’absence d’analyse du coût des prestations, ni l’impossibilité dans laquelle elles se trouveraient de « répliquer l’offre de France Télécom » ; qu’en second lieu, n’est pas établie l’illicéité de l’alignement du tarif de cette offre sur celui de la prestation par satellite, les prix pratiqués par TPS apparaissant, ainsi qu’elle en apporte la preuve « dans la droite ligne de ceux du marché » ; qu’enfin, la seule référence à la distribution de l’offre dans les agences France Télécom ne permet pas de déceler le caractère anticoncurrentiel du comportement des parties, TPS disposant, par ailleurs, d’un réseau de distributeurs agréés qu’elle met également à contribution ; qu’il résulte de ce qui précède que la condition tenant à l’existence d’une présomption d’infraction raisonnablement forte n’est pas remplie ;
    Considérant surabondamment que la preuve n’est pas apportée que les autres conditions nécessaires à l’adoption des mesures conservatoires sont réunies ; que, d’une part, si aux termes de l’article L. 464-1 du code de commerce le conseil peut prendre « les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires », c’est à la condition qu’existe un lien entre l’atteinte observée et la mesure prononcée, la seconde étant limitée à ce qui est nécessaire pour corriger la première ; qu’en l’espèce, n’apparaît pas caractérisée, dans la décision, la relation entre les pratiques reprochées - l’abus de position dominante résultant de la non-communication aux opérateurs par TPS de ses conditions contractuelles et tarifaires concernant le contenu des chaînes qu’elle édite et l’entente sur les prix existant entre France Télécom et TPS pour les offres « Ma Ligne Tv » et TPS L - et la mesure ordonnée consistant à informer le consommateur sur les conséquences, au regard de l’offre proposée, du dégroupage de la ligne téléphonique fixe de l’abonné ; que, partant, la condition de proportionnalité de la mesure à l’atteinte affectant le marché n’est pas remplie ; qu’il s’ensuit que le recours de TPS relatif à l’article 2 de la décision du conseil ne peut qu’être accueilli ;

III.  -  Sur le recours formé par les société Neuf Télécom
et 9 Télécom Réseau

    Considérant que les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau poursuivent la réformation de la décision du conseil en ce que celui-ci n’a pas ordonné la suspension de la commercialisation par France Télécom de son offre « Ma Ligne Tv » qu’elles lui demandaient de prononcer à titre de mesure conservatoire et sollicitent de la cour l’ajout à la décision d’un nouvel article formulé ainsi qu’il a été dit dans l’exposé de leurs prétentions ;
    Considérant que les requérantes reprochent au conseil d’avoir « effectué une appréciation manifestement entachée d’erreur au regard des dispositions de l’article L. 464-1 du code de commerce en s’abstenant d’analyser concrètement, sur la base des mesures qui lui étaient suggérées par ses rapporteurs et les saisissants, celles qui étaient nécessaires et proportionnées à la gravité de la situation qu’il constatait et de justifier chacune d’entre elles, notamment en refusant de s’expliquer en quoi la suspension de conventions litigieuses pourrait ne pas être proportionnée à une atteinte grave et immédiate dont elles sont le siège » ;
    Qu’invoquant l’inadéquation des mesures prononcées, les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau prétendent que celles-ci font « totalement abstraction de l’ensemble de la question tarifaire pourtant expressément identifiée, tant de “Ma Ligne Tv” que des prestations fournies par France Télécom aux éditeurs de bouquet au titre du protocole et du risque pour le dégroupage, à raison de l’effet de levier que France Télécom peut tirer de sa position sur l’internet haut débit et du parc d’abonnés Wanadoo en utilisant cette nouvelle application de l’ADSL sans avoir encadré son comportement » ;
    Qu’au soutien de leur recours elles font encore valoir que : « Les mesures imposées sont si manifestement “sous-dimensionnées” pour faire face à l’importance de l’atteinte constatée par les autorités et [qu’]elles ne permettent que si marginalement de remédier aux aspects économiques des atteintes dénoncées et constatées, que laissant par hypothèse les principales pratiques développer leurs effets délétères sur la concurrence, leur faiblesse prive en grande part l’intervention du conseil de la portée nécessaire que doit avoir une mesure conservatoire, à savoir préserver la concurrence de l’atteinte grave et immédiate qui la compromettra sans intervention.
    Dès lors que les conséquences des violations graves du droit de la concurrence, bien que recensées par le conseil, n’ont pas été adéquatement prises en compte dans l’analyse des mesures conservatoires nécessaires, l’ensemble des atteintes identifiées par le conseil et l’ART, et qui ne sont pas liées aux aspects opérationnels, vont développer leurs effets pendant les trois années que ne manquera pas de durer l’instruction au fond de la saisine, en créant de ce fait une situation qu’aucune amende ou injonction ne pourra corriger » ;

    Considérant, en l’espèce, qu’en se bornant à relever « qu’il ne peut être exclu, en l’état actuel du dossier et sous réserve de l’instruction au fond, que l’ensemble des pratiques dénoncées dans les saisines et précédemment relevées entrent dans le champ d’application des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, et des articles 81 et 82 du traité de Rome, dès lors qu’elles affecteraient une partie substantielle du marché national », le conseil n’a pas caractérisé l’existence d’une présomption d’infraction suffisamment forte pour l’autoriser à prendre la mesure conservatoire sollicitée ;
    Qu’en effet, une telle présomption ne peut être tirée du seul examen de l’incidence que les pratiques invoquées ont sur le marché ; qu’ainsi est sans portée la circonstance, soulignée par la décision attaquée, que, selon l’ART, la concurrence sur le marché de l’ADSL s’est dévelopée grâce au « décollage » du dégroupage de la boucle locale en 2003 et que 2004 devrait confirmer le taux de croissance de ce marché et que « cette dynamique pourrait être ralentie par l’apparition de l’offre “Ma Ligne Tv” (...) avec un nombre élevé de souscripteurs à son offre d’accès audiovisuel par ADSL, France Télécom pourrait bénéficier d’un effet de levier pour renforcer sa position sur le marché de l’accès ADSL et des services d’accès internet haut débit » ;
    Qu’en l’absence de présomption d’infraction suffisamment forte, la légitime vigilance à l’égard « de pratiques qui pourraient de manière délibérée entraver » le développement du secteur du haut débit « en limitant pour les opérateurs les possibilités techniques et économiques de répliquer les offres audiovisuelles de France Télécom par l’intermédiaire du dégroupage », soulignée par la décision, n’autorise pas le conseil, dont la décision ne met pas en évidence la volonté de cette société d’adopter un comportement anticoncurrentiel illicite, à prendre la mesure conservatoire sollicitée par les sociétés requérantes, quand bien même la société Neuf Télécom ne serait pas « en mesure de proposer aux fournisseurs de programmes de télévision un service ADSL vidéo à grande échelle du fait du comportement adopté par France Télécom, en tant que détenteur de la boucle locale de téléphonie fixe, pour la gestion des conventions de dégroupage » ;
    Qu’enfin, le fait que les pratiques en cause menacent l’ouverture à la concurrence du secteur de l’ADSL et ont un caractère d’immédiateté, comme le souligne la décision attaquée, n’est pas de nature à faire présumer que celles-ci sont constitutives de manquements aux règles de la concurrence ;
    Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau, le conseil a tenu compte de la « question tarifaire » puisque c’est au regard des tarifs pratiqués tels qu’il résultent de la convention intervenue entre France Télécom et la société TPS qu’il s’est interrogé sur les indices de la mise en œuvre d’une entente anticoncurrentielle verticale et horizontale entre ces sociétés ;
    Que, devant la cour, les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau ne démontrent pas leur allégation selon laquelle l’offre « Ma Ligne Tv » est manifestement anticoncurentielle en raison de sa seule structure tarifaire ; qu’en effet une violation des règles de concurrence ne ressort pas du seul examen des tarifs pratiqués, dès lors qu’il est nécessaire, pour apprécier le caractère prédateur invoqué, de vérifier la définition et le contour des prestations en cause ainsi que la répartition des coûts des services y afférents, notamment en ce qui concerne le décodeur qui est commun aux différents services proposés et ne se limite donc pas au seul accès à l’offre du bouquet proposé par la société TPS, laquelle est soumise, en outre, à la souscription d’un abonnement distinct ; qu’ainsi les difficultés attachées à ces investigations interdisent de retenir le caractère vraisemblable des manquements allégués ;
    Considérant qu’il s’ensuit que les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau ne peuvent prétendre que doit être prononcée la mesure conservatoire sollicitée ;
    Considérant, au surplus, que la preuve n’est pas rapportée que les autres conditions nécessaires à l’adoption de mesures conservatoires seraient réunies ; qu’en particulier, il n’est pas établi que la mesure de suspension de la commercialisation de l’offre « Ma Ligne Tv » sollicitée est strictement nécessaire pour faire face à l’urgence ;
    Considérant qu’il faut, en effet, observer, d’abord, que contrairement à ce que les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau soutiennent, France Télécom ne s’est pas réservée l’exclusivité de la diffusion du bouquet de la société TPS ; qu’ensuite, les requérantes ne sont pas dans l’impossibilité de commercialiser un service d’accès à la télévision par ADSL, puisqu’elles reconnaissent dans leur mémoire (page 24, § 73) qu’après Marseille elles vont proposer à Paris les programmes du groupe Canal Plus à compter de la mi-mai 2004 ; qu’enfin, comme le démontre la société TPS, le niveau des prix des différentes offres est similaire et apparaît lié au coût des abonnements pour des programmes identiques par satellite ou par câble ;
    Qu’en outre, comme les autres parties le font justement remarquer, la suspension de l’offre « Ma Ligne Tv » laisserait le marché accessible aux seuls concurrents de France Télécom qui en tireraient un avantage concurrentiel, lequel pourrait se révéler déterminant et conduire à l’éviction de cette société ;
    Considérant qu’il s’ensuit que c’est par une juste appréciation des faits qui lui étaient soumis que le conseil a retenu que « s’agissant d’un service tout à fait nouveau qui vient d’être lancé et dont il est difficile de prévoir précisément le développement, il apparaît que la mesure tendant à suspendre l’offre de France Télécom ou à cantonner son développement qui a été demandée par les parties saisissantes n’apparaît pas proportionnée à la nature des atteintes constatées » ; que, devant la cour d’appel, les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau ne justifient d’aucun autre élément permettant d’apprécier différemment les circonstances de la cause ;
    Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la décision attaquée doit être confirmée en ce qu’elle a refusé de prononcer les mesures conservatoires réclamées par les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau ; qu’en revanche elle encourt l’annulation en ses articles 2 et 3 ;
    Qu’il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
                    Par ces motifs :
    Ordonne la jonction des recours formés contre la décision du conseil no 04-MC-01 du 15 avril 2004 par les sociétés Neuf Télécom et 9 Télécom Réseau, France Télécom et TPS, inscrits au répertoire général de la cour respectivement sous les numéros 2004/8236, 2004/8227 et 2004/8821 ;
    Déclare recevable le recours formé par la société TPS ;
    Annule les articles 2 et 3 de la décision du conseil no 04-MC-01 du 15 avril 2004 ;
    Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
    Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires ;
    Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

Le greffier    Le président   

    (*)  Décision no 04-MC-01 du Conseil de la concurrence en date du 15 avril 2004, parue dans le BOCCRF no 7 du 6 septembre 2004.