NOR : ECOC0400233X
Demandeur
au recours :
Syndicat professionnel
Conseil national des professionnels de lautomobile
(CNPA), prise en la personne de son président national
M. Rola, ayant son siège 50, rue Rouget-de-Lisle,
92158 Suresnes, représenté par la SCP
Teytaud, avoué à la cour, assisté de
Me Junqua-Lamarque et de Me Caloni
(Guillaume), avocats au barreau de Paris, 27, boulevard
Malesherbes, 75008 Paris, toque R 243.
Défendeurs
au recours :
Société
Honda Motor South SA, prise en la personne de son président-directeur
général, ayant son siège parc dactivités
Paris-Est Madeleine, 77830 Croissy-Beaubourg, représentée
par la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoué à
la cour, assistée de Me E. Durand,
cabinet Clifford Chance, avocat au barreau de Paris, 112, avenue
Kléber, 75116 Paris, toque R 112 ;
Société MBK Industrie
SA, prise en la personne de son président-directeur
général, ayant son siège ZI de Rouvroy,
02100 Rouvroy, représentée par la SCP
Fisselier-Chiloux-Boulay, avoué à la cour,
assistée de Me D. Brault, avocat
au barreau de Paris, 52, avenue des Champs-Elysées,
75008 Paris, toque G605 ;
Kawasaki Motors Europe Buroplus,
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège parc dactivités de la
Clef de Saint-Pierre, rond-point de lE, 78990 Elancourt,
représentée par la SCP Annie Baskal, avoué
à la cour, assistée de Me L.
Capoano, avocat au barreau de Paris, 70, boulevard
de Courcelles, 75017 Paris ;
Société Peugeot Motorcycles
SA, prise en la personne de son président-directeur
général, ayant son siège 75, avenue
de la Grande-Armée, 75016 Paris, représentée
par la SCP M. Garnier, avoué à la cour,
assistée de Me Anne Wachsmann, cabinet
Linklaters, avocat au barreau de Paris, 25, rue de
Marignan, 75008 Paris, toque J030 ;
Suzuki France SA, prise en la personne
de son président-directeur général,
ayant son siège 8, avenue des Frères-Lumière,
78190 Trappes, représentée par la SCP
Annie Baskal, avoué à la cour, assistée
de Me M. Karsenty Ricard, avocat au barreau
de Paris, 70, boulevard de Courcelles, 75017 Paris,
toque R156 ;
Yamaha Motor France SA, prise en
la personne de son président-directeur général,
ayant son siège ZA Les Béthunes, 5, avenue
du Fief, 95310 Saint-Ouen-lAumone, représentée
par la SCP Monin, avoué à la cour, assistée
de Me Joseph Vogel, avocat au barreau de
Paris, 30, avenue dIéna, 75116 Paris,
toque P151.
En présence
du ministre chargé de léconomie, DGCCRF,
bureau 1, bâtiment 5, 59, boulevard
Vincent-Auriol, 75073 Paris Cedex 13, représenté
lors des débats par M. Michel Roseau, muni dun
mandat régulier.
Composition de la
cour :
Laffaire a été
débattue le 23 mars 2004, en audience publique,
devant la cour composée de :
M. Lacabarats, président ;
M. Remenieras, conseiller ;
Mme Mouillard, conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats :
Mme Dalmas.
Ministère public représenté
lors des débats par M. Woirhaye, substitut général,
qui a fait connaître son avis.
Arrêt contradictoire, prononcé
publiquement par M. Lacabarats, président, signé
par M. Lacabarats, président, et par Mme Dalmas,
greffier présent lors du prononcé.
*
* *
Par lettre du 16 mai
2003, le Centre national des professionnels de lautomobile
(CNPA) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques
imputées aux sociétés Suzuki, Yamaha,
Honda, Kawasaki, MBK, Peugeot, Montana et Piaggio.
Le CNPA, qui est un syndicat regroupant
des concessionnaires commercialisant des véhicules
à deux roues, reproche aux sociétés
défendresses davoir imposé à
leurs partenaires commerciaux des contrats restrictifs de
concurrence visant à fermer le marché et à
exclure toute concurrence intermarque, dans des conditions
aggravant létat de dépendance économique
des concessionnaires. Ils soutient également que
lorganisation des principaux réseaux de distribution
selon des modalités économiques et juridiques
proches entraînerait un effet cumulatif de nature
à réduire la concurrence au stade de la vente
au détail.
Enfin, ces sociétés
abuseraient de létat de dépendance économique
des concessionnaires en leur imposant des sujétions
économiquement et objectivement injustifiables.
Parallèlement à la
saisine au fond du conseil, le CNPA a sollicité des
mesures conservatoires.
Par décision no 03-MC-04
(rectifiée ultérieurement pour recevoir le
numéro 03-D-42) du 18 août 2003, le Conseil
de la concurrence a estimé que linstruction
devait être poursuivie pour certains contrats de distribution,
susceptibles de se trouver en contradiction avec larticle L. 420-1
du code de commerce et avec le règlement communautaire
sur les restrictions verticales. Il a en revanche rejeté
la saisine, en ce quelle concerne les clauses du contrat
Yamaha, en ce quelle concerne leffet cumulatif
des contrats Susuki, Yamaha, Honda et Kawasaki sur le marché
des véhicules à moteur à deux roues
immatriculés et en ce qui concerne labus de
la dépendance économique dans laquelle chacun
de ces constructeurs, ou lensemble dentre eux,
tiendrait les concessionnaires.
Le conseil a également rejeté
la demande de mesures conservatoires.
Le CNPA a formé le 25 août
2003 un recours contre cette décision.
Par son mémoire du 17 octobre
2003, le CNPA demande à la cour :
- de lui donner acte
de son désistement à légard de
la société Montana ;
- dannuler la décision
du Conseil de la concurrence ;
- en tant que de besoin,
de la réformer en ce quelle a exclu de linstruction
au fond les contrats Yamaha, MBK, Piaggio et Peugeot au
regard des articles 81-1 du traité de Rome et
L. 420-1 du code de commerce, limité la plainte
du CNPA au seul marché des véhicules immatriculés,
rejeté lexistence dun abus de dépendance
économique ou celui dun effet cumulatif ;
- de renvoyer en conséquence
laffaire à linstruction devant le Conseil
de la concurrence ;
- de condamner les sociétés
défenderesses à lui payer chacune 2 000 euros
en application de larticle 700 du nouveau code
de procédure civile.
Le 31 décembre 2003,
la société Peugeot Motocycles (la société
Peugeot) a déposé un mémoire en défense
tendant à lirrecevabilité ou au rejet
du recours et des demandes du CNPA, la société
concluante sollicitant en outre la condamnation de celui-ci
à lui payer 2 000 euros en application
de larticle 700 du nouveau code de procédure
civile.
Le 2 janvier 2004, la société
Kawasaki a déposé un mémoire tendant
à lirrecevabilité ou au rejet du recours
en annulation, au rejet du recours en réformation
et à lallocation dune indemnité
de 10 000 euros en application de larticle 700
du nouveau code de procédure civile.
Un mémoire aux mêmes
fins a été déposé à la
même date pour la société Suzuki, en
y ajoutant une demande de rejet des débats de certaines
pièces produites par le CNPA ainsi que les développements
du mémoire sy rapportant.
Ces prétentions ont été
réitérées par Suzuki le 15 mars
2004.
Le 5 janvier 2004, la société
Honda a déposé un mémoire tendant au
rejet du recours et à lallocation dune
somme de 10 000 euros en application de larticle 700
du nouveau code de procédure civile.
Honda a réitéré
ces demandes le 8 mars 2004.
Le 5 janvier 2004, la société
MBK a déposé un mémoire pour voir confirmer
la décision du Conseil de la concurrence et condamner
le CNPA à lui payer 2 000 euros en application
de larticle 700 du nouveau code de procédure
civile.
MBK a réitéré
ces demandes le 27 février 2004.
Le 5 janvier 2004, la société
Yamaha a déposé un mémoire tendant
au rejet du recours.
Le 2 février 2004, le
ministre chargé de léconomie a déposé
des observations écrites tendant au rejet du recours.
Par un mémoire du 8 mars
2004, complété le 19 mars 2004, le CNPA
a réitéré ses prétentions initiales
et demandé subsidiairement à la cour de saisir
la Cour de justice des Communautés européennes
de diverses questions préjudicielles.
Le 15 mars 2004, la société
Peugeot a conclu à lirrevabilité des
observations présentées le 8 mars par
le CNPA.
Le 15 mars 2004, la société
Yamaha a réitéré ses prétentions
initiales, en y ajoutant une demande dirrevevabilité
des pièces produites par le CNPA ainsi que des demandes
et moyens contenus dans le mémoire du 8 mars
2004 déposé par le requérant.
A laudience du 23 mars
2004, la cour a entendu les conseils du CNPA et des sociétés
défenderesses en leurs plaidoiries, le représentant
du ministre chargé de léconomie en ses
observations, le ministère public en ses conclusions
orales tendant au rejet du recours.
Après réplique des
parties intéressées, la cour a mis laffaire
en délibéré pour être jugée
le 4 mai 2004.
Sur
la recevabilité du recours en annulation formé
par le CNPA :
Considérant
que la recevabilité du recours en annulation est
contestée en premier lieu par les sociétés
Kawasaki et Suzuki, qui font grief au CNPA de ne pas avoir
motivé ce recours ;
Mais considérant que, si
larticle 2 du décret no 87-849
du 19 octobre 1987 fait obligation à lauteur
dun recours contre une décision du Conseil
de la concurrence de préciser lobjet de ce
recours et dexposer les moyens invoqués dans
un délai de deux mois, le CNPA a satisfait en lespèce
à ces exigences, dune part en indiquant clairement
dans sa déclaration de saisine de la cour quil
formait un recours en annulation, subsidiairement en réformation,
contre certains points déterminés de la décision
contestée, dautre part en exposant dans son
mémoire du 17 octobre 2003 les motifs de cette
demande ; que lappréciation de la pertinence
des moyens articulés par le requérant, comme
celle de leur incidence éventuelle sur la validité
ou la justification de la décision en cause, touchant
au fond du litige et nétant pas de nature à
affecter le principe même de la recevabilité
du recours, la fin de non-recevoir opposée au CNPA
par les sociétés Kawasaki et Suzuki ne peut
être accueillie ;
Considérant que la recevabilité
du recours est également contestée par la
société Peugeot, aux motifs que cette société,
principalement active sur le marché des véhicules
à deux roues non immatriculés, naurait
pas été visée dans la saisine au fond
du Conseil de la concurrence limitée au marché
des véhicules immatriculés, que la déclaration
de recours a été transmise à une adresse
différente de celle apparaissant dans lannexe
de la lettre de notification de la décision du Conseil
de la concurrence, que cette déclaration na
pas été notifiée à la société
Montana ;
Considérant cependant quil
résulte de la décision attaquée que,
si le Conseil de la concurrence a estimé que le marché
pertinent concerné par les pratiques dénoncées
ne pouvait être que celui des véhicules à
deux roues immatriculés et exclu de ce fait lexamen
du secteur sur lequel intervient la société
Peugeot, celle-ci faisait bien partie des constructeurs
nominativement mis en cause par le demandeur dans sa lettre
de saisine au fond ; que cette circonstance autorisait
donc le CNPA à former un recours aussi bien contre
la société Peugeot que contre les autres constructeurs,
ne serait-ce que pour contester le périmètre
de la saisine retenu par le conseil et la mise hors de cause
corrélative de la concluante ;
Considérant en outre que,
même si la liste des destinataires de la décision
du Conseil de la concurrence mentionne par erreur ladresse
de la société Automobiles Peugeot à
Paris, le moyen tiré dune prétendue
violation de larticle 4 du décret du 19 octobre
1987 ne saurait être accueilli dès lors que
la régularité des notifications prescrites
par ce texte ne dépend pas des mentions dune
telle liste et quil est établi par les pièces
que la concluante verse elle-même aux débats
que le CNPA a notifié la déclaration de recours
au 103, rue du 17-Novembre à 25350 Mandeure,
lieu du siège social de la société
Peugeot Motocycles concernée par le litige et intervenue
à ce titre devant le Conseil de la concurrence ;
Considérant enfin quil
ne résulte nullement du même texte quun
éventuel défaut de notification à la
société Montana de la déclaration de
recours puisse être invoqué par la société
Peugeot comme cause dirrecevabilité de sa propre
mise en cause, cette prétention étant en lespèce
dautant moins justifiée que le CNPA a effectué
en réalité la notification requise et quil
sest au surplus désisté du recours initialement
formé contre la société Montana ;
que la fin de non-recevoir soulevée par la société
Peugeot doit en conséquence être rejetée ;
Sur
la recevabilité des prétentions et moyens
présentés par le CNPA :
Considérant
que la contestation, émise par les sociétés
Yamaha et Peugeot, vise les prétentions et moyens
exposés par la société requérante
dans son mémoire complémentaire du 8 mars
2004, le CNPA opposant à largumentation des
concluantes, fondée sur les dispositions propres
aux recours contre les décisions du Conseil de la
concurrence, les règles de droit commun relatives
à la présentation des demandes en cause dappel ;
Considérant quen vertu
de larticle 2 du décret du 19 octobre
1987 lobjet et la cause du recours formé contre
une décision du Conseil de la concurrence sont circonscrits
aux prétentions et moyens présentés
lors de la déclaration de recours ou dans le mémoire
déposé dans les deux mois de la notification
de la décision attaquée ;
Considérant que, contrairement
à ce que soutient la société Peugeot,
ce principe ninterdisait pas au CNPA de notifier,
par ses écritures du 8 mars 2004 et dans les
conditions fixées par le magistrat chargé
de linstruction du recours, des observations en réplique
aux argumentations des sociétés défenderesses ;
quil lempêchait en revanche, dès
lors quil est seul applicable à un tel recours,
de soumettre à la cour au-delà du délai
de deux mois susvisé une demande nouvelle de saisine
de la CJCE pour questions préjudicielles ; quen
dépit de ce que soutient le CNPA la nécessité
de cette demande na nullement été révélée
et imposée par le contenu des écritures adverses ;
que son opportunité pouvait en réalité
être appréciée par le CNPA dès
la naissance du litige, compte tenu de la nature des relations
contractuelles entre les parties et des faits soumis au
Conseil de la concurrence ; que la demande critiquée,
présentée par le mémoire du 8 mars
2004, doit en conséquence être déclarée
irrecevable ;
Sur
la recevabilité des pièces produites par le
CNPA :
Considérant
que la contestation de la recevabilité des pièces
produites par le CNPA est soulevée par la société
Yamaha pour lensemble des documents postérieurs
à la déclaration de recours et par la société
Suzuki pour certaines pièces visées en annexe
de lexposé des moyens ;
Considérant que la société
Yamaha souligne à juste titre que larticle 3
du décret du 19 octobre 1987 impose au demandeur
au recours lobligation non seulement de mentionner
dans sa déclaration la liste des pièces et
documents justificatifs produits, mais aussi de remettre
ces pièces et documents au greffe en même temps
que la déclaration ; que ces dispositions nexcluent
pas néanmoins laccomplissement de la formalité
de remise des pièces au greffe au moment du dépôt
de lexposé des moyens lorsque, comme en lespèce
pour toutes les pièces antérieures au 18 août
2003, le requérant fonde son recours sur les pièces
qui ont été discutées devant le conseil
et qui sont transmise à la cour, en application de
larticle 5 du même décret, avec
le dossier de laffaire ; quen revanche,
la spécificité du recours formé contre
les décisions du Conseil de la concurrence et des
textes en définissant les modalités soppose
à ce que la cour puisse tenir compte non seulement
des documents postérieurs à la décision
attaquée et non visés à la déclaration
de recours, mais aussi des pièces communiquées
ultérieurement, avec les observations des 8
et 19 mars 2004, étant observé que, contrairement
à ce que soutient le CNPA, il nest nullement
établi que cette communication complémentaire
ait été rendue nécessaire par la nature
des observations adverses et soit justifiée par le
principe de la contradiction ;
Considérant que la société
Suzuki sollicite le rejet des débats des pièces 23
(tableau des objectifs de vente Suzuki depuis 2000), 24
(résultats 2002 des concessionnaires-province Suzuki),
25 (tableau comparatif des pièces 23 et 24)
et 29 (extrait dun dire présenté par
Suzuki lors dune expertise judiciaire), en faisant
valoir que le CNPA a obtenu ces documents de manière
frauduleuse ;
Considérant cependant que,
tout en invoquant le caractère « sensible »
des informations contenues dans les documents en cause utilisés
par le CNPA devant le Conseil de la concurrence, il ne résulte
pas du dossier que la société Suzuki ait à
un moment quelconque de linstruction sollicité
du président de cet organisme la mise en uvre
des prérogatives que lui confère larticle
L. 463-4 du code de commerce pour la protection du
secret des affaires ;
Considérant en outre que,
si ces documents ont été produits par Suzuki
dans le cadre dune procédure lopposant
à lun de ses concessionnaires pour les besoins
dune expertise prescrite par le juge, le principe
de la confidentialité des opérations dexpertise
ne soppose pas à ce que le syndicat professionnel
auquel adhère ce concessionnaire utilise les informations
communiquées par ce dernier, non pour une divulgation
publique mais pour une autre instance judiciaire concernant
directement les relations du constructeur avec ses concessionnaires ;
que le caractère frauduleux de la détention
par la CNPA des pièces litigieuses nétant
pas établi, la demande de Suzuki doit être
rejetée ;
Sur
le bien-fondé du recours :
Considérant
quau soutien de son recours, le CNPA invoque une violation
du principe de la contradiction et des droits de la défense,
lerreur commise par le Conseil de la concurrence sur
la détermination du marché pertinent, la violation
de larticle L. 420-2 du code de commerce sur
la définition de labus de dépendance
économique et son éventuelle application aux
faits de lespèce, une mise hors de cause injustifiée
de certains contrats et un rejet erroné du grief
dentente, une méconnaissance des effets cumulatifs
et restrictifs de concurrence des contrats contestés ;
La
violation du principe de la contradiction et des droits
de la défense :
Considérant que le CNPA reproche
au Conseil de la concurrence de sêtre fondé,
pour rejeter partiellement sa demande, sur des analyses
effectuées plus de 20 ans auparavant dans le
secteur de lautomobile et des véhicules à
deux roues et sur des éléments denquête
qui ne lui ont jamais été communiqués ;
Mais considérant quaucune
disposition légale ninterdit au Conseil de
la concurrence de se déterminer sur les faits qui
lui sont soumis en appréciant la valeur probante
des pièces du demandeur au regard de sa propre jurisprudence ;
que la violation des principes invoqués est en lespèce
dautant moins établie que le requérant
a cité et commenté lui-même dans son
acte de saisine du conseil les décisions du 2 mai
1989 et du 18 juin 1991 auxquelles le Conseil de la
concurrence se réfère notamment dans la décision
attaquée, et quil a pu ainsi non seulement
avoir connaissance des informations quelles contenaient
relatives à la situation dans les secteurs en cause,
mais aussi discuter la pertinence des éléments
sur lesquels ces décisions étaient fondées ;
que le premier moyen dannulation de la décision
attaquée doit dès lors être rejeté ;
La
définition du marché pertinent :
Considérant
que le CNPA fait grief au Conseil de la concurrence davoir
exclu de son analyse le marché des véhicules
à deux roues non immatriculés alors que, selon
lexposé des moyens, il naurait pas limité
sa saisine au seul marché des véhicules immatriculés,
que la différenciation de ces marchés nest
pas défendable en raison de leur organisation structurelle
et économique identique, que le marché des
véhicules immatriculés nest pas non
plus lui-même homogène et se décompose
en réalité en plusieurs marchés dépendant
de la cylindrée des véhicules ;
Mais considérant que le marché
se définit comme le lieu théorique où
se rencontrent loffre et la demande de produits ou
services qui sont considérés par les acheteurs
ou utilisateurs comme substituables entre eux, mais non
substituables aux autres biens ou services offerts ;
quau regard des éléments du dossier,
notamment de la nature et des caractéristiques propres
des véhicules en cause, des différences constatées
quant aux constructeurs et distributeurs concernés
par la commercialisation de ces véhicules, le Conseil
de la concurrence a pu retenir quindépendamment
des segmentations dont ils peuvent faire lobjet il
existe deux marchés principaux distincts, ceux des
véhicules à deux roues immatriculés
et des véhicules non immatriculés ;
Considérant en outre que
le principe de la saisine in rem du Conseil de la
concurrence ne dispense pas le requérant de lobligation
de spécifier les faits soumis à son appréciation ;
que même si le CNPA a cité dans sa lettre du
16 mai 2003 certains constructeurs intervenant
plus spécifiquement sur le marché des véhicules
non immatriculés et communiqué de nombreux
contrats dentreprises présentes sur lun
ou lautre marché, il nen a tiré
aucune conséquence et na réellement
articulé ses griefs quà lencontre
dentreprises intervenant sur le marché des
véhicules à deux roues immatriculés ;
quaucun fait précis de lacte de saisine
ne justifiant la poursuite de lenquête pour
les contrats du marché des véhicules deux-roues
non immatriculés, le Conseil de la concurrence a
pu estimer, sans méconnaître létendue
de sa saisine ou de ses prérogatives, quil
était saisi des seules pratiques affectant le marché
des motocyclettes immatriculées : que le deuxième
motif invoqué par le CNFA à lappui de
son recours nest pas non plus fondé ;
Lexploitation
abusive de létat de dépendance économique :
Considérant quen vertu
de larticle L. 420-2, alinéa 2, du
code de commerce, est prohibée, dès lors quelle
est susceptible daffecter le fonctionnement ou la
structure de la concurrence, lexploitation abusive
par une entreprise ou un groupe dentreprises de létat
de dépendance économique dans lequel se trouve
à son égard une entreprise cliente ou fournisseur ;
Considérant que, pour contester
la décision du Conseil de la concurrence ayant écarté
lapplication de ce texte, le CNPA fait valoir que
le conseil na pas tiré les conséquences
de la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations
économiques qui a élargi le domaine de linfraction,
que les contrats de distribution proposés par les
sociétés Honda, Suzuki et Kawasaki comportent
des critères non objectifs de sélection des
concessionnaires pouvant tomber sous le coup de larticle susvisé,
que lanalyse dune éventuelle dépendance
économique ne peut être limitée aux
seules résiliations de contrats et dépend
de la situation du concessionnaire en cas de modification
de la convention au cours de son exécution, que les
conditions particulières dorganisation des
réseaux de distribution rendent matériellement
impossible toute solution de substitution économiquement
praticable, quun concessionnaire rompant avant terme
un contrat na aucune certitude de trouver une marque
de substitution, que la fixation dobjectifs disproportionnés,
le « monomarquisme » déguisé
et les clauses de non-concurrence imposées aux distributeurs
font partie des éléments caractérisant
la pratique dénoncée ;
Considérant quil est
constant que les réseaux de concession, en particulier
dans le domaine du marché des motocyclettes, reposent
sur une forte intégration des distributeurs aux réseaux
qui les ont agréés et proposent des contrats
comportant diverses stipulations destinées à
fidéliser les cocontractants ou à privilégier
la commercialisation des produits du concédant ;
Mais considérant quindépendamment
de linstruction au fond poursuivie pour certaines
des clauses en question au regard de leur éventuelle
contrariété à larticle L. 420-1
du code de commerce ou au règlement communautaire
sur les restrictions verticales, le Conseil de la concurrence
a pu en revanche estimer que les éléments
dappréciation fournis par le CNPA nétaient
pas suffisamment probants pour rendre vraisemblable linfraction
dexploitation abusive dun état de dépendance
économique invoquée par le requérant ;
Considérant que le Conseil
de la concurrence a justement souligné quau-delà
de développements généraux sur la subordination
qui caractériserait nécessairement la situation
du concessionnaire par rapport au concédant, le CNPA
nétablissait pas, comme il en a la charge,
les faits concrets susceptibles de démontrer que
des entreprises déterminées ont subi dans
des conditions relevant de larticle L. 420-2
du code de commerce les effets de pratiques abusives imputables
à lune ou lautre des sociétés
visées par lacte de saisine ;
Considérant en effet que
létat de dépendance économique,
au sens de larticle L. 420-2 du code de
commerce, même dans sa rédaction issue de la
loi du 15 mai 2001, sapprécie en
tenant compte à la fois de limportance de la
part du fournisseur dans le chiffre daffaires du revendeur,
de la notoriété de la marque du fournisseur,
de limportance de la part du marché du fournisseur,
de limpossibilité pour le distributeur dobtenir
dautres fournisseurs des produits équivalents ;
Considérant que, contrairement
à ce que soutient le CNPA, la tendance, soulignée
par lui, à laugmentation des concessions « monomarques »
et ladoption pour les contrats proposés par
les constructeurs de clauses de fidélisation, telles
que celles de non-concurrence, ne suffisent pas à
constituer des présomptions sérieuses de manquements
à larticle L. 420-2 du code de commerce,
dès lors que les distributeurs agréés
par un constructeur conservent la possibilité de
passer dun réseau à un autre et disposent
de solutions alternatives, techniquement et économiquement
comparables, pour commercialiser les produits dune
autre marque ;
Considérant quil convient
à cet égard de constater que le marché
des motocyclettes à deux roues immatriculées
se caractérise par léclatement de loffre
disponible entre plusieurs marques de notoriété
équivalente et substituables dont aucune nexerce
de véritable prééminence, les principales
dentre elles, en loccurrence Yamaha, Honda et
Suzuki y apparaissant en 2003 respectivement pour 26,
19 et 17 % environ, le reste du marché étant
partagé par de nombreux autres constructeurs ;
quen dépit de ce que prétend le CNPA
en se fondant sur des cessations dactivités
de certains distributeurs non significatives, les pièces
du dossier montrent que des concessionnaires de lune
des marques précitées ont pu abandonner la
commercialisation des produits de cette marque au profit
de lune des autres ; quainsi, à
titre dexemples, la société Bastille
Motorcycles, ancien concessionnaire Suzuki, est aujourdhui
concessionnaire Honda (mémoire Honda du 8 mars 2004,
page 4) ; que dautres concessionnaires Suzuki,
à Evreux et Aubenas, ont cessé de proposer
des motocyclettes de cette marque pour se consacrer en exclusivité
à Yamaha (mémoire Suzuki du 2 janvier 2004,
page 22) ; que plusieurs distributeurs :
Honda, à Dreux, Vierzon, Dôle, Creil, Dieppe,
Hirson sont devenus des concessionnaires exclusifs Yamaha
(annexe 1 du mémoire Honda déposé
le 5 janvier 2004) ; que danciens distributeurs
de cette marque commercialisent actuellement des motocyclettes
Honda ou Suzuki (pièce no 16 du dossier
Yamaha) ; que le Conseil de la concurrence a pu déduire
de lensemble de ces circonstances, auxquelles il convient
dajouter labsence de preuve dun comportement
discriminatoire des fournisseurs lors de la sélection
des distributeurs ou dans lexécution des contrats,
que larticle L. 462-8 du code de commerce
devait, pour une prétendue infraction à larticle L. 420-2,
alinéa 2, du code de commerce, recevoir application ;
Lentente
illicite et la mise hors de cause des contrats Yamaha, MBK,
Piaggio et Peugeot :
Considérant que le CNPA soutient
que les contrats de ces entreprises contiennent des clauses
illicites qui auraient mérité une instruction
par le Conseil de la concurrence ; quil invoque
en particulier le fait que des clauses similaires des contrats
Suzuki, Honda et Kawasaki ont été jugées
par le conseil suffisamment douteuses pour justifier des
investigations complémentaires, que les contrats
litigieux comportent des stipulations limitant les débouchés
des concessionnaires dans des conditions contraires au règlement
communautaire du 22 décembre 1999, des
clauses de non concurrence ou dintuitu personae susceptibles de tomber sous le coup des articles 81
du traité de Rome et L. 420-1 du code de commerce,
une séparation factice des modes de distribution
couvrant en réalité un cumul illégal
des avantages des distributions sélective et exclusive ;
quil incrimine enfin au même titre le rejet
de lexamen des pratiques mises en uvre sur le
marché des deux-roues non immatriculés ;
Mais considérant quindépendammant
de la limitation, déjà expliquée, de
lexamen des pratiques dénoncées au regard
du marché des motocyclettes soumises à immatriculation,
le Conseil de la concurrence a suffisamment justifié
sa décision sur les points contestés par le
CNPA en constatant labsence déléments
suffisamment probants produits par le requérant pour
des contrats différents de ceux dont un examen plus
approfondi a été prescrit ;
Considérant quen vertu
de larticle 2 du règlement communautaire
du 22 décembre 1999 larticle 81,
paragraphe 1, du traité de Rome est déclaré
inapplicable aux accords verticaux de distribution, sous
un certain nombre de réserves qui napparaissent
pas en cause pour les contrats litigieux ; quil
convient en particulier de souligner que, comme le prévoient
les articles 3, 9 et 10 du règlement ainsi
que les lignes directrices de la commission sur les restrictions
verticales (Journal officiel des Communautés européennes, C 291/36, 13 octobre 2000), les entreprises
visées peuvent bénéficier de lexemption
susvisée, dès lors quelle ne détiennent
pas individuellement une part de marché excédant 30 %
et que leurs contrats ne contiennent pas lune des
clauses prohibées par les dispositions communautaires
applicables ; quà cet égard, et
contrairement à ce que prétend le CNPA, les
pièces produites ne révèlent pas lexistence
de présomptions suffisamment sérieuses de
restrictions illicites apportées par les entreprises
visées, notamment Yamaha et Peugeot, aux ventes effectuées
par les concessionnaires, ceux-ci pouvant librement commercialiser
les produits de leurs fournisseurs auprès des « consommateurs
finals » ou dautres membres du réseau ;
quil est loisible en revanche à un constructeur,
sans perdre le bénéfice de lexemption,
par exemple comme Yamaha pour ses contrats de distribution
sélective-exclusive, qui ne sont pas a priori interdits par le règlement, dimposer au distributeur
une obligation de non concurrence nexcédant
pas 5 ans (art. 5-A du règlement du 22 décembre 1999)
ou dinterdire à un membre du réseau
dopérer à partir dun lieu détablissement
non autorisé (art. 4-C du règlement du
22 décembre 1999), voire de fixer, comme
Peugeot, des critères objectifs à remplir
par les distributeurs non agréés qui demandent
à être approvisionnés par les concessionnaires ;
que le moyen invoqué par le CNPA doit en conséquence
être écarté ;
Les
effets cumulatifs et restrictifs de concurrence des contrats
contestés :
Considérant
que selon le CNPA, ladoption par les principaux constructeurs
de contrats de distribution similaires, lorganisation
de réseaux sur des bases identiques, avec un recours
croissant au « monomarquisme », restreignent
laccès au marché pour les nouveaux entrants
et limitent la concurrence entre les marques déjà
présentes ; que ces circonstances justifieraient
un retrait de lexemption de larticle 2
du règlement du 22 novembre 1999, par application
de larticle 7 du même règlement
ou une exclusion des contrats en cause du domaine de lexemption ;
Considérant cependant que
les éléments dappréciation fournis
à lappui de la saisine du Conseil de la concurrence
ne sont pas de nature à établir une quelconque
collusion ou action concertée entre les acteurs du
marché pour entraver le développement de la
concurrence ; quils ne comportent pas déléments
de comparaison des prix de produits directement substituables
susceptibles de corroborer lexistence dun parallélisme
de comportement et de visées anticoncurrentielles ;
que le Conseil de la concurrence a au contraire justement
souligné, sans commettre derreur manifeste
dappréciation des données produites,
que les prix pratiqués par les constructeurs comportent
des différences substantielles et névoluent
pas de manière uniforme ; quen outre,
les parts de marché des différents acteurs
natteignent pas un niveau qui permette aux principaux
dentre eux de sabstraire de la concurrence des
autres fournisseurs ; quen létat
de ces circonstances, auxquelles il faut ajouter le maintien
dun « multimarquisme » significatif
sur le marché ainsi que le droit, déjà
analysé, pour les distributeurs intervenant sur ce
secteur de changer de réseau de distribution au profit
de fournisseurs offrant des solutions alternatives comparables,
le CNPA nétablit pas en quoi le cumul dobligations
prétendument similaires imposées par les différents
constructeurs serait à lorigine dune
atteinte à la concurrence ; que le recours doit
dès lors être rejeté ;
Considérant
que lapplication de larticle 700 du nouveau
code de procédure civile ne simpose pas,
Par
ces motifs :
La
cour :
Déclare le recours recevable ;
Déclare irrecevable la demande
complémentaire présentée par le CNPA
dans son mémoire du 8 mars 2004 ;
Ecarte des débats les pièces
postérieures au 18 août 2003 produites
par le CNPA avec le mémoire du 17 octobre 2003 ;
Ecarte des débats les pièces
produites par le CNPA avec les mémoires des 8 et
19 mars 2004 ;
Rejette le recours formé
par le CNPA contre la décision 03-D-42 du 18 août 2003
prononcée par le Conseil de la concurrence ;
Dit ny avoir lieu à
application de larticle 700 du nouveau code de
procédure civile ;
Condamne le CNPA aux dépens.
(*) Décision
no 03-D-42 du Conseil de la concurrence
en date du 18 août 2003, parue dans le BOCCRF no 16 du 17 décembre 2003