<< sommaire du BOCCRF n° 2004-09

Arrêt de la cour d’appel de Paris (1re chambre, section H) en date du 4 mai 2004 relatif au pourvoi formé par le syndicat professionnel Conseil national des professionnels de l’automobile (CNPA) contre la décision no 03-D-42 (*) du Conseil de la concurrence en date du 18 août 2003 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Suzuki et autres sur le marché de la distribution des motocycles

NOR :  ECOC0400233X

    Demandeur au recours :

    Syndicat professionnel Conseil national des professionnels de l’automobile (CNPA), prise en la personne de son président national M. Rola, ayant son siège 50, rue Rouget-de-Lisle, 92158 Suresnes, représenté par la SCP Teytaud, avoué à la cour, assisté de Me Junqua-Lamarque et de Me Caloni (Guillaume), avocats au barreau de Paris, 27, boulevard Malesherbes, 75008 Paris, toque R 243.

    Défendeurs au recours :

    Société Honda Motor South SA, prise en la personne de son président-directeur général, ayant son siège parc d’activités Paris-Est Madeleine, 77830 Croissy-Beaubourg, représentée par la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoué à la cour, assistée de Me E. Durand, cabinet Clifford Chance, avocat au barreau de Paris, 112, avenue Kléber, 75116 Paris, toque R 112 ;
    Société MBK Industrie SA, prise en la personne de son président-directeur général, ayant son siège ZI de Rouvroy, 02100 Rouvroy, représentée par la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoué à la cour, assistée de Me D. Brault, avocat au barreau de Paris, 52, avenue des Champs-Elysées, 75008 Paris, toque G605 ;
    Kawasaki Motors Europe Buroplus, prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège parc d’activités de la Clef de Saint-Pierre, rond-point de l’E, 78990 Elancourt, représentée par la SCP Annie Baskal, avoué à la cour, assistée de Me L. Capoano, avocat au barreau de Paris, 70, boulevard de Courcelles, 75017 Paris ;
    Société Peugeot Motorcycles SA, prise en la personne de son président-directeur général, ayant son siège 75, avenue de la Grande-Armée, 75016 Paris, représentée par la SCP M. Garnier, avoué à la cour, assistée de Me Anne Wachsmann, cabinet Linklaters, avocat au barreau de Paris, 25, rue de Marignan, 75008 Paris, toque J030 ;
    Suzuki France SA, prise en la personne de son président-directeur général, ayant son siège 8, avenue des Frères-Lumière, 78190 Trappes, représentée par la SCP Annie Baskal, avoué à la cour, assistée de Me M. Karsenty Ricard, avocat au barreau de Paris, 70, boulevard de Courcelles, 75017 Paris, toque R156 ;
    Yamaha Motor France SA, prise en la personne de son président-directeur général, ayant son siège ZA Les Béthunes, 5, avenue du Fief, 95310 Saint-Ouen-l’Aumone, représentée par la SCP Monin, avoué à la cour, assistée de Me Joseph Vogel, avocat au barreau de Paris, 30, avenue d’Iéna, 75116 Paris, toque P151.

    En présence du ministre chargé de l’économie, DGCCRF, bureau 1, bâtiment 5, 59, boulevard Vincent-Auriol, 75073 Paris Cedex 13, représenté lors des débats par M. Michel Roseau, muni d’un mandat régulier.

    Composition de la cour :

    L’affaire a été débattue le 23 mars 2004, en audience publique, devant la cour composée de :
    M. Lacabarats, président ;
    M. Remenieras, conseiller ;
    Mme Mouillard, conseiller,
qui en ont délibéré.
    Greffier lors des débats : Mme Dalmas.
    Ministère public représenté lors des débats par M. Woirhaye, substitut général, qui a fait connaître son avis.
    Arrêt contradictoire, prononcé publiquement par M. Lacabarats, président, signé par M. Lacabarats, président, et par Mme Dalmas, greffier présent lors du prononcé.

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    Par lettre du 16 mai 2003, le Centre national des professionnels de l’automobile (CNPA) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques imputées aux sociétés Suzuki, Yamaha, Honda, Kawasaki, MBK, Peugeot, Montana et Piaggio.
    Le CNPA, qui est un syndicat regroupant des concessionnaires commercialisant des véhicules à deux roues, reproche aux sociétés défendresses d’avoir imposé à leurs partenaires commerciaux des contrats restrictifs de concurrence visant à fermer le marché et à exclure toute concurrence intermarque, dans des conditions aggravant l’état de dépendance économique des concessionnaires. Ils soutient également que l’organisation des principaux réseaux de distribution selon des modalités économiques et juridiques proches entraînerait un effet cumulatif de nature à réduire la concurrence au stade de la vente au détail.
    Enfin, ces sociétés abuseraient de l’état de dépendance économique des concessionnaires en leur imposant des sujétions économiquement et objectivement injustifiables.
    Parallèlement à la saisine au fond du conseil, le CNPA a sollicité des mesures conservatoires.
    Par décision no 03-MC-04 (rectifiée ultérieurement pour recevoir le numéro 03-D-42) du 18 août 2003, le Conseil de la concurrence a estimé que l’instruction devait être poursuivie pour certains contrats de distribution, susceptibles de se trouver en contradiction avec l’article L. 420-1 du code de commerce et avec le règlement communautaire sur les restrictions verticales. Il a en revanche rejeté la saisine, en ce qu’elle concerne les clauses du contrat Yamaha, en ce qu’elle concerne l’effet cumulatif des contrats Susuki, Yamaha, Honda et Kawasaki sur le marché des véhicules à moteur à deux roues immatriculés et en ce qui concerne l’abus de la dépendance économique dans laquelle chacun de ces constructeurs, ou l’ensemble d’entre eux, tiendrait les concessionnaires.
    Le conseil a également rejeté la demande de mesures conservatoires.
    Le CNPA a formé le 25 août 2003 un recours contre cette décision.
    Par son mémoire du 17 octobre 2003, le CNPA demande à la cour :
    -  de lui donner acte de son désistement à l’égard de la société Montana ;
    -  d’annuler la décision du Conseil de la concurrence ;
    -  en tant que de besoin, de la réformer en ce qu’elle a exclu de l’instruction au fond les contrats Yamaha, MBK, Piaggio et Peugeot au regard des articles 81-1 du traité de Rome et L. 420-1 du code de commerce, limité la plainte du CNPA au seul marché des véhicules immatriculés, rejeté l’existence d’un abus de dépendance économique ou celui d’un effet cumulatif ;
    -  de renvoyer en conséquence l’affaire à l’instruction devant le Conseil de la concurrence ;
    -  de condamner les sociétés défenderesses à lui payer chacune 2 000 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
    Le 31 décembre 2003, la société Peugeot Motocycles (la société Peugeot) a déposé un mémoire en défense tendant à l’irrecevabilité ou au rejet du recours et des demandes du CNPA, la société concluante sollicitant en outre la condamnation de celui-ci à lui payer 2 000 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
    Le 2 janvier 2004, la société Kawasaki a déposé un mémoire tendant à l’irrecevabilité ou au rejet du recours en annulation, au rejet du recours en réformation et à l’allocation d’une indemnité de 10 000 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
    Un mémoire aux mêmes fins a été déposé à la même date pour la société Suzuki, en y ajoutant une demande de rejet des débats de certaines pièces produites par le CNPA ainsi que les développements du mémoire s’y rapportant.
    Ces prétentions ont été réitérées par Suzuki le 15 mars 2004.
    Le 5 janvier 2004, la société Honda a déposé un mémoire tendant au rejet du recours et à l’allocation d’une somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
    Honda a réitéré ces demandes le 8 mars 2004.
    Le 5 janvier 2004, la société MBK a déposé un mémoire pour voir confirmer la décision du Conseil de la concurrence et condamner le CNPA à lui payer 2 000 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
    MBK a réitéré ces demandes le 27 février 2004.
    Le 5 janvier 2004, la société Yamaha a déposé un mémoire tendant au rejet du recours.
    Le 2 février 2004, le ministre chargé de l’économie a déposé des observations écrites tendant au rejet du recours.
    Par un mémoire du 8 mars 2004, complété le 19 mars 2004, le CNPA a réitéré ses prétentions initiales et demandé subsidiairement à la cour de saisir la Cour de justice des Communautés européennes de diverses questions préjudicielles.
    Le 15 mars 2004, la société Peugeot a conclu à l’irrevabilité des observations présentées le 8 mars par le CNPA.
    Le 15 mars 2004, la société Yamaha a réitéré ses prétentions initiales, en y ajoutant une demande d’irrevevabilité des pièces produites par le CNPA ainsi que des demandes et moyens contenus dans le mémoire du 8 mars 2004 déposé par le requérant.
    A l’audience du 23 mars 2004, la cour a entendu les conseils du CNPA et des sociétés défenderesses en leurs plaidoiries, le représentant du ministre chargé de l’économie en ses observations, le ministère public en ses conclusions orales tendant au rejet du recours.
    Après réplique des parties intéressées, la cour a mis l’affaire en délibéré pour être jugée le 4 mai 2004.

            Sur la recevabilité du recours en annulation formé par le CNPA :

    Considérant que la recevabilité du recours en annulation est contestée en premier lieu par les sociétés Kawasaki et Suzuki, qui font grief au CNPA de ne pas avoir motivé ce recours ;
    Mais considérant que, si l’article 2 du décret no 87-849 du 19 octobre 1987 fait obligation à l’auteur d’un recours contre une décision du Conseil de la concurrence de préciser l’objet de ce recours et d’exposer les moyens invoqués dans un délai de deux mois, le CNPA a satisfait en l’espèce à ces exigences, d’une part en indiquant clairement dans sa déclaration de saisine de la cour qu’il formait un recours en annulation, subsidiairement en réformation, contre certains points déterminés de la décision contestée, d’autre part en exposant dans son mémoire du 17 octobre 2003 les motifs de cette demande ; que l’appréciation de la pertinence des moyens articulés par le requérant, comme celle de leur incidence éventuelle sur la validité ou la justification de la décision en cause, touchant au fond du litige et n’étant pas de nature à affecter le principe même de la recevabilité du recours, la fin de non-recevoir opposée au CNPA par les sociétés Kawasaki et Suzuki ne peut être accueillie ;
    Considérant que la recevabilité du recours est également contestée par la société Peugeot, aux motifs que cette société, principalement active sur le marché des véhicules à deux roues non immatriculés, n’aurait pas été visée dans la saisine au fond du Conseil de la concurrence limitée au marché des véhicules immatriculés, que la déclaration de recours a été transmise à une adresse différente de celle apparaissant dans l’annexe de la lettre de notification de la décision du Conseil de la concurrence, que cette déclaration n’a pas été notifiée à la société Montana ;
    Considérant cependant qu’il résulte de la décision attaquée que, si le Conseil de la concurrence a estimé que le marché pertinent concerné par les pratiques dénoncées ne pouvait être que celui des véhicules à deux roues immatriculés et exclu de ce fait l’examen du secteur sur lequel intervient la société Peugeot, celle-ci faisait bien partie des constructeurs nominativement mis en cause par le demandeur dans sa lettre de saisine au fond ; que cette circonstance autorisait donc le CNPA à former un recours aussi bien contre la société Peugeot que contre les autres constructeurs, ne serait-ce que pour contester le périmètre de la saisine retenu par le conseil et la mise hors de cause corrélative de la concluante ;
    Considérant en outre que, même si la liste des destinataires de la décision du Conseil de la concurrence mentionne par erreur l’adresse de la société Automobiles Peugeot à Paris, le moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 4 du décret du 19 octobre 1987 ne saurait être accueilli dès lors que la régularité des notifications prescrites par ce texte ne dépend pas des mentions d’une telle liste et qu’il est établi par les pièces que la concluante verse elle-même aux débats que le CNPA a notifié la déclaration de recours au 103, rue du 17-Novembre à 25350 Mandeure, lieu du siège social de la société Peugeot Motocycles concernée par le litige et intervenue à ce titre devant le Conseil de la concurrence ;
    Considérant enfin qu’il ne résulte nullement du même texte qu’un éventuel défaut de notification à la société Montana de la déclaration de recours puisse être invoqué par la société Peugeot comme cause d’irrecevabilité de sa propre mise en cause, cette prétention étant en l’espèce d’autant moins justifiée que le CNPA a effectué en réalité la notification requise et qu’il s’est au surplus désisté du recours initialement formé contre la société Montana ; que la fin de non-recevoir soulevée par la société Peugeot doit en conséquence être rejetée ;

            Sur la recevabilité des prétentions et moyens présentés par le CNPA :

    Considérant que la contestation, émise par les sociétés Yamaha et Peugeot, vise les prétentions et moyens exposés par la société requérante dans son mémoire complémentaire du 8 mars 2004, le CNPA opposant à l’argumentation des concluantes, fondée sur les dispositions propres aux recours contre les décisions du Conseil de la concurrence, les règles de droit commun relatives à la présentation des demandes en cause d’appel ;
    Considérant qu’en vertu de l’article 2 du décret du 19 octobre 1987 l’objet et la cause du recours formé contre une décision du Conseil de la concurrence sont circonscrits aux prétentions et moyens présentés lors de la déclaration de recours ou dans le mémoire déposé dans les deux mois de la notification de la décision attaquée ;
    Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Peugeot, ce principe n’interdisait pas au CNPA de notifier, par ses écritures du 8 mars 2004 et dans les conditions fixées par le magistrat chargé de l’instruction du recours, des observations en réplique aux argumentations des sociétés défenderesses ; qu’il l’empêchait en revanche, dès lors qu’il est seul applicable à un tel recours, de soumettre à la cour au-delà du délai de deux mois susvisé une demande nouvelle de saisine de la CJCE pour questions préjudicielles ; qu’en dépit de ce que soutient le CNPA la nécessité de cette demande n’a nullement été révélée et imposée par le contenu des écritures adverses ; que son opportunité pouvait en réalité être appréciée par le CNPA dès la naissance du litige, compte tenu de la nature des relations contractuelles entre les parties et des faits soumis au Conseil de la concurrence ; que la demande critiquée, présentée par le mémoire du 8 mars 2004, doit en conséquence être déclarée irrecevable ;

            Sur la recevabilité des pièces produites par le CNPA :

    Considérant que la contestation de la recevabilité des pièces produites par le CNPA est soulevée par la société Yamaha pour l’ensemble des documents postérieurs à la déclaration de recours et par la société Suzuki pour certaines pièces visées en annexe de l’exposé des moyens ;
    Considérant que la société Yamaha souligne à juste titre que l’article 3 du décret du 19 octobre 1987 impose au demandeur au recours l’obligation non seulement de mentionner dans sa déclaration la liste des pièces et documents justificatifs produits, mais aussi de remettre ces pièces et documents au greffe en même temps que la déclaration ; que ces dispositions n’excluent pas néanmoins l’accomplissement de la formalité de remise des pièces au greffe au moment du dépôt de l’exposé des moyens lorsque, comme en l’espèce pour toutes les pièces antérieures au 18 août 2003, le requérant fonde son recours sur les pièces qui ont été discutées devant le conseil et qui sont transmise à la cour, en application de l’article 5 du même décret, avec le dossier de l’affaire ; qu’en revanche, la spécificité du recours formé contre les décisions du Conseil de la concurrence et des textes en définissant les modalités s’oppose à ce que la cour puisse tenir compte non seulement des documents postérieurs à la décision attaquée et non visés à la déclaration de recours, mais aussi des pièces communiquées ultérieurement, avec les observations des 8 et 19 mars 2004, étant observé que, contrairement à ce que soutient le CNPA, il n’est nullement établi que cette communication complémentaire ait été rendue nécessaire par la nature des observations adverses et soit justifiée par le principe de la contradiction ;
    Considérant que la société Suzuki sollicite le rejet des débats des pièces 23 (tableau des objectifs de vente Suzuki depuis 2000), 24 (résultats 2002 des concessionnaires-province Suzuki), 25 (tableau comparatif des pièces 23 et 24) et 29 (extrait d’un dire présenté par Suzuki lors d’une expertise judiciaire), en faisant valoir que le CNPA a obtenu ces documents de manière frauduleuse ;
    Considérant cependant que, tout en invoquant le caractère « sensible » des informations contenues dans les documents en cause utilisés par le CNPA devant le Conseil de la concurrence, il ne résulte pas du dossier que la société Suzuki ait à un moment quelconque de l’instruction sollicité du président de cet organisme la mise en œuvre des prérogatives que lui confère l’article L. 463-4 du code de commerce pour la protection du secret des affaires ;
    Considérant en outre que, si ces documents ont été produits par Suzuki dans le cadre d’une procédure l’opposant à l’un de ses concessionnaires pour les besoins d’une expertise prescrite par le juge, le principe de la confidentialité des opérations d’expertise ne s’oppose pas à ce que le syndicat professionnel auquel adhère ce concessionnaire utilise les informations communiquées par ce dernier, non pour une divulgation publique mais pour une autre instance judiciaire concernant directement les relations du constructeur avec ses concessionnaires ; que le caractère frauduleux de la détention par la CNPA des pièces litigieuses n’étant pas établi, la demande de Suzuki doit être rejetée ;

            Sur le bien-fondé du recours :

    Considérant qu’au soutien de son recours, le CNPA invoque une violation du principe de la contradiction et des droits de la défense, l’erreur commise par le Conseil de la concurrence sur la détermination du marché pertinent, la violation de l’article L. 420-2 du code de commerce sur la définition de l’abus de dépendance économique et son éventuelle application aux faits de l’espèce, une mise hors de cause injustifiée de certains contrats et un rejet erroné du grief d’entente, une méconnaissance des effets cumulatifs et restrictifs de concurrence des contrats contestés ;
            La violation du principe de la contradiction et des droits de la défense :
    Considérant que le CNPA reproche au Conseil de la concurrence de s’être fondé, pour rejeter partiellement sa demande, sur des analyses effectuées plus de 20 ans auparavant dans le secteur de l’automobile et des véhicules à deux roues et sur des éléments d’enquête qui ne lui ont jamais été communiqués ;
    Mais considérant qu’aucune disposition légale n’interdit au Conseil de la concurrence de se déterminer sur les faits qui lui sont soumis en appréciant la valeur probante des pièces du demandeur au regard de sa propre jurisprudence ; que la violation des principes invoqués est en l’espèce d’autant moins établie que le requérant a cité et commenté lui-même dans son acte de saisine du conseil les décisions du 2 mai 1989 et du 18 juin 1991 auxquelles le Conseil de la concurrence se réfère notamment dans la décision attaquée, et qu’il a pu ainsi non seulement avoir connaissance des informations qu’elles contenaient relatives à la situation dans les secteurs en cause, mais aussi discuter la pertinence des éléments sur lesquels ces décisions étaient fondées ; que le premier moyen d’annulation de la décision attaquée doit dès lors être rejeté ;

            La définition du marché pertinent :

    Considérant que le CNPA fait grief au Conseil de la concurrence d’avoir exclu de son analyse le marché des véhicules à deux roues non immatriculés alors que, selon l’exposé des moyens, il n’aurait pas limité sa saisine au seul marché des véhicules immatriculés, que la différenciation de ces marchés n’est pas défendable en raison de leur organisation structurelle et économique identique, que le marché des véhicules immatriculés n’est pas non plus lui-même homogène et se décompose en réalité en plusieurs marchés dépendant de la cylindrée des véhicules ;
    Mais considérant que le marché se définit comme le lieu théorique où se rencontrent l’offre et la demande de produits ou services qui sont considérés par les acheteurs ou utilisateurs comme substituables entre eux, mais non substituables aux autres biens ou services offerts ; qu’au regard des éléments du dossier, notamment de la nature et des caractéristiques propres des véhicules en cause, des différences constatées quant aux constructeurs et distributeurs concernés par la commercialisation de ces véhicules, le Conseil de la concurrence a pu retenir qu’indépendamment des segmentations dont ils peuvent faire l’objet il existe deux marchés principaux distincts, ceux des véhicules à deux roues immatriculés et des véhicules non immatriculés ;
    Considérant en outre que le principe de la saisine in rem du Conseil de la concurrence ne dispense pas le requérant de l’obligation de spécifier les faits soumis à son appréciation ; que même si le CNPA a cité dans sa lettre du 16 mai 2003 certains constructeurs intervenant plus spécifiquement sur le marché des véhicules non immatriculés et communiqué de nombreux contrats d’entreprises présentes sur l’un ou l’autre marché, il n’en a tiré aucune conséquence et n’a réellement articulé ses griefs qu’à l’encontre d’entreprises intervenant sur le marché des véhicules à deux roues immatriculés ; qu’aucun fait précis de l’acte de saisine ne justifiant la poursuite de l’enquête pour les contrats du marché des véhicules deux-roues non immatriculés, le Conseil de la concurrence a pu estimer, sans méconnaître l’étendue de sa saisine ou de ses prérogatives, qu’il était saisi des seules pratiques affectant le marché des motocyclettes immatriculées : que le deuxième motif invoqué par le CNFA à l’appui de son recours n’est pas non plus fondé ;
            L’exploitation abusive de l’état de dépendance économique :
    Considérant qu’en vertu de l’article L. 420-2, alinéa 2, du code de commerce, est prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur ;
    Considérant que, pour contester la décision du Conseil de la concurrence ayant écarté l’application de ce texte, le CNPA fait valoir que le conseil n’a pas tiré les conséquences de la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques qui a élargi le domaine de l’infraction, que les contrats de distribution proposés par les sociétés Honda, Suzuki et Kawasaki comportent des critères non objectifs de sélection des concessionnaires pouvant tomber sous le coup de l’article susvisé, que l’analyse d’une éventuelle dépendance économique ne peut être limitée aux seules résiliations de contrats et dépend de la situation du concessionnaire en cas de modification de la convention au cours de son exécution, que les conditions particulières d’organisation des réseaux de distribution rendent matériellement impossible toute solution de substitution économiquement praticable, qu’un concessionnaire rompant avant terme un contrat n’a aucune certitude de trouver une marque de substitution, que la fixation d’objectifs disproportionnés, le « monomarquisme » déguisé et les clauses de non-concurrence imposées aux distributeurs font partie des éléments caractérisant la pratique dénoncée ;
    Considérant qu’il est constant que les réseaux de concession, en particulier dans le domaine du marché des motocyclettes, reposent sur une forte intégration des distributeurs aux réseaux qui les ont agréés et proposent des contrats comportant diverses stipulations destinées à fidéliser les cocontractants ou à privilégier la commercialisation des produits du concédant ;
    Mais considérant qu’indépendamment de l’instruction au fond poursuivie pour certaines des clauses en question au regard de leur éventuelle contrariété à l’article L. 420-1 du code de commerce ou au règlement communautaire sur les restrictions verticales, le Conseil de la concurrence a pu en revanche estimer que les éléments d’appréciation fournis par le CNPA n’étaient pas suffisamment probants pour rendre vraisemblable l’infraction d’exploitation abusive d’un état de dépendance économique invoquée par le requérant ;
    Considérant que le Conseil de la concurrence a justement souligné qu’au-delà de développements généraux sur la subordination qui caractériserait nécessairement la situation du concessionnaire par rapport au concédant, le CNPA n’établissait pas, comme il en a la charge, les faits concrets susceptibles de démontrer que des entreprises déterminées ont subi dans des conditions relevant de l’article L. 420-2 du code de commerce les effets de pratiques abusives imputables à l’une ou l’autre des sociétés visées par l’acte de saisine ;
    Considérant en effet que l’état de dépendance économique, au sens de l’article L. 420-2 du code de commerce, même dans sa rédaction issue de la loi du 15 mai 2001, s’apprécie en tenant compte à la fois de l’importance de la part du fournisseur dans le chiffre d’affaires du revendeur, de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de la part du marché du fournisseur, de l’impossibilité pour le distributeur d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents ;
    Considérant que, contrairement à ce que soutient le CNPA, la tendance, soulignée par lui, à l’augmentation des concessions « monomarques » et l’adoption pour les contrats proposés par les constructeurs de clauses de fidélisation, telles que celles de non-concurrence, ne suffisent pas à constituer des présomptions sérieuses de manquements à l’article L. 420-2 du code de commerce, dès lors que les distributeurs agréés par un constructeur conservent la possibilité de passer d’un réseau à un autre et disposent de solutions alternatives, techniquement et économiquement comparables, pour commercialiser les produits d’une autre marque ;
    Considérant qu’il convient à cet égard de constater que le marché des motocyclettes à deux roues immatriculées se caractérise par l’éclatement de l’offre disponible entre plusieurs marques de notoriété équivalente et substituables dont aucune n’exerce de véritable prééminence, les principales d’entre elles, en l’occurrence Yamaha, Honda et Suzuki y apparaissant en 2003 respectivement pour 26, 19 et 17 % environ, le reste du marché étant partagé par de nombreux autres constructeurs ; qu’en dépit de ce que prétend le CNPA en se fondant sur des cessations d’activités de certains distributeurs non significatives, les pièces du dossier montrent que des concessionnaires de l’une des marques précitées ont pu abandonner la commercialisation des produits de cette marque au profit de l’une des autres ; qu’ainsi, à titre d’exemples, la société Bastille Motorcycles, ancien concessionnaire Suzuki, est aujourd’hui concessionnaire Honda (mémoire Honda du 8 mars 2004, page 4) ; que d’autres concessionnaires Suzuki, à Evreux et Aubenas, ont cessé de proposer des motocyclettes de cette marque pour se consacrer en exclusivité à Yamaha (mémoire Suzuki du 2 janvier 2004, page 22) ; que plusieurs distributeurs : Honda, à Dreux, Vierzon, Dôle, Creil, Dieppe, Hirson sont devenus des concessionnaires exclusifs Yamaha (annexe 1 du mémoire Honda déposé le 5 janvier 2004) ; que d’anciens distributeurs de cette marque commercialisent actuellement des motocyclettes Honda ou Suzuki (pièce no 16 du dossier Yamaha) ; que le Conseil de la concurrence a pu déduire de l’ensemble de ces circonstances, auxquelles il convient d’ajouter l’absence de preuve d’un comportement discriminatoire des fournisseurs lors de la sélection des distributeurs ou dans l’exécution des contrats, que l’article L. 462-8 du code de commerce devait, pour une prétendue infraction à l’article L. 420-2, alinéa 2, du code de commerce, recevoir application ;
            L’entente illicite et la mise hors de cause des contrats Yamaha, MBK, Piaggio et Peugeot :
    Considérant que le CNPA soutient que les contrats de ces entreprises contiennent des clauses illicites qui auraient mérité une instruction par le Conseil de la concurrence ; qu’il invoque en particulier le fait que des clauses similaires des contrats Suzuki, Honda et Kawasaki ont été jugées par le conseil suffisamment douteuses pour justifier des investigations complémentaires, que les contrats litigieux comportent des stipulations limitant les débouchés des concessionnaires dans des conditions contraires au règlement communautaire du 22 décembre 1999, des clauses de non concurrence ou d’intuitu personae susceptibles de tomber sous le coup des articles 81 du traité de Rome et L. 420-1 du code de commerce, une séparation factice des modes de distribution couvrant en réalité un cumul illégal des avantages des distributions sélective et exclusive ; qu’il incrimine enfin au même titre le rejet de l’examen des pratiques mises en œuvre sur le marché des deux-roues non immatriculés ;
    Mais considérant qu’indépendammant de la limitation, déjà expliquée, de l’examen des pratiques dénoncées au regard du marché des motocyclettes soumises à immatriculation, le Conseil de la concurrence a suffisamment justifié sa décision sur les points contestés par le CNPA en constatant l’absence d’éléments suffisamment probants produits par le requérant pour des contrats différents de ceux dont un examen plus approfondi a été prescrit ;
    Considérant qu’en vertu de l’article 2 du règlement communautaire du 22 décembre 1999 l’article 81, paragraphe 1, du traité de Rome est déclaré inapplicable aux accords verticaux de distribution, sous un certain nombre de réserves qui n’apparaissent pas en cause pour les contrats litigieux ; qu’il convient en particulier de souligner que, comme le prévoient les articles 3, 9 et 10 du règlement ainsi que les lignes directrices de la commission sur les restrictions verticales (Journal officiel des Communautés européennes, C 291/36, 13 octobre 2000), les entreprises visées peuvent bénéficier de l’exemption susvisée, dès lors qu’elle ne détiennent pas individuellement une part de marché excédant 30 % et que leurs contrats ne contiennent pas l’une des clauses prohibées par les dispositions communautaires applicables ; qu’à cet égard, et contrairement à ce que prétend le CNPA, les pièces produites ne révèlent pas l’existence de présomptions suffisamment sérieuses de restrictions illicites apportées par les entreprises visées, notamment Yamaha et Peugeot, aux ventes effectuées par les concessionnaires, ceux-ci pouvant librement commercialiser les produits de leurs fournisseurs auprès des « consommateurs finals » ou d’autres membres du réseau ; qu’il est loisible en revanche à un constructeur, sans perdre le bénéfice de l’exemption, par exemple comme Yamaha pour ses contrats de distribution sélective-exclusive, qui ne sont pas a priori interdits par le règlement, d’imposer au distributeur une obligation de non concurrence n’excédant pas 5 ans (art. 5-A du règlement du 22 décembre 1999) ou d’interdire à un membre du réseau d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé (art. 4-C du règlement du 22 décembre 1999), voire de fixer, comme Peugeot, des critères objectifs à remplir par les distributeurs non agréés qui demandent à être approvisionnés par les concessionnaires ; que le moyen invoqué par le CNPA doit en conséquence être écarté ;

            Les effets cumulatifs et restrictifs de concurrence des contrats contestés :

    Considérant que selon le CNPA, l’adoption par les principaux constructeurs de contrats de distribution similaires, l’organisation de réseaux sur des bases identiques, avec un recours croissant au « monomarquisme », restreignent l’accès au marché pour les nouveaux entrants et limitent la concurrence entre les marques déjà présentes ; que ces circonstances justifieraient un retrait de l’exemption de l’article 2 du règlement du 22 novembre 1999, par application de l’article 7 du même règlement ou une exclusion des contrats en cause du domaine de l’exemption ;
    Considérant cependant que les éléments d’appréciation fournis à l’appui de la saisine du Conseil de la concurrence ne sont pas de nature à établir une quelconque collusion ou action concertée entre les acteurs du marché pour entraver le développement de la concurrence ; qu’ils ne comportent pas d’éléments de comparaison des prix de produits directement substituables susceptibles de corroborer l’existence d’un parallélisme de comportement et de visées anticoncurrentielles ; que le Conseil de la concurrence a au contraire justement souligné, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation des données produites, que les prix pratiqués par les constructeurs comportent des différences substantielles et n’évoluent pas de manière uniforme ; qu’en outre, les parts de marché des différents acteurs n’atteignent pas un niveau qui permette aux principaux d’entre eux de s’abstraire de la concurrence des autres fournisseurs ; qu’en l’état de ces circonstances, auxquelles il faut ajouter le maintien d’un « multimarquisme » significatif sur le marché ainsi que le droit, déjà analysé, pour les distributeurs intervenant sur ce secteur de changer de réseau de distribution au profit de fournisseurs offrant des solutions alternatives comparables, le CNPA n’établit pas en quoi le cumul d’obligations prétendument similaires imposées par les différents constructeurs serait à l’origine d’une atteinte à la concurrence ; que le recours doit dès lors être rejeté ;

    Considérant que l’application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ne s’impose pas,

                    Par ces motifs :

        La cour :
    Déclare le recours recevable ;
    Déclare irrecevable la demande complémentaire présentée par le CNPA dans son mémoire du 8 mars 2004 ;
    Ecarte des débats les pièces postérieures au 18 août 2003 produites par le CNPA avec le mémoire du 17 octobre 2003 ;
    Ecarte des débats les pièces produites par le CNPA avec les mémoires des 8 et 19 mars 2004 ;
    Rejette le recours formé par le CNPA contre la décision 03-D-42 du 18 août 2003 prononcée par le Conseil de la concurrence ;
    Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
    Condamne le CNPA aux dépens.

Le greffier Le président

    (*)  Décision no 03-D-42 du Conseil de la concurrence en date du 18 août 2003, parue dans le BOCCRF no 16 du 17 décembre 2003