NOR : ECOC0400298S
Le Conseil
de la concurrence (commission permanente),
Vu les lettres enregistrées
le 4 décembre 1998 sous les numéros
F 1104 et M 233, par lesquelles la SARL Reims
Bio a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques quelle
estime anticoncurrentielles, mises en uvre par le
groupement dintérêt public Champagne-Ardenne,
établissement de transfusion sanguine, et a demandé
le prononcé de mesures conservatoires ;
Vu le livre IV du
code de commerce, le décret no 86-1309
du 29 décembre 1986 modifié et le
décret no 2002-689 du 30 avril 2002
fixant les conditions dapplication du livre IV
du code de commerce ;
Vu larticle
82 du traité instituant la Communauté européenne ;
Vu la décision
du Conseil de la concurrence no 99-MC-03
en date du 16 février 1999 ;
Vu la décision
en date du 19 janvier 2004 par laquelle la présidente
du Conseil de la concurrence a décidé que
la présente affaire serait jugée sans établissement
dun rapport, en application de larticle L. 463-3
du code de commerce ;
Vu les observations
présentées par lEtablissement français
du sang et le commissaire du Gouvernement ;
Vu les autres pièces
du dossier ;
La rapporteure, la
rapporteure générale adjointe, le commissaire
du Gouvernement, le représentant de lEtablissement
français du sang entendus, lors de la séance
du 28 avril 2004, en présence du représentant
de la société Reims Bio,
Adopte la décision
suivante :
I. - CONSTATATIONS
A. - Le secteur concerné
1. La loi
no 93-5 du 4 janvier 1993 relative
à la sécurité en matière de
transfusion sanguine et de médicament, précisée
par le décret no 94-365 du 10 mai 1994
relatif à lAgence française du sang
(AFS) et aux organismes agréés en qualité
détablissements de transfusion sanguine (ETS)
(cotes 849 à 860 du dossier), applicable
à lépoque des faits, avait créé
43 ETS, soumis à la tutelle de lAFS. Aux
termes de larticle L. 668-1 du code de la santé
publique, ces établissements, dotés de la
personnalité morale, exerçaient deux types
de missions : les unes, relevant du service public
de la transfusion, pour lesquelles ils disposaient dun
monopole pour la collecte et lutilisation du sang
(hématies, sérums et plasmas) dit « à
usage thérapeutique », les autres relevant
du secteur de la santé, soumises à autorisation,
activités de soins et danalyse de biologie
médicale, notamment, à partir de produits
sanguins dits « à usage non thérapeutique ».
2. Le secteur visé
par la saisine est celui de la collecte et de la vente de
produits sanguins à usage non thérapeutique.
Sur ce secteur, il convient de distinguer le marché
amont des activités de collecte et de vente de produits
sanguins bruts à usage non thérapeutique et
le marché aval des activités délaboration
et de vente de produits sanguins transformés, traités
pour la fabrication de réactifs à usage industriel.
3. Sur le marché
amont des produits sanguins bruts à usage non thérapeutique,
les activités de collecte et de vente de produits
sanguins étaient exercées exclusivement par
29 ETS agréés par lAFS, répartis
dans toute la France et dont chacun disposait dun
monopole régional pour procéder à la
collecte de produits sanguins bruts. En pratique, il est
apparu que seuls une douzaine dETS en France avaient
développé des activités de collecte
et de vente de produits sanguins à usage non thérapeutique,
à savoir les ETS de Reims, Strasbourg, Lille, Bobigny,
Pontoise, Rouen, Rennes, Nantes, Toulouse, Marseille et
Besançon. Les produits sanguins bruts collectés
pouvaient ensuite être vendus à des laboratoires
pharmaceutiques (Sanofi Pasteur, Cis Bio International,
Diagnostica Stago, Biomerieux, Diagast...) ou à des
industriels (Institut Jacques Boy, Reims Bio), en vertu
de conventions de cession de produits sanguins à
usage non thérapeutique.
4. Sur le marché
aval des produits sanguins transformés, loffre
en France émanait de deux sociétés
intermédiaires spécialisées dans la
réalisation dopérations de transformation,
de stockage et de conditionnement des produits sanguins
bruts, traités pour la fabrication de réactifs
à usage industriel : la société
Institut Jacques Boy (IJB), puis la SARL Reims Bio. De plus,
IJB et Reims Bio pouvaient, parfois, se trouver en concurrence
avec des laboratoires pharmaceutiques étrangers,
notamment Westernstates, Intergen, Scantibodies, installés
aux Etats-Unis, et Trina et Wbag, installés en Suisse.
La demande de produits sanguins transformés émanait
des laboratoires pharmaceutiques fabriquant des réactifs
de diagnostic à partir des produits sanguins transformés
livrés par IJB puis Reims Bio. Les clients de Reims
Bio et IJB étaient notamment Sanofi Pasteur, Cis
Bio International et Bristol Myers Squibb.
B. - Les
entreprises en cause
5. Le
groupement dintérêt public Champagne-Ardenne
(GIPCA) était un établissement de transfusion
sanguine (ETS) constitué par une décision
du 7 juillet 1995 qui lautorisait à exercer,
sous la tutelle de lAgence française du sang
(AFS), aussi bien des activités transfusionnelles
que des activités non thérapeutiques.
6. La SARL Reims Bio
a été créée le 7 mai 1998
par M. Leroux, ancien salarié du centre régional
de transfusion sanguine de Reims (CRTS) et de la société
Institut Jacques Boy (IJB). Quant à IJB, ancienne
filiale à 100 % du CRTS de Reims, qui exerçait,
elle aussi, une activité délaboration,
de transformation et de vente de produits sanguins traités
pour la fabrication de réactifs à usage industriel,
elle a fait lobjet dune cession par voie de
reprise de lentreprise par ses salariés, puis
la société Diamed en a pris le contrôle
en acquérant 51 % de son capital social. En
mai 1998, lactivité dIJB relative à
la vente de produits sanguins auprès dindustriels
de la pharmacie et du diagnostic a été cédée
à la société Reims Bio, laquelle procédait,
en outre elle-même à des opérations
de transformation de produits sanguins à usage de
réactifs, seules les opérations portant sur
des quantités importantes (plus de 50 litres) étant
sous-traitées à IJB. Par jugement du tribunal
de commerce de Reims en date du 27 avril 1999,
la société Reims Bio a été mise
en liquidation judiciaire.
7. Pour exercer leur
activité, IJB et Reims Bio sapprovisionnaient
en produits sanguins à usage non thérapeutique
à hauteur de 90 % de leurs besoins auprès
du GIPCA et à hauteur de 10 % auprès
de lETS de Strasbourg, en vertu de conventions de
cession de produits sanguins à usage non thérapeutique.
Ces deux ETS avaient en effet développé une
activité de collecte et de vente de produits sanguins
bruts à usage non thérapeutique spécifiques,
de nature à répondre aux exigences particulières
des clients de Reims Bio et IJB. Ceux-ci imposaient, dans
leurs cahiers des charges, le respect de conditions de prélèvement
particulières tenant, notamment, à la nécessité
de procéder à une sélection complexe
des donneurs de sang à usage non thérapeutique
présentant des phénotypes différents
et des garanties virologiques importantes.
C. - Les
faits relevés
1. La
réglementation relative aux conventions de cession
de produits sanguins à usage non thérapeutique
et son application par les ETS en France avant le 1er janvier 2000
8. Les
articles 13 et 14 de la convention type des établissements
de transfusion sanguine constitués sous forme de
GIP, annexée au décret no 94-365
du 10 mai 1994 (cotes 865 et suivantes), précisaient
que les conventions de cession de produits sanguins à
usage non thérapeutique conclues par un GIP devaient,
dune part, être autorisées par le conseil
dadministration du GIP, dautre part, recueillir
lapprobation de lAgence française du
sang.
9. Il ressort néanmoins
de linstruction que cette procédure nétait,
en pratique, presque jamais appliquée par les ETS
qui estimaient quen labsence de directives précises
de lAFS et dans la mesure où cette dernière
connaissait lexistence de ces conventions de cession
par divers moyens, elle en approuvait implicitement le contenu.
A la suite des contentieux qui ont opposé le GIPCA
à Reims Bio, notamment, lAFS a adressé
une circulaire, le 23 décembre 1998, à
tous les directeurs dETS, pour leur rappeler la procédure
à suivre ainsi que les principales clauses devant
figurer dans les contrats. Toutefois, parmi lensemble
des conventions de cession de produits sanguins à
usage non thérapeutique conclues par les 29 établissements
de transfusion sanguine agréés en France,
seules 4 avaient été approuvées selon
la procédure réglementaire décrite
ci-dessus, à la date du 1er janvier
1999. A la suite de la circulaire du 23 décembre
1998, seules 7 conventions supplémentaires avaient
été approuvées par lAFS à
la date du 21 janvier 2000, le GIPCA ayant, quant à
lui, livré Sanofi Pasteur en dehors de toute convention
jusquau 1er janvier 2000,
date dentrée en vigueur de la convention approuvée
par lAFS, le 26 août 1999.
2. Le refus de lAFS
dapprouver les conventions de cession de produits
sanguins à usage non thérapeutique conclues
par le GIPCA avec Reims Bio et IJB
10. La
société IJB avait conclu deux conventions
de cession de produits sanguins à usage non thérapeutique
en date du 26 janvier 1995 et du 2 janvier 1996
avec le GIPCA, tandis que la société Reims
Bio avait conclu une convention de ce type avec le même
établissement, le 7 mai 1998. Les conventions
du 2 janvier 1996 et du 7 mai 1998 ont été
présentées au conseil dadministration
du GIPCA le 15 juin 1998 et transmises à lAFS
pour approbation le 30 juin 1998.
11. Par lettre du 16 juillet
1998, Mme Jeannet, directrice de lAFS, a formulé
les observations suivantes :
« 1. Sur le plan
de la procédure
Lune
de ces conventions, conclue avec la Société
Jacques Boy le 2 janvier 1996, a fait lobjet
dune délibération de votre conseil dadministration
en date du 15 juin 1998. Compte tenu de limportant
décalage qui sépare ces deux actes et indépendamment
des observations relatives à son contenu évoquées
ci-après, cette convention ne peut en aucun cas recevoir
mon approbation.
2. Sur le contenu des conventions
Ces conventions
doivent comporter des clauses précises concernant :
- les quantités
de produits cédés ;
- le respect des
principes éthiques définis par les articles
L. 666-1 (bénévolat, anonymat, absence
de profit) et L. 666-3 (consentement) du code de la
santé publique ;
- la réalisation
des analyses et tests de dépistage sur chaque prélèvement
conformément au décret du 16 février
1995 et dans les conditions prévues par les bonnes
pratiques de qualification du don (arrêté du
4 janvier 1995, modifié par les arrêtés
du 11 août et du 22 juillet 1996) ;
- elles doivent,
en outre, comporter en annexe un modèle du document
dinformation à remettre aux donneurs par lequel
ils expriment leur consentement pour lutilisation
de leur don à des fins de production de réactifs.
Afin déviter tout retard
supplémentaire dans le traitement de ce dossier,
je vous suggère de me soumettre pour avis les nouveaux
projets de convention que vous entendez conclure (...) »
12. Le GIP a donc
établi de nouvelles conventions avec les sociétés
Reims Bio et IJB, pour une période de trois ans,
en tenant compte des recommandations formulées par
lAFS, à la fois dans son courrier du 16 juillet
1998 précité, puis téléphoniquement,
et lors dune réunion tenue à Paris
le 10 septembre 1998 ; le contenu de ces recommandations
a été décrit par M. Toulemonde,
directeur par intérim du GIPCA, lors de son audition
du 4 février 2000 : « Téléphoniquement,
puis à loccasion dune réunion
avec elle à Paris le 10 septembre, Mme Jeannet
nous a reprécisé les points importants à
ne pas oublier dans les conventions. Ces conventions, rédigées
selon les instructions de lAFS, ont été
proposées au CA le 28 septembre 1998. Le CA
a approuvé les projets de convention conformes à
la demande de Mme Jeannet. Ces conventions ont été
signées le 2 octobre » (cote 348).
Ces conventions ont ensuite été transmises
à lAFS pour approbation. Pendant toute cette
période, le GIPCA a poursuivi ses livraisons auprès
de Reims Bio et IJB.
3. Larrêt des
livraisons de produits sanguins bruts à usage non
thérapeutique par le GIPCA auprès de Reims
Bio et IJB
13. Cependant,
le 23 octobre 1998, le président de lAgence
française du sang (AFS) adressait à M. Huart,
directeur par intérim de lETS Champagne-Ardenne,
la lettre suivante :
« Dans le cadre de
votre mission de directeur par intérim de lETS
Champagne-Ardenne, je vous informe de lexistence de
deux nouvelles conventions établies avec les sociétés
Institut Jacques Boy et Reims Bio concernant la cession
de produits sanguins à usage non thérapeutique
qui ont été approuvées par le conseil
dadministration du GIP le 28 septembre 1998.
Ces conventions, soumises à lapprobation de
lagence conformément aux dispositions prévues
à larticle 14 de lannexe II
du décret no 94-365 du 10 mai
1994, ont déjà fait lobjet de modifications
suite aux observations formulées dans un courrier
de lagence, en date du 16 juillet 1998, référencé
987221/DLM, portant aussi bien sur la procédure retenue
que sur le contenu des conventions. Toutefois, les conventions
qui portent sur lannée 1998 sont, en tout
état de cause, en cours dexécution et
ne pourront dès lors recevoir lapprobation
de lagence. Comme vous le savez, lapprobation
de lagence constitue un préalable à
lexécution des conventions, qui doivent avoir
une durée dun an » (cote 343).
14. Au vu de cette lettre,
le même directeur, qui avait été nommé
en qualité de titulaire le 7 octobre 1998, a
prévenu oralement IJB, le 6 novembre 1998, puis
Reims Bio, le 10 novembre, de sa décision dinterrompre
les livraisons de produits sanguins à usage non thérapeutique,
au motif que les conventions du 2 octobre 1998
ne répondaient pas « au strict minimum
indispensable ou exigé ».
15. Nayant
pas été en mesure de prendre connaissance
de la lettre de lAFS, invoquée par le directeur
du GIPCA pour justifier larrêt des livraisons,
malgré plusieurs mises en demeure, Reims Bio et IJB
ont assigné en référé le GIPCA
devant le juge des référés du tribunal
de commerce de Reims. Par ordonnance du 18 décembre 1998,
ce magistrat, sappuyant notamment sur la constatation
de lexistence entre les parties de relations « anciennes,
stables et continues » et sur labsence
de preuve de ce que lAFS aurait prescrit au GIPCA
de cesser ses livraisons, ordonnait à celui-ci de
reprendre immédiatement ces dernières « sous
réserve dune décision contraire de lAFS
notifiée à IJB » et « Reims
Bio » (cote 952). Le 22 décembre
1998, lAFS notifiait à Reims Bio copie de sa
lettre du 23 octobre 1998 adressée au GIPCA, « par laquelle je refuse dapprouver
la convention liant votre société à
lETS » en lui précisant que
cette notification « suspend(ait) lexécution
de lordonnance de référé susvisée » (cote 957). IJB na, en revanche, jamais été
destinataire du même courrier, le GIPCA ayant, au
surplus, pris linitiative détablir une
nouvelle convention avec cette société, conforme
aux exigences réglementaires, pour lannée
1999.
16. Saisi par Reims Bio
dune demande de mesures conservatoires, le 4 décembre 1998,
le Conseil de la concurrence a considéré,
dans sa décision no 99-MC-03 du 16 février 1999
(cote 5), quil nétait pas exclu que,
sous réserve dune instruction au fond, les
pratiques alléguées par Reims Bio puissent
entrer dans le champ du titre III de lordonnance du
1er décembre 1986. En
outre, le conseil, estimant que la société
Reims Bio était menacée dans son existence
par larrêt des livraisons du GIPCA, a enjoint
au GIPCA de reprendre les livraisons de matières
premières et de produits sanguins destinés
à la fabrication de réactifs à la SARL
Reims Bio, sous réserve de lapprobation par
lAFS de la délibération du conseil dadministration
du GIPCA, conformément à la procédure
prévue par le décret du 10 mai 1994,
et ce dans un délai dun mois.
4. Le refus du GIPCA de
conclure une nouvelle convention de cession de produits
sanguins à usage non thérapeutique avec Reims
Bio conforme à la réglementation en vigueur
17. Il
résulte de linstruction que lAFS ne sest
pas opposée à ce quun nouveau projet
de convention de cession de produits sanguins entre Reims
Bio et le GIPCA soit établi pour lannée
1999 et quelle a, du reste, approuvé une convention
de ce type, conclue entre Reims Bio et lETS de Strasbourg
le 19 avril 1999.
18. En revanche, le comportement
adopté par le nouveau directeur du GIPCA, en ce qui
concerne la conclusion avec Reims Bio dune nouvelle
convention de produits sanguins à usage non thérapeutique
conforme aux exigences de lAFS et à la réglementation
en vigueur, appelle plusieurs remarques :
Cest ainsi que lintéressé
a refusé de rédiger lui-même une convention
de cession de produits sanguins à usage non thérapeutique,
conforme aux exigences de lAFS, alors que, selon M.
Sacré, ordonnateur délégué du
GIPCA, « le GIP était chargé
de rédiger les conventions à usage non thérapeutique
systématiquement. Les partenaires commerciaux navaient
pas à rédiger les conventions de cession » (cote 155), analyse confirmée par lancien
directeur par intérim du GIPCA, M. Toulemonde
(cote 348), ainsi que par le directeur de lETS
de Strasbourg, M. Cazenave (cote 763), et le directeur
de la société IJB, M. Menu (cote 776).
Le directeur du GIPCA na formulé
aucune observation sur le projet établi par Reims
Bio, transmis par télécopie du 5 mars 1999,
avant que celui-ci ne soit présenté pour approbation
au conseil dadministration de létablissement,
le 10 mars 1999.
Le procès-verbal
du conseil dadministration du GIPCA, en date du 10 mars 1999,
consacre au projet le développement suivant : « M. le docteur Huart donne la parole
à M. Sacré pour refaire lhistorique
du contentieux existant entre létablissement
de transfusion Champagne-Ardenne et la société
Reims Bio :
- courrier
du 23 octobre de lAgence française
du sang refusant dapprouver les conventions de Jacques
Boy et de Reims Bio ;
- référé
de la société Reims Bio auprès du tribunal
de commerce pour obliger le groupement dintérêt
public à rependre ses livraisons ;
- parallèlement,
saisine du Conseil de la concurrence pour les mêmes
motifs et dépôt de trois instances auprès
du tribunal administratif de Châlons visant à
faire annuler la décision de lAgence française
du sang.
Le Conseil de la concurrence, dont
il a été fait appel de la décision
devant la cour dappel de Paris, a demandé que
Reims Bio soit livré sous réserve que le conseil
dadministration et lAgence française
du sang aient approuvé une convention avec la société
précitée. Il a donc été demandé
à la société Reims Bio de fournir un
nouveau projet de convention conforme aux directives de
lAgence française du sang, lequel a été
reçu par fax.
M. Smusczynski demande au conseil
dadministration de prendre position sur le projet
présenté en précisant quil nest
pas conforme sur les points énumérés
ci-après :
- absence de référence
à la non-cession à des tiers ;
- absence de clause relative
à lautosuffisance ;
- prix non conformes
à la tarification du Journal officiel.
Ces trois clauses sont obligatoires
dès lors quelles émanent des directives
de lAgence française du sang, étant
précisé que le dernier point ci-avant pourrait
engager la responsabilité pénale du directeur
en cas de non-respect. Sur la base des éléments
fournis, le conseil dadministration, à lunanimité,
décide dacter le fait que cette convention
nest pas en état de leur être soumise
puisque non conforme » (cotes 332 et
333).
19. Il ressort, cependant,
des déclarations de M. Wenzler, président
du conseil dadministration du GIPCA à lépoque
des faits, que les membres du conseil nont pas eu
la possibilité dexaminer matériellement
le projet de Reims Bio et nont pu que se fier aux
réserves formulées par M. Smusczynski,
secrétaire général de lETS Champagne-Ardenne : « Le 10 mars 1999, le CA, à
lunanimité (jétais présent),
a décidé que le projet de convention Reims
Bio nétait pas en état de leur être
soumis puisque non conforme sur les points énumérés
par M. Smusczynski, secrétaire général
du GIP (...) Je nai pas eu connaissance du projet
de convention Reims Bio. Nayant pas eu en main le
projet de convention, nous navons pas eu le loisir
de lexaminer avec un sens critique » (cote 379).
20. Or, ainsi que linstruction
la démontré, les non-conformités
relevées par le secrétaire général
de lETS, lors du conseil dadministration du
GIPCA, étaient très largement infondées :
dune part, le projet de Reims Bio précisait,
en son article 1er, lusage
exclusif des produits cédés par le GIPCA à
Reims Bio pour la fabrication des produits sanguins à
usage de réactifs (non-cession des produits bruts
à des tiers) et comportait une annexe 5 reprenant
la liste exclusive de ses clients sur le marché des
produits sanguins transformés à usage de réactifs.
Dautre part, le GIPCA ne pouvait reprocher à
Reims Bio de navoir pas respecté la tarification
du Journal officiel, puisque celle-ci ne simposait
quaux produits à usage thérapeutique.
En outre, le projet de Reims Bio faisait explicitement référence
au tarif officiel en son article 8, pour « les
concentrés Sagman phéno complets ». Enfin, le projet proposé par Reims Bio au GIPCA était
très proche de la convention passée par Reims
Bio avec lETS de Strasbourg et approuvée par
lAFS le 19 avril 1999, ainsi que du projet
de convention entre IJB et le GIPCA en date du 29 janvier 1999 :
|
PROJET REIMS BIO - GIPCA
du 5 mars 1999 |
PROJET IJB - GIPCA
du 29 janvier 1999 validé par lAFS |
CONVENTION REIMS BIO -
Strasbourg du 19 avril 1999
validée par lAFS |
Objet. |
Préparation de réactifs
pour la recherche ou le diagnostic cédés
exclusivement à des industriels du réactif
pharmaceutiques ou des centres de recherche. |
Prélèvements sanguins
destinés à la fabrication de réactifs
pour la biologie médicale. |
Fabrication de réactifs. |
Respect principes éthiques. |
Respect des principes éthiques
du don du sang (articles L. 666-1 et L. 666-3 du
CSP). |
Idem. |
Idem. |
Prélèvements. |
Prélèvements conformes
aux règles de bonnes pratiques élaborées
par lAFS + tests de dépistage supplémentaires
listés dans les cahiers des charges annexés. |
Prélèvements conformes
aux règles de bonnes pratiques élaborées
par lAFS et au décret du 16 février
1995. |
Prélèvements conformes
aux règles de bonnes pratiques élaborées
par lAFS et au décret du 16 février
1995 + tests de dépistages supplémentaires
listés. |
Identification et traçabilité. |
Prise en compte (article 4). |
Prise en compte (article 9). |
Prise en compte (articles 4 et
5). |
Circuit spécifique de production. |
Précisé explicitement
(article 4). |
Précisé explicitement
(article 5). |
Précisé explicitement
(article 4). |
Clauses relatives au transport. |
Oui (article 7). |
Oui (article 10). |
Oui mais plus succinctes (article
6). |
Clause dautosuffisance. |
Non. |
Oui (article 7). |
Oui (article 3). |
Tarification. |
Référence au tarif
du JO (article 8). |
Référence au tarif
du JO (article 11). |
Non. |
21. En
définitive, le projet proposé par Reims Bio
ne comportait quun seul point de non-conformité,
à savoir labsence de clause dautosuffisance,
qui aurait pu aisément être corrigé,
à linitiative du GIPCA, entre le 5 mars 1999,
date denvoi de la télécopie de Reims
Bio, et le 10 mars 1999, date de réunion
du conseil dadministration. Ce dernier a donc refusé
dapprouver le projet de convention qui lui était
soumis.
22. Par un arrêt
du 2 avril 1999, la cour dappel de Paris
a réformé la décision de mesure conservatoire
du Conseil de la concurrence, précitée, aux
motifs « que les mesures décidées
par le conseil, en ce quelles sont subordonnées
à la décision dune autorité tierce,
nentrent pas dans le champ des prévisions de
larticle 12 précité ; quil
sensuit que la décision déférée
doit être réformée ; considérant
que la nécessité de lobtention de laccord
préalable de lautorité de tutelle ne
permet pas de prendre les mesures conservatoires demandées
par la société Reims Bio, de sorte quelle
doit être déboutée de cette prétention ». Par la suite, le GIPCA a considéré quil
nétait plus dans lobligation de livrer
Reims Bio ni de négocier la conclusion dune
nouvelle convention avec Reims Bio. Nayant pas trouvé
de solution dapprovisionnement alternative auprès
dautres centres de transfusion sanguine en quantité
suffisante, la société Reims Bio a effectué
une déclaration de cessation de paiement, le 22 avril 1999,
qui a été suivie de sa mise en liquidation
judiciaire.
D. - Les
griefs notifiés
23. Sur
la base des constations qui précèdent, les
griefs suivants ont été notifiés à
lEtablissement français du sang (EFS), en tant
que substitué aux établissements de transfusion
sanguine en vertu de la loi no 98-535 du
1er juillet 1998 :
24. « Il
est fait grief au GIPCA davoir abusé de sa
position dominante sur le marché amont des produits
sanguins bruts à usage thérapeutique prélevés
sur des donneurs présentant des garanties virologiques
importantes (risque hépatite et sida faible) et un
standard biologique moyen. La pratique consiste
à avoir mis en uvre des manuvres dilatoires
destinées à retarder la conclusion dune
nouvelle convention de cession de produits sanguins à
usage non thérapeutique avec la SARL Reims Bio jusquà
sa déclaration de cessation des paiements. Cette
pratique a eu pour objet et pour effet dempêcher
Reims Bio de sapprovisionner en matières premières
sur le marché amont des produits sanguins bruts à
usage thérapeutique prélevés sur des
donneurs présentant des garanties virologiques importantes
(risque hépatite et sida faible) et un standard
biologique moyen et de léliminer du marché
aval des produits sanguins transformés. Cette pratique
a également eu pour effet de fausser le jeu de la
concurrence sur ce marché en déstabilisant
lensemble de la filière dapprovisionnement
en produits sanguins transformés. Cette pratique
est contraire à larticle 8-I (1o)
de lordonnance du 1er décembre 1986
[devenu article L. 420-2 du code de commerce].
25. Il est fait
grief au GIPCA davoir abusé de létat
de dépendance économique de la SARL Reims
Bio sur le marché amont des produits sanguins bruts
à usage thérapeutique prélevés
sur des donneurs présentant des garanties virologiques
importantes (risque hépatite et SIDA faible) et un
« standard biologique moyen ». La
pratique consiste en la rupture brutale et unilatérale
de relations daffaires établies avec la Sarl
Reims Bio pour des raisons non objectives et discriminatoires.
Cette pratique a eu pour objet et pour effet dempêcher
Reims Bio de sapprovisionner en matières premières
sur le marché amont des produits sanguins bruts à
usage thérapeutique prélevés sur des
donneurs présentant des garanties virologiques importantes
(risque hépatite et Sida faible) et un « standard
biologique moyen » et de léliminer
du marché aval des produits sanguins transformés.
Cette pratique a également eu pour effet de fausser
le jeu de la concurrence sur ce marché en déstabilisant
lensemble de la filière dapprovisionnement
en produits sanguins transformés. Cette pratique
est contraire à larticle 8 (I, 2e)
de lordonnance du 1er décembre 1986
[devenu article L. 420-2 du code de commerce] ».
II. - DISCUSSION
A. - Sur la procédure
1. Sur lirrecevabilité
de la saisine au fond
26. LEtablissement
français du sang (EFS) soutient que, dune part,
linstance engagée devant le Conseil de la concurrence
est interrompue par le jugement du tribunal de commerce
de Reims du 27 avril 1999 prononçant la
liquidation judiciaire de la SARL Reims Bio et que, dautre
part, laction devant le Conseil de la concurrence
est prescrite, Me Dutour, liquidateur de
la société Reims Bio, nayant pas repris
linstance à son compte. Le moyen se réfère
ainsi implicitement à larticle 369 du
nouveau code procédure civile (NCPC), aux termes
duquel : « Linstance est interrompue
par (...) leffet du jugement qui prononce le règlement
judiciaire ou la liquidation des biens (redressement ou
liquidation judiciaires) dans les causes où il emporte
assistance ou dessaisissement du débiteur. »
27. Cependant, ainsi
que le Conseil de la concurrence la rappelé
dans une décision no 03-D-04 du 16 janvier 2003,
la procédure devant cette autorité administrative
indépendante nest gouvernée ni par les
dispositions du NCPC ni par celles applicables devant les
juridictions administratives et obéit à ses
règles propres, énoncées au titre VI
du livre IV du code de commerce. Lapplication
de larticle 369 du NCPC doit, en conséquence,
être écartée.
28. Par ailleurs, en
vertu de larticle 1844-8 du code civil, « la
personnalité morale de la société subsiste
pour les besoins de la liquidation jusquà la
publication de la clôture de celle-ci ». En lespèce, la SARL Reims Bio na pas
été radiée du registre du commerce
et des sociétés et survit pour les besoins
de sa liquidation. Or, si larticle 152 de la
loi no 85-98 du 25 janvier 1985
relative au redressement et à la liquidation judiciaires
des entreprises précise que le jugement qui ouvre
la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à
partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur
de ladministration et de la disposition de ses biens,
de sorte que les droits et actions du débiteur concernant
son patrimoine sont exercés pendant toute la durée
de la liquidation judiciaire par le liquidateur, laction
devant le Conseil de la concurrence nest pas une action
patrimoniale (décisions du Conseil de la concurrence
no 99-D-25 et no 00-D-91).
Aussi, le liquidateur de la société Reims
Bio navait-il pas qualité pour reprendre la
procédure introduite valablement par la SARL Reims
Bio le 4 décembre 1998 et qui sest
poursuivie non-obstant louverture de la liquidation
judiciaire.
29. Enfin, il convient
de relever que le délai de la prescription triennale
des pratiques, qui a commencé à courir à
compter de la saisine du Conseil, le 4 décembre 1998,
a été interrompu par un certain nombre dactes
denquête puis dinstruction tendant à
la recherche, à la poursuite et à la sanction
des pratiques poursuivies, dont, notamment, la transmission
du rapport denquête de la DGCCRF au Conseil
de la concurrence par pli enregistré le 20 juin 2000,
ainsi que les procès-verbaux daudition du liquidateur
du GIP Champagne-Ardenne et du président de lEFS,
en date des 6 et 7 mai 2003. Le moyen tiré
de lacquisition de la prescription est, dès
lors, sans fondement.
30. Il résulte
de lensemble de ce qui précède que laction
introduite par la SARL Reims Bio est recevable.
2. Sur la compétence
du Conseil de la concurrence
31. LEFS
soutient que le Conseil de la concurrence nest pas
compétent pour apprécier le refus de livraison
opposé par le GIPCA à Reims Bio à partir
du 10 novembre 1998, au motif que ce refus découlerait
de la décision du président de lAgence
française du sang datée du 23 octobre 1998
de ne pas approuver les conventions conclues avec Reims
Bio, décision qui a été prise dans
le cadre de prérogatives de puissance publique. Il
en conclut que la pratique en cause relève de la
compétence de la juridiction administrative.
32. Il convient, cependant,
de relever que le refus du GIPCA de livrer Reims Bio, à
la suite du courrier de lAFS du 23 octobre 1998,
na donné lieu à la notification daucun
grief, linstruction ayant, en effet, confirmé
labsence de marge de manuvre du GIPCA par rapport
à la décision de lAFS sur ce point.
33. En revanche, des
griefs ont été notifiés à lEFS
du chef de la rupture unilatérale et injustifiée
des relations commerciales du GIPCA avec Reims Bio, particulièrement
en ce qui concerne le refus du GIPCA de conclure une nouvelle
convention de cession de produits sanguins à usage
non thérapeutique avec Reims Bio pour lannée
1999. Or, il nest pas contesté que le GIPCA
a pris seul et de manière autonome la décision
de rompre ses relations commerciales avec Reims Bio. Selon
les termes employés par le liquidateur du GIPCA, « Le GIP était seul compétent
pour décider de réécrire une nouvelle
convention ou de cesser ses approvisionnements. LAFS
ne pouvait imposer au GIP de suivre telle ou telle orientation.
Elle navait quun pouvoir dapprobation
par rapport aux décisions prises par le GIP de manière
totalement indépendante » (cote 155).
Cette décision, prise dans le cadre de lactivité
de vente de produits sanguins à usage non thérapeutique
du GIPCA, entre donc dans le champ de larticle L. 410-1
du code de commerce (ancien article 53 de lordonnance
de 1986), suivant lequel « Les règles
définies au présent livre sappliquent
à toutes les activités de production, de distribution
et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes
publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation
de service public ».
34. Le moyen tiré
de lincompétence du conseil doit, en conséquence,
être rejeté.
3. Sur limputabilité
des pratiques du GIPCA à lEtablissement français
du sang
35. LEtablissement
français du sang (EFS) considère que les pratiques
mises en uvre par létablissement de transfusion
sanguine « GIP Champagne-Ardenne »
ne lui sont pas imputables, au motif que le GIPCA a été
dissous et na plus dexistence juridique. En
effet, la loi no 98-535 du 1er juillet 1998, qui crée lEFS, établissement
public doté de la personnalité morale, dispose
en son article 18 B que : « 1o LEtablissement
français du sang est substitué aux établissements
de transfusion sanguine dans les droits et obligations des
contrats conclus, antérieurement à la présente
loi, en application de larticle L. 668-10 du
code de la santé publique ; 2o Lensemble
des activités exercées par les établissements
de transfusion sanguine est transféré à
lEtablissement français du sang. Des conventions
conclues entre, dune part, lEtablissement français
du sang et, dautre part, chaque personne morale concernée
fixent les conditions dans lesquelles les droits et obligations,
créances et dettes liées à ces activités
sont cédés à lEtablissement français
du sang ou mis à sa disposition (...). »
36. Or, la convention
conclue le 17 décembre 1999 entre lEFS
et le GIPCA précise, en son article 6, que : « LEFS soblige aux dettes qui
naîtraient après la date de létat
des dettes visées à larticle précédent
en raison des activités de lETS Champagne-Ardenne
qui font lobjet de la présente convention,
à lexception des engagements résultant
dune fraude ou dune faute intentionnelle imputable
au GIP Champagne-Ardenne (cote 197).
LEFS en déduit, sur le fondement de lexception
ainsi prévue, quil ne peut être tenu
de répondre des pratiques anticoncurrentielles reprochées
en lespèce au GIPCA.
37. Selon larrêt
du tribunal de première instance des Communautés
européennes du 17 décembre 1991
(ENICHEM Anic SpA / Commission des Communautés européennes),
limputabilité des pratiques anticoncurrentielles,
en cas de transformation de la structure dune entreprise
entre la date de commission des pratiques et la date de
leur sanction, obéit aux règles suivantes : « Lorsque lexistence dune infraction
est établie, il convient de déterminer la
personne physique ou morale responsable de lexploitation
de lentreprise au moment où linfraction
a été commise, afin quelle réponde
de celle-ci. (...) Toutefois, lorsque, entre le moment où
linfraction est commise et le moment où lentreprise
en cause doit en répondre, la personne responsable
de lexploitation de cette entreprise a cessé
dexister juridiquement, il convient de localiser,
dans un premier temps, lensemble des éléments
matériels et humains ayant concouru à la commission
de linfraction pour identifier, dans un second temps,
la personne qui est devenue responsable de lexploitation
de cet ensemble, afin déviter que, en raison
de la disparition de la personne responsable de son exploitation
au moment de linfraction, lentreprise ne puisse
pas répondre de la commission de celle-ci (...). »
38. Appliquant cette
position jurisprudentielle, le Conseil de la concurrence
considère que lorsque la personne morale responsable
de lexploitation de lentreprise a juridiquement
disparu, les pratiques doivent être imputées
à la personne morale à laquelle lentreprise
a juridiquement été transmise cest-à-dire
à la personne morale qui a reçu les droits
et obligations de la personne auteur des pratiques, et si
aucune autre personne na reçu transmission
de ses droits et obligations, à lentreprise
qui assure, en fait, sa continuité économique
et fonctionnelle (décisions no 98-D-67
et no 00-D-22). Cette analyse a été
confirmée par la cour dappel de Paris (arrêt
du 27 novembre 2001).
39. Au cas despèce,
lEtablissement français du sang a, en application
de la loi no 98-535 du 1er juillet
1998 et de la convention quil a conclue, le 17 décembre 1999,
avec le GIPCA, repris lensemble des biens, droits
et obligations, créances et dettes de ce groupement
dintérêt public, ainsi que lensemble
de ses activités et de son personnel, de sorte que
lEFS assure en droit et en fait la continuité
du GIPCA. Larticle 7 de la convention du 17 décembre 1999,
qui écarte la responsabilité de lEFS
pour les dettes résultant dune faute intentionnelle
ou dune fraude du GIPCA, est inapplicable en lespèce,
dès lors que la constatation et la sanction éventuelle
de pratiques anticoncurrentielles nimposent nullement
la démonstration de comportements frauduleux ou dune
faute intentionnelle impliquant la volonté de nuire,
mais seulement de comportements ayant pour objet ou pour
effet de restreindre le jeu de la concurrence sur un marché.
Cest donc à tort que lEFS se fonde sur
larticle 7 de la convention précitée
pour en déduire quil ne peut être tenu
des conséquences des pratiques du GIPCA.
B. - Sur
le fond
1. Sur le marché
pertinent
40. LEFS
conteste lexistence dun marché pertinent
des « produits sanguins bruts à usage
non thérapeutique prélevés sur des
donneurs présentant des garanties virologiques importantes
(risque hépatite et SIDA faible) et un standard biologique
moyen », sur lequel le GIPCA serait en position
dominante. Il est soutenu que, dans la mesure où
le décret no 95-195 du 16 février 1995
relatif aux analyses biologiques et test de dépistage
des maladies transmissibles effectués sur les prélèvements
de sang et de ses composants, applicable à lépoque
des faits, simposait de la même manière
à tous les ETS pour lensemble des marqueurs
viraux cités ainsi quen termes de sélection
des donneurs et de respect des bonnes pratiques de prélèvement,
le GIPCA se serait trouvé dans la même situation
que nimporte quel ETS en France sur le marché
des produits sanguins bruts à usage non thérapeutique,
sans quil soit possible de distinguer au sein de ce
marché, un sous-marché des « produits
sanguins bruts à usage non thérapeutique prélevés
sur des donneurs présentant des garanties virologiques
importantes (risque hépatite et SIDA faible) et un
standard biologique moyen ».
41. Il convient, cependant,
de rappeler quen vertu dune jurisprudence constante,
tant communautaire que nationale, des produits appartenant
à une même famille de produits mais présentant
des caractéristiques et propriétés
thérapeutiques ou virologiques différentes,
peuvent chacun constituer autant de marchés spécifiques,
en ce que ces produits ne sont pas substituables entre eux
du point de vue des utilisateurs ou des prescripteurs (CJCE,
13 février 1979, Hoffmann La Roche, et
Conseil de la concurrence, avis no 01-A-03
du 4 avril 2003, décision no 03-D-35
du 24 juillet 2003).
42. A cet égard,
il ressort de linstruction que chaque fabricant de
réactifs client de Reims Bio ou dIJB, imposait,
dans ses cahiers des charges, le respect de conditions de
prélèvement très particulières
tenant tant à la définition des produits recherchés
au regard des phénotypes des donneurs quà
la nécessité de procéder à des
prélèvements sur des sujets présentant
des garanties virologiques importantes. En outre, un savoir-faire
particulier et des mesures de prévention de risques
virologiques supplémentaires par rapport aux analyses
et tests prévus par la loi étaient nécessaires
pour répondre aux cahiers des charges de Reims Bio
ou de ses clients :
Sagissant de la constitution
de poches de concentrés globulaires (hématies),
le cahier des charges no 1850 de Sanofi-Pasteur
imposait, par exemple, de procéder à des mélanges
dhématies provenant de 2 à 4 donneurs
présentant des phénotypes différents
(ABO phénotype A1Rh, Kell et Lewis/Duffy, Kidd).
Sagissant de la confection
de plasma poches, le cahier des charges imposé par
Reims Bio à lETS de Strasbourg, dans le cadre
de la convention du 19 avril 1999, précisait,
notamment, quels devaient être laspect des poches
de plasmas sélectionnées (« plasma
clair et limpide, rejeter les poches ictériques et
hyperlipidiques, absence dhémolyse, absence
de résidus de fibrine et de résidus cellulaires,
volume de plasmas > 150 ml ») et
les contrôles supplémentaires non obligatoires
à réaliser en fonction des exigences des clients
de Reims Bio pour sassurer des garanties virologiques
des marqueurs (« Toute poche présentant
un résultat positif ou douteux en technique ELISA
doit être rejetée, même si un test complémentaire
(Wester-Blot, RIBA...) valide la négativité
de cette poche pour le marqueur considéré (...). NB : Reims Bio demande quune liste des
marques et types des tests utilisés pour réaliser
ces contrôles lui soit remise en début dannée
avec lexemplaire du cahier des charges signé
par le fournisseur. De plus, le fournisseur sengage
à prévenir Reims Bio par écrit de tout
changement (marque et type) de test intervenant en cours
dannée (...) ».
43. Il ressort de lensemble
de ces éléments que les clients de la société
Reims Bio la contraignaient à sapprovisionner
auprès dETS capables de prélever et
de sélectionner des produits sanguins à usage
non thérapeutique sur des donneurs en nombre suffisant,
présentant des phénotypes différents
et des garanties virologiques importantes, afin déviter
les risques de rebut après la réalisation
des tests virologiques et analyses biologiques obligatoires,
en particulier les tests de dépistage du sida et
de lhépatite, susceptibles de se révéler
positifs. En outre, les ETS devaient être en mesure
daccepter et de mettre en place des process, définis
conjointement avec Reims Bio, pour sélectionner les
donneurs, en vue de la constitution de concentrés
globulaires et de lélaboration de poches plasmas
à façon répondant aux exigences des
clients de Reims Bio contenues dans leurs cahiers des charges.
44. Létablissement
de ces process, la sélection des donneurs à
une date déterminée et la constitution dun
fichier de donneurs (chacun devant répondre aux exigences
des laboratoires) nécessitaient un délai dau
moins 3 à 6 mois pour accomplir les démarches
auprès dETS disposant dun panel de donneurs
adéquat. La complexité de la sélection
des donneurs et de lorganisation de la collecte était
encore accentuée par le fait que les hématies
(concentrés globulaires) ne peuvent se stocker. Les
livraisons des laboratoires danalyse ou des hôpitaux
devaient donc impérativement être assurées
dune façon régulière, car tout
retard était susceptible de mettre en péril
certaines études des laboratoires. Il en résulte
que lapprovisionnement en produits sanguins prélevés
sur des donneurs présentant des garanties virologiques
importantes et un « standard biologique moyen »
auprès dETS non spécialisés présentait
de grandes difficultés et de nombreux risques.
45. Il convient de rappeler, à
cet égard, que, sur le marché des produits
sanguins bruts à usage non thérapeutique,
loffre de produits relevait, en principe, des 29 ETS
agréés pour collecter et commercialiser des
produits sanguins à usage non thérapeutique,
répartis sur toute la France et disposant dun
monopole régional pour la collecte des produits sanguins.
Toutefois, sur ces 29 ETS agréés, seuls
une douzaine avaient effectivement développé
la collecte de produits sanguins à usage non thérapeutique,
à savoir les ETS de Reims, Strasbourg, Lille, Quimper,
Bobigny, Rouen, Pontoise, Rennes, Nantes, Marseille, Toulouse
et Besançon, comme en témoignent les déclarations
suivantes :
Procès-verbal
de déclaration de M. Vinzia, gérant de
la société Diagast, en date du 7 février 2000 :
« Pour
les réactifs hématies tests nous utilisons
des produits sanguins livrés par le centre de Lille (...).
En juillet 1998, Diagast a repris le pôle réactif
de lETS Aquitaine, site de Bordeaux (en RD, ils étaient
complémentaires en ce qui concerne le développement
de nouveaux clones permettant la production de réactifs
groupes sanguins). Parmi les autres CTS qui ont développé
une activité réactifs, Nantes avec Bio-Atlantique,
Rennes (pôle interne), Marseille (pôle interne,
production dhématies pour son usage et des
industriels - Ortho, J et J -), Besançon
(marqueurs membranaires différents des réactifs
de groupage, activité reprise par Biotest (Allemagne)
et Reims (IJB). » (cote 651).
Procès-verbal
de déclaration de Mme Confida, directeur qualité
de la société Sanofi Pasteur (devenue Biorad),
en date du 9 décembre 1999 :
« Nous
avons comme fournisseurs les CTS de Bobigny, Rouen, Pontoise
et Champagne-Ardenne. Ces fournisseurs ne peuvent nous fournir
pris individuellement la totalité de nos besoins
étant donné la rareté (due à
limportance de la zone de prélèvement
associée à la fréquence de certaines
caractéristiques et à larbitrage entre
lutilisation thérapeutique et non thérapeutique. » (cote 550).
46. En outre, si chacun de ces ETS
était soumis à la même réglementation
en matière danalyse biologique et de tests
de dépistage du sida, de lhépatite et
autres, conformément au décret no 95-195
du 16 février 1995, précité,
le GIPCA ETS de Reims) et, dans une moindre mesure, lETS
de Strasbourg se trouvaient dans une situation tout à
fait particulière. En effet, ces 2 ETS disposaient
dun monopole régional pour la collecte du sang
en Champagne-Ardenne et en Alsace-Lorraine, régions
connues pour les risques virologiques (hépatite et
sida notamment) très faibles des donneurs, de sorte
que les risques de rebut des prélèvements
étaient également très faibles. Cet
élément est dautant plus important quil
est apparu, lors de la séance devant le conseil,
quavant lintroduction dun nouveau test
obligatoire en 2002 (le dépistage génomique
viral) il existait un risque de « sérologie
muette », certains produits sanguins pouvant
être infectés par des virus (sida et hépatite
en particulier) alors même que les tests et analyses
biologiques obligatoires se seraient révélés
négatifs. Il en résulte que les laboratoires,
clients de Reims Bio, imposaient à cette société
une obligation de résultat qui impliquait la nécessité
de sapprovisionner en produits sanguins bruts auprès
dETS disposant dun panel de donneurs suffisant
et présentant des garanties virologiques importantes.
Or, au vu des déclarations relevées au cours
de lenquête, les ETS de Reims et de Strasbourg
se distinguaient, à cet égard, des autres
ETS en France :
Procès-verbal
de déclaration de Mme Amoravain, chef de projet
de la société Cis Bio, en date du 19 janvier 2000 :
« IJB
présentait une garantie sur le plan virologique du
fait quil se fournissait auprès du CTS de Reims
et de Strasbourg, région connue à faible risque
virologique. » (cote 639).
Procès-verbal
de déclaration de M. Leroux, gérant de
la SARL Reims Bio, du 29 novembre 1999 :
« Reims et Strasbourg
navaient pas été choisis par hasard
car ces régions ont un risque virologique hépatite
et sida parmi les plus bas de France. » (cote 675).
47. Enfin, le GIPCA et lETS
de Strasbourg disposaient, plus généralement,
dun panel de donneurs de sang à usage non thérapeutique
en quantité importante, alors même que la caractéristique
principale du marché des produits sanguins bruts
tient à la rareté des donneurs de sang à
usage non thérapeutique :
Procès-verbal
de déclaration de Mme Confida, directeur qualité
de Sanofi Pasteur (devenue Biorad), en date du 30 mars 2004 :
« (...)
La difficulté principale à laquelle Reims
Bio, comme notre laboratoire, devait faire face, tenait
à la rareté des donneurs de sang à
usage diagnostic ou encore à usage non thérapeutique,
en France (...) en cas de don du sang, il convient nécessairement
dinformer le donneur que son sang ne sera pas utilisé
à usage thérapeutique mais à usage
diagnostic pour lactivité des laboratoires.
Or, la très grande majorité des donneurs souhaitent
que leur sang soit utilisé à usage thérapeutique
tandis que le nombre de donneurs de sang à usage
non thérapeutique est beaucoup plus faible. Tel est
toujours le cas aujourdhui.
Cependant, il se trouve que la région
Champagne-Ardenne présentait et présente encore
une caractéristique très particulière
par rapport aux autres régions françaises,
tenant à labondance des donneurs de sang à
usage non thérapeutique auprès du centre de
transfusion sanguine. Cette situation peut sexpliquer
de deux façons : dune part, (...) leur
sang ne peut pas être utilisé pour des visées
thérapeutiques mais peut néanmoins être
utilisé pour des visées diagnostic ;
dautre part, par la campagne de recrutement des donneurs
de sang mise en uvre par le centre de transfusion
sanguine de Champagne-Ardenne. »
Déclaration
du président de lAFS lors de la séance
de mesures conservatoires devant le Conseil de la concurrence,
rapportée dans la décision no 99-MC-03
du 16 février 1999 (cote 6) :
« Les
quantités de produits susceptibles dêtre
fournies par les autres établissements de transfusion
sanguine [que le GIPCA] sont limitées en fonction
du nombre des donneurs réservés à ce
type de prélèvements et de la difficulté
de réaffecter à un usage non thérapeutique
des quantités significatives de dons initialement
destinés à la transfusion sans mettre en péril
léquilibre du système transfusionnel. »
48. Ainsi, les ETS de Strasbourg
et de Champagne-Ardenne étaient-ils les seuls à
avoir pu développer une activité régulière
de collecte de produits sanguins à usage non thérapeutique
impliquant une sélection de donneurs complexe et
la mise en place de process leur permettant de fournir des
produits correspondant exactement aux spécifications
des cahiers des charges des clients de Reims Bio et IJB
et de répondre dans un délai acceptable aux
demandes de ces derniers :
Procès-verbal
de déclaration de Mme Confida, directeur qualité
de Sanofi Pasteur (devenue BIORAD), en date du 9 décembre 1999 :
« Il
convient de préciser que, de par la spécificité
de nos besoins (présence dantigènes
et danticorps rares et demande à un moment
donné), et de la difficulté pour les CTS de
trouver le bon donneur au bon moment, les fournisseurs ne
sont pas substituables aisément. »
« Je vous précise
que nous avions eu beaucoup de difficultés à
trouver un approvisionnement alternatif en produits sanguins
à usage non thérapeutique auprès des
autres centres de transfusion sanguine en France. Je me
rappelle que seul le centre de transfusion sanguine de Rouen
avait répondu en partie à nos besoins (...) » (cote 550).
Procès-verbal
de déclaration de M. Menu, président
de la société IJB, en date du 18 janvier 2000 :
« Entre
temps [arrêt des livraisons du GIPCA], (...)
jai réussi à mapprovisionner auprès
dune société, Bio Atlantique à
Nantes, qui sapprovisionne auprès du CTS de
Nantes (...). Les prix de Bio Atlantique étaient
nettement supérieurs à ceux du CTS [le
GIPCA]. Les hématies que nous achetons sont utilisées
pour fabriquer des hématies pour lépreuve
sérique de Simonin (recherche des anticorps naturels,
contre-épreuve de groupage sanguin) sur des critères
de sélection simple. Bio Atlantique na donc
pas eu de problèmes pour nous fournir ces produits.
Par contre, les hématies qui étaient livrés
à Sanofi Pasteur étaient utilisées
pour fabriquer des panels de dépistage et didentification
danticorps irréguliers avec des critères
de sélection beaucoup plus complexes (nécessité
davoir une population de donneurs phénotypés
plus grande) (...). Nous aurions eu des problèmes
graves dapprovisionnement en sérums tests polyclonaux
à horizon juin 1999 si le CTS [le GIPCA] navait
pas repris ses livraisons. » (cote 778).
Procès-verbal
de déclaration de M. Cazenave, directeur de
lETS de Strasbourg, en date du 8 décembre 1999 :
« En
ce qui concerne les plasmas livrés à Reims
Bio, il y avait des caractéristiques liées
à la qualité de lanticoagulant (précisé
par le client) et à la nécessité de
sélectionner les plasmas sans marqueurs viraux (hépatite,
VIH...), ainsi que la traçabilité des donneurs.
Afin de mettre au point les process, jai eu plusieurs
réunions avec M. Leroux et mes collaborateurs
(peut être 8 jours de travail). Je nai
jamais été sollicité pour livrer à
dautres que Reims Bio les produits que je lui fabriquais
à façon. » (cote 764).
49. Il résulte de lensemble
de ces témoignages que les produits sanguins à
usage non thérapeutique collectés par le GIPCA
et lETS de Strasbourg sur les donneurs des régions
Champagne-Ardenne et Alsace-Lorraine et vendus à
Reims Bio et IJB répondaient parfaitement aux exigences
sérologiques et virologiques fixées par les
cahiers des charges des clients de ces deux dernières
sociétés et nétaient pas substituables,
en raison même de ces caractéristiques, aux
produits sanguins bruts à usage non thérapeutique
collectés et commercialisés généralement
par les autres ETS en France. En conséquence, il
existe un marché des produits sanguins bruts à
usage non thérapeutique prélevés sur
des donneurs présentant des garanties virologiques
importantes (risque hépatite et sida faible) et un
standard biologique moyen.
2. Sur la position dominante du GIPCA
50. La convention
de cession de produits sanguins à usage non thérapeutique
conclue par Reims Bio avec le GIPCA, le 2 octobre 1998,
précisait en annexe les quantités de
produits sanguins à livrer par le GIPCA pour la période
comprise entre le 7 mai 1998 et le mois de décembre 1998,
à savoir 1 177 litres de sérum,
989 litres de plasmas et 1 192 poches dhématies
(cote 709). De même, la convention de cession
de produits sanguins conclue par le GIPCA avec IJB, le 2 octobre 1998,
précisait également que le GIPCA sengageait
à livrer à IJB 324 poches dhématies
et 3 litres de sérum (cote 814). Ainsi,
les quantités de produits sanguins à usage
non thérapeutique vendues par le GIPCA à Reims
Bio et IJB, sur lexercice 1998, sélevaient
au total à 1 180 litres de sérums,
989 litres de plasma et 1 516 poches dhématies.
51. Sagissant des quantités
de produits sanguins livrés par lETS de Strasbourg
à Reims Bio, le directeur de lETS de Strasbourg
a précisé, lors de son audition, que : « Les quantités contractuelles étaient
modestes (environ 50 l/mois de plasma déclassé).
Mais je ne pouvais pas lui livrer davantage de plasmas déclassés,
ces quantités représentant la totalité
de mes produits déclassés. Je naurais
donc pas pu me substituer aux livraisons de lETS Champagne-Ardenne
à Reims Bio. » (cote 761). Par
conséquent, si lETS de Strasbourg bénéficiait
dun panel de donneurs présentant les mêmes
caractéristiques virologiques et sérologiques
que ceux de la région Champagne-Ardenne, il ne pouvait
néanmoins fournir que de très faibles quantités
de produits sanguins bruts prélevés sur ces
donneurs par rapport au GIPCA. En pratique, Reims Bio sapprovisionnait
à 90 % auprès du GIPCA, le recours à
lETS de Strasbourg nétant envisagé
que comme un complément dont la mise en uvre
était conditionnée par la livraison préalable
de plasma par le GIPCA : en effet, la convention entre
Reims Bio et lETS de Strasbourg précisait : « Livraisons possibles dès quun
volume denviron 20 litres aura été
réuni par lETS Champagne-Ardenne (site de Reims). »
52. Il en résulte que le
GIPCA était en position de quasi-monopole et à
tout le moins en position dominante sur le marché
des produits sanguins bruts à usage non thérapeutique
prélevés sur des donneurs présentant
des garanties virologiques importantes et un standard biologique
moyen.
3. Sur létat de dépendance
économique de Reims Bio vis-à-vis du GIPCA
53. Larticle
L. 420-2, alinéa 2, du code de commerce
prohibe « (...) dès lors quelle
est susceptible daffecter le fonctionnement ou la
structure de la concurrence, lexploitation abusive
par une entreprise ou un groupe dentreprise de létat
de dépendance économique dans lequel se trouve
à son égard une entreprise cliente ou fournisseur
(...) ».
54. Une jurisprudence constante,
développée notamment dans deux décisions
du Conseil de la concurrence no 01-D-49
du 31 août 2001 et no 02-D-77
du 27 décembre 2002, précise que « la dépendance économique,
au sens de larticle L. 420-2, alinéa 2,
du code de commerce, résulte de la notoriété
de la marque du fournisseur, de limportance de la
part de marché du fournisseur, de limportance
de la part de fournisseur dans le chiffre daffaires
du revendeur, à condition toutefois que cette part
ne résulte pas dun choix délibéré
de politique commerciale de lentreprise cliente, enfin,
de la difficulté pour le distributeur dobtenir
dautres fournisseurs des produits équivalents.
Cette jurisprudence précise que ces conditions doivent
être simultanément réunies pour entraîner
cette qualification ».
55. Sur labsence de solution
alternative pour le distributeur, la Cour de cassation a
précisé, dans un arrêt du 3 mars 2004
(société Concurrence), que : « (...)
Létat de dépendance économique,
pour un distributeur, se définit comme la situation
dune entreprise qui ne dispose pas de la possibilité
de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs
autres fournisseurs répondant à sa demande
dapprovisionnement dans des conditions techniques
et économiques comparables ; quil sen
déduit que la seule circonstance quun distributeur
réalise une part très importante voire exclusive
de son approvisionnement auprès dun seul fournisseur
ne suffit pas à caractériser son état
de dépendance économique au sens de larticle
L. 420-2 du code de commerce. »
56. En lespèce, il
convient de rappeler que le GIPCA se trouvait en situation
de quasi-monopole, et à tout le moins en position
dominante, sur le marché des produits sanguins bruts
à usage non thérapeutique prélevés
sur des donneurs présentant des garanties virologiques
importantes et un standard biologique moyen, ces caractéristiques
répondant aux exigences imposées par les laboratoires
pharmaceutiques dans leurs cahiers des charges. De plus,
il nest pas contesté que les livraisons de
produits sanguins par le GIPCA représentaient environ
90 % des approvisionnements de Reims Bio, les 10 %
restants étant assurés par lETS de Strasbourg.
57. En outre, il a été
démontré que lapprovisionnement auprès
dautres ETS en France non spécialisés
dans la collecte de produits sanguins bruts prélevés
sur des donneurs présentant des garanties virologiques
importantes et un « standard biologique moyen »
était particulièrement difficile, compte tenu,
notamment, de la nécessité de trouver le bon
donneur au bon moment. Enfin et en tout état de cause,
une réorganisation de la filière dapprovisionnement
de Reims Bio auprès dun autre ETS nétait
pas compatible avec le délai de survie de Reims Bio
à compter de la cessation des livraisons du GIPCA,
eu égard aux contraintes pratiques et réglementaires
inhérentes à la conclusion dune nouvelle
convention de cession de produits sanguins bruts à
usage non thérapeutique prélevés sur
des donneurs présentant des garanties virologiques
importantes et un « standard biologique moyen ».
58. De même, il est apparu
que le recours aux importations en produits sanguins bruts
était encore plus difficile à mettre en uvre
dans ce délai puisque, outre les contraintes précitées,
le recours aux importations était soumis à
la nécessité dobtenir une autorisation
ministérielle, et présentait davantage de
risques virologiques (problèmes de sélection
des donneurs et de traçabilité des produits)
et de risques économiques, dans la mesure où
tout retard de livraisons ou incident durant le parcours
pouvait être fatal à la réalisation
dune étude scientifique en cours.
59. Il en résulte que Reims
Bio ne disposait pas de la possibilité de substituer
au GIPCA un ou plusieurs autres fournisseurs répondant
à sa demande dapprovisionnement dans des conditions
techniques et économiques comparables.
60. Le commissaire du Gouvernement
conteste que les conditions de la dépendance économique
soient réunies dans le chef de la société
Reims Bio, dès lors que celle-ci se serait délibérément
placée dans une situation de dépendance vis
à vis du GIPCA, selon une stratégie commerciale
librement choisie par elle.
61. Cependant, compte tenu du fait
que la SARL Reims Bio avait été créée
le 7 mai 1998, il ne saurait lui être reproché
de navoir pas diversifié ses sources dapprovisionnement
auprès dautres ETS que ceux de Reims et de
Strasbourg dans lintervalle entre son démarrage
et larrêt des livraisons du GIPCA en novembre 1998.
La société devait, en effet, satisfaire aux
exigences très strictes de ses clients industriels
dans des délais très brefs et na pas
disposé du temps nécessaire pour se constituer,
en quelques mois dexistence, un réseau de fournisseurs
concurrents ou rechercher des solutions alternatives, au
demeurant fort peu nombreuses. En outre, le contexte très
particulier dans lequel sinscrit la présente
affaire doit être pris en compte : M. Leroux,
gérant de Reims Bio, ne pouvait pas sattendre
à une rupture brutale et unilatérale de ses
relations commerciales avec le GIPCA dans la mesure où
il avait développé des relations anciennes,
stables et continues avec cet ETS. Historiquement, lactivité
de diagnostic exercée par Reims Bio était
réalisée par M. Leroux, en tant que salarié
du CRTS de Reims depuis 1975, puis avait été
filialisée au sein de la société IJB,
dans laquelle M. Leroux était également
salarié, avant dêtre revendue à
la SARL Reims Bio. Enfin, la difficulté, dans ce
secteur dactivité, de changer de partenaire
économique est attestée par la durée
du préavis en cas de résiliation, couramment
fixée dans les conventions de cession de produits
sanguins entre 4 et 6 mois.
62. Il résulte ainsi de lensemble
de ce qui précède que la SARL Reims Bio se
trouvait en situation de dépendance économique
vis-à-vis du GIPCA.
4. Sur les pratiques
a) Sur labus de position dominante du GIPCA
63. Le fait, pour
une entreprise en position dominante sur un marché
de matières premières, de refuser, pour des
raisons non objectives ou discriminatoires, de vendre ses
produits à un opérateur situé sur un
marché aval, ayant pour objet ou pour effet de fausser
le jeu de la concurrence, constitue un abus de position
dominante au sens de larticle L. 420-2 du code
de commerce (ancien article 8 de lordonnance
du 1er décembre 1986)
et de larticle 82 du traité de Rome.
64. En vertu dune jurisprudence
constante, la Cour de justice des Communautés européennes
(CJCE) considère « que le détenteur
dune position dominante sur le marché des matières
premières qui, dans le but de les réserver
à sa propre production de dérivés,
en refuse la fourniture à un client, lui-même
producteur des dérivés, au risque déliminer
toute concurrence de la part de ce client, exploite sa position
dominante de façon abusive au sens de larticle 86 [nouvel article 82 CE] » (CJCE, 6 mars 1974,
C-6 et 7/73). De même, le Conseil de la concurrence
et la cour dappel de Paris estiment « quest
particulièrement grave le fait, pour une entreprise
en position dominante sur un marché de matières
premières, de tenter de faire obstacle à limplantation
sur un marché aval de son seul concurrent, alors
même que celui-ci avait mis au point une innovation
importante » (décision du Conseil de la
concurrence no 92-D-26 et arrêt de
la cour dappel de Paris du 14 janvier 1993).
65. Dans la présente espèce,
bien que le président de lAFS ait déclaré,
lors de la séance du Conseil de la concurrence relative
à la demande de mesures conservatoires de la SARL
Reims Bio, que « sil était saisi
dun nouveau projet de convention entre le Groupement
dintérêt public Champagne-Ardenne et
la SARL Reims Bio, présentant des garanties techniques
et éthiques énumérées précédemment,
il ne formulerait aucune objection à son approbation » (cote 11), le GIPCA a néanmoins persisté,
par la suite, dans lattitude négative précédemment
adoptée vis-à-vis de Reims Bio, en refusant
de rédiger lui-même, alors quil en avait
la responsabilité, une nouvelle convention de cession
de produits sanguins à usage non thérapeutique
conforme aux exigences de lAFS. Il na formulé
aucune observation sur le projet de Reims Bio du 5 mars 1999,
avant la présentation de ce projet au conseil dadministration
du GIPCA le 10 mars 1999, il na pas matériellement
diffusé le document en cause auprès des membres
du conseil dadministration et a soulevé diverses « non-conformités » sur ce projet, pour la plupart infondées. Enfin,
la seule non-conformité avérée, à
savoir labsence de référence à
une clause type dautosuffisance, aurait pu, sans difficulté
et en temps voulu, être corrigée à linitiative
du GIPCA, entre la date de réception du projet de
Reims Bio et celle du conseil dadministration.
66. Le GIPCA ne pouvait pas ignorer
les difficultés auxquelles allait être confrontée
Reims Bio, à la suite de larrêt brutal
des livraisons en novembre 1998. En effet, les stocks
de produits sanguins à usage non thérapeutique
sont par nature très réduits (les poches de
concentrés globulaires devant être réalisées
dans les huit jours suivant la collecte et utilisées
dans les 4 semaines). En outre, sil nexistait
pas dobstacle juridique à ce que Reims Bio
sapprovisionne en produits sanguins à usage
non thérapeutique auprès dautres ETS,
en pratique, aucun autre ETS en France nétait
en mesure de fournir en temps utile à Reims Bio des
produits sanguins conformes aux exigences des cahiers des
charges de ses clients, en quantité importante. Enfin,
il a été rappelé au point 43 que
la réorganisation dune filière dapprovisionnement
auprès dautres ETS nécessite un délai
de plusieurs mois pour sélectionner les donneurs,
constituer les fichiers, établir les process de collecte
et de manipulation des produits et conclure une convention
dans les formes prévues par le décret no 94-365
du 10 mai 1994 précité.
67. Les pratiques dilatoires mises
en uvre par le GIPCA, puis la cessation des approvisionnements
de la société Reims Bio, au début du
mois de novembre 1998, ont conduit cette dernière
à déposer son bilan, puis à la liquidation
judiciaire.
68. Cette situation na pas
été sans conséquence pour les laboratoires
pharmaceutiques clients de Reims Bio. Ainsi, Sanofi Pasteur
a été livrée directement par le GIPCA
dès le 10 novembre 1998, mais en produits
sanguins bruts, ce qui la contrainte à procéder
elle-même aux opérations de transformation,
auparavant réalisées par Reims Bio, alors
quelle reconnaît « avoir moins
de savoir-faire que Reims Bio ce qui a pour conséquence
plus de travail et un risque de rebut (baisse de la productivité,
donc coût de revient supérieur à notre
prix dachat Reims Bio) ». En outre,
les représentants de Sanofi soulignent la perte de
confidentialité entraînée par la disparition
de Reims Bio et le risque lié à un approvisionnement
auprès du GIPCA, du fait que le directeur du groupement,
M. Huart, était lancien président
de Diagast, lun des principaux concurrents de Sanofi
Pasteur dans le secteur de limmuno-hématologie ;
ainsi quils lont déclaré au cours
de lenquête, « la connaissance
de nos cahiers des charges et de nos spécifications
(ainsi que leur évolution) constituent une source
dinformation sur notre savoir-faire et sur le volume
de notre activité en ce qui concerne notre fabrication
de réactifs » (cote 553).
69. Il ressort, en outre, des déclarations
rapportées ci-dessous dautres laboratoires
pharmaceutiques, également clients de la société
de Reims Bio, que celle-ci était la seule entreprise
en France capable de leur livrer des produits sanguins transformés
correspondant parfaitement à leurs besoins, de sorte
quà sa disparition ces laboratoires nont
pu trouver de solution dapprovisionnement en produits
sanguins transformés dans des conditions équivalentes.
Courrier de Bristol
Myers Squibb, en date du 8 février 2000,
adressé à la DGCCRF (cotes 770 à
773) :
« A
la disparition de Reims Bio, le premier recours a été
de rentrer en contact avec un gros CTS de Loire-Atlantique
qui na pas pu répondre aux exigences de notre
cahier des charges. Nayant donc pas de solution de
recours française, et dans lurgence, nous navons
donc pas pu effectuer de recherches dans la Communauté
européenne et avons été obligés
de nous tourner vers nos collègues américains
(nous appartenons heureusement à la multinationale
Bristol-Myers Squibb) pour importer par leurs soins les
réactifs nécessaires.
Les conséquences
de ce changement dapprovisionnement ont été :
- sur le
plan qualitatif :
- impossibilité
dobtenir un réactif conforme à notre
cahier des charges, mais au moins de qualité bien
supérieure à celle dun CTS (...).
Il faut, cependant, préciser quune qualité
satisfaisante aurait pu être obtenue auprès
des US, mais aurait nécessité la mise en place
dune filière dapprovisionnement. Nos
collègues américains nutilisent pas
en effet les mêmes qualités de réactif
que nous car notre activité est unique au sein de
notre institut de recherche. En utilisant les réactifs
US, même si tout sest bien passé, nous
avons pris des risques quant à lutilisation
de nos méthodes danalyse (...) et la qualité
des résultats analytiques (...). Les risques
pris auraient été bien supérieurs avec
des produits CTS, encore moins contrôlés,
risques importants pour nous étant donné notre
gamme de médicaments dautomédication
ou réellement prescrits à un large public ;
- une
dépendance intolérable vis-à-vis de
nos collègues US et une perte de crédibilité
française certaine.
(...) La disparition de prestataire
comme J. Boy/Reims Bio nous conduirait à ne
pas pouvoir trouver en France ce que nous désirons
et à importer à prix dor les réactifs
qui nous sont nécessaires (y compris produits introuvables
auprès des CTS). Il faut bien comprendre que les
prix des réactifs que nous achetons sont très
significativement supérieurs à ceux des produits
que lon pourrait acquérir auprès dun
CTS. Il est donc clair que, si nous payons cette importante
différence, cest pour obtenir très exactement
un niveau de qualité satisfaisant toutes nos exigences,
un niveau de service élevé et un partenariat
scientifique pouvant réagir à toute demande
particulière. »
Procès-verbal
de déclaration de Mme Amoravain, chef de projet
à la société Cis Bio, en date du 19 janvier 2000 :
« Nous avons eu recours
à nos autres fournisseurs, en loccurrence étrangers.
Nous regrettons cependant de ne plus avoir de fournisseur
français, la proximité facilitant les contacts.
Dautre part, un fournisseur supplémentaire
nous permet davoir un choix plus large déchantillons
pour test et davoir aussi accès à des
produits optimisés pour nos besoins. Sil y
avait un autre fournisseur français potentiel pour
les produits qui nous intéressent (autre quIJB
puis Reims Bio), nous estimons quil nous aurait contactés
depuis longtemps. » (cote 640).
Procès-verbal de déclaration
en date du 31 mars 2004 de M. Fauque, chef
de projet à la société Cis Bio, successeur
du témoin précédent dans les mêmes
fonctions :
« Je pense quà
lépoque il nexistait pas en France de
concurrent de la société Reims Bio à
même de nous livrer des produits sanguins à
usage non thérapeutique correspondant à nos
besoins. »
70. Il résulte de lensemble
de ce qui précède que le fait pour le GIPCA,
en position dominante sur le marché des produits
sanguins bruts à usage non thérapeutique prélevés
sur des donneurs présentant des garanties virologiques
importantes (risque hépatite et sida faible) et un
standard biologique particulier, davoir usé
de procédés dilatoires pour retarder la conclusion
dune nouvelle convention à usage non thérapeutique
conforme aux exigences réglementaires, puis de rompre
définitivement ses relations commerciales avec Reims
Bio de manière unilatérale et sans préavis,
est constitutif dun abus de position dominante. Cette
pratique, qui a eu pour objet et pour effet de fausser le
jeu de la concurrence, est prohibée par larticle
L. 420-2 du code de commerce.
b) Sur lexploitation abusive de létat
de dépendance économique de Reims Bio vis-à-vis
du GIPCA
71. Est constitutif
dun abus de dépendance économique vis-à-vis
dun distributeur le fait, pour un fournisseur, de
rompre des relations commerciales établies avec ce
distributeur en situation de dépendance économique,
pour des raisons non objectives et discriminatoires.
72. En lespèce, il
ressort de ce qui a été précédemment
exposé que le GIPCA a cessé ses livraisons
auprès de Reims Bio brusquement et sans délai,
en dépit des difficultés inhérentes
à la reconstitution, dans un temps raisonnable, dun
approvisionnement en produits sanguins à usage non
thérapeutique auprès dun autre fournisseur,
et malgré les relations stables que le gérant
de Reims Bio entretenait avec le GIPCA depuis de longues
années.
73. M. Sacré, ordonnateur
délégué du GIPCA, entendu le 6 mai 2003,
a justifié ainsi larrêt des livraisons : « Le GIPCA avait deux solutions : soit
re-proposer une nouvelle convention de cession de produits
sanguins soit décider darrêter les livraisons.
Avec Reims Bio, le GIP a décidé de rompre
les relations pour 3 raisons. La première, cest
que Reims Bio achetait simplement les produits sanguins
en létat et les revendait pour se faire du
profit. La deuxième, cest que le GIP nétait
pas client de Reims Bio. En outre, Reims Bio na pas
payé le GIP. Je pourrai vous envoyer un rappel et
une déclaration de créance. Toutefois, le
tribunal de commerce de Reims a rejeté la déclaration
de créance. En revanche, le GIP a décidé
de conclure une nouvelle convention avec IJB en suivant
les indications qui avaient été données
par lAFS. Le projet de 1999, proposé par Reims
Bio, na pas abouti pour les mêmes raisons. En
sus, Reims Bio était en situation de cessation de
paiement et multipliait les procédures judiciaires. » (cote 638).
74. Or, il ressort des déclarations
des clients de Reims Bio que, contrairement au premier point
des allégations du GIPCA, Reims Bio avait développé
un véritable savoir-faire en matière de transformation
des produits sanguins bruts à usage non thérapeutique,
avec lequel aucun ETS ou autre entreprise intermédiaire
en France nétait capable de rivaliser :
Procès-verbal
de déclaration de Mme Amoravain, chef de projet
à la société Cis Bio, en date du 19 janvier 2000 :
« Nous
pensons quil y avait un réel savoir-faire de
nos fournisseurs (nous sommes dailleurs allés
les auditer pour la plupart - IJB et Westernstates
et Intergen) dans la sélection et la transformation
des produits sanguins. Nous nous rendions compte de ce savoir-faire
au travers de la qualité des produits tests (stabilité,
tenue et comportement dans les kits) et de lassistance
technique (dans certains cas les produits ne donnaient pas
les résultats escomptés et nous essayons avec
nos fournisseurs de modifier nos cahiers des charges pour
les commandes suivantes). Avec IJB, nous avons particulièrement
affiné les processus de défibrination. Parfois,
nous demandions à ces fournisseurs des produits spécifiques
pointus (...). Au sein dIJB, notre interlocuteur
principal était M. Leroux et parfois M. Kukla,
qui soccupait particulièrement de toute la
partie contrôle qualité, traçabilité.
Nous avons toujours été satisfait des prestations
dIJB puis de Reims Bio, M. Leroux faisant toujours
preuve de sérieux et dhonnêteté
(sil ne pouvait pas répondre à notre
attente, il nous le disait). De plus, les prix étaient
compétitifs par rapport aux américains. Nous
tenons à préciser, pour avoir visité
les installations dIJB et Biomédia qui travaillaient
pour Reims Bio, quil y avait un outil industriel et
un réel savoir-faire dans le respect des bonnes pratiques
de fabrication (...). » (cote 638).
Procès-verbal
de déclaration de Mme Confida, directeur qualité
de la société Sanofi Pasteur (devenue Biorad),
en date du 9 décembre 1999 :
« En
ce qui concerne les hématies tests collectées
selon nos cahiers des charges Sanofi-Pasteur, il ny
a pas de transformation physique mais intervention de Reims
Bio en ce qui concerne les services, la livraison, le stockage...
Il y avait de toute façon prestation de Reims Bio.
En ce qui concerne les sérums, Reims Bio intervenait
entre autres dans le process dépuration du
sérum et nous livrait en unités conditionnées.
Par contre, le GIP nous livre des sérums en poche
non épurés et non mélangés.
Sur lépuration, nous avons moins de savoir-faire
que Reims Bio, ce qui a pour conséquence plus de
travail et un risque de rebut (baisse de la productivité,
donc coût de revient supérieur à notre
prix dachat Reims Bio). » (cote 553).
Courrier de Bristol
Myers Squibb, en date du 8 février 2000 :
« Un
approvisionnement auprès dun CTS [en produits
sanguins transformés] ne pourrait convenir à
nos activités (...). En conclusion, après
13 années dactivités, les tentatives
multiples dapprovisionnement auprès des CTS
de diverses régions nont jamais permis dobtenir
la qualité souhaitée pour les réactifs
utilisés dans mon domaine dactivité (...).
Les réactifs préparés à partir
des produits sanguins que nous utilisons correspondent exclusivement
à du réactif plasmatique humain, pour une
quantité denviron 6 à 8 litres.
Pour vous éclairer, le réactif plasmatique
utilisé est recueilli selon un cahier des charges
confidentiel signé entre J. Boy/Reims Bio et
notre site de recherche, transformé selon le savoir-faire
de J. Boy/Reims Bio afin déliminer les
éléments indésirables dans nos méthodes
danalyse chromatographiques, puis conditionné
et livré selon nos exigences (...). En ce qui
concerne les transformations effectuées par J. Boy/Reims
Bio (...) je peux vous préciser que celles-ci
nous permettent, en particulier, dassurer lhomogénéité
de certaines préparations (...), la longévité
de certaines parties de nos équipements scientifiques
(par exemple, clones analytiques HPLC (...) et GC (...)
et une optimisation de loccupation de nos équipements
(...) En ce qui concerne le conditionnement et la livraison
des réactifs, J. Boy et Reims Bio assuraient
un service correspondant à nos exigences, en particulier
en matière détiquetage et de délais
de livraison (...). » (cotes 770
à 773).
75. Par ailleurs, aucun élément
ne vient appuyer lallégation du GIPCA relative
à la créance dont ce groupement aurait été
titulaire sur Reims Bio et dont la déclaration au
passif de la liquidation judiciaire de cette dernière
société a, du reste, et selon les propres
indications de lordonnateur délégué
du GIPCA, donné lieu à une décision
de rejet par le juge-commissaire.
76. Enfin, la déconfiture
de la société Reims Bio, également
invoquée dans largumentaire du GIPCA, résulte
du refus de celui-ci de conclure une nouvelle convention
de cession de produits sanguins bruts à usage non
thérapeutique conforme aux exigences réglementaires,
avec Reims Bio. Cette dernière na, par ailleurs,
fait aucun usage abusif de ses droits en saisissant le Conseil
de la concurrence. Il nest pas non plus établi
par les éléments du dossier quelle aurait
fait un usage fautif de son droit dester en justice
en introduisant une demande devant le juge des référés.
77. Il apparaît, en conséquence,
que le GIPCA a traité Reims Bio de façon discriminatoire
par rapport à IJB en décidant, pour des raisons
injustifiées, de rompre toute relation commerciale
avec cette société. Le GIPCA a ainsi abusé
de létat de dépendance économique
de Reims Bio sur le marché des produits sanguins
bruts présentant des garanties virologiques importantes
et un standard biologique moyen. Cette pratique, qui a eu
pour objet et pour effet dentraîner la disparition
de Reims Bio et de déstabiliser le marché
aval des produits sanguins transformés, est prohibée
par larticle L. 420-2 du code de commerce.
5. Sur les suites à donner
78. Aux termes de
larticle L. 464-5 du code de commerce, « le
conseil, lorsquil statue selon la procédure
simplifiée prévue à larticle
L. 463-3, peut prononcer les mesures prévues
au I de larticle L. 464-2 (...) ». Toutefois, en vertu des dispositions de larticle 22,
alinéa 2, de lordonnance du 1er décembre 1986,
applicables à lépoque de la commission
des faits, la sanction pécuniaire, qui peut être
infligée à lauteur des pratiques prohibées
dans le cadre de la procédure simplifiée,
ne peut excéder 500 000 F, soit 76 224,51 euros.
79. La gravité des pratiques
doit être appréciée en tenant compte
du fait quelles ont été mises en uvre
par une entreprise en situation de quasi-monopole sur le
marché amont des produits sanguins bruts à
usage non thérapeutique présentant des garanties
virologiques importantes et un standard biologique moyen,
le GIPCA, à lencontre de la seule entreprise
française présente sur le marché aval
des produits sanguins transformés à lépoque
des faits, la SARL Reims Bio.
80. Il ressort, en effet, des déclarations
des responsables des laboratoires pharmaceutiques figurant
au dossier que IJB puis Reims Bio successivement étaient
les seules entreprises capables, en France, de leur livrer
des produits sanguins transformés correspondant en
tous points à leurs besoins. En outre, les clients
de Reims Bio ont déclaré avoir eu dimportantes
difficultés pour sapprovisionner en produits
sanguins transformés par le biais dimportations
en provenance des Etats-Unis ou de Suisse, les produits
importés étant de qualité inférieure
et impliquant des coûts supplémentaires en
termes de délais, transport et risques de rebut notamment.
Ces pratiques sont dautant plus graves quelles
ont été mises en uvre par le GIPCA à
partir de novembre 1998, à lencontre dune
société créée quelques mois
seulement auparavant, et quelles ont eu directement
pour effet dentraîner la cessation de paiement
de Reims Bio puis sa mise en liquidation judiciaire, lannée
suivante.
81. Sagissant de lappréciation
du dommage à léconomie, il convient
de noter que la société Reims Bio, en dépit
de son arrivée récente sur le marché
aval des produits sanguins transformés, avait réalisé,
au 31 décembre 1998, soit après
8 mois dactivité, un chiffre daffaires
de 1 700 000 F et un bénéfice
de 225 160 F, ce qui peut laisser présumer
quelle aurait été en mesure dexercer
une activité pérenne si son fournisseur navait
pas mis fin, de manière brutale et injustifiée,
à leurs relations commerciales. En outre, la disparition
de Reims Bio a eu pour effet de déstabiliser lensemble
de la filière dapprovisionnement des laboratoires
pharmaceutiques en produits sanguins transformés,
les obligeant à sapprovisionner par voie dimportations
en produits sanguins transformés de moins bonne qualité
ou à procéder par eux-mêmes aux opérations
de transformation sur les produits sanguins bruts, malgré
des risques de rebut importants et une augmentation des
coûts de productivité, ainsi quil résulte
des déclarations de Mme Confida, directeur qualité
de Sanofi Pasteur (devenue Biorad) en date du 9 décembre 1999,
rapportées au paragrahe 73, et du courrier de
Bristol Myers Squibb en date du 8 février 2000,
selon lequel :
« Sur le plan des
coûts, nous navons pas eu de conséquences
préjudiciables, les réactifs US nous ayant
été fournis gracieusement par nos collègues
[américains]. La mise en place dune filière
dapprovisionnement US satisfaisante aurait très
certainement conduit à un prix du millilitre de réactif
exorbitant par rapport à J. Boy/Reims Bio, auquel
il faut ajouter un coût de livraison compris pour
chaque envoi aérien entre 5 000 et 10 000 F,
selon le nombre de colis envoyés (environ 4 envois
par an). A noter que, si nous avions dû accuser des
jours de retards dans nos analyses, chaque journée
se facture entre 4 000 et 8 000 F selon les
techniques analytiques employées, tarifs pratiqués
par toutes les sociétés prestataires de service
du domaine dactivité. A noter que la perte
dune étude clinique de phase I pour laquelle
les déterminations analytiques auraient été
impossibles ou invalidées se monte en moyenne à
300-500 KF (...). »
82. LEFS a réalisé
au cours de lannée 2003, dernier exercice
clos, un chiffre daffaires hors taxes en France de
628 452 889 euros. En fonction des éléments
généraux et individuels tels quils sont
appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger
une sanction pécuniaire de 76 224 euros.
Décision :
Art. 1er. - Il
est établi que lEFS a enfreint les dispositions
de larticle L. 420-2 du code de commerce.
Art. 2. - Il
est infligé à lEFS une sanction pécuniaire
de 76 224 euros.
Délibéré,
sur le rapport oral de Mme Zoude-le-Berre, par Mme Pasturel,
vice-présidente, présidant la séance,
M. Nasse, vice-président, et M. Bidaud,
membre.
La secrétaire de séance, Nadine Bellegarde |
La vice-présidente, présidant
la séance, Micheline Pasturel |