NOR : ECOC0300442X
Demanderesses
au recours :
SAS Signaux Laporte, prise en la personne
de son président du conseil dadministration,
ayant son siège, 132, avenue Franklin-Roosevelt,
69120 Vaulx-en-Velin ;
SAS Ets Crapie, prise en la personne
de son président du conseil dadministration,
ayant son siège, 2, rue Yves-Toudic, 69200 Vénissieux,
représentées par la SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet,
avoués à la cour dappel de Paris, assistées
de Me J.-P. Viennois, avocat au bareau de
Lyon, 91, cours Lafayette, 69006 Lyon.
En présence du ministre de
léconomie, des finances et du budget, représenté
aux débats par M. Roseau, muni dun mandat
régulier.
Composition de la cour : laffaire
a été débattue le 23 septembre 2003,
en audience publique, devant la cour composée de :
M. Albertini, président ;
M. Carre-Pierrat, président ;
M. Savatier, conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats :
Mme Jagodzinski, greffier.
Ministère public : représenté
lors des débats par M. Woirhaye, substitut général,
qui a fait connaître son avis.
Arrêt : contradictoire,
prononcé publiquement par M. Albertini, président,
signé par M. Albertini, président, et par
Mme Padel, greffier présent lors du prononcé.
Après avoir, à laudience
publique du 23 septembre 2003, entendu le conseil
des requérantes, les observations de M. le représentant
du ministre chargé de léconomie et celles
du ministère public, le conseil des requérantes
ayant eu la parole en dernier.
Les sociétés Signaux
Laporte et Etablissements Crapie ont formé un recours
en annulation contre la décision no 03-D-07
du 4 février 2003 relative à des pratiques
relevées lors de la passation de marchés dachat
de panneaux de signalisation routière verticale par
des collectivités locales, par laquelle le Conseil
de la concurrence, statuant dans les conditions prévues
à larticle L. 463-3 du code de commerce,
a décidé quil est établi que huit
entreprises, parmi lesquelles les requérantes, ont
enfreint les dispositions de larticle L. 420-1
du code de commerce et a infligé des sanctions pécuniaires
à celles-ci, et, notamment, 15 000 Euro à
la société Signaux Laporte et 10 000 Euro
à la société Crapie, et a ordonné
que la décision sera publiée aux frais commun
de lensemble des sociétés concernées.
Pour statuer ainsi le conseil sest
fondé sur les faits tels quils peuvent être
résumés comme il va suivre.
Les entreprises présentes sur
le secteur dactivité des panneaux de signalisation
routière verticale fabriquent et vendent des panneaux
qui doivent répondre à un cahier des charges
défini par le ministère français de léquipement
et être homologués pour être installés
sur le réseau routier français.
Le marché national est concentré
entre six opérateurs principaux, dont les quatre premiers
détenaient pendant la période des faits examinés
chacun autour de 20 % du marché, les deux suivants,
dont les Etablissements Laporte, représentant autour
de 7 % du marché, le reliquat étant partagé
entre trois autres entreprises.
Pour lannée 1998, les
chiffres daffaires consolidés étaient
de 410 MF pour le principal opérateur, de 87 MF
pour les Etablissements Laporte, venant en 6e rang,
suivis par les trois derniers qui réalisaient respectivement
22 MF, 15 MF et 1 MF.
Les Etablissements Laporte, propriété,
à lépoque des faits, de la famille portant
ce nom, contrôlent deux sociétés, SA Signaux
Laporte à Vaulx-en-Velin et SA Crapie à
Vénissieux.
Les services du ministère de
léconomie, des finances et de lindustrie
ont effectué une enquête portant sur 17 marchés
publics dachat de panneaux de signalisation routière
lancés entre 1994 et 1999 par huit conseils
généraux (Ardèche, Cantal, Loire, Haute-Loire,
Puy-de-Dôme, Saône-et-Loire, Haute-Savoie et Vienne),
les communes de Chambéry et de Brazey, et la Société
des autoroutes du sud de la France (ASF). A la suite de celle-ci,
le ministre a, par lettre enregistrée le 12 mai
2000, saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de concertation
et dentente concernant plusieurs de ces marchés.
Selon la décision attaquée,
étaient relevées les pratiques suivantes concernant
les sociétés Signaux Laporte et Crapie :
« a) Le
marché de signalisation temporaire du conseil général
de Saône-et-Loire du 21 février 1997 :
Le conseil général a
reçu dix réponses, dont celle de Crapie, mieux-disante
avec une offre de 777 641 F, qui a obtenu le marché,
et celle de Signaux Laporte, avec une proposition de 985 810 F
arrivant en 6e position.
Il résulte des déclarations
de M. Garin, président du conseil dadministration
de Signaux Laporte et de Crapie, que les deux sociétés
connaissaient leurs offres respectives. Il résulte
également des déclarations de M. Badey,
directeur des ventes au conseil général de Saône-et-Loire,
que la présentation des offres ne permettait pas de
déceler les liens qui existaient entre elles.
b) Le marché
ASF pour des panneaux danimation destinés à
lA7-A8 district de Salon en juillet 1999 :
ASF a reçu une réponse
de Signaux Laporte pour 421 487 F et une de Crapie
pour 429 008 F. Il résulte également
des déclarations de M. Garin que les études
de prix pour ce marché ont été effectuées
par la même personne pour les deux sociétés.
Les pièces afférentes à ce marché
attestent que la société Crapie sest bornée
à reprendre les chiffres que lui avait transmis la
société Laporte. Enfin, le directeur régional
dexploitation dASF a reconnu quil ignorait
les relations existantes entre les sociétés
Crapie et Laporte. »
Le 17 juin 2002 étaient
notifiés aux sociétés Signaux Laporte
et Crapie les griefs suivants : « avoir
organisé des concertations préalables et trompé
lacheteur public en remettant des offres faussement
indépentantes pour les appels doffres lancés
par le conseil général de Saône-et-Loire
(21 février 1997) et la société
ASF (juin 1999) ».
Pour fixer les sanctions prononcées,
le conseil a retenu que ces deux sociétés avaient,
lors du dernier exercice clos le 30 juin 2002, réalisé
un chiffre daffaires respectif de 9 456 917 Euro
et de 6 589 678 Euro,
La
cour,
Vu le mémoire déposé
le 9 avril 2003 par les sociétés Signaux
Laporte et Crapie ;
Vu les observations écrites
du ministre déposées le 10 juin 2003
par lesquelles celui-ci conclut au rejet du recours ;
Vu les observations du
conseil déposées le 12 juin 2003 ;
Vu les observations du
ministère public tendant au rejet du recours ;
Sur
ce :
Considérant que les requérantes
ne contestent pas avoir remis chacune une offre pour les deux
marchés concernés alors quelles sétaient
concertées sur le montant de leurs propositions respectives,
mais prétendent que, filiales communes de la société
Etablissements Laporte, devenue SFP, dépourvues de
toute autonomie, elles constituent une entreprise unique pratiquant
une unité de gestion, comme la reconnu le conseil,
ce qui exclut lapplication à leur encontre des
dispositions de larticle L. 420-1 du code
de commerce qui prohibe les ententes ;
Considérant quau soutien
de sa décision le conseil a, dabord, énoncé,
à bon droit, quen matière de marchés
publics ou privés il est établi que des entreprises
ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors
que la preuve est rapportée de concertations pour coordonner
leurs offres ou déchanges dinformations
antérieurement à la date où le résultat
de lappel doffres est connu ou peut lêtre
portant notamment sur les prix quelles envisagent de
proposer ;
Que le conseil a, ensuite, exactement
retenu que « selon une jurisprudence constante,
tant communautaire que nationale, les dispositions prohibant
les ententes illicites ne sappliquent pas, en principe,
aux accords conclus entre des entreprises ayant entre elles
des liens juridiques et financiers, comme une société
mère et ses filiales, ou les filiales dune même
société mère entre elles, ou comme les
sociétés mères dune filiale commune,
si elles ne disposent pas dune autonomie commerciale
et financière, à défaut de volonté
propre des parties à laccord ; quen
effet, en labsence dautonomie commerciale et financière,
les différentes sociétés du groupe forment
alors une unité économique au sein de laquelle
les décisions et accords ne peuvent relever du droit
des ententes » ;
Quil a, enfin, justement relevé
que « en revanche, si de telles entreprises [celles ayant entre elles des liens juridiques et financiers] déposent plusieurs offres, la pluralité de
ces offres manifeste lautonomie commerciale des entreprises
qui les présentent et lindépendance de
ces offres, mais si ces offres multiples ont été
établies en concertation ou après que les entreprises
ont communiqué entre elles, lesdites offres ne sont
plus indépendantes. Dès lors les présenter
comme telles trompe le responsable du marché sur la
nature, la portée, létendue ou lintensité
de la concurrence. Cette pratique a, en conséquence,
un objet ou potentiellement un effet anticoncurrentiel ;
il est par ailleurs sans incidence sur la qualification des
pratiques que le maître douvrage ait connu les
liens juridiques unissant les sociétés concernées
dès lors que lexistence de tels liens nimplique
pas nécessairement la concertation ou léchange
dinformations » ;
Considérant quen lespèce,
pour retenir que les sociétés Signaux Laporte
et Crapie ont contrevenu aux dispositions de larticle L. 420-1
du code de commerce, le conseil a relevé, à
bon droit, que les éléments avancés par
ces sociétés quant à lexistence
dune entreprise unique ne sauraient conduire à
écarter la qualification dentente anticoncurrentielle,
dès lors que « lentreprise unique
Laporte-Crapie a délibérément remis aux
acheteurs publics deux offres faussement indépendantes
et résultant dune concertation préalable
pour accroître ses chances demporter les marchés,
leur présentant ainsi une situation biaisée
de la concurrence » ;
Considérant quil ressort
de la décision que le conseil, qui nétait
pas saisi des pratiques de la société Etablissements
Laporte, mais, séparément, de celles des sociétés
Signaux Laporte et Crapie contre lesquelles il a prononcé
des sanctions individualisées, a, malgré une
maladresse dexpression, exactement considéré
que les requérantes, personnes morales distinctes,
avaient, en déposant des offres séparées,
manifesté leur autonomie commerciale et, ainsi, choisi
de se présenter lors des appels doffres comme
des entreprises concurrentes ;
Considérant que, dès
lors, quels que soient les liens pouvant exister entre elles,
les sociétés Signaux Laporte et Crapie étaient
tenues de respecter les règles de la concurrence auxquelles
elles sétaient soumises, ce qui excluait quelles
puissent présenter des offres dont lindépendance
nétait quapparente ;
Que le moyen tiré de ce que
les dossiers déposés avec leurs offres révélaient
que les sociétés avaient les mêmes dirigeants
est donc inopérant ;
Considérant qualors quil
nest pas soutenu quelles avaient expressément
indiqué que ces offres avaient été établies
de concert, les deux requérantes ont, en présentant
volontairement des offres séparées, fait naître
chez les opérateurs extérieurs, en lespèce
le conseil général de Saône-et-Loire et
ASF, une légitime croyance dans leur indépendance
et dans la réalité et létendue
de la concurrence lors de la soumission aux appels doffres
quils organisaient ;
Que le conseil en a exactement déduit
que cette pratique, en ce quelle réalise une
tromperie de nature à fausser la perception du maître
douvrage sur lintensité réelle de
la concurrence et le nombre doffres déposées,
a un objet ou potentiellement un effet anticoncurrentiel,
ce qui caractérise un dommage à léconomie ;
quattentatoire aux principes gouvernant la passation
des marchés publics la pratique considérée
revêt un caractère de gravité certain ;
quau regard des positions des deux sociétés
en cause sur le marché, telles quelles ont été
rappelées ci-dessus, se trouvent justifiées
les sanctions prononcées ;
Considérant quil y a
donc lieu de rejeter le recours,
Par
ces motifs :
Rejette le recours ;
Mets les dépens à la
charge des sociétés Signaux Laporte et Crapie.
Le greffier Le président
(*) Décision no 03-D-07
du Conseil de la concurrence en date du 4 février
2003 parue dans le BOCCRF no 7 du 16 juin 2003. |