NOR : ECOC0300433S
Le Conseil de
la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le
2 mars 2000 sous le numéro F 1211 et
la lettre enregistrée le 27 avril 2000 sous
le numéro F 1309, par lesquelles la société
Hydrovolt et la société « De Sand »
ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises
en uvre par la société Electricité
de Strasbourg ;
Vu le livre IV du code de commerce
relatif à la liberté des prix et de la concurrence,
le décret no 86-1309 du 29 décembre 1986
modifié et le décret no 2002-689
du 30 avril 2002 fixant les conditions dapplication
du livre IV du code de commerce ;
Vu la décision de jonction
des saisines du 14 février 2003 ;
Vu les observations présentées
par la société Hydrovolt et la société
« De Sand » et le commissaire du Gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
La rapporteure, le rapporteur général,
le commissaire du Gouvernement et le représentant des
sociétés Hydrovolt et « De Sand »
entendus lors de la séance du 9 septembre 2003,
Adopte la décision suivante :
I. - CONSTATATIONS
1. La société
Hydrovolt exploite depuis 1985 une centrale hydro-électrique
située à Eschau (Bas-Rhin) dune puissance
de 1 000 kWh. La SARL « De Sand »
possède également une centrale de même
type et de même puissance, dans la commune de Sand située
dans le même département. Ces sociétés,
qui sont des producteurs autonomes délectricité,
ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises
en uvre par la société Electricité
de Strasbourg, distributeur non nationalisé, titulaire
dune concession de service public pour la distribution
de lélectricité dans le département
du Bas-Rhin, sur le marché de lachat délectricité
dans ce département, et quelles estiment anticoncurrentielles
au regard de larticle L. 420-2 du code de commerce.
A. - La réglementation
2. Le
décret no 55-662 du 20 mai 1955
a imposé à EDF, aux régies et aux distributeurs
non nationalisés lobligation dacheter lélectricité
des producteurs autonomes. Cette obligation dachat figure
également dans larticle 27 du cahier des
charges de la concession à EDF du réseau dalimentation
générale (RAG), approuvé par décret
du 23 décembre 1994, ainsi quà
larticle 19 bis du cahier des charges
du contrat de concession passé entre la société
Electricité de Strasbourg et le département
pour la distribution délectricité dans
le Bas-Rhin, approuvé par décret du 10 août 1995.
3. Les tarifs dachat
aux producteurs autonomes doivent, depuis 1994, refléter
les coûts de développement, cest-à-dire
les « coûts évités de long
terme que le concessionnaire aurait supportés sil
avait eu à fournir lui-même cette énergie
et à réaliser pour ce faire les investissements
correspondants ». Ces tarifs dachat sont
encadrés réglementairement et sont soumis à
lhomologation du ministre de léconomie.
Il existe deux sortes de tarifs dachat : le tarif
simplifié et le tarif pour fournitures partiellement
garanties avec différentes options. Ces différents
types de tarifs sont applicables à tous les acheteurs
délectricité, cest-à-dire
aussi bien à EDF quaux distributeurs non nationalisés.
4. Sagissant dEDF,
les alinéas 9 et 10 de larticle 27 du cahier
des charges de concession RAG précité permettent
de déroger aux tarifs réglementés, « lorsque
le producteur autonome est en mesure de proposer au-delà
des prestations standards (...) des avantages spécifiques
pour le concessionnaire, ce dernier peut renoncer à
bénéficier du contrat dachat type et conclure
avec le concessionnaire un contrat particulier, après
approbation du ministre chargé de lindustrie ».
En 1997, EDF a, dailleurs, négocié
avec un syndicat de producteurs hydrauliques, un contrat dit
« 97-07 », dont ont découlé
des prix dachat de lélectricité
plus favorables aux vendeurs. Ce contrat, à la différence
du tarif, engageait le distributeur pour une durée
de quinze ans sur la base du prix initial qui était
indexé dans une formule figurant au contrat.
5. Sagissant dElectricité
de Strasbourg, une faculté de dérogation est
également prévue à lalinéa 9
de larticle 19 bis du cahier des charges
de la concession entre Electricité de Strasbourg et
le département du Bas-Rhin, qui précise :
« dans le cas où un producteur autonome
est en mesure de proposer, au-delà des prestations
standard définies dans le présent cahier des
charges, des avantages spécifiques pour le concessionnaire
(lié par exemple au fait que cest ce dernier
qui décide seul des périodes au cours desquelles
les installations de production autonome sont appelées...),
il peut renoncer à bénéficier du contrat
dachat type précédemment visé et
engager une négociation avec le concessionnaire destinée
à déterminer les modalités de rémunération
tenant compte des avantages spécifiques et cohérentes
avec les principes évoqués ci-dessus ».
B. - Les
faits relevés
6. En
1996, la société Hydrovolt a passé un
contrat, pour cinq ans, avec la société Electricité
de Strasbourg, ayant pour objet lachat de lélectricité
produite par ses deux centrales hydroélectriques, lune
située à Eschau et lautre à Sand
(Bas-Rhin). Le tarif dachat de lélectricité
produite par les deux centrales hydroélectriques, indiqué
dans lexposé du contrat, était celui « des
fournitures de faible importance des producteurs hydrauliciens,
suivant les prescriptions du cahier des charges de la concession
dune distribution dénergie électrique
aux services publics dans le département du Bas-Rhin,
dont Electricité de Strasbourg est titulaire et qui
a été approuvé par décret du 6 mai 1929 ».
La société Hydrovolt a choisi le « tarif
simplifié » à deux prix (été
et hiver).
7. En 1999, la société
Hydrovolt a revendu la centrale hydroélectrique située
à Sand à la société « De
Sand ». La même année, cette dernière
société a conclu avec la société
Electricité de Strasbourg un contrat dachat de
lélectricité produite par la centrale,
pour une durée de cinq ans, aux mêmes tarifs
que ceux appliqués au précédent propriétaire.
8. Dans leur lettre de
saisine, les sociétés Hydrovolt et « De
Sand » estiment que les tarifs auxquels Electricité
de Strasbourg achète lélectricité
quelles produisent sont trop bas. Elles considèrent
que le niveau des prix dachat de lélectricité
déterminé par ces tarifs mettent en péril
léquilibre financier de leur société.
Les parties saisissantes soutiennent quElectricité
de Strasbourg devrait acheter lélectricité
quelles vendent, aux mêmes prix que ceux proposés
par EDF dans le cadre du contrat dit « 97-07 ».
9. Sur la base des
constatations qui précèdent, le rapporteur a
proposé au Conseil de prononcer un non-lieu à
poursuivre la procédure.
II. - DISCUSSION
10. Larticle
L. 464-6 du code de commerce précise que :
« Lorsque aucune pratique de nature à
porter atteinte à la concurrence sur le marché
nest établie, le Conseil de la concurrence peut
décider, après que lauteur de la saisine
et le commissaire du Gouvernement ont été mis
à même de consulter le dossier et de faire valoir
leurs observations, quil ny a pas lieu à
poursuivre la procédure ».
11. Les sociétés
saisissantes reprochent à Electricité de Strasbourg,
distributeur non nationalisé, davoir abusé
de sa position dominante sur le marché de la distribution
délectricité en pratiquant, à légard
des parties saisissantes, des prix dachat différents
de ceux dEDF, cette différence étant discriminatoire
et constitutive dun abus.
12. Elles réclament
lapplication des contrats dits « 97-07 »
en faisant valoir, dune part, que dans la mesure
où les prix de vente aux consommateurs de lélectricité
produite par EDF ou par Electricité de Strasbourg sont
strictement identiques, les prix dachat devraient être
similaires, et, dautre part, quEDF et Electricité
de Strasbourg sont toutes deux tenues par une obligation dachat
(article 8 du décret du 20 mai 1955
modifié), ce qui devrait conduire à un même
prix dachat.
13. Or, il ressort du dispositif
réglementaire que les conditions tarifaires relatives
aux prix dachat de lélectricité
aux producteurs autonomes situés dans le département
du Bas-Rhin sont fixées à larticle 19 bis
du cahier des charges de la concession entre Electricité
de Strasbourg et ce département, alors que celles relatives
aux producteurs autonomes vendant leur production à
EDF sont régies par larticle 27 du cahier
des charges entre lEtat et EDF. Le fait que ces textes
se réfèrent lun et lautre à
une faculté de renonciation du producteur autonome
au contrat dachat type lorsque ce producteur est en
mesure de proposer au concessionnaire des « avantages
spécifiques » ne constitue pas un fondement
suffisant pour considérer que, de manière automatique
et en toutes circonstances, les tarifs dachat dEDF
devraient sappliquer à la société
Electricité de Strasbourg.
14. Par ailleurs, les contrats
dits « 97-07 » et les prix dachat
qui y figurent sont le résultat de négociations
engagées entre EDF et un syndicat de producteurs autonomes,
sur le fondement des alinéas 9 et 10 de larticle 27
du cahier des charges précité. Electricité
de Strasbourg na pas été associée
à ces négociations et nest pas signataire
des accords qui les ont suivies. Dès lors, les prix
dachat de lélectricité, issus des
contrats dits « 97-07 », ne peuvent
être considérés comme devant sappliquer
obligatoirement à Electricité de Strasbourg,
distributeur non nationalisé, qui a son propre cahier
des charges, fixant notamment les conditions déventuelles
dérogations aux tarifs réglementés.
15. De telles dérogations
sont soumises, ainsi quil est précisé
à lalinéa 9 de larticle 19 bis
de ce cahier des charges, à la condition de la
fourniture au distributeur, « dun avantage
spécifique ». Or aucun élément
au dossier nindique que les sociétés saisissantes
auraient revendiqué une dérogation à
ces tarifs en contrepartie de la fourniture dun avantage
spécifique procuré à la société
Electricité de Strasbourg.
16. En conséquence,
il ne saurait être reproché à Electricité
de Strasbourg davoir, en labsence davantage
spécifique apporté par le producteur autonome
pour la fourniture délectricité, refusé
de déroger à ces tarifs réglementaires
pour saligner sur les prix pratiqués par EDF,
prix qui résultent dun contrat qui ne lui est
pas opposable.
17. Le fait quElectricité
de Strasbourg soit une filiale de deuxième niveau dEDF
ne suffit pas pour présumer labsence dautonomie
de cette société par rapport à EDF et
justifier une exception au principe de liberté contractuelle
des opérateurs économiques. Il convient, au
contraire, de relever quElectricité de Strasbourg
est une société anonyme, cotée en bourse,
dont lintérêt ne se confond pas avec celui
dEDF.
18. Par ailleurs, les sociétés
saisissantes ne peuvent demander un alignement général
des tarifs dachat de lélectricité
dEDF et Electricité de Strasbourg en tirant argument
du fait que ces deux entreprises pratiquent les mêmes
tarifs de vente de lélectricité aux clients
non éligibles, dès lors que ces prix de vente
ne sont pas libres et que cette identité tarifaire
résulte dune intervention des pouvoirs publics.
19. Enfin, lobligation
légale dacheter lélectricité
aux producteurs autonomes imposée, tant à EDF
quaux distributeurs non nationalisés, nimplique
pas nécessairement de déroger aux tarifs réglementés.
20. Dès lors, il
résulte de ce qui précède quil
nest pas établi que la société
Electricité de Strasbourg a commis un abus de position
dominante et il y a lieu en conséquence de faire application
des dispositions de larticle L. 464-6 du code de
commerce.
Décision :
Article unique. - Il
ny a pas lieu de poursuivre la procédure.
Délibéré, sur
le rapport oral de Mme Wibaux, par Mme Hagelsteen,
présidente, Mme Pasturel, vice-présidente,
M. Flichy, membre.
La secrétaire de séance, Nadine Bellegarde
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La présidente, Marie-Dominique Hagelsteen
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