NOR : ECOC0300365S
Le Conseil de
la concurrence (section II),
Vu la lettre enregistrée le
21 décembre 1999 sous le numéro F 1193,
par laquelle le ministre de léconomie, des finances
et de lindustrie a saisi le Conseil de la concurrence
de la situation de la concurrence dans le secteur des marchés
publics de transport occasionnel délèves
dans le département des Alpes-Maritimes ;
Vu lordonnance no 86-1243
du 1er décembre 1986 et le décret
no 86-1309 du 29 décembre 1986
fixant les conditions de son application ;
Vu le livre IV du code de commerce
et le décret no 2002-689 du 30 avril 2002
fixant les conditions de son application ;
Vu les observations présentées
par les sociétés SEMIACS, Auto Nice Transport
(ANT), Autocars Baie des Anges, Nice Excursions Euroriviera,
Société Autocars Martin (SAM), Santa Azur, Transports
Autocars Nice Plan du Var (TANP), Transport régional
des Alpes-Maritimes (TRAM), la Fédération nationale
des transports de voyageurs des Alpes-Maritimes (FNTV 06)
et par le commissaire du Gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
La rapporteure, le rapporteur général,
le commissaire du Gouvernement et les représentants
des sociétés entendus lors de la séance
du 15 juillet 2003,
Adopte la décision suivante :
I. - CONSTATATIONS
A. - Les entreprises et organismes
concernés
La SEMIACS
1. La
Société déconomie mixte intercommunale
pour lamélioration de la circulation et du stationnement
(SEMIACS) est une société anonyme dont le capital
est détenu à 70 % par la ville de Nice.
Au moment de lappel doffres qui fait lobjet
de la saisine ministérielle, cette entreprise était
concessionnaire des transports urbains de la ville, dune
part, pour la gestion et lexploitation du réseau
de transport urbain des collines niçoises, en vertu
dune convention datée du 20 décembre 1989
et, dautre part, pour lexploitation du réseau
de transports publics, en vertu dune convention datée
du 22 mars 1990. Jusquen 1997, la SEMIACS
était ainsi chargée dassurer le transport
occasionnel denfants vers les installations municipales,
notamment sportives, ou dans le cadre dactivités
organisées par la ville, avec la possibilité
de sous-traiter ces prestations.
La FNTV 06
2. La
Fédération nationale des transports de voyageurs
des Alpes-Maritimes (FNTV 06), anciennement dénommée
lUnion syndicale des entreprises de transports en commun
des Alpes-Maritimes, est la seule organisation professionnelle
des entreprises de transport dans le département des
Alpes-Maritimes. Au moment des faits, le président
de cette fédération était M. M.,
par ailleurs président du conseil dadministration
de la société SAM, membre du groupement contesté.
Les sociétés transporteurs
mises en cause
3. Il
sagit des entreprises suivantes :
Société Autocars Martin
(SAM) ;
Auto Nice Transport (ANT) ;
Autocars Baie des Anges ;
Nice Excursions Euroriviera ;
Santa Azur ;
Transports Autocars Nice Plan du Var
(TANP) ;
Transport régional des Alpes-Maritimes
(TRAM).
Au moment des faits, ces sept entreprises,
qui ont leur siège social à Nice, étaient
toutes membres de la FNTV 06.
B. - Le marché
4. Les
pratiques constatées concernent le marché public
de transport occasionnel denfants dans le cadre dactivités
organisées par la ville de Nice. Ce marché,
passé par la ville de Nice en 1997, avait pour
objet dassurer le transport « décoliers
sur les diverses installations municipales (sportives, culturelles...)
ou autres lieux » et le transport « denfants
dans Nice et hors de Nice dans le cadre des activités
organisées par des services municipaux (centre de loisirs
sans hébergement, centres sports et loisirs, animation
sportive...) ». Il était précisé
que « ce marché ne concerne pas les lignes
décoliers, cest-à-dire les transports
des élèves sur des établissements scolaires ».
5. Par délibération
du 16 mai 1997, la ville de Nice a décidé
de lancer un appel doffres ouvert pour lexécution
de ces prestations de transports. Lappel doffres
portait sur un marché à bons de commande dune
durée dune année à compter du 1er janvier
1998, renouvelable deux fois par tacite reconduction. Aux
termes de lavis dappel public à la concurrence
du 27 août 1997, il était, par ailleurs,
indiqué que : « Les entreprises
pourront soumissionner soit en entreprise unique soit en groupement
solidaire ». Lors de louverture des plis,
le 30 octobre 1997, il est apparu quun seul
pli avait été déposé par un groupement
composé des sept entreprises ci-dessus mentionnées
et dont le mandataire était la SEMIACS. Le 11 décembre 1997,
la commission de jugement des offres retenait lunique
offre présentée pour un montant total de 5 951 189,99 F
(soit 907 253,05 Euro).
C. - La procédure
devant le tribunal administratif
6. Le
marché de transport délèves, passé
fin 1997, a fait lobjet dun recours gracieux
du préfet des Alpes-Maritimes le 27 février 1998.
Ce recours a été rejeté, le 6 avril 1998,
par la ville de Nice aux motifs que, dune part, le respect
de la procédure de mise en concurrence et la publicité
donnée à cette procédure constituait
une garantie suffisante quune concurrence effective
avait pu jouer et que, dautre part, le marché
présentait des contraintes techniques telles que seul
un groupement solidaire pouvait soumissionner en raison, notamment,
de limportance du matériel roulant et des investissements
nécessaires, incompatibles avec la courte durée
du marché.
7. Le préfet déférait,
néanmoins, le marché au tribunal administratif
de Nice, le 5 mai 1998, lequel prononçait
son annulation par un jugement du 9 novembre 1998
sur le fondement dune violation des règles de
la concurrence : « Si le marché
par lequel une commune a attribué à un groupement
dentreprises le service de transport scolaire et des
enfants participants aux activités organisées
par ladministration communale ne saurait être
utilement critiqué à raison de loffre
groupée qui a été présenté
par ces entreprises (...). Les clauses de ce marché
ne peuvent cependant avoir légalement pour effet de
placer les entreprises cocontractantes de ladministration
dans une situation où elles contreviendraient aux prescriptions
de larticle 7 (de lordonnance du 1er décembre
1986). »
8. Le tribunal a, en outre,
considéré que lorganisation de la dévolution
du marché par la ville de Nice pouvait avoir « pour
effet de permettre au groupement dentreprises titulaires
du marché de faire obstacle à la fixation des
prix par le libre jeu du marché en favorisant la stipulation
dun prix unique, par conséquent, artificiel par
rapport aux différents prix que pouvait offrir chaque
cocontractant, dans lhypothèse davantage concurrentielle
où les prestations de service à fournir seraient
divisées en plusieurs lots, sans préjudice pour
la ville de bénéficier de la coordination de
leur exécution par la SEMIACS, son concessionnaire,
déjà rémunéré à
ce titre, et cocontractant au marché ».
En labsence dappel interjeté à
son encontre, ce jugement est devenu définitif.
D. - Les pratiques
relevées
Lorganisation concertée dun
groupement illicite
9. Il
ressort des pièces du dossier et de déclarations
de transporteurs quà la suite de plusieurs réunions
qui se sont tenues, notamment les 10, 11 et 12 septembre 1997,
entre la SEMIACS et la FNTV 06, celles-ci ont décidé
de constituer un groupement de transporteurs afin de soumissionner
au marché.
10. Par lettre en date
du 12 septembre 1997, la FNTV 06 a ainsi indiqué
à la SEMIACS : « Loffre sera
présentée par un groupement dentreprises
solidaires, comprenant dune part la SEMIACS et dautre
part les transporteurs appartenant à la FNTV 06,
prestataires habituels et ayant leur siège social à
Nice (ANT, Baie des Anges, Nice Excursions, RCAT, SAM, Santa
Azur, TANP et TRAM). (...) La SEMIACS sera la mandataire,
des entrepreneurs groupés, pour la remise des offres
fixées par le règlement de la consultation ».
11. Cette liste préétablie
des membres de ce groupement est, dailleurs, reprise
dans la télécopie adressée par le service
logistique de la SEMIACS au président de la FNTV 06,
également président du conseil dadministration
de la société SAM, le 16 septembre 1997,
dans les termes suivants : « Nous avons
envoyé cette télécopie aux sociétés
TRAM, TANP, Baie des Anges, Santa Azur, ANT, RCA et Nice-Excursions.
Vous voudrez bien nous communiquer également au plus
vite la candidature de la SAM. »
12. Les conditions
pour participer au groupement et les membres composant ce
groupement ont ainsi été fixés par la
SEMIACS et la FNTV 06, dès le 12 septembre 1997,
sans aucune mise en concurrence des entreprises de transporteurs.
13. Sagissant de
lobjet du groupement, le directeur des transports de
la SEMIACS a expliqué, lors de la séance du
15 juillet 2003, quapprenant que la ville
de Nice voulait faire un appel à la concurrence, il
avait réalisé que la SEMIACS devait se grouper
avec les entreprises pour pouvoir continuer à assurer
sa fonction et quil sétait tourné
vers la FNTV 06 afin quelle contacte lensemble
des sous-traitants précités et que lobjet
de ce groupement était de garder les mêmes entreprises
prestataires malgré louverture à la concurrence.
14. Lors de son audition,
le 27 novembre 1998, le président de la FNTV 06
a déclaré : « La FNTV 06
a préparé un projet de tarifs de transports :
prix moyen entre les tarifs proposés par les transporteurs.
Le 23 septembre (1997), ce projet a été
discuté avec la SEMIACS notamment en ce qui concerne
le montant de sa rémunération et certaines courses.
Le 25 septembre nous avons communiqué, pour
confirmation à la SEMIACS, le tableau tarifaire élaboré
le 23 septembre. » Cette déclaration
est corroborée par lexistence dun courrier
du 25 septembre 1997, émanant de la FNTV 06
et transmis à la SEMIACS. Les tarifs mentionnés
sur le projet joint à ce courrier sont ceux retrouvés
sur le bordereau des prix unitaires soumis lors de lappel
doffres.
Lexclusion dautres candidatures
15. Il
résulte du courrier du 12 septembre 1997
de la FNTV 06, adressé à la SEMIACS, cité
au paragraphe 10 supra, quil a été
procédé à une sélection des membres
du groupement en excluant ceux qui ne réunissaient
pas les critères fixés par elle et qui consistaient
dans le fait dappartenir au syndicat professionnel,
davoir déjà effectué les prestations
proposées et davoir son siège social à
Nice.
16. Cette sélection,
assortie dune liste des membres composant le groupement,
a eu pour effet dempêcher certaines entreprises
de transport de participer audit groupement comme ce fut le
cas des sociétés Martinon et Flash Azur. En
effet, anciens adhérents, les représentants
de ces deux sociétés ont sollicité leur
réintégration à la fédération
sans dissimuler quil sagissait de pouvoir intégrer
le groupement. Ces demandes ont été rejetées
au motif que les cotisations dues navaient pas été
réglées, empêchant par la même toute
participation au groupement. En revanche, il résulte
du compte-rendu de réunion du 11 septembre 1997
de la FNTV 06 que la société Euroriviera
a, quant à elle, obtenu son adhésion la veille
du jour où elle a reçu la proposition de candidature
au groupement de la SEMIACS. Enfin, la société
BREMA, qui avait auparavant effectué des prestations
pour la SEMIACS, mais dont le siège social nest
pas à Nice, na pu participer au groupement.
E. - Les griefs
notifiés aux entreprises
17. Sur
la base des constatations qui précèdent et en
application des dispositions de larticle L. 463-2
du code de commerce, les griefs suivants ont été
notifiés :
A la Société déconomie
mixte intercommunale pour lamélioration de la
circulation et du stationnement (SEMIACS), aux sociétés
Auto Nice Transport (ANT), Autocars Baie des Anges, Nice Excursions
Euroriviera, Société Autocars Martin (SAM),
Santa Azur, Transports Autocars Nice Plan du Var (TANP), Transport
régional des Alpes-Maritimes (TRAM), et à la
Fédération nationale des transports de voyageurs
des Alpes-Maritimes (FNTV 06), davoir mis en uvre
une entente de répartition de marché et de prix
à loccasion du marché de transport occasionnel
délèves passé par la ville de Nice
en 1997 et qui a fait lobjet de la saisine ministérielle.
II. - DISCUSSION
A. - Sur la procédure
Sur
lautorité de la chose jugée:
18. En sappuyant
sur le jugement rendu par le tribunal administratif, les sociétés
mises en cause soutiennent que le principe de lautorité
de la chose jugée doit conduire à une fin de
non-recevoir.
19. Cependant, aux termes de ce jugement,
le tribunal administratif, sil a annulé le marché,
na pas exonéré les sociétés
mises en cause de leur responsabilité. Il ressort,
par ailleurs, de la jurisprudence, et en particulier depuis
la décision du tribunal des conflits du 18 octobre 1999
ADP c/ TAT, que lintervention du juge administratif
naffecte pas la compétence du Conseil de la concurrence
pour examiner, au regard des dispositions du livre IV du code
de commerce, les pratiques anticoncurrentielles que ce juge
aurait relevées et qui sont détachables de lappréciation
de la légalité du marché en cause. En
lespèce, le tribunal administratif sest
prononcé sur le marché en cause, dont il a relevé
que les clauses seraient susceptibles davoir pour effet
de placer les entreprises cocontractantes de la ville de Nice
dans une situation où elles contreviendraient aux règles
de la concurrence, mais le Conseil de la concurrence reste
compétent pour apprécier et éventuellement
sanctionner les pratiques anticoncurrentielles des entreprises
soumissionnaires.
Sur
le respect du contradictoire :
20. La SEMIACS estime que le principe
du contradictoire na pas été respecté
lors de la procédure denquête et dinstruction,
les éléments fournis par son représentant
responsable transport, lors de son audition par un enquêteur
de la DGCCRF, ne figurant pas dans le procès-verbal
daté du 9 novembre 1998. Lentreprise
fait valoir que la procédure sest déroulée
en violation de larticle 6, paragraphe 1, de la
Convention européenne des droits de lhomme, qui
prévoit que : « Toute personne a
droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,
publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal
indépendant et impartial. »
21. Cependant, conformément
à larticle L. 450-2 du code de commerce,
lapposition par le représentant de la SEMIACS
de sa signature sur le procès-verbal critiqué
fait foi, jusquà preuve contraire, de la sincérité
et de lexactitude des déclarations qui y ont
été relevées.
22. Aucun des éléments
produits ne démontre, en outre, que lenquête
aurait été menée de manière partiale
et subjective et que la défense de la SEMIACS aurait
été entravée.
23. De plus, sagissant de la
procédure devant le Conseil de la concurrence, et en
application de larticle L. 463-2 du code de commerce,
la SEMIACS a pu consulter le dossier et a présenté
ses observations.
24. Enfin, au cours de la séance
du conseil, le responsable transport de la SEMIACS a pu apporter
les précisions estimées utiles à la défense
de lentreprise. Le moyen doit, en conséquence,
être écarté.
B. - Sur les
pratiques
25. Sagissant
de la possibilité offerte à des entreprises
de se regrouper pour soumissionner à un appel doffres,
le Conseil de la concurrence, dans sa décision no 95-D-83
du 12 décembre 1995 (relative à des
pratiques relevées à loccasion de marchés
publics concernant la restauration des murailles du fort Saint-Louis
à Fort-de-France), a énoncé que :
« La constitution, par des entreprises indépendantes
et concurrentes, dun groupement en vue de répondre
à un appel doffres, ne constitue pas en soi une
pratique prohibée (...) que cependant le recours à
une telle structure ne fait pas obstacle à lapplication
des dispositions de (lordonnance de 1986) lorsquil
est établi quelle est utilisée pour mettre
en uvre des pratiques concertées ayant pour objet
ou pouvant avoir pour effet de limiter le libre exercice de
la concurrence lors de lappel doffres. »
26. Ce principe a été
confirmé par un arrêt de la cour dappel
de Paris, en date du 5 décembre 2000, aux
termes duquel : « Si la formulation dune
offre groupée (portant en lespèce,
sur des appels doffres lancés par des syndicats
intercommunaux) ne constitue pas en soi une offre illicite,
celle-ci doit être justifiée par des nécessités
techniques et ne doit pas avoir pour objet, pour effet ou
potentialité deffet de faire disparaître
la concurrence ; quen lespèce, la
preuve de lentente résulte du faisceau dindices
constitué par les circonstances et conditions dans
lesquelles la convention de groupement momentané dentreprises
solidaires a été conclue, en vue de masquer
une pratique de répartition des marchés. »
Sagissant leffet anticoncurrentiel du groupement,
larrêt précise quil réside
« dans le fait que les entreprises ont, en opérant
entre elles une répartition des marchés, limité
dintensité de la concurrence par une offre groupée
ne répondant pas strictement à des nécessités
techniques mais destinée à maintenir les positions
antérieurement acquises ».
27. Sur la justification du groupement
par des nécessités techniques, les sociétés
en cause soutiennent que la consistance de loffre, en
lespèce un marché constitué dun
seul lot, a agi comme une contrainte puisquelle exigeait
des soumissionnaires de garantir la disponibilité dun
nombre de véhicules supérieur à la capacité
de la plupart des transporteurs. Cette contrainte devrait
conduire, selon les entreprises mises en cause, à les
exonérer de toute responsabilité et à
écarter la qualification dentente.
28. Mais la seule constatation de
lexistence dun lot unique ne peut en elle-même
avoir un tel résultat vis-à-vis des sociétés
soumissionnaires. Encore conviendrait-il détablir
que le groupement concerné était la seule solution
envisageable pour des raisons techniques et que sa constitution
navait pas pour objet ou pour effet de limiter lintensité
de la concurrence et de maintenir des positions antérieurement
acquises.
29. Or le directeur de la société
TRAM a déclaré, lors de son audition :
« A partir du moment où nous avions décidé
de nous grouper, nous avons convenu que chaque membre du groupement
ne devait pas soumissionner à titre individuel même
sil avait la capacité de le faire notamment en
raison du nombre de véhicules dont il disposait, ce
qui est notre cas. Dailleurs, dautres adhérents
auraient pu se grouper et présenter une offre concurrente
de notre groupement, en fait cela na pas été
mis en place. » Il sensuit quau
sein de la FNTV 06, organisatrice de la concertation, il était
enjoint aux membres du groupement de ne pas participer à
une offre concurrente alors même que certains dentre
eux avaient la capacité de soumissionner individuellement
et, à tout le moins, de se présenter au sein
dun groupement plus réduit et de composition
différente de celui réunissant les sept entreprises
précédemment titulaires du marché.
30. Il est, en outre, démontré
que lappartenance des sociétés de transport
au syndicat FNTV 06 a été prise en compte pour
admettre ou exclure leur candidature pour la constitution
du groupement, sans que le choix de ce critère dappartenance
syndicale soit étayé par des considérations
techniques.
31. Ainsi, la seule circonstance que
le marché présentait un lot unique, même
si lon admet quelle aurait été de
nature à inciter certaines entreprises de transport
à se regrouper pour faire face à une demande
supérieure à leurs moyens propres, ne pouvait
justifier que les sept sous-traitants précédemment
détenteurs du marché se lient dans un groupement
et se concertent pour dissuader les autres entreprises concurrentes
de soumissionner seules ou dans dautres groupements.
32. Enfin, à lissue de
la procédure dappel doffres, seul le groupement
mis en cause a déposé une candidature, puis
a obtenu le marché, ce qui démontre que les
pratiques ont bien eu un effet anti-concurrentiel.
33. Il résulte de lensemble
de ce qui précède quil est établi
que les entreprises SEMIACS, ANT, Autocars Baie des Anges,
Nice Excursions Euroriviera, SAM, Santa Azur, TANP et TRAM
ont enfreint les dispositions de larticle L. 420-1
du code de commerce.
Sur
la mise en cause de la FNTV 06 :
34. La FNTV 06
soutient que nayant pas créé le groupement,
ny ayant pas participé ni présenté
doffres au nom de ce groupement, elle doit être
mise hors de cause.
35. En lespèce,
les documents et les déclarations du président
de cette fédération démontrent, au contraire,
que la FNTV 06 a annoncé sa volonté de
participer au groupement litigieux dans les termes suivants :
« Nous avons le plaisir de vous confirmer notre
intention de répondre à lappel doffres,
ouvert par la ville de Nice sur les transports denfants,
avec (la SEMIACS) » et le président
de la FNTV 06 a déclaré : « La
SEMIACS et la FNTV 06 ont eu lidée de constituer
un groupement de transporteurs avec la SEMIACS pour mandataire
afin de soumissionner audit marché. » Il
a également reconnu que « la FNTV 06
a préparé un projet de tarifs de transports :
prix moyen entre les tarifs proposés par les transporteurs ».
36. La FNTV 06 fait
encore valoir que, en sa qualité de syndicat de professionnels
du transport, sa responsabilité ne peut être
mise en cause dans le cadre de larticle L. 420-1
du code de commerce.
37. Des ententes peuvent,
cependant, être mises en uvre par des organismes
professionnels qui, sous couvert de défense des intérêts
collectifs de leurs ressortissants, entraînent ces derniers
dans des pratiques restrictives de concurrence. Le Conseil
de la concurrence a ainsi rappelé, dans sa décision
no 98-D-55 du 9 septembre 1998, que :
« Si les organisations professionnelles ont
notamment pour mission dassurer la défense des
intérêts collectifs de leurs membres et de les
assister dans lexercice de leur profession, elles sortent
du cadre de cette mission lorsquelles organisent la
concertation entre elles en vue de répondre à
un appel à candidatures de façon groupée
et à un prix identique. »
38. En lespèce,
la FNTV 06 a outrepassé sa mission dassistance
de ses adhérents en les conduisant à participer
à des pratiques anticoncurrentielles et a pris part,
elle-même, aux pratiques relevées, mettant ainsi
en uvre une pratique de concertation anticoncurrentielle
prohibée par les dispositions de larticle L. 420-1
du code de commerce.
C. - Sur les
sanctions
39. Les
infractions retenues ci-dessus ayant été commises
avant lentrée en vigueur de la loi no 2001-420
du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations
économiques, les sanctions qui leur sont applicables
sont fixées par larticle 13 de lordonnance
no 86-1243 du 1er décembre
1986 qui dispose que : « Le montant maximum
de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant
du chiffre daffaires hors taxes réalisé
en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant
nest pas une entreprise, le maximum est de dix millions
de francs. »
40. La répartition
dun marché et la fixation concertée des
prix constituent des ententes horizontales entre soumissionnaires
de ce marché, qui ont pour objet et pour effet de fausser
le jeu de la concurrence, et sont considérées
comme des pratiques graves. Cette gravité est, en lespèce,
accrue par le fait que ces pratiques ont été
mises en uvre lors dun appel doffres concernant
un service public de transports denfants et donc à
vocation sociale.
41. En outre, elles révèlent
de la part de la société SEMIACS une volonté
délibérée de contourner les règles
de concurrence alors même que la collectivité
publique souhaitait remédier au système antérieur
par la passation dun marché public et dun
appel à la concurrence.
42. Pour apprécier
le dommage à léconomie résultant
de lentente constatée, il y a lieu de tenir compte,
en premier lieu, de ce que les pratiques ont abouti à
lannulation du marché et ainsi au lancement dune
nouvelle consultation et, en second lieu, de ce que le marché
annulé a été exécuté pendant
une durée de onze mois, de décembre 1997 à
novembre 1998.
43. En ce qui concerne
la SEMIACS, dont le chiffre daffaires est de 61 096 140 Euro,
il y a lieu, en fonction des éléments généraux
et individuels tels quils ont été appréciés,
de lui infliger une sanction de 300 000 Euro.
44. En ce qui concerne
la FNTV 06, dont les ressources annuelles sélèvent
à 12 349 Euro et en fonction des éléments
généraux et individuels tels quils ont
été appréciés, il y a lieu de
lui infliger une sanction de 12 000 Euro.
45. En ce qui concerne
les sociétés :
ANT, dont le chiffre daffaires
est de 7 228 799 Euro ;
Autocars Baie des Anges, dont le chiffre
daffaires est de 957 241 Euro ;
Nice Excursions Euroriviera, dont
le chiffre daffaires est de 889 365 Euro ;
SAM, dont le chiffre daffaires
est de 2 652 705 Euro ;
Santa Azur, dont le chiffre daffaires
est de 5 316 646 Euro ;
TANP, dont le chiffre daffaires
est de 799 714 Euro ;
TRAM, dont le chiffre daffaires
est de 2 705 439 Euro ;
et en fonction des éléments généraux
et individuels tels quils ont été appréciés,
il y a lieu de leur infliger à chacune une sanction
correspondant à 0,25 % de leur chiffre daffaires,
soit :
18 071 Euro à la
société ANT ;
2 393 Euro à la société
Autocars Baie des Anges ;
2 223 Euro à la société
Nice Excursions Euroriviera ;
6 631 Euro à la société
SAM ;
13 291 Euro à la
société Santa Azur ;
1 999 Euro à la société
TANP ;
6 763 Euro à la société
TRAM,
Décide :
Art. 1er. - Il
est établi que la FNTV 06 et les sociétés
SEMIACS, ANT, Autocars Baie des Anges, Nice Excursions Euroriviera,
SAM, Santa Azur, TANP et TRAM ont enfreint les dispositions
de larticle L. 420-1 du code de commerce lors de
la passation du marché public de transport occasionnel
délèves dans le département des
Alpes-Maritimes en 1997.
Art. 2. - Il
est infligé une sanction pécuniaire de :
300 000 Euro à la
SEMIACS ;
12 000 Euro à la
FNTV 06 ;
18 071 Euro à la
société ANT ;
2 393 Euro à la société
Autocars Baie des Anges ;
2 223 Euro à la société
Nice Excursions Euroriviera ;
6 631 Euro à la société
SAM ;
13 291 Euro à la
société Santa Azur ;
1 999 Euro à la société
TANP ;
6 763 Euro à la société
TRAM.
Délibéré, sur
le rapport oral de Mme Cramesnil de Laleu, par M. Jenny,
vice-président, et MM. Flichy, Gauron et Robin,
membres.
La secrétaire de séance,
Nadine Bellegarde
|
Le vice-président,
présidant la séance,
Frédéric Jenny
|
|