NOR : ECOC0300346S
Le Conseil de
la concurrence (section II),
Vu la lettre enregistrée le
16 mai 2003 sous les numéros 03/0035 F
et 03/0036 M, par laquelle le Centre national des professionnels
de lautomobile (CNPA) a saisi le Conseil de la concurrence
de pratiques mises en uvre par les sociétés
Suzuki France, Yamaha Motor France, Honda Motor South, Kawasaki
Motor France, MBK, Peugeot, Motana-Derbi et Piaggio quil
estime anticoncurrentielles et a demandé le prononcé
de mesures conservatoires ;
Vu le livre IV du code de commerce
relatif à la liberté des prix et de la concurrence
et le décret no 2002-689 du 30 avril 2002
fixant les conditions de son application ;
Vu les observations présentées
par les sociétés Suzuki France, Yamaha Motor
France, Honda Motor South, Kawasaki Motor France, MBK, Peugeot
et Motana-Derbi et par le commissaire du Gouvernement ;
La rapporteure, le rapporteur général,
le commissaire du Gouvernement, le CNPA, les sociétés
Suzuki France, Yamaha Motor France, Honda Motor South, Kawasaki
Motor France, MBK, Peugeot et Motana-Derbi entendus lors de
la séance du 16 juillet 2003,
I. - Sur la
saisine
Sur
la recevabilité de laction du CNPA :
1. La société
Yamaha fait valoir que la saisine du Conseil de la concurrence
par le CNPA vise à défendre les intérêts
dune profession, celle de distributeur, en allant à
lencontre de lintérêt dune
autre profession, celle de constructeur, relevant lune
et lautre du secteur de lautomobile, et que cette
action est contraire à lobjet statutaire du CNPA
défini dans larticle 4.1 des statuts, selon
lequel cette organisation professionnelle « réunit
en vue dune action commune tous les professionnels dont
lactivité est liée ou apparentée
au commerce, à la réparation automobile et aux
services de lautomobile ».
2. Les sociétés
Honda, Kawasaki, Suzuki, MBK, Peugeot et Motana relèvent
que, contrairement aux dispositions de larticle 30
du décret no 2002-689 du 30 avril 2002,
le saisissant na pas fourni, avec la saisine, les statuts
du CNPA ni le mandat donné à son représentant
et que la saisine doit donc être déclarée
irrecevable sur le fondement de larticle L. 462-8
du code de commerce.
3. Selon les statuts du
CNPA versés par Yamaha, cet organisme est un syndicat
à cadre fédéral régi par les lois
du 21 mars 1884 et du 12 mars 1920. Ce
syndicat comporte 17 branches professionnelles ou commissions
professionnelles, qui correspondent à chacune des activités
et professions représentées en son sein, ainsi
que des secteurs départementaux et régionaux
communs à tous les adhérents du CNPA. Une « branche
nationale des cycles, motocycles et minivoitures »
représente les intérêts des professionnels
des cycles, motocycles et minivoitures. Seul le siège
central du CNPA dispose dune personnalité morale.
En engageant une action qui vise à défendre
les intérêts de la profession des concessionnaires
de véhicules à deux roues, le CNPA défend
les intérêts dont il a la charge.
4. Par ailleurs, lauteur
de la saisine est le CNPA pris en la personne de son président
national, M. Roland Gardin, conformément à
larticle 72 des statuts de cette organisation professionnelle
qui prévoit que : « Le président
national préside de droit toutes les instances du CNPA.
Le conseil national lui confère une délégation
permanente et les pouvoirs les plus étendus pour ladministration
intérieure du CNPA et lapplication de la politique
professionnelle telle quelle résulte des différentes
instances nationales. Il représente le CNPA en justice,
en demande et en défense, et peut, à cet effet,
donner mandat spécial à un élu national,
régional ou départemental. » Faute
dautres dispositions dans les statuts restreignant les
pouvoirs du président, notamment en soumettant son
pouvoir de saisir le conseil à une décision
des instances nationales, le président a qualité
pour saisir le Conseil de la concurrence. Pour cette raison,
la saisine du conseil par le CNPA est régulière.
Sur
la recevabilité des mémoires complémentaires
du CNPA du 23 juin et du 11 juillet 2003 :
5. Dans la lettre de
transmission de la saisine, le rapporteur général
avait indiqué aux parties à la présente
procédure quelles pouvaient remettre leurs observations
jusquau 4 juillet 2003. La partie saisissante
a produit un mémoire complémentaire à
sa saisine, qui a été enregistré au Conseil
de la concurrence le 23 juin 2003 et adressé
aux sociétés mises en cause ainsi quau
commissaire du Gouvernement le 4 juillet 2003.
6. La société
Yamaha soutient, dans ses observations complémentaires
déposées le 11 juillet 2003, que ce
mémoire complémentaire nest pas recevable
comme ayant été déposé pendant
la période fixée par le rapporteur général
pour lexercice des droits de la défense des sociétés
mises en cause. Elle ajoute que la remise tardive de ce mémoire
la privée du temps utile pour préparer
sa défense.
7. La société
Peugeot considère, dans ses observations complémentaires
en date du 11 juillet 2003, quaucune évolution
depuis la date de la saisine initiale du 16 mai 2003
ne justifie le dépôt dun mémoire
complémentaire par la partie saisissante et que les
éléments quil contient auraient pu être
inclus dans la saisine initiale. Elle indique que la remise
tardive de ce document constitue une atteinte aux droits de
la défense et quil doit, en conséquence,
être déclaré irrecevable.
8. Le CNPA a produit, le
11 juillet 2003, de « brèves
observations en réponse » dans lesquelles
il précise : « Dans un souci de
rapidité, jadresse copie de la présente
et des pièces nouvelles directement à mes contradicteurs
par fax et vous déposerai mardi matin le nombre de
pièces requis. » Ce document, enregistré
au conseil le 15 juillet 2003, a également
été diffusé par télécopie
à lensemble des parties. La société
Yamaha a produit, le 15 juillet 2003, de « brèves
observations en réponse consécutivement aux
observations en réponse du CNPA » dans
lesquelles elle indique : « Pour que le
contradictoire soit parfaitement respecté, jadresse
également copie des présentes directement par
fax au CNPA et aux conseils des autres marques fournisseurs
ainsi quà M. le commissaire du Gouvernement. »
9. Lors de la séance,
les sociétés Peugeot et Honda ont fait valoir
que le saisissant avait organisé la procédure
à sa guise en procédant à la remise de
mémoires complémentaires successifs et que les
principes du contradictoire avaient été violés.
10. Comme la déjà
relevé le Conseil de la concurrence (cf. note 1) ,
aucune disposition du code de commerce et du décret
no 2002-689 du 30 avril 2002 nimpose
de délais pour la mise en état des procédures
de mesures conservatoires, qui se caractérisent par
lurgence et dont linstruction doit permettre,
dans un temps nécessairement restreint, de réunir
le plus déléments possibles sur le bien
fondé de la demande. Lorsque le rapporteur général,
usant de la faculté quil tient de larticle 34
du décret précité, décide en vue
dassurer une meilleure organisation du débat
de fixer des délais aux parties pour le dépôt
de leurs écritures, le dépôt de pièces
après lexpiration du temps imparti ne saurait
justifier, sur ce seul fondement, leur rejet de la procédure,
dès lors que les parties adverses ont bénéficié
dun temps suffisant pour y répondre et assurer
ainsi leur défense au regard des pièces ainsi
produites.
11. En lespèce,
le mémoire complémentaire du CNPA, enregistré
le 23 juin au conseil, a été diffusé
aux parties mises en cause le 4 juillet, soit plus dune
semaine avant la tenue de la séance fixée au
16 juillet 2003. Les sociétés mises
en cause ont donc bénéficié dun
temps raisonnable pour en prendre connaissance et produire
des observations écrites. Les sociétés
Yamaha, Peugeot et Suzuki ont, dailleurs, usé
de cette possibilité en déposant, le 11 juillet,
des observations complémentaires qui ont été
diffusées à lensemble des parties. Il
a été également possible à ces
dernières de répliquer aux « brèves
observations en réponse » du CNPA quelles
avaient reçues le 11 juillet, soit par écrit
comme Yamaha, soit en séance. Le principe du contradictoire
a donc été respecté, les sociétés
ayant pu organiser leur défense au vu des éléments
apportés par ces écritures. Il ny a pas
lieu, en conséquence, décarter du dossier
tant le mémoire complémentaire du saisissant
enregistré le 23 juin 2003, que les observations
des parties en réponse à ce mémoire,
les « brèves observations en réponse »
du CNPA et la réplique de Yamaha.
Sur
le marché pertinent :
12. Conformément
à la jurisprudence du conseil (cf. note 2) , il convient
de distinguer deux marchés de véhicules à
moteur à deux roues, selon quils sont immatriculés
ou non, la dimension géographique de ces marchés
étant celle du territoire français.
13. Le marché des
cyclomoteurs non immatriculés nexcédant
pas 50 cc a représenté en 2002 166 124 véhicules,
daprès la Chambre syndicale nationale des motocycles
(CSNM), et voit son volume baisser par rapport à ce
quil était au milieu des années 1990
(cf. note 3) . Il est composé de plusieurs segments :
les cyclomoteurs traditionnels qui sont en forte baisse, les
scooters dont la part a fortement crû dans les années 1990
et qui représentent dorénavant la part la plus
importante des cyclomoteurs, devançant ainsi les cyclomoteurs
traditionnels et, enfin, les cyclomoteurs à boîte
de vitesses, apparus au milieu des années 1990 et qui
sont en croissance. Ce marché est desservi par Peugeot
(dont la part de marché en 2002 est de 32,1 %,
daprès la CSNM), par MBK (28,2 %), par Yamaha
(11,6 %), par Piaggio (9,1 %), Derbi (8,2 %),
Aprilia (4,2 %) ainsi que par huit autres marques dont
la part de marché individuelle est inférieure
à 2 % (cf. note 4) .
14. Le marché des
motocyclettes immatriculées a représenté
168 754 véhicules en 2002, daprès
la CSNM. Il avait connu une forte hausse des volumes à
partir de 1996 (cf. note 5) , mais les ventes connaissent
une baisse relative ces deux dernières années.
Il est composé de deux segments : les motocyclettes
légères nexcédant pas 125 cc
et 11 kW et les motocyclettes supérieures à
125 cc ou 11 kW, ces grosses cylindrées représentant
la majorité des ventes (cf. note 6) . Ce marché
est desservi par Yamaha (dont la part de marché est
de 26 % en 2002, daprès la CSNM), par Honda
(19 %), Suzuki (17 %), Kawasaki (7 %), Piaggio
(6 %), BMW (4 %), Aprilia (3 %), ainsi que
par dautres marques représentant individuellement
moins de 2 % du marché.
15. Le saisissant ne précise
pas le marché qui est concerné par les pratiques
dénoncées dans la saisine au fond. Il dénonce
tout dabord « des mesures anticoncurrentielles
de la société Suzuki France et de ses partenaires
ainsi que diverses pratiques mises en uvre sur le marché
du deux-roues motorisé, notamment par les marques dominantes,
Yamaha, Honda, Kawasaki, MBK et Peugeot »,
en visant les quatre principaux offreurs du marché
des motos immatriculées ainsi que les deux principaux
offreurs du marché des cyclomoteurs non immatriculés.
Mais, dans la suite de sa saisine (p. 21 à 71),
il fournit, à titre principal, des éléments
sur les contrats de Suzuki, Honda, Kawasaki, Yamaha, offreurs
du marché des motos immatriculées. Les indications
sur les contrats de MBK sont relativement isolées et,
ainsi que le soulignent Peugeot et Motana dans leurs observations
du 4 juillet 2003, ces sociétés ne
sont pas citées dans le corps de la saisine. Enfin,
la troisième section de la saisine sintitule
« Sur labsence dexemption des contrats
de distribution moto » et la quatrième
« Sur les autres pratiques communes des fabricants
japonais de motocycles ». Le commissaire du
Gouvernement observe que « au vu des pratiques
décrites par le CNPA, il semblerait que le marché
pertinent devant être retenu pour lexamen de ce
dossier soit celui des véhicules à moteur à
deux roues immatriculés ».
16. Au vu de ce qui précède,
il y a lieu de considérer que le marché concerné
par la saisine du CNPA est celui des véhicules à
moteur à deux roues immatriculés.
Sur
les pratiques dénoncées :
17. Selon le CNPA,
« soucieux daccroître létat
de dépendance économique de leurs concessionnaires,
tous les concédants ont imposé à leurs
partenaires commerciaux des contrats restrictifs de concurrence
visant à fermer le marché et à exclure
toute concurrence intermarque par des pratiques tombant sous
le coup des articles L. 420-1, L. 420-2 du code
de commerce et 81 du traité de Rome (cf. note 7)
». Il reproche aux concédants de véhicules
à deux roues davoir imposé à leurs
réseaux des contrats qui contreviendraient manifestement
au règlement communautaire (CE) no 2790/99
du 22 décembre 1999 (cf. note 8) et soutient
que lorganisation des principaux réseaux de distribution
selon des modalités juridiques et économiques
proches entraînerait un effet cumulatif de nature à
réduire la concurrence au stade de la vente au détail.
De plus, selon le CNPA, les nouvelles dispositions contractuelles
placent les concessionnaires en situation de dépendance
économique à légard des concédants
et ces derniers peuvent abuser de ces situations de dépendance
pour imposer à leurs concessionnaires « des
sujétions économiquement et objectivement injustifiables »
(cf. note 9) .
Sur
les contrats de distribution de Suzuki, Yamaha, Honda et Kawasaki :
18. Le règlement
communautaire (CE) no 2790/99 du 22 décembre 1999
énumère un certain nombre de restrictions caractérisées
qui ont pour effet dentraîner lexclusion
de lintégralité de laccord vertical
du champ dapplication dudit règlement même
si le seuil de part de marché nest pas dépassé.
Aux termes de larticle 4, point c,
de ce règlement, les limitations des ventes passives
et actives aux utilisateurs finals imposées aux distributeurs
dun système sélectif de distribution constituent
une de ces restrictions. Les limitations des ventes passives
imposées aux distributeurs dun système
bénéficiant dune exclusivité de
territoire constituent aussi une restriction caractérisée,
aux termes de larticle 4, point b.
19. Le CNPA fait valoir
que les nouveaux contrats de distribution mis en place par
Suzuki, Yamaha, Honda et Kawasaki combinent lexclusivité
de territoire avec la sélection des distributeurs et
quils comporteraient des restrictions de concurrence
caractérisées, ou « clauses noires ».
Dans le cas dun système exclusif et sélectif
de distribution, le point 53 des lignes directrices sur
les restrictions verticales (cf. note 10) prévoit,
en ce qui concerne la restriction caractérisée
visée à larticle 4, point c,
que « la distribution sélective peut
être combinée avec une distribution exclusive
sous réserve que les ventes actives et passives ne
soient nulle part limitées ». En outre,
le point 186 des lignes directrices prévoit que
« la distribution sélective, quelle
soit qualitative ou quantitative, bénéficie
de lexemption par catégorie pour autant que la
part de marché nexcède pas 30 %,
même si elle est associée à dautres
restrictions verticales qui ne sont pas caractérisées,
telles quune obligation de non-concurrence ou la distribution
exclusive, sous réserve que les distributeurs agréés
puissent procéder à des ventes actives tant
entre eux quaux consommateurs finals ».
20. Par ailleurs, le onzième
considérant du règlement communautaire prévoit
que, « afin de garantir laccès
au marché pertinent ou de limiter la collusion sur
ce marché, lexemption par catégorie doit
être subordonnée à plusieurs conditions.
A cette fin, lexemption des obligations de non-concurrence
doit être limitée aux obligations qui ne dépassent
pas une certaine durée ; pour les mêmes
raisons, toute obligation directe ou indirecte, imposant aux
membres dun système de distribution sélective
de ne pas vendre des marques de fournisseurs concurrents déterminés
doit être exclue du bénéfice du présent
règlement ». Larticle 5 du
règlement communautaire exclut certaines obligations
du bénéfice de lexemption même si
le seuil de part de marché nest pas dépassé,
mais le règlement continue à sappliquer
aux dispositions restantes de laccord vertical si celles-ci
sont dissociables des obligations non exemptées, ces
clauses étant dites « clauses rouges ».
Le CNPA fait valoir que les nouveaux contrats de distribution
mis en place par Suzuki, Yamaha, Honda et Kawasaki comportent
de telles « clauses rouges ».
Les contrats de concession Suzuki
21. Larticle 2
du contrat de distribution de Suzuki dispose que « le
concessionnaire sinterdit toute vente active ou passive
à partir dun lieu détablissement
non autorisé par Suzuki France. Le concessionnaire
sinterdit toute vente à des revendeurs non agréés »,
et larticle 13, que « il [le concessionnaire]
sinterdit de revendre les produits à des distributeurs
non agréés Suzuki dans lUnion européenne ».
Ces clauses pourraient constituer une protection territoriale
absolue ou une limitation des reventes aux utilisateurs finals.
En outre, larticle 16 des contrats monomarques
et multimarques de ce concédant stipule quils
sont conclus « intuitu personae,
cest-à-dire en considération de la personnalité
des parties ». Le maintien dune telle
clause pourrait constituer un obstacle à la sélection
objective des concessionnaires dès lors que les critères
dagrément ne seraient pas préalablement
définis et communiqués à tout opérateur
souhaitant intégrer le réseau.
22. Suzuki ne conteste
pas que ses contrats de distribution cumulent exclusivité
du territoire et sélection des distributeurs, mais
fait valoir que, dans une lettre en date du 23 mai 2003,
la DGCCRF, qui a examiné le contrat de distribution
Suzuki, na formulé aucune objection contre ce
cumul de lexclusivité et de la sélection
et que ce silence conduit à considérer quil
nexiste pas déléments suffisamment
probants dans la plainte du CNPA pour la juger recevable en
ce quelle concerne le cumul de lexclusivité
et de la sélection.
23. Mais la lettre de la
DGCCRF, envoyée en cours dinstruction de la présente
affaire, ne constitue nullement une décision susceptible
de faire grief ou, au contraire, de mettre hors de cause la
société Suzuki. Le commissaire du Gouvernement,
dans ses observations, reconnaît dailleurs quun
examen au fond des contrats de distribution est justifié
au regard de larticle L. 420-1 du code de commerce,
de larticle 81 du traité de Rome et du règlement
communautaire sur les restrictions verticales.
24. Larticle 3
du contrat multimarque Suzuki contient une interdiction de
distribuer pendant le cours de lexécution du
contrat, directement ou indirectement, toute marque se rapportant
à des produits concurrents que ceux qui font lobjet
du contrat. Larticle 18 du même contrat prévoit
un engagement de non-concurrence postcontractuel dune
durée de six mois dans le cas où la résiliation
du contrat intervient à linitiative du concessionnaire.
Dans ses observations en réponse à la saisine,
Suzuki mentionne, sur ces points, la lettre que lui a adressée
la DGCCRF le 23 mai 2003 et dans laquelle cette
dernière considère que la clause de non-concurrence
« paraît excessive au regard des principes
énoncés par la Commission européenne
dans son règlement dexemption ».
Elle indique que, « bien évidemment,
Suzuki France se réserve dapporter à ses
contrats les modifications qui savéreraient nécessaires ».
Enfin, Suzuki a admis, lors de la séance, que la mise
en conformité de ses contrats de distribution avec
le règlement communautaire méritait un examen
approfondi.
25. Il ne peut dont être
exclu, à ce stade de la procédure et sous réserve
dune instruction au fond, que les limitations des débouchés
des concessionnaires Suzuki contreviennent aux dispositions
de larticle 4 du règlement sur les restrictions
verticales et que les engagements de non-concurrence contenus
dans ces contrats contreviennent aux dispositions de larticle 5
dudit règlement.
Les contrats de concession Kawasaki
26. Le saisissant soutient
que les contrats de Kawasaki cumulent lexclusivité
et la sélection et quils comportent des restrictions
qui ne peuvent être autorisées que dans un système
de distribution sélective. Kawasaki interdit à
ses concessionnaires « une politique active
de revente à lextérieur du territoire
à partir dun établissement non autorisé »
et leur interdit également « de revendre
des produits à des revendeurs ne faisant pas partie
du réseau ». Par ailleurs, le contrat
multimarque Kawasaki comporte une clause qui subordonne à
lautorisation du concédant la représentation
dautres marques que celles énoncées dans
le contrat. Sans apporter de réponses sur ces points,
la société Kawasaki a indiqué, lors de
la séance, quelle était ouverte à
des amendements à ses contrats afin de les mettre en
conformité avec le règlement communautaire.
27. Il ne peut donc être
exclu, à ce stade de la procédure et sous réserve
dune instruction au fond, que les contrats de Kawasaki
cumulent des dispositions exclusives et sélectives,
quils contiennent des limitations des débouchés
des concessionnaires contraire aux dispositions de larticle 4
du règlement sur les restrictions verticales et que
les engagements de non-concurrence quils contiennent
contreviennent aux dispositions de larticle 5 du
même règlement.
Les contrats de concession Honda
28. Le saisissant
soutient que les contrats mis en place par la société
Honda cumulent sélection des distributeurs et exclusivité
de territoire, et que la fixation dobjectifs de ventes
à atteindre au sein dun territoire constitue
une limitation indirecte des ventes passives des concessionnaires.
Honda précise que les motos de plus de 125 cc
sont distribuées dans le cadre de contrats de distribution
sélective et que celles de moins de 125 cc le
sont dans le cadre dun système exclusif. Elle
souligne que les dispositions sur les objectifs au sein dun
territoire sont contenues dans le contrat exclusif, et que
les objectifs de parts de marché présentés
par le saisissant comme des limitations aux ventes passives,
ne sont pas assignés au seul concessionnaire exclusif
de la zone, mais quil sagit dun objectif
de parts de marché des produits Honda sur ce territoire
et qui comprend les ventes réalisées par des
concessionnaires extérieurs, comme lindique larticle 7.2
du contrat exclusif, selon lequel : « afin
déviter toute ambiguïté, (...), que tous
les produits immatriculés sur ce territoire, y compris
ceux vendus par un tiers, seront pris en compte pour déterminer
si la couverture minimale a été atteinte ».
29. Toutefois, larticle 29
du contrat de distribution sélective prévoit
que ce contrat est conclu « intuitu personae »,
« en considération de la personne du
concessionnaire, et notamment de la forme juridique de son
entreprise, de lidentité et de la qualification
de ses propriétaires et dirigeants de droit ou de fait,
directs ou indirects et de celle de ses gestionnaires ».
Lexistence dune telle clause pourrait constituer
un obstacle à la sélection objective des concessionnaires
dès lors que les critères dagrément
ne seraient pas préalablement définis et communiqués
à tout opérateur souhaitant intégrer
le réseau.
30. Larticle 2
du contrat Honda prévoit que « le concédant
désigne le concessionnaire en qualité de concessionnaire
exclusif des produits dans le territoire. Pendant toute la
durée du présent contrat, le concédant
sinterdit de nommer dautres concessionnaires pour
les produits dans le territoire ». Le contrat
prévu par Honda pour la distribution des motos de plus
de 125 cc combine donc la sélection des distributeurs
et lexclusivité de territoire.
31. Aux termes de larticle 6
de ce contrat, intitulé « activité
en dehors du territoire convenu », il est prévu
que « pendant la durée du présent
contrat, le concessionnaire sengage à ne pas
prospecter la clientèle pour les produits ou entretenir
des succursales ou dépôts pour la distribution
des produits en dehors du territoire ». La
formulation de cet article pourrait limiter les incitations
des concessionnaires à développer les ventes
actives et passives en dehors de leur zone.
32. Enfin, le contrat sélectif
de Honda contient en son article 3.2 une clause de non-concurrence
ainsi rédigée : « Pendant
toute la durée du contrat, le concessionnaire sinterdit,
directement ou indirectement, de fabriquer acheter, utiliser,
vendre, louer ou mettre à disposition par tout autre
moyen des produits concurrents des produits sans laccord
préalable et écrit du concédant. »
Dans ses observations et au cours de la séance, Honda
a soutenu que larticle 5, point c,
du règlement communautaire stipule que la clause de
non-concurrence doit viser des concurrents « déterminés »
pour être interdite, et quen labsence dune
identification précise des sociétés cette
clause de non-concurrence est valide.
33. Mais le point 61 des
lignes directrices précise : « Le
règlement dexemption par catégorie couvre
la distribution sélective assortie dune obligation
de non-concurrence, qui interdit aux distributeurs de revendre
des marques concurrentes dune manière générale.
Toutefois, si le fournisseur empêche ses distributeurs
désignés, soit directement, soit indirectement,
dacheter des produits à certains fournisseurs
concurrents en vue de la revente, cette obligation ne peut
bénéficier de lexemption par catégorie.
En excluant cette obligation, lobjectif poursuivi est
déviter quun certain nombre de fournisseurs
qui utilisent les mêmes points de vente de distribution
sélective nempêchent un ou plusieurs concurrents
déterminés de passer par ces mêmes points
de vente pour distribuer leurs produits. »
Le contrat de distribution de Honda étant un contrat
multimarque, son article 3.2 pourrait créer les
conditions dune limitation de la pénétration
de fournisseurs concurrents au sein dun point de vente.
34. Au vu de ce qui précède,
il ne peut être exclu, à ce stade de la procédure
et sous réserve dune instruction approfondie,
que le contrat de distribution des motocycles immatriculés
de plus de 125 cc de Honda combine la sélection
des distributeurs et lexclusivité territoriale,
et que les limitations des débouchés des distributeurs
quil contient contreviennent aux dispositions de larticle 4
du règlement sur les restrictions verticales. Il ne
peut non plus être exclu, à ce stade de la procédure
et sous les mêmes réserves, que les engagements
de non-concurrence des contrats Honda contreviennent aux dispositions
de larticle 5 dudit règlement.
Les contrats de concession Yamaha
35. Le saisissant
soutient que les contrats mis en place par Yamaha cumulent
lexclusivité et la sélectivité.
Il ajoute que les clauses de non-concurrence contenues dans
les contrats de distribution de Yamaha sont contraires au
règlement sur les restrictions verticales.
36. La société
Yamaha, dans ses observations, démontre que le contrat
de distribution exclusif et sélectif, qui est en vigueur
pour la distribution des motos de plus de 125 cc, ne restreint
daucune manière la possibilité pour un
concessionnaire de vendre des produits à des consommateurs
finals ou à dautres membres du réseau.
Elle fait valoir, en outre, que la clause dengagement
de non-concurrence du contrat de distribution exclusif et
sélectif qui est en vigueur pour la distribution des
motos de plus de 125 cc nest pas, en elle-même,
contraire aux dispositions de larticle 5 puisquelle
est limitée à cinq ans et que le bénéfice
de lexemption de cette clause ne peut être perdu
pour ce motif.
37. Il résulte de
tout ce qui précède que la saisine comporte
suffisamment déléments probants pour justifier
un examen au fond des contrats de distribution mis en uvre
par Suzuki, Honda et Kawasaki sur le marché des motocycles
immatriculés. Larticle 7 du règlement
communautaire prévoit que les autorités nationales
de concurrence ont compétence pour effectuer le retrait
du bénéfice de lexemption lorsque les
accords verticaux en cause ont des effets sur le territoire
dun Etat membre et que le marché géographique
concerné est distinct. Les contrats en cause constituent
des accords verticaux qui limitent les distributeurs admis
à distribuer les produits des fournisseurs et donc
à faire partie des réseaux de distribution.
Larticle 81, paragraphe 1er,
du traité de Rome, dune part, et larticle
L. 420-1 du code de commerce, dautre part, interdisent
en des termes sensiblement voisins les accords entre entreprises
qui ont pour objet ou pour effet dempêcher, de
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le
marché. La saisine est donc recevable en ce quelle
concerne les contrats de distribution de Suzuki, de Honda
et de Kawasaki pris isolément. En revanche, il nexiste
pas au dossier déléments suffisamment
probants concernant le contrat de Yamaha. Il convient, en
conséquence, de faire application de larticle
L. 462-8 du code de commerce et de rejeter la saisine
au fond en ce quelle concerne les clauses du contrat
Yamaha pris isolément.
Sur
les effets cumulatifs des contrats de distribution de Suzuki,
Yamaha, Honda et Kawasaki :
38. Le saisissant soutient
que ladoption de contrats de distribution similaires
par les 4 principaux concédants de motocycles, qui
détiennent ensemble près de 70 % du marché,
restreint laccès au marché final pour
les nouveaux entrants et limite la concurrence entre les marques
présentes. Il fait valoir que « labsence
de concurrence par les prix découle de la limitation
de la concurrence intermarque par la souscription imposée
et généralisée entre les quatre marques
japonaises dun monomarquisme ou dun faux multimarquisme ;
de la limitation conjuguée de la concurrence intramarque
par loctroi dune exclusivité territoriale »
(cf. note 11) . Il considère que, conformément
à son article 8, le règlement communautaire
dexemption de groupe ne sapplique pas aux réseaux
parallèles de restrictions verticales qui couvrent
plus de 50 % du marché.
39. Le CNPA soutient encore
que les prix moyens des véhicules vendus par les principaux
constructeurs sont très proches et quil existe
une « augmentation progressive et constante
des prix de vente ». Il ajoute que « si
le CNPA reconnaît ne pouvoir démontrer une action
concertée entre les principaux acteurs de ce marché,
le choix dun modèle de distribution similaire
favorise les risques de collusion qui se traduisent pour les
5 acteurs dominants par lélimination de toute
concurrence intermarque au stade de la vente de détail
et par une homogénéisation des prix par lobligation
faite aux concessionnaires de suivre les politiques promotionnelles
du concédant ». (cf. note 12)
40. Mais, en premier lieu,
la saisine ne fournit aucun élément de comparaison
des niveaux de prix entre des modèles directement substituables.
Au surplus, il ne peut être soutenu, à partir
des éléments fournis par le saisissant sur le
prix moyen de lensemble des véhicules vendus
par chacun des concédants en 2001, que Suzuki, Kawasaki,
Honda et Yamaha pratiquent des prix qui sont proches. En effet,
il existe une différence de 19,8 % entre le prix
moyen des véhicules vendus le plus faible (Yamaha,
42 789 FF) et le plus élevé (Kawasaki,
51 284 F).
41. En deuxième
lieu, lévolution des prix nest pas uniforme,
daprès les constructeurs. Selon les informations
fournies par le saisissant, le prix moyen de Honda a augmenté
de 1,7 % entre 2000 et 2001 ; celui de Kawasaki
a augmenté de 3,8 % et celui de Yamaha, de 9,2 %.
Suzuki fait valoir que, entre 2000 et 2001, les hausses de
prix, tous modèles confondus, nont été
que de 3,4 % et non de 16 % comme lindique
par erreur le saisissant, et que, entre 2001 et 2002, les
prix ont baissé de 0,11 %. Ainsi, les éléments
figurant au dossier ne constituent pas des éléments
suffisamment probants dun parallélisme de comportement
ou dun alignement des prix ; au contraire, lécart
entre les prix moyens selon les constructeurs ainsi que les
différences dévolutions semblent traduire
lindépendance et lautonomie des offreurs.
42. En troisième
lieu, le conseil avait relevé, en 1991, que « Honda,
comme les grandes marques, nest pas à labri
de fluctuations dues à des phénomènes
de mode et au succès particulier dun modèle
dune autre marque faisant ainsi reculer sa position
de lannée dans une catégorie (cf.
note 13) ». Daprès les éléments
apportés par Honda sur lévolution des
parts de marché des quatre constructeurs japonais depuis
1980, les fluctuations des positions individuelles sont importantes.
Ainsi, à titre dillustration, Honda, qui détient
près de 19 % du marché en 2002, en détenait
25 % en 1995, 20 % en 1991, 33 % en 1985 et
plus de 38 % en 1980 ; la part de marché
de Suzuki, qui sélève à près
de 18 % en 2002, était de 12 % en 1995, de
20 % en 1991, de 7 % en 1984 et de 11 % en
1980. Lanalyse que le conseil avait développée
en 1991 est toujours dactualité et les producteurs
de motocycles présents sur le marché ne semblent
pas en mesure de sabstraire de la concurrence quils
font peser les uns sur les autres.
43. Au surplus, daprès
les éléments fournis par Honda, la part des
principaux constructeurs japonais (Honda, Yamaha, Suzuki et
Kawasaki) a chuté depuis 1980. En effet, ces marques
représentaient, prises ensemble, près de 88 %
du marché des motocycles en 1980, contre 77 %
en 1990 et 68 % en 2000. Les principaux acteurs du marché
des motocycles nont donc pas non plus les moyens de
sabstraire de la concurrence quexercent les autres
constructeurs.
44. Au vu de ce qui précède,
les éléments au dossier sont insuffisants pour
considérer quil nexiste pas de concurrence
sur le marché de la distribution des motocycles et
que le cumul dobligations contractuelles similaires
par les principaux fournisseurs serait à lorigine
dune atteinte à la concurrence. Il convient donc
de faire application de larticle L. 462-8 et de
rejeter la saisine au fond en ce quelle concerne leffet
cumulatif des contrats.
Sur
les autres pratiques dénoncées dans la saisine :
45. Le saisissant fait
état dun accroissement de la dépendance
des concessionnaires à légard des concédants
qui serait dû, dune part, à lexclusivité
ou à la quasi-exclusivité de marque dans laquelle
se trouvent les distributeurs, dautre part, aux objectifs
de vente et dachat pratiqués par les concédants
et, enfin, aux obligations en termes de stocks et de représentativité
de la marque ;
46. Mais, selon la jurisprudence
constante du Conseil, quatre critères doivent être
cumulativement remplis pour établir quun distributeur
se trouve sous la dépendance de son fournisseur :
la part du produit dans le chiffre daffaires du revendeur,
la notoriété de la marque du fournisseur, la
part de marché du fournisseur et limpossibilité
pour un revendeur de trouver une solution alternative (cf.
note 14) . Le conseil a eu loccasion de rappeler, postérieurement
à lentrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001,
que létat de dépendance implique « limpossibilité
dans laquelle se trouve une entreprise de disposer dune
solution techniquement et économiquement équivalente
aux relations contractuelles quelle a nouées
(cf. note 15) ». Le moyen de la saisine, selon
lequel la modification de larticle L. 420-2 de
la loi du 15 mai 2001, qui a éliminé
du texte de cet article la référence à
la notion de « solution équivalente »,
permettrait au conseil de saffranchir de la quatrième
condition lorsquil analyse une éventuelle situation,
doit être écarté. En effet, la notion
même de dépendance suppose labsence de
solution équivalente.
47. Afin dappréhender
limportance dune marque pour un distributeur,
le saisissant invoque une tendance au monomarquisme, en sappuyant
sur le fait que les contrats de distribution des quatre concédants
(Suzuki, Honda, Kawasaki et Yamaha) contiennent des engagements
de non-concurrence.
48. Mais les éléments
apportés par le saisissant sur la répartition
des concessions monomarques et multimarques de chacun de ces
concédants (cf. note 16) , et selon lesquels sont monomarques
70 % des concessions Honda, 40 % des concessions
Suzuki, 67 % des concessions Yamaha et 31 % des
concessions Kawasaki, montrent que lactivité
de la majorité des distributeurs de motocycles ne dépend
pas que dune seule marque. Par ailleurs, le Conseil
a établi quun concessionnaire automobile (monoproduit,
monomarque) ne se trouve pas en situation de dépendance
à légard de son concédant dès
lors que les concessionnaires peuvent passer dun réseau
de constructeur à un autre et quil existe dautres
solutions de conversion pour le concessionnaire évincé
(cf. note 17) .
49. La saisine napporte
aucun élément probant permettant dapprécier
les différences de notoriété de chacune
des marques de motocycles immatriculées afin de conclure
à leur caractère indispensable pour lactivité
des concessionnaires. Au contraire, loffre est assurée
par un oligopole sans quil existe véritablement
de marque dominante et même si 70 % du marché
est desservi par les quatre marques principales, il demeure
que ces marques paraissent substituables aux yeux des consommateurs.
En labsence de véritable prééminence
dune marque, le troisième critère sur
la part de marché du fournisseur nest pas non
plus rempli.
50. Enfin, la saisine ne
produit aucun élément sur labsence de
solutions équivalentes pour les distributeurs. Au contraire,
la société Honda apporte des exemples de concessionnaires
qui ont quitté son réseau pour distribuer dautres
marques japonaises (6 sur 131 résiliations entre 1994
et 2001). La société Yamaha avance quelle
nest à lorigine que de 5 résiliations
de concessions sur les 18 constatées dans ce réseau
depuis 1996 et que, sur ces 5 résiliations, 3 concessionnaires
ont retrouvé un autre panneau. Au vu de ce qui précède,
il convient de faire application de larticle L. 462-8
et de rejeter la saisine en ce quelle concerne un état
de dépendance dun réseau de distributeurs
à légard dun des concédants
au sens de larticle L. 420-2 du code de commerce.
51. Par ailleurs, en labsence
déléments concrets sur la dépendance
de concessionnaires particuliers vis-à-vis de lun
ou lautre des concédants, la saisine suggère
quil y aurait lieu de considérer la dépendance
que subirait une profession entière (les concessionnaires
motos) vis-à-vis de lensemble des constructeurs
du fait des contrats de distribution. Cependant, une telle
approche est contraire à larticle L. 420-2
du code de commerce, aux termes duquel « est
en outre prohibée, dès lors quelle est
susceptible daffecter le fonctionnement ou la structure
de la concurrence, lexploitation abusive par une entreprise
ou un groupe dentreprises de létat de dépendance
économique dans lequel se trouve à son égard
une entreprise client ou fournisseur ». Les
situations de dépendance relevant de la disposition
précitée du code de commerce sinscrivent
dans le cadre de relations bilatérales entre deux entreprises
et doivent donc être évaluées au cas par
cas, et non pas globalement pour toute la profession.
II. - Sur la
demande de mesures conservatoires
52. A
la suite de la transposition en droit national de directives
européennes (cf. note 18) fixant la procédure
communautaire de réception et dhomologation des
véhicules à deux roues et des normes démission,
dites Euro 1, seuls les véhicules neufs conformes
à cette réglementation et les véhicules
doccasion (ayant fait lobjet dune immatriculation
avant cette date) pourront, à compter du 18 septembre 2003,
être mis en circulation.
53. La partie saisissante
dénonce la façon dont les concédants
ont organisé la vente aux concessionnaires des modèles
qui ne seront plus conformes aux dispositions des directives
européennes après le 17 septembre 2003.
Elle fait état de pressions, de ventes forcées
et de ventes liées. Elle souligne que « les
ventes forcées entraîneront une déstabilisation
générale du marché du deux-roues motorisé
à court terme puisque lensemble des concessionnaires
des réseaux de marque devront subir à compter
du 17 septembre 2003 les incidences financières
de cette transformation artificielle de véhicules neufs
en véhicules doccasion ».
54. Le CNPA demande, en
conséquence, au Conseil, sur le fondement de larticle
L. 464-1 du code de commerce, denjoindre, sous
astreinte, à Yamaha, MBK, Honda, Kawasaki, Derbi, Piaggio,
Peugeot et Suzuki de :
« - reprendre
à compter du 18 septembre 2003 au prix facturé
au concessionnaire, frais de publicité et transport
compris, les véhicules non conformes à lhomologation
européenne restant en stock chez le distributeur ;
- livrer les véhicules
conformes demandés sans les subordonner à lacquisition
de véhicules non conformes ;
- supprimer immédiatement
des précommandes les véhicules non conformes
à la réglementation européenne. »
55. Un lien de causalité
direct et certain doit exister entre les pratiques anticoncurrentielles
dénoncées dans la saisine au fond et latteinte
grave et immédiate dont il est fait état dans
la demande de mesures conservatoires. La Cour de cassation
énonce, en effet, dans un arrêt du 18 avril 2000,
Numéricâble : « Des mesures
conservatoires peuvent être décidées sur
le fondement de larticle 12 de lordonnance
de 1986 par le Conseil de la concurrence, dans les limites
de ce qui est justifié par lurgence, en cas datteinte
grave et immédiate à léconomie
générale, à celle du secteur intéressé,
à lintérêt des consommateurs ou
à lentreprise plaignante, même sans constatation
préalable de pratiques manifestement illicites au regard
des articles 7 et 8 de lordonnance du 1er décembre
1986, dès lors que les faits dénoncés
et visés par linstruction dans la procédure
au fond sont suffisamment caractérisés pour
être tenus comme la cause directe et certaine de latteinte
relevée » ;
56. Or, la demande de mesures
conservatoires présentée par le CNPA ne trouve
pas son origine dans les conséquences des pratiques
dénoncées dans la saisine au fond.
57. Dun point de
vue formel, les pratiques dénoncées dans la
saisine au fond ne sont pas invoquées au titre des
mesures conservatoires et, réciproquement, la demande
de mesures conservatoires est fondée sur des faits
distincts de ceux auxquels il est fait allusion dans la saisine
au fond.
58. Le marché des
cyclomoteurs non immatriculés dont le saisissant précise,
dans son mémoire complémentaire du 23 juin 2003,
quil sera concerné au premier chef par la mise
en uvre des dispositions communautaires nest pas
abordé dans la saisine au fond, qui ne concerne que
le marché des motocycles immatriculés. En outre,
certaines des sociétés visées dans la
demande de mesures conservatoires ne sont pas visées
par la saisine au fond, qui ne concerne que les principaux
acteurs de la vente de motocycles immatriculés.
59. Dun point de
vue pratique, il nexiste aucun rapport entre les pratiques
dententes verticales ou dabus de dépendance
dénoncées dans la saisine, qui prendraient place
sur le marché des motocycles immatriculés, et
celles qui fondent la demande de mesures conservatoires. Les
pratiques dénoncées dans la demande de mesures
conservatoires sont présentées comme des « contraintes ».
Le saisissant avance : « Fin 2002-début
2003, tous les concédants, sans exception, ont mené
une politique active de stockage auprès de leurs concessionnaires
tout en omettant de préciser que ces véhicules
ne pourraient plus être commercialisés quelques
semaines plus tard (...). Autrement dit, les concédants
et fabricants ont contraint leurs distributeurs à acheter
des véhicules dont ils savaient depuis 4 ans quils
ne pourraient les commercialiser après le 17 juin 2003. »
Mais aucun élément nest apporté
qui permettrait de conclure à lexercice dune
contrainte exercée sur les concessionnaires par les
concédants.
60. Selon le saisissant,
lexamen des bons de précommande de Peugeot et
de MBK (pièce 78) montre que ces concédants
ont organisé des ventes forcées. Or, ces bons
de précommande listent les véhicules que peuvent
acheter les concessionnaires et comprennent des modèles
qui ne seront plus conformes aux nouvelles normes européennes
à compter du 17 septembre 2003 et des modèles
qui seront conformes. Le choix de lapprovisionnement
est laissé au concessionnaire et aucun élément
ne permet donc den déduire une vente forcée.
61. La lettre émanant
dun inspecteur commercial régional de Suzuki
(pièce 100) démontrerait, selon la partie saisissante,
quun concessionnaire se serait vu imposer la livraison
dun modèle non conforme, ce qui établirait
que ce concédant a eu recours à des ventes forcées.
Mais Suzuki a fourni, le 11 juillet 2003, une lettre
de ce commercial qui indique : « En effet,
lors de la mise en promotion de la GZ 125 K2 à
un tarif possible de 1 999 Euro, jai adressé
un fax à mes clients ne possédant pas cette
moto en stock pour leur proposer cette excellente affaire
(prix possible avant promotion : 2 590 Euro).
Mon but était de leur proposer cette excellente affaire
car les quantités en stock chez Suzuki France étaient
faibles, je leur permettais ainsi de bénéficier
dau moins une unité. (...) AZ Moto a refusé
ma proposition... ce qui ne la pas empêché
den commander 6 sur le mois de mai et de se plaindre
(...) de ne pouvoir en acheter plus. » Il convient
donc décarter la mise en uvre dune
quelconque pression de la part de Suzuki.
62. Selon la partie saisissante,
MBK aurait, elle aussi, organisé des ventes liées.
Le bon de commande de MBK intitulé « conditions
spéciales pré-saison mai-septembre 2003 »
(pièce 79) prévoit une « obligation
de commander une unité de XLIMITSM/SL. 2002
(modèle qui ne sera plus conforme à compter
du 17 septembre 2003) pour toute commande de
modèle 2003 ». Aucun autre élément
ne permet de qualifier cette vente subordonnée de pratique
anticoncurrentielle contraire aux dispositions des articles
L. 420-1 ou L. 420-2 du code de commerce dès
lors quil nest pas démontré quelle
résulterait dune entente entre MBK et ses distributeurs
et quaucun élément ne permet de penser
que MBK aurait une position dominante ou tiendrait des distributeurs
dans sa dépendance.
63. Par ailleurs, les autres
constructeurs sexpliquent sur la façon dont ils
ont organisé les ventes des modèles non conformes
à compter du 18 septembre 2003 et aucun élément
de contrainte ne peut en être déduit.
64. Au vu de ce qui précède,
il apparaît, dune part, que la demande de mesures
conservatoires nest pas liée à la saisine
au fond et, dautre part, il nest pas établi
que les faits invoqués au soutien de cette demande
puissent être qualifiés de pratiques anticoncurrentielles,
au sens des dispositions du livre IV du code de commerce.
Dès lors, la demande de mesures conservatoires enregistrée
sous le numéro 03/0036 M doit être rejetée.
Décision :
Art. 1er. - La
saisine no 03/0035 F du CNPA est rejetée
en ce quelle concerne les clauses du contrat Yamaha,
en ce quelle concerne leffet cumulatif des contrats
de Suzuki, Yamaha, Honda et Kawasaki sur le marché
des véhicules à moteur à deux roues immatriculés
et en ce qui concerne labus de la dépendance
économique dans laquelle chacun de ces constructeurs
ou lensemble dentre eux tiendraient les concessionnaires.
Art. 2. - La
demande de mesures conservatoires enregistrées sous
le numéro 03/0036 M est rejetée.
Délibéré, sur
le rapport oral de Mme Aloy, par M. Jenny, vice-président,
présidant la séance, MM. Flichy, Gauron
et Robin, membres.
La secrétaire de séance, Christine Charron
|
Le vice-président, présidant la séance,
Frédéric Jenny
|
NOTE (S) :
(1) Décision 01-MC-07 du 21 décembre 2001.
(2) Décision no 91-D-31
du 18 juin 1991.
(3) En 1995, 218 198 véhicules,
en 1996, 220 099 et en 1997, 214 979.
(4) Toutes les parts de marché sont
fournies par la CSNM.
(5) En 1995, 84 249 véhicules
vendus, en 1996, 115 958, en 1997, 147 890, en 1998,
172 336, en 1999, 192 744.
(6) En 2002, 113 852 véhicules
de plus de 125 cc vendus contre 54 902 entre 50 cc
et 125 cc.
(7) Saisine du 16 mai, page 72.
(8) Règlement (CE) no 2790/1999
du 22 décembre 1999 concernant lapplication
de larticle 81, paragraphe 3, du traité
à des catégories daccords verticaux et
de pratiques concertées, JOCE no L 336
du 29 décembre 1999, pages 21-25, ci-après
« le règlement communautaire ».
(9) Mémoire du 11 juillet 2003.
(10) Communication de la Commission « Lignes
directrices sur les restrictions verticales »,
no 2000/C 291/01, JOCE no C 291/1
du 13 octobre 2000, ci-après « les
lignes directrices ».
(11) Page 37 de la saisine.
(12) Saisine du 16 mai 2003, page
74.
(13) Décision no 91-D-31
du 18 juin 1991.
(14) Décision no 89-D-16
du 2 mai 1989, décision no 90-D-23
du 3 juillet 1990, CA Paris 12 juillet 1990,
13 juin 19991 et 7 juillet 1995.
(15) Décision no 2001-D-49
du 31 août 2001.
(16) Page 8 de la saisine.
(17) Décision no 89-D-16.
(18) Directive communautaire du Conseil relative
à la réception des véhicules à
moteur à 2 ou 3 roues, JOCE no L 225
du 10 octobre 1992, pages 72-100, et directive
communautaire 97/24/CE du Parlement européen et du
Conseil du 17 juin 1997 relative à certains
éléments ou caractéristiques des véhicules
à moteur à 2 ou 3 roues, JOCE no L 226
du 18 août 1997. La transposition en droit
national sest faite par un arrêté en date
du 7 juillet 1995 (JO no 178
du 1er août 1995), modifié
par un arrêté du 3 septembre 1997 (JO
no 224 du 26 septembre 1997).
Ce dernier texte avait prévu une date butoir à
compter de laquelle les véhicules neufs ne pourront
être mis en circulation que sils ont été
réceptionnés conformément aux dispositions
de la directive. Ce délai, fixé intialement
au 17 juin 2003, a été reporté
au 17 septembre 2003.
|