Avis  no 02-A-15 du Conseil de la concurrence en date du 23 décembre 2002 relatif à la reprise de la société Ouest Répartition pharmaceutique par la société Alliance Santé Distribution

NOR :  ECOC0300228V

    Le Conseil de la concurrence (section III, A),
    Vu la lettre du 25 septembre 2002, enregistrée sous le no 02/0085/A, par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a saisi le Conseil de la concurrence, en application des dispositions des articles L. 430-1 à L. 430-7 du code de commerce, d’une demande d’avis relative à la reprise de la société Ouest Répartition pharmaceutique (ORP) par la société Alliance Santé Distribution, dans le secteur de la répartition pharmaceutique ;
    Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7, ainsi que le décret no 2002-689 du 30 avril 2002 fixant ses conditions d’application ;
    Vu les observations présentées par les représentants de la société Alliance Santé Distribution et le commissaire du Gouvernement ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Les rapporteurs, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Alliance Santé Distribution entendus lors de la séance du 17 décembre 2002,
    Adopte l’avis fondé sur les constatations et les motifs ci-après exposés :

I.  -  LES ENTREPRISES PARTIES À L’OPÉRATION
A.  -  La Société Alliance Santé Distribution

    1.  Alliance Santé Distribution a été constituée à la suite de la fusion, en 1999, des sociétés IFP Santé, ORPEC et ERPI Santé. Elle est la filiale à 98,6 % de Alliance Santé France, elle même filiale à 100 % du groupe britannique de distribution pharmaceutique Alliance UniChem qui assure 20 % des ventes au niveau européen et est classé quatrième au plan mondial. En France, Alliance Santé, avec 55 établissements répartis sur le territoire, est le deuxième opérateur du marché avec un peu moins de 30 % de parts de marché. Son chiffre d’affaires s’est élevé à 4,8 milliards d’euros en 2001 soit 31,8 milliards de francs.

B.  -  La Société Ouest Répartition pharmaceutique

    2.  La société Ouest Répartition pharmaceutique (ORP) a été créée à Auray, en 1991, par deux répartiteurs, COF de Niort et CERP Bretagne Nord. Depuis janvier 2002, son capital est réparti à parts égales entre six actionnaires dont l’un est Alliance Santé Distribution. Son chiffre d’affaires est passé de 139 millions de francs en 1994 à 1,5 milliard de francs en 2001, soit une multiplication par dix en sept ans. ORP, avec trois établissements implantés à Auray (56), Flers-en-Escrebieux (59) et à Rupt-sur-Moselle (88), est le cinquième opérateur sur le marché français avec 1,47 % de part de marché.
    3.  ORP a un positionnement particulier sur le marché. Tout en continuant à assumer les obligations traditionnelles qui s’imposent à tout répartiteur (voir § 18), notamment quant aux stocks et aux pluri-livraisons journalières (full-liner), elle propose des mono-livraisons quotidiennes, voire hebdomadaires (short-liner). Les remises associées à ce type de service réduit sont plus importantes, sans pour autant dépasser les plafonds réglementaires.

II.  -  L’OPÉRATION NOTIFIÉE
A.  -  Les difficultés de la société Ouest Répartition pharmaceutique
(ORP) et les offres de reprise présentées au tribunal de commerce

    4.  ORP a été déclarée en état de cessation de paiement le 28 janvier 2002. Le bilan économique et social, établi par les administrateurs désignés par le tribunal de commerce de Nantes, relate les difficultés qui ont mené au dépôt de bilan et à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire. Il note que l’accroissement très sensible du chiffre d’affaires, passé de 21,19 millions d’euros en 1994 à 236 millions en 2001, a généré d’importants besoins en fonds de roulement qui n’ont pas été pris en compte par les gestionnaires. Ces besoins ont été d’autant plus importants qu’ORP a entrepris de livrer jusque dans le sud-est, à partir de ses établissements situés dans l’ouest et le nord, générant des coûts de transports élevés. Dans le même temps, l’entreprise a consenti aux clients des conditions commerciales plus favorables que celles couramment pratiquées dans la profession, provoquant ainsi une dégradation de la marge brute. En conséquence, le déficit a plus que décuplé en quatre ans, passant de - 89 779 Euro en 1997 à - 9 702 429 Euro en 2001.
    5.  A plusieurs reprises, les dirigeants d’ORP ont été alertés sur les risques générés par cette politique commerciale. En avril 2000, le conseil d’administration note qu’un accord de collaboration commerciale conclu avec le groupement de pharmaciens Giropharm génèrera un besoin en capitaux propres de 50 millions de francs. A nouveau, le conseil d’administration du 19 décembre 2000 signale que les banques, constatant l’endettement croissant et la forte hausse du chiffre d’affaires, souhaitent « vivement » que les fonds propres soient renforcés, les besoins étant chiffrés à 60 millions de francs. Le bilan financier dressé lors du conseil d’administration du 26 novembre 2001 constate que, face à une hausse de 26 % du chiffre d’affaires, la marge brute ressort à - 0,27 %, la masse salariale a cru de 18 %, le transport sur vente est trop élevé, les pertes, à hauteur de 20,5 millions de francs, ont plus que doublé par rapport à la même période 2000, tandis que les capitaux propres sont de 33,2 millions de francs contre 53,7 millions en décembre 2000.
    6.  Les tentatives de recapitalisation d’ORP, faites en 2000 et 2001, échouent, notamment en raison des désaccords entre les actionnaires et de leurs exigences financières très élevées au vu de la situation de l’entreprise. En particulier, ORP a rejeté l’offre de la société Phoenix Pharma. Les ultimes négociations menées fin 2001 aboutissent à l’agrément, par le conseil d’administration du 9 janvier 2002, de la société Alliance Santé comme nouvel actionnaire, et une assemblée générale extraordinaire est convoquée pour le 29 janvier 2002. Toutefois cette décision est trop tardive pour empêcher la mise en redressement judiciaire d’ORP, le 28 janvier 2002, par jugement du tribunal de commerce de Nantes. L’acquisition par la société Alliance Santé Distribution de la société Ouest Répartition Pharmaceutique s’effectue dans le cadre de cette procédure.
    7.  Un rapport d’expertise du 4 juillet 2002, établi à la demande des administrateurs judiciaires, expose diverses anomalies constatées dans la gestion de la société ORP. [...]
    8.  Par jugement en date du 26 juin 2002, le tribunal de commerce de Nantes arrête le plan de continuation soumis par Alliance Santé, après avoir constaté qu’il s’agit de la seule offre présentée, en notant que ce plan permet d’envisager positivement la pérennité de l’entreprise, le maintien de la quasi totalité des emplois et un désintéressement non négligeable des créanciers.

B.  -  Le plan de continuation d’alliance santé

    9.  Ce plan consiste essentiellement à maintenir l’activité et les effectifs dans leur intégralité, en conservant la société ORP dont Alliance Santé sera le principal actionnaire avec plus de 80 % du capital. ORP accédera aux services d’automatisation des agences, de télétransmission et d’informatique de réseau mis en place par Alliance et bénéficiera, auprès des fournisseurs, des conditions d’achat et de règlement négociées par le groupe.

III.  -  CONTRÔLABILITÉ

    10.  La contrôlabilité d’une opération de concentration relève de la combinaison des articles L. 430-1 et L. 430-2 du code du commerce.
    11.  Aux termes de l’article L. 430-1 du code du commerce :
    « I.  -  Une opération de concentration est réalisée : 1o  Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ; 2o  Lorsqu’une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins ou lorsqu’une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l’ensemble ou de parties d’une ou plusieurs autres entreprises. (...)
    « III.  -  Aux fins de l’application du présent titre, le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement, et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise, et notamment : des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d’une entreprise ; des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d’une entreprise. »
    12.  La société Alliance Santé détient, après l’opération, 41 998 des 50 000 actions de la société ORP, soit 84 % de son capital. L’opération constitue donc une concentration au sens du texte précité.
    13.  L’article L. 430-2 du code du commerce définit les seuils de chiffre d’affaires au delà desquels une opération de concentration est contrôlable « (...). Le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou groupes des personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 millions d’euros ; (...). Le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes des personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 millions d’euros. »
    
14.  Avec des chiffres d’affaires France consolidés s’élevant respectivement, pour 2001, à 228 millions d’euros pour ORP et 4,84 milliards d’euros pour Alliance Santé, les deux entreprises se situent au delà des seuils rappelés ci-dessus.

IV.  -  DÉLIMITATION DES MARCHÉS CONCERNÉS
PAR L’OPÉRATION

    15.  Les deux sociétés concernées par l’opération ont, pour activité principale, la distribution des médicaments aux officines pharmaceutiques. Elles ont, pour activité accessoire, la distribution de produits de dermo-cosmétique et de parapharmacie. Ces deux catégories de produits, dont la vente auprès du consommateur n’est pas réservée exclusivement au circuit officinal, sont principalement distribuées par d’autres canaux que celui des grossistes répartiteurs. Par conséquent, l’opération soumise à l’examen du Conseil n’a pas d’impact sensible sur la situation de la concurrence sur les marchés de ces deux catégories de produits.
    16.  Les effets de l’opération peuvent être appréciés à deux niveaux : celui, en amont, de l’approvisionnement des répartiteurs par les laboratoires, d’une part, celui, en aval, de l’approvisionnement des officines par les répartiteurs, d’autre part.
    17.  En ce qui concerne l’approvisionnement en spécialités pharmaceutiques des officines par les répartiteurs, les spécificités de cette activité permettent de considérer qu’elle constitue un marché pertinent.
    18.  En effet, il existe 300 laboratoires et environ 280 fabricants d’accessoires ou de dispositifs paramédicaux en France, et leurs produits sont distribués par 22 700 officines en métropole. 75 % des 7 300 spécialités pharmaceutiques se vendent, en moyenne, à moins d’une unité par mois et par officine et seulement 2 % se vendent à plus de 10 unités. Une pharmacie doit être en mesure de délivrer dans la journée les médicaments prescrits. Les grossistes-répartiteurs pharmaceutiques, intermédiaires logistiques entre les laboratoires et les pharmacies, sont organisés pour livrer sous quelques heures, et quel que soit l’endroit, les médicaments qui leurs sont commandés par les officines. Le code de la santé publique fixe les modalités d’exercice de l’activité de grossiste répartiteur. Chaque établissement doit justifier d’une autorisation d’ouverture et doit déclarer le territoire sur lequel il exerce son activité de répartition. Toute commune dans laquelle l’établissement dessert habituellement au moins une officine fait partie de ce territoire. L’établissement doit disposer en permanence d’un assortiment de médicaments comportant au moins 90 % des présentations effectivement exploitées en France avec un stock correspondant à 15 jours de vente. Il doit être en mesure de livrer, dans les 24 heures suivant la réception de la commande, tout médicament faisant partie de son assortiment et il doit pouvoir livrer tout médicament à toute officine qui le lui demande. Ainsi, les répartiteurs n’ont le choix ni de leurs fournisseurs ni de leurs clients.
    19.  En ce qui concerne l’étendue géographique de ce marché, la zone de chalandise couverte par chaque établissement est contrainte, d’une part, par la densité de la couverture du territoire en officines et, d’autre part, par les obligations réglementaires qui pèsent sur les répartiteurs en termes de stocks, de fréquence et de délais de livraison. Les coûts de transports et de logistique induits par une zone de chalandise trop étendue pèsent rapidement sur la rentabilité du répartiteur. Ainsi, les difficultés d’ORP sont nées en partie de l’extension de ses livraisons dans le sud-est du territoire, à partir de ses entrepôts situés dans le nord de la France.
    20.  Dans sa décision du 5 avril 1993 rendue à l’occasion de la prise de participation du groupe Gehe dans OCP, la Commission européenne expose que « Si l’on considère (...) le marché pertinent du point de vue géographique comme le territoire sur lequel l’offre et la demande se confrontent dans des conditions concurrentielles suffisamment homogènes, on ne peut délimiter que des marchés régionaux formés par les territoires de livraison des établissements des concurrents, territoires qui se chevauchent. »
    21.  Les données chiffrées communiquées par les opérateurs du marché confirment le caractère local des ventes aux officines. L’étendue de ces zones de chalandise est variable et dépend de la densité et de la qualité du réseau routier, de la densité de circulation, de la densité d’implantation des pharmaciens. Par exemple, pour Alliance Santé, la distance maximale de livraison de l’établissement de Bastia est de 203 kilomètres, celle l’établissement de Bayonne est de 148 kilomètres. Pour Amiens, le délai de livraison maximum est de 2 heures 15 minutes, pour Bordeaux, il est de 1 heure 15 minutes.
    22.  Enfin, bien que les trois principaux grossistes-répartiteurs soient présents sur l’ensemble du territoire national, on constate une grande disparité de leurs parts de marché au niveau local, celle d’Alliance Santé variant par exemple de 60 % à Tours à 6,5 % à Saint-Brieuc. Le troisième d’entre eux, CERP, est d’ailleurs organisé en quatre sociétés régionales indépendantes. En ce qui concerne les petits concurrents, tels ORP et Phoenix, leur implantation est concentrée sur certaines régions (nord pour ORP, région parisienne pour Phoenix).
    23.  En ce qui concerne l’approvisionnement des répartiteurs par les laboratoires et les fabricants d’accessoires ou de dispositifs paramédicaux, les politiques d’achat des trois grands grossistes répartiteurs sont centralisées au niveau national, y compris pour les CERP qui ont constitué une centrale d’achat nationale. Il y donc lieu de considérer que ce marché est national.

V.  -  BILAN CONCURRENTIEL
A.  -  Le contexte concurrentiel préexistant à l’opération
est peu favorable aux comportements offensifs

    24.  Outre ASD, qui a réalisé, en 2001, 28,3 % des ventes au niveau national, deux autres acteurs principaux sont présents sur le marché de la répartition pharmaceutique : OCP, filiale du groupe allemand Gehe, leader européen, détenait 40,1 % du marché en 2001 ; les CERP, coopératives de pharmaciens, totalisaient 25,92 % du marché, dont 12,82 % pour CERP Rouen, 7,07 % pour CERP Rhin-Rhône-Méditerranée, 3,97 % pour CERP Lorraine et 2,07 % pour CERP Bretagne/Nord. Le marché est donc très concentré, les trois principaux concurrents, OCP, Alliance Santé et CERP Rouen totalisant 81,3 % du marché en 2001. Si les CERP sont considérées comme une seule entité, ce poids s’élève à 94,1 %. Dans ce dernier cas, les parts de marché des membres de cet oligopole sont, de plus, relativement symétriques. Les autres entreprises présentes ont des parts de marché plus modestes : 3,34 % pour Phoenix Pharma, filiale d’un grand groupe allemand de répartition, 1,47 % pour ORP, 0,35 % et 0,25 %, respectivement, pour Sogiphar et RBP Pharma, récemment créées par des groupements de pharmaciens.
    25.  Sur ce marché, la réglementation rend les prestations et les prix extrêmement homogènes. De plus, la demande de médicament correspond à sa prescription par le corps médical ; elle est donc inélastique au prix. Cette rigidité au regard des prix est encore accentuée du fait de l’encadrement réglementaire des prix, des marges et des remises commerciales.
    26.  Le marché est rendu transparent d’une part, par l’existence d’un suivi mensuel et départemental des parts de marchés, établi par la chambre syndicale de la répartition pharmaceutique et, d’autre part, par l’existence de fortes relations de proximité avec l’officine.
    27.  L’entrée sur ce marché est confrontée à des barrières importantes. Les obligations réglementaires qui pèsent sur les répartiteurs en termes de stocks, de fréquence et de délais de livraison, conjuguées à la densité de la couverture du territoire en officines, en font une activité aux coûts fixes élevés. Les marges étant par ailleurs réglementées, la rentabilité des répartiteurs repose sur le développement des volumes de ventes. De plus, la demande des officines est relativement rigide, comme en témoignent les taux de reconduction très élevés des répartiteurs. Enfin, les laboratoires pharmaceutiques ont récemment mis en place des quotas de livraisons annuels, indexés sur les ventes des années précédentes, afin de lutter contre les circuits d’exportations parallèles, ce qui contribue encore à fermer l’accès à l’activité de grossiste-répartiteur.
    28.  Ainsi, ce marché présente la plupart des caractéristiques défavorables à l’exercice d’une concurrence effective entre les membres de l’oligopole. Le Conseil a déjà été amené à faire cette analyse en constatant que des accords de répartition des parts de marché avaient été négociés de 1993 à 1997 entre les sociétés OCP, ASD et CERP Rouen, pratiques qu’il a condamnées dans sa décision no 01-D-07 du 29 mai 2001. Le Conseil avait notamment constaté dans cette décision, qu’en dépit de la réglementation des remises, la conquête de parts de marché par l’un des répartiteurs pouvait entraîner une guerre commerciale susceptible de le contraindre à respecter les accords de répartition : « En trois semaines, du 1er au 20 octobre 1996, les répartiteurs auraient perdu, à la suite de la guerre commerciale menée dans la région parisienne, un tiers de leur résultat et dégradé leur trésorerie de plusieurs dizaines de millions de francs. »
    29.  Plusieurs facteurs, susceptibles de favoriser une évolution vers un comportement concurrentiel plus offensif des principaux acteurs sur ce marché, peuvent cependant être signalés.
    30.  En premier lieu, une partie des achats des pharmaciens (spécialités non remboursables et génériques), sont faits directement auprès des laboratoires. Les génériques ne représentent pour le moment qu’une part limitée des spécialités pharmaceutiques mais devraient connaître une forte croissance, favorisée par les pouvoirs publics. Ainsi, la remise peut s’élever à 10,74 % pour les ventes de génériques. De plus, les laboratoires ont fait des ventes directes une stratégie de conquête de parts de marché (le pharmacien est prescripteur de générique). Ce circuit de vente bénéficie par ailleurs d’un avantage de coût puisqu’il n’est pas soumis, contrairement aux ventes des grossistes répartiteurs, à la taxe ACOSS. La croissance de la part des achats de médicaments effectués par les officines directement aux laboratoires est d’ores et déjà perceptible : 11,15 % en 2001 contre 8,7 % en 2000 et 7,49 % en 1999.
    31.  En second lieu, l’entrée sur le marché de la répartition pharmaceutique est relativement plus facile pour une société affiliée à un groupement de pharmaciens, puisque ses adhérents ont un intérêt direct à travailler avec le répartiteur du groupement ce qui lui garantit un certain volume d’affaires lui permettant de rentabiliser son investissement. Sogiphar, qui est une émanation du groupement de pharmaciens Giphar (1 200 pharmaciens répartis sur toute la France), a atteint en 2001, année de sa création, 0,35 % de part de marché. Son représentant a déclaré que Sogiphar avait été créée pour réagir à la concentration du secteur : « Cette décision, plus politique qu’économique, permet à notre coopérative de disposer d’un contre-pouvoir face à la toute-puissance des trois groupes de répartition établis... ». De même, RBP Pharma, créée en 2000 et apparentée au groupement Pharma Référence, a atteint 0,26 % de part en marché en 2001. Le représentant du groupement de pharmaciens Népenthès (3 600 adhérents) indique également : « Notre part de marché en nombre d’officines adhérentes est de 15 % du marché et nous avons l’intention d’organiser notre propre réseau de distribution ».


B.  -  L’acquisition d’ORP par Alliance Santé ou sa disparition ne sont toutefois pas de nature à avoir un effet négatif sur ce contexte concurrentiel

a)  L’opération ne renforce pas le pouvoir
de marché d’Alliance Santé

    32.  Au niveau national, l’apport de la part de marché d’ORP, soit 1,47 %, à Alliance Santé, porterait la part de la nouvelle entité à 29,8 %. Il apparaît donc trop limité pour avoir un effet sur le pouvoir de marché d’Alliance Santé, tant sur le marché de l’approvisionnement des répartiteurs par les laboratoires qu’en ce qui concerne la livraison des officines en médicaments.
    33.  Au niveau local, deux séries de données sont disponibles : l’une, communiquée par la société Alliance Santé, donne les parts de marché par département, sachant que les zones de chalandise des établissements sont, en fait, plus larges ; l’autre compare les parts des acteurs présents sur les zones de chalandises d’OCP, qui dispose de 33 établissements sur le territoire national.
    34.  Deux, au moins, parmi les trois principaux répartiteurs, opèrent sur chaque département. En conséquence, la disparition d’ORP laisse comme alternative aux officines au moins deux des principaux répartiteurs. Dans l’Ariège, où Alliance Santé réalise, avant l’opération, une part majoritaire des ventes (57,4 %), les ventes d’ORP sont trop limitées (1,9 %) pour conférer au nouvel ensemble un avantage sensiblement accru. Dans les Hauts-de-Seine, il atteindrait 48,3 % (ORP avait 7,8 % et Alliance 40,5 %), contre 44,3 % pour OCP, CERP Rouen avoisinant 7,4 %.
    35.  En ce qui concerne les parts de marché sur les 33 zones de chalandises couvertes par les établissements OCP, l’acquisition d’ORP par Alliance Santé ne modifie pas non plus significativement la répartition observée avant l’opération. Sur l’établissement du Mans, le nouvel ensemble atteint 57,17 % de parts de marché, mais la situation préexistait à l’opération, l’apport d’ORP étant limité à 1 %. Sur l’établissement de Tours, le nouvel ensemble atteint 62,01 % de part de marché, mais Alliance Santé atteignait déjà 60,65 % avant l’opération.
    36.  L’opération n’est donc pas de nature à avoir un impact significatif sur la position occupée par le nouvel ensemble, quelle que soit l’étendue du marché géographique considéré.

b)  ORP n’exerçait pas de pression concurrentielle
soutenable sur le marché concerné

    37.  La politique commerciale d’ORP, basée sur un service réduit en échange de remises plus importantes, a pu être considérée comme gênante par les principaux acteurs du marché. Dans sa décision no 01-D-07 précitée, le Conseil a, en effet, condamné des pratiques concertées mises en œuvre, en 1998, par CERP Rouen et OCP (Alliance Santé n’y ayant pas participé) pour faire échec à l’implantation d’ORP dans la région Nord et en Seine-Maritime. Ces pratiques consistaient en l’amélioration très substantielle des conditions commerciales consenties aux pharmaciens ou en des mesures de rétorsion dirigées contre ceux qui choisissaient ORP.
    38.  Mais on ne peut déduire de l’existence de mesures de rétorsion ciblées qu’ORP exerçait sur les membres de l’oligopole une pression concurrentielle significative de nature à les amener à améliorer, de façon prolongée, les conditions financières consenties ou la qualité du service rendu.
    39.  En effet, la politique de prix agressive d’ORP n’était pas soutenable puisque ces prix était insuffisants pour assurer sa rentabilité. Comme il a été constaté aux paragraphes 4 à 7 ci-dessus, il ressort du bilan effectué par les administrateurs judiciaires et des comptes rendus des conseils d’administration d’ORP que son incapacité à se maintenir sur le marché a eu pour cause une rentabilité insuffisante due à des erreurs de gestion. Faute de moyens financiers pour se développer, ORP a tenté de desservir la France entière depuis les trois établissements dont il disposait, tous situés dans le nord de la France. Les coûts de transport élevés supportés pour ces livraisons ont largement absorbé les économies faites par ailleurs sur la fréquence des livraisons et la gestion du stock. Ainsi, les coûts d’exploitation d’ORP s’élevaient à [...] %, alors qu’il n’effectuait qu’une livraison par jour, tandis que les coûts d’exploitation d’Alliance Santé ressortent à [...] %, pour deux à trois livraisons/jour. Dans ces conditions, les remises plus importantes accordées aux officines, correspondant au service limité de short liner, ne permettaient pas d’assurer la rentabilité de l’activité. Même si, comme l’a relevé le Conseil, les pratiques condamnées dans la décision no 01-D-07 pouvaient expliquer qu’ORP n’ait pas véritablement réussi à s’implanter en Seine-Maritime, elles ne sont pas la cause des difficultés de l’entreprise puisque, avec une marge brute négative, ORP ne pouvait améliorer sa situation financière en accroissant ses volumes de vente.
    40.  Il ressort de ce qui précède que l’acquisition d’ORP par Alliance Santé, ou sa disparition, n’est pas de nature à affaiblir significativement la pression concurrentielle qui peut s’exercer sur les grands acteurs du marché.
    41.  Il doit, enfin, être observé qu’ORP faisait face à un déficit chronique élevé et à la faiblesse de ses fonds propres. Ces difficultés persistaient depuis au moins cinq ans, et les différentes tentatives des actionnaires, notamment courant 2001, pour trouver de nouveaux partenaires avaient échoué. Cette défaillance a conduit à la cessation de paiement de la société et à l’ouverture, le 28 janvier 2002, d’une procédure de redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Nantes.
    42.  Dans le cadre de cette procédure, outre le plan proposé par Alliance Santé, les administrateurs judiciaires ont reçu, en février 2002, trois déclarations d’intérêt pour la reprise d’ORP, émanant respectivement d’un avocat pour le compte de clients non identifiés, des Editions Quo Vadis, représentant un fonds d’investissement, et de la société Phoenix Pharma, qui a demandé communication des comptes « afin de préparer une offre ». Mais ces trois manifestations d’intérêt n’ont été suivies d’aucune offre de reprise ou de continuation. Le seul projet formalisé a été celui d’Alliance Santé, adressé aux administrateurs judiciaires le 15 avril 2002.
    43.  La défaillance d’ORP était donc inéluctable et, en l’absence d’offres alternatives à celle d’Alliance, la seule issue à la procédure collective ouverte ne pouvait être que la liquidation judiciaire, c’est-à-dire la disparition d’ORP. Or, même dans l’hypothèse où ORP aurait exercé une pression concurrentielle significative sur le marché, sa disparition serait aussi préjudiciable au fonctionnement de la concurrence que sa reprise par Alliance Santé. Les conditions définies par la jurisprudence communautaire (arrêt de la CJCE du 31 mars 1998 Kali + Saltz) pour considérer que l’opération concerne une entreprise défaillante et est neutre quant à son impact sur la concurrence sont donc réunies quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur les effets de l’opération.
    44. Au surplus, il n’est pas exclu que l’acquisition d’ORP par Alliance Santé soit moins préjudiciable pour la concurrence que sa disparition. En effet, dans la mesure où le repreneur a annoncé son intention de maintenir la marque et le concept de livraison, il favorise le maintien sur le marché d’une forme de vente, dite short liner, considérée par les autres opérateurs du marché comme un élément de différenciation de l’offre et comme un facteur de concurrence. Dès lors que cette catégorie de service répond à une demande des officines, il s’agit d’une avancée qui pourrait être suivie par les principaux concurrents. Le groupement Plus Pharmacie considère ainsi que l’opération n’aura pas d’impact pour lui ou ses adhérents et que : « (...) sans doute la concurrence entre grossistes va être plus forte. » Le représentant du groupement de pharmaciens Népenthès (3 600 adhérents) déclare également : « L’autre opérateur (OCP) réagira en essayant de récupérer des parts de marché. » Ses propos sont confirmés par OCP : « Le précédent ainsi créé par l’opération risque d’inciter d’autres groupements et d’autres sociétés à développer une activité de short liner. Par un effet boule de neige, amplifié par l’accroissement constant du nombre de pharmaciens adhérents à un groupement, le fonctionnement du marché pourrait être totalement modifié. »

    Sur la base des constatations qui précèdent, le Conseil de la concurrence est d’avis :
    Que la concentration résultant de la reprise de la société Ouest Répartition pharmaceutique par la société Alliance Santé Distribution n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.

    Délibéré, sur le rapport de Mme Joly et M. Komiha, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, M. Jenny, vice-président, Mme Renard-Payen, MM. Bidaud, Flichy, Gauron et Ripotot, membres.

La rapporteure générale adjointe,
Nadine  Mouy
La présidente,
Marie-Dominique  Hagelsteen

    Nota.  -  A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées.
    Ces informations relèvent du « secret des affaires », en application de l’article 8 du décret no 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d’application du livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

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