NOR : ECOC0300201X
Demanderesse au recours :
La Chambre syndicale des entreprises de déménagements
et garde-meubles de France, prise en la personne de son président, ayant
son siège 73-83, avenue Jean-Lolive, 93108 Montreuil, représentée
par la SCP Patricia Hardouin, avoué, 90, rue dAmsterdam,
75009 Paris, assistée de Me A.-M. Vialle, 2, avenue
Hoche, 75008 Paris.
En présence du ministre de léconomie,
des finances et du budget, DGCCRF, bât. 5, 59, boulevard Vincent-Auriol,
75703 Paris Cedex 13, représenté aux débats par
Mme Gouaini, munie dun mandat régulier.
Composition de la cour lors des débats et du délibéré :
M. Grellier, président ;
Mme Pezard, président ;
M. Savatier, conseiller.
Greffier lors des débats et du prononcé
de larrêt, Mme Padel, greffier.
Ministère public : M. Woirhaye, substitut
général.
Débats à laudience du 1er avril
2003.
Arrêt prononcé publiquement le 27 mai
2003 par M. Grellier, président, qui en a signé la minute avec
Mme Padel, greffier.
Après avoir, à laudience publique
du 1er avril 2003, entendu le conseil de la requérante,
les observations de Mme le représentant du ministre chargé
de léconomie et celles du ministère public, la requérante
ayant eu la parole en dernier ;
Vu les mémoires, pièces et documents déposés
au greffe à lappui du recours ;
Le secteur du déménagement en France regroupe
environ 1 200 entreprises spécialisées, dont 90 %
de PME de moins de cinquante salariés, qui interviennent sur un marché
très atomisé, la première entreprise du secteur, le groupe AGS,
ne détenant quenviron 2 % du marché avec 143 millions
de chiffre daffaires en 1997.
Laccès à la profession de déménageur
est subordonné à linscription au registre des transporteurs
routiers, tenu par les directions départementales de léquipement,
sur justification dune compétence professionnelle, de labsence
de condamnation pénale et dune capacité financière.
Cette inscription ouvre droit à la licence de transporteur intérieur
et à une licence communautaire permettant dexploiter des véhicules
routiers.
La Chambre syndicale des entreprises de déménagements
et garde-meubles de France, créée en 1890, est une association
régie par la loi de 1901 constituée de quinze groupements régionaux.
En 1998, 800 entreprises adhéraient à cette organisation professionnelle,
représentant environ 70 % du chiffre daffaires du secteur.
Principale organisation représentative de cette
branche dactivité, elle a pour but, aux termes de larticle 2
de ses statuts :
« a) de faciliter les rapports et de resserrer
les liens qui existent entre les membres ;
b) De représenter la corporation, den
codifier les usages, den défendre les droits et les intérêts,
et de veiller à lapplication des règles quelle édicte ;
c) De fournir aux tribunaux et aux administrations
des arbitres et des experts de la profession ;
d) De constituer à chaque membre un mandataire
dans la ville où il fera des expéditions ;
e) De faciliter la conciliation et darbitrer
les différends qui pourraient survenir entre ses membres, ou entre ses
membres et des tiers ;
f) Dexaminer toutes les questions intéressant
la corporation ;
g) Dester en justice toutes les fois quil
sera nécessaire pour la défense des intérêts dont elle
a la charge. »
Elle possède un logo, présenté
comme un label de qualité, dont peuvent user ses adhérents. Ses
ressources, qui proviennent des cotisations des membres, se sont élevées
en 2001 à la somme de 84 676 Euro.
La chambre syndicale a créé en 1948
lAssociation française de déménageurs internationaux
(lAFDI) qui gère la garantie bancaire imposée par la Fédération
internationale des déménageurs internationaux et le règlement
des impayés.
Le 17 octobre 1995, les sociétés AGS
Paris, AGS Nouméa, AGS Tarbes, AGS Lorraine et AGS Papeete ont saisi le
Conseil de la concurrence du refus dadhésion que leur opposaient
la chambre syndicale et lAFDI. Ces sociétés ont déclaré
retirer leur saisine le 22 avril 1997. Par décision du 16 septembre
1997, le conseil a décidé de classer celle-ci et de se saisir doffice
des pratiques de la chambre syndicale et de lAFDI.
Le 6 mars 2002, a été notifié
à la Chambre syndicale le grief davoir mis en uvre des pratiques
en matière dadhésion qui ont eu pour objet et pour effet de
limiter le libre jeu de la concurrence entre les entreprises de déménagement.
Par décision du 27 septembre 2002, le Conseil
de la concurrence a, notamment, décidé :
quil est établi que la chambre
syndicale a enfreint les dispositions de larticle L. 420-1 du code
de commerce ;
denjoindre à la chambre syndicale
« de préciser dans un délai de six mois à compter
de la présente décision les conditions dadhésion mentionnées
à larticle 4-A (1o) des statuts, de supprimer,
dans le même délai, les critères moraux énoncés
aux articles 4-A (2o) de ces statuts et I-1 du règlement
intérieur, le droit dopposition conféré au président
du groupement régional et à tout adhérent par larticle 5
des statuts, la disposition contenue au même article qui dispense de motiver
les rejets de candidatures, le traitement plus favorable réservé
par larticle 6 et larticle III du règlement intérieur
aux repreneurs dentreprises adhérentes, non seulement lorsquils
sont déjà membres de la CSD mais aussi, lorsquils sont
simplement connus, de mettre un terme, dans le même délai,
à lusage de déléguer aux groupements régionaux
lenquête préliminaire sur les candidats à ladhésion
ainsi quà lusage dimposer un parrainage par des entreprises
déjà adhérentes » ;
denjoindre à la chambre syndicale
dadresser dans un délai de deux mois à compter de sa notification
la présente décision à chacun de ses adhérents ;
dinfliger la sanction pécuniaire
de 76 000 Euro à la chambre syndicale.
La cour :
Vu le recours en annulation, subsidiairement en réformation,
formé le 29 octobre 2002 par la chambre syndicale ;
Vu le mémoire du 29 novembre 2002 par lequel
celle-ci, pour conclure quil ny a pas lieu à sanction, invoque,
dabord, une violation de larticle 6 de la Convention européenne
des droits de lhomme faute du respect des droits de la défense, du
principe du droit à être jugé dans un délai raisonnable
et du principe de la publicité des débats, ensuite, la prescription
pour partie des griefs qui lui sont reprochés au moins depuis le 21 janvier
1994, enfin, le fait que les pratiques daffiliation retenues ne sont pas
constitutives de limitations daccès au marché et au libre
exercice du jeu de la concurrence par dautres entreprises au regard de larticle
L. 420-1 du code de commerce ;
Vu les observations déposées par le Conseil
de la concurrence le 16 janvier 2003 ;
Vu les observations du ministre de léconomie
déposées le 20 janvier 2003 ;
Vu le mémoire en réplique déposé
le 17 mars 2003 par la Chambre syndicale qui demande dannuler
la décision en raison de lintervention directe du Conseil de la concurrence
devant la cour ;
Vu les observations orales du ministère public
tendant à la confirmation de la décision ;
Sur ce :
Sur
les conséquences à tirer du dépôt dobservations
par le Conseil de la concurrence :
Considérant quen lespèce
les observations écrites du Conseil, déposées devant la cour
dans la présente instance comme la loi ly autorise, se bornent à
souligner que la décision attaquée a répondu aux moyens invoqués
par la requérante sans développer aucun élément nouveau
qui ne figurerait pas dans la décision déférée ;
Que, contrairement à ce que soutient la Chambre
syndicale, les droits de celle-ci nen ont pas été affectés,
dès lors quelle a pu, par un mémoire en réplique, répondre
à de telles observations ;
Sur
les conditions de la saisine doffice du Conseil de la concurrence :
Considérant que la Chambre syndicale fait,
à tort, grief au Conseil davoir violé larticle 6-1
de la Convention européenne des droits de lhomme à raison
des conditions dans lesquelles il sest saisi doffice ;
Quen effet, sauf à considérer que
le principe même de la saisine doffice est contraire à lexigence
dimpartialité invoquée par la requérante, ce que celle-ci
indique ne pas soutenir, il ne peut être reproché au Conseil davoir
exercé la faculté que lui confère la loi et qui se justifie
par sa qualité dautorité indépendante chargée
de veiller au bon fonctionnement des mécanismes du marché ;
que dans lexercice de ce pouvoir, le Conseil de la concurrence nest
pas tenu de rendre compte des circonstances qui le conduisent à se saisir
doffice ;
Quen outre, contrairement à ce qui est soutenu,
sa décision nest pas dépourvue de toute motivation dès
lors quelle se réfère à la saisine antérieure
des sociétés AGS qui dénonçaient des pratiques de
la Chambre syndicale ;
Sur
le non-respect du principe du délai raisonnable :
Considérant quil nest pas allégué
quà raison du délai écoulé entre les faits remontant
aux années 1994 à 1997 et la notification des griefs le 6 mars 2002,
il a été porté atteinte aux droits de la défense de
la Chambre syndicale ; que, dès lors, à supposer même
que la durée de la procédure a été excessive, la validité
de la décision intervenue ne sen trouverait pas affectée ;
Sur
le non-respect du principe de la publicité des débats :
Considérant quà lappui de son
exception de nullité la Chambre syndicale se borne à invoquer le
fait quun avocat général a, dans des conclusions devant la
Cour de cassation, soutenu, selon le mémoire, que « la méconnaissance
de lobligation de tenir une audience publique lors des séances du
Conseil de la concurrence napparaît pas en conformité avec
larticle 6-1 de la CEDH et la jurisprudence subséquente sur
ce point de la Convention européenne » ;
Que, toutefois, ce simple avis est sans portée
sur la régularité de la procédure suivie ;
Quen effet, labsence de publicité des
débats devant le Conseil de la concurrence nest pas contraire au
texte précité, dès lors que les parties peuvent assister
aux séances, demander à y être entendues et sy faire
représenter, et que les décisions prises subissent le contrôle
effectif dun organe judiciaire offrant toutes les garanties dun tribunal
au sens de ce texte ;
Sur
la prescription de certains faits retenus par le rapporteur :
Considérant que la requérante demande
à la cour de retenir la prescription des faits antérieurs au 21 janvier 1994 ;
que le Conseil layant admis dans sa décision, sans être critiqué,
la Chambre syndicale ne saurait lui en faire grief ;
Sur
le fond :
Considérant que le Conseil de la concurrence
énonce dabord, à bon droit, que « si ladmission
par cooptation de nouveaux membres au sein dune organisation professionnelle
ne constitue pas en elle-même une pratique contraire au droit de la concurrence,
une telle pratique peut porter atteinte au fonctionnement de la libre concurrence
si ladhésion à cette organisation professionnelle est une
condition de laccès au marché » ;
Considérant, cependant, quil ne ressort
pas de la décision quil en soit ainsi, alors que laccès
à la profession est contrôlé par les pouvoirs publics et que,
selon les chiffres cités, un tiers des entreprises du secteur nadhère
pas à la Chambre syndicale ;
Considérant que pour retenir, ensuite, que, « sur
le marché national, lappartenance à la CSD constitue un avantage
concurrentiel » le Conseil se réfère dabord aux
déclarations citées dans sa décision, et, affirme, dautre
part « que le label de la CSD bénéficie dune forte
notoriété, soutenue par des investissements publicitaires importants
et quil est réclamé par les clients ; quil représente,
dans un secteur marqué par la présence dopérateurs
peu qualifiés, une garantie pour les ménages qui recourent de façon
exceptionnelle aux services dun déménageur et ne peuvent donc
se fonder sur leur expérience ou celle de leur entourage ; que la
non-adhésion à la CSD constitue, par ailleurs, un handicap pour
les entreprises qui veulent entrer sur le segment de marché des déménagements
de militaires, ainsi quen attestent les déclarations de M. Fur et
de M. Briard, citées ci-dessus » ;
Que, toutefois, les déclarations citées
dans la décision qui émanent de professionnels dont on ne sait pas
toujours sils sont ou ne sont pas membres de la Chambre syndicale, et dont
plusieurs ont vu leur demande dadhésion rejetée, reflètent
le point de vue subjectif de leurs auteurs qui, pour apprécier limportance
de ladhésion, mêlent les avantages liés à linformation
en matière de réglementation sociale diffusée aux adhérents
à ceux liés à la représentativité de lorganisation,
à sa notoriété ou encore aux facilités quelle
apporte pour le règlement des litiges, critères qui ne sont pas
tous liés à lavantage concurrentiel retenu par le Conseil ;
Que la décision qui procède par simples
affirmations ne fournit aucun élément objectif quant à la
notoriété du label de la Chambre syndicale et à son effet
sur le consommateur, pas plus quelle ne chiffre les investissements publicitaires
dont elle fait état en les qualifiant pourtant « dimportants » ;
Que, dailleurs, il ressort des déclarations
reproduites dans la décision que plusieurs des dirigeants dentreprises
du secteur considèrent que la norme NF est plus représentative de
la qualité du travail que le « label » de
la Chambre syndicale, même sils en soulignent le coût ;
quainsi, il apparaît que la justification de ladhésion
dune entreprise de déménagement à ce syndicat nest
pas la seule garantie des ménages ; quau demeurant, dans sa
lettre du 6 mai 2002 à la présidente du Conseil de la
concurrence, le directeur général de la concurrence, de la consommation
et de la répression des fraudes a admis que le logo de lorganisation
professionnelle ne constitue pas un signe de qualité ;
Quenfin, la décision nétablit
pas la réalité du handicap dont elle fait état sur le segment
des déménagements des personnels de larmée ; quil
y a lieu de remarquer à cet égard quelle se borne à
tenir pour avérées les déclarations de MM. Fur et Briard
selon lesquelles seuls les membres de la Chambre syndicale, dont ils ne font pas
partie, connaissent les conditions de remboursement par ladministration
des déménagements, sans le vérifier autrement, sans expliquer
comment cela est possible et sans sinterroger sur le fait quil ressort
de ces déclarations quau moins lentreprise de M. Briard
a pour clients des gendarmes, même si elle perd la clientèle de certains
dentre eux, ses prix nétant pas adaptés à la
situation de ceux-ci, ce qui nest pas nécessairement leffet
de lignorance alléguée ;
Considérant que contrairement à ce que le
Conseil a relevé, limportance des groupements de déménageurs,
tels que Demeco ou les Déménageurs Bretons, est établie comme
le reconnaît le ministre dans ses observations ;
Considérant enfin quen relevant que ladhésion
à la Chambre syndicale est une des conditions à remplir pour adhérer
à lAFDI et donc à la Fédération internationale
des déménageurs internationaux, la décision attaquée
ne caractérise pas un fait imputable à la requérante ;
Considérant que celle-ci est fondée à
soutenir que nest rapportée la preuve ni que ladhésion
à la Chambre syndicale est une condition daccès au marché,
ni quelle constitue un avantage concurrentiel, ce qui, contrairement à
ce quindique le ministre, ne saurait se déduire du seul fait que
des entreprises demandent à adhérer à cette organisation ;
Que, dailleurs, comme lavait relevé
le directeur général de la concurrence de la consommation et de
la répression des fraudes dans sa lettre du 28 novembre 1995
au président du Conseil de la concurrence, les sociétés AGS,
à lorigine de la saisine, connaissaient une bonne santé financière
notamment pour la plus importante dentre elles, AGS Paris, dont le chiffre
daffaires a progressé de 10 % de 1992 à 1993, alors que
ces sociétés nétaient pas membres de la Chambre syndicale ;
Considérant quen conséquence, même
à supposer établies les pratiques relevées par la décision,
les conditions dadhésion telles quelles sont prévues
aux statuts, dont la Chambre syndicale indique sans être contredite quelles
nont pas été modifiées depuis sa création, ne
peuvent avoir pour effet dempêcher, de restreindre ou de fausser le
jeu de la concurrence sur le marché concerné, de sorte quaucune
infraction aux dispositions de larticle L. 420-1 du code de commerce
nest caractérisée ;
Quil convient donc de réformer la décision
et de dire quil ny a lieu à sanction à lencontre
de la Chambre syndicale, Par
ces motifs :
Rejette les exceptions soulevées par la requérante ;
Réforme la décision no 02-D-60 ;
Statuant à nouveau ;
Dit quil nest pas établi que la Chambre
syndicale des entreprises de déménagement et gardes-meubles de France
a enfreint les dispositions de larticle L. 420-1 du code de commerce ;
Dit ny avoir lieu à sanction ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor
public. Le greffier
Le président (*)
Décision no 02-D-60 du Conseil de la concurrence en date
du 25 septembre 2002 publiée au BOCCRF no 18
du 28 novembre 2002. |