Arrêt de la cour d’appel de Paris (1re chambre, section H) en date du 27 mai 2003 relatif au recours formé par la Chambre syndicale des entreprises de déménagements et garde-meubles de France contre la décision no 02-D-60 (*) du Conseil de la concurrence en date du 27 septembre 2002 relative aux pratiques mises en œuvre par la Chambre syndicale des entreprises de déménagement et l’Association française de déménageurs internationaux

NOR :  ECOC0300201X

    Demanderesse au recours :
    La Chambre syndicale des entreprises de déménagements et garde-meubles de France, prise en la personne de son président, ayant son siège 73-83, avenue Jean-Lolive, 93108 Montreuil, représentée par la SCP Patricia Hardouin, avoué, 90, rue d’Amsterdam, 75009 Paris, assistée de Me A.-M. Vialle, 2, avenue Hoche, 75008 Paris.
    En présence du ministre de l’économie, des finances et du budget, DGCCRF, bât. 5, 59, boulevard Vincent-Auriol, 75703 Paris Cedex 13, représenté aux débats par Mme Gouaini, munie d’un mandat régulier.
    Composition de la cour lors des débats et du délibéré :
    M. Grellier, président ;
    Mme Pezard, président ;
    M. Savatier, conseiller.
    Greffier lors des débats et du prononcé de l’arrêt, Mme Padel, greffier.
    Ministère public : M. Woirhaye, substitut général.
    Débats à l’audience du 1er avril 2003.
    Arrêt prononcé publiquement le 27 mai 2003 par M. Grellier, président, qui en a signé la minute avec Mme Padel, greffier.
    Après avoir, à l’audience publique du 1er avril 2003, entendu le conseil de la requérante, les observations de Mme le représentant du ministre chargé de l’économie et celles du ministère public, la requérante ayant eu la parole en dernier ;
    Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours ;
    Le secteur du déménagement en France regroupe environ 1 200 entreprises spécialisées, dont 90 % de PME de moins de cinquante salariés, qui interviennent sur un marché très atomisé, la première entreprise du secteur, le groupe AGS, ne détenant qu’environ 2 % du marché avec 143 millions de chiffre d’affaires en 1997.
    L’accès à la profession de déménageur est subordonné à l’inscription au registre des transporteurs routiers, tenu par les directions départementales de l’équipement, sur justification d’une compétence professionnelle, de l’absence de condamnation pénale et d’une capacité financière. Cette inscription ouvre droit à la licence de transporteur intérieur et à une licence communautaire permettant d’exploiter des véhicules routiers.
    La Chambre syndicale des entreprises de déménagements et garde-meubles de France, créée en 1890, est une association régie par la loi de 1901 constituée de quinze groupements régionaux. En 1998, 800 entreprises adhéraient à cette organisation professionnelle, représentant environ 70 % du chiffre d’affaires du secteur.
    Principale organisation représentative de cette branche d’activité, elle a pour but, aux termes de l’article 2 de ses statuts :
    « a) de faciliter les rapports et de resserrer les liens qui existent entre les membres ;
    
b) De représenter la corporation, d’en codifier les usages, d’en défendre les droits et les intérêts, et de veiller à l’application des règles qu’elle édicte ;
    
c) De fournir aux tribunaux et aux administrations des arbitres et des experts de la profession ;
    
d) De constituer à chaque membre un mandataire dans la ville où il fera des expéditions ;
    
e) De faciliter la conciliation et d’arbitrer les différends qui pourraient survenir entre ses membres, ou entre ses membres et des tiers ;
    
f) D’examiner toutes les questions intéressant la corporation ;
    
g) D’ester en justice toutes les fois qu’il sera nécessaire pour la défense des intérêts dont elle a la charge. »
    Elle possède un logo, présenté comme un label de qualité, dont peuvent user ses adhérents. Ses ressources, qui proviennent des cotisations des membres, se sont élevées en 2001 à la somme de 84 676 Euro.
    La chambre syndicale a créé en 1948 l’Association française de déménageurs internationaux (l’AFDI) qui gère la garantie bancaire imposée par la Fédération internationale des déménageurs internationaux et le règlement des impayés.
    Le 17 octobre 1995, les sociétés AGS Paris, AGS Nouméa, AGS Tarbes, AGS Lorraine et AGS Papeete ont saisi le Conseil de la concurrence du refus d’adhésion que leur opposaient la chambre syndicale et l’AFDI. Ces sociétés ont déclaré retirer leur saisine le 22 avril 1997. Par décision du 16 septembre 1997, le conseil a décidé de classer celle-ci et de se saisir d’office des pratiques de la chambre syndicale et de l’AFDI.
    Le 6 mars 2002, a été notifié à la Chambre syndicale le grief d’avoir mis en œuvre des pratiques en matière d’adhésion qui ont eu pour objet et pour effet de limiter le libre jeu de la concurrence entre les entreprises de déménagement.
    Par décision du 27 septembre 2002, le Conseil de la concurrence a, notamment, décidé :
      qu’il est établi que la chambre syndicale a enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce ;
      d’enjoindre à la chambre syndicale « de préciser dans un délai de six mois à compter de la présente décision les conditions d’adhésion mentionnées à l’article 4-A (1o) des statuts, de supprimer, dans le même délai, les critères moraux énoncés aux articles 4-A (2o) de ces statuts et I-1 du règlement intérieur, le droit d’opposition conféré au président du groupement régional et à tout adhérent par l’article 5 des statuts, la disposition contenue au même article qui dispense de motiver les rejets de candidatures, le traitement plus favorable réservé par l’article 6 et l’article III du règlement intérieur aux repreneurs d’entreprises adhérentes, non seulement lorsqu’ils sont déjà membres de la CSD mais aussi, lorsqu’ils sont simplement “connus”, de mettre un terme, dans le même délai, à l’usage de déléguer aux groupements régionaux l’enquête préliminaire sur les candidats à l’adhésion ainsi qu’à l’usage d’imposer un parrainage par des entreprises déjà adhérentes » ;
      
d’enjoindre à la chambre syndicale d’adresser dans un délai de deux mois à compter de sa notification la présente décision à chacun de ses adhérents ;
      d’infliger la sanction pécuniaire de 76 000 Euro à la chambre syndicale.
            La cour :
    Vu le recours en annulation, subsidiairement en réformation, formé le 29 octobre 2002 par la chambre syndicale ;
    Vu le mémoire du 29 novembre 2002 par lequel celle-ci, pour conclure qu’il n’y a pas lieu à sanction, invoque, d’abord, une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme faute du respect des droits de la défense, du principe du droit à être jugé dans un délai raisonnable et du principe de la publicité des débats, ensuite, la prescription pour partie des griefs qui lui sont reprochés au moins depuis le 21 janvier 1994, enfin, le fait que les pratiques d’affiliation retenues ne sont pas constitutives de limitations d’accès au marché et au libre exercice du jeu de la concurrence par d’autres entreprises au regard de l’article L. 420-1 du code de commerce ;
    Vu les observations déposées par le Conseil de la concurrence le 16 janvier 2003 ;
    Vu les observations du ministre de l’économie déposées le 20 janvier 2003 ;
    Vu le mémoire en réplique déposé le 17 mars 2003 par la Chambre syndicale qui demande d’annuler la décision en raison de l’intervention directe du Conseil de la concurrence devant la cour ;
    Vu les observations orales du ministère public tendant à la confirmation de la décision ;
            Sur ce :
            Sur les conséquences à tirer du dépôt d’observations par le Conseil de la concurrence :
    Considérant qu’en l’espèce les observations écrites du Conseil, déposées devant la cour dans la présente instance comme la loi l’y autorise, se bornent à souligner que la décision attaquée a répondu aux moyens invoqués par la requérante sans développer aucun élément nouveau qui ne figurerait pas dans la décision déférée ;
    Que, contrairement à ce que soutient la Chambre syndicale, les droits de celle-ci n’en ont pas été affectés, dès lors qu’elle a pu, par un mémoire en réplique, répondre à de telles observations ;
            Sur les conditions de la saisine d’office du Conseil de la concurrence :
    Considérant que la Chambre syndicale fait, à tort, grief au Conseil d’avoir violé l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme à raison des conditions dans lesquelles il s’est saisi d’office ;
    Qu’en effet, sauf à considérer que le principe même de la saisine d’office est contraire à l’exigence d’impartialité invoquée par la requérante, ce que celle-ci indique ne pas soutenir, il ne peut être reproché au Conseil d’avoir exercé la faculté que lui confère la loi et qui se justifie par sa qualité d’autorité indépendante chargée de veiller au bon fonctionnement des mécanismes du marché ; que dans l’exercice de ce pouvoir, le Conseil de la concurrence n’est pas tenu de rendre compte des circonstances qui le conduisent à se saisir d’office ;
    Qu’en outre, contrairement à ce qui est soutenu, sa décision n’est pas dépourvue de toute motivation dès lors qu’elle se réfère à la saisine antérieure des sociétés AGS qui dénonçaient des pratiques de la Chambre syndicale ;
            Sur le non-respect du principe du délai raisonnable :
    Considérant qu’il n’est pas allégué qu’à raison du délai écoulé entre les faits remontant aux années 1994 à 1997 et la notification des griefs le 6 mars 2002, il a été porté atteinte aux droits de la défense de la Chambre syndicale ; que, dès lors, à supposer même que la durée de la procédure a été excessive, la validité de la décision intervenue ne s’en trouverait pas affectée ;
            Sur le non-respect du principe de la publicité des débats :
    Considérant qu’à l’appui de son exception de nullité la Chambre syndicale se borne à invoquer le fait qu’un avocat général a, dans des conclusions devant la Cour de cassation, soutenu, selon le mémoire, que « la méconnaissance de l’obligation de tenir une audience publique lors des séances du Conseil de la concurrence n’apparaît pas en conformité avec l’article 6-1 de la CEDH et la jurisprudence subséquente sur ce point de la Convention européenne » ;
    Que, toutefois, ce simple avis est sans portée sur la régularité de la procédure suivie ;
    Qu’en effet, l’absence de publicité des débats devant le Conseil de la concurrence n’est pas contraire au texte précité, dès lors que les parties peuvent assister aux séances, demander à y être entendues et s’y faire représenter, et que les décisions prises subissent le contrôle effectif d’un organe judiciaire offrant toutes les garanties d’un tribunal au sens de ce texte ;
            Sur la prescription de certains faits retenus par le rapporteur :
    
Considérant que la requérante demande à la cour de retenir la prescription des faits antérieurs au 21 janvier 1994 ; que le Conseil l’ayant admis dans sa décision, sans être critiqué, la Chambre syndicale ne saurait lui en faire grief ;
            Sur le fond :
    Considérant que le Conseil de la concurrence énonce d’abord, à bon droit, que « si l’admission par cooptation de nouveaux membres au sein d’une organisation professionnelle ne constitue pas en elle-même une pratique contraire au droit de la concurrence, une telle pratique peut porter atteinte au fonctionnement de la libre concurrence si l’adhésion à cette organisation professionnelle est une condition de l’accès au marché » ;
    Considérant, cependant, qu’il ne ressort pas de la décision qu’il en soit ainsi, alors que l’accès à la profession est contrôlé par les pouvoirs publics et que, selon les chiffres cités, un tiers des entreprises du secteur n’adhère pas à la Chambre syndicale ;
    Considérant que pour retenir, ensuite, que, « sur le marché national, l’appartenance à la CSD constitue un avantage concurrentiel » le Conseil se réfère d’abord aux déclarations citées dans sa décision, et, affirme, d’autre part « que le label de la CSD bénéficie d’une forte notoriété, soutenue par des investissements publicitaires importants et qu’il est réclamé par les clients ; qu’il représente, dans un secteur marqué par la présence d’opérateurs peu qualifiés, une garantie pour les ménages qui recourent de façon exceptionnelle aux services d’un déménageur et ne peuvent donc se fonder sur leur expérience ou celle de leur entourage ; que la non-adhésion à la CSD constitue, par ailleurs, un handicap pour les entreprises qui veulent entrer sur le segment de marché des déménagements de militaires, ainsi qu’en attestent les déclarations de M. Fur et de M. Briard, citées ci-dessus » ;
    Que, toutefois, les déclarations citées dans la décision qui émanent de professionnels dont on ne sait pas toujours s’ils sont ou ne sont pas membres de la Chambre syndicale, et dont plusieurs ont vu leur demande d’adhésion rejetée, reflètent le point de vue subjectif de leurs auteurs qui, pour apprécier l’importance de l’adhésion, mêlent les avantages liés à l’information en matière de réglementation sociale diffusée aux adhérents à ceux liés à la représentativité de l’organisation, à sa notoriété ou encore aux facilités qu’elle apporte pour le règlement des litiges, critères qui ne sont pas tous liés à l’avantage concurrentiel retenu par le Conseil ;
    Que la décision qui procède par simples affirmations ne fournit aucun élément objectif quant à la notoriété du label de la Chambre syndicale et à son effet sur le consommateur, pas plus qu’elle ne chiffre les investissements publicitaires dont elle fait état en les qualifiant pourtant « d’importants » ;
    Que, d’ailleurs, il ressort des déclarations reproduites dans la décision que plusieurs des dirigeants d’entreprises du secteur considèrent que la norme NF est plus représentative de la qualité du travail que le « label » de la Chambre syndicale, même s’ils en soulignent le coût ; qu’ainsi, il apparaît que la justification de l’adhésion d’une entreprise de déménagement à ce syndicat n’est pas la seule garantie des ménages ; qu’au demeurant, dans sa lettre du 6 mai 2002 à la présidente du Conseil de la concurrence, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a admis que le logo de l’organisation professionnelle ne constitue pas un signe de qualité ;
    Qu’enfin, la décision n’établit pas la réalité du handicap dont elle fait état sur le segment des déménagements des personnels de l’armée ; qu’il y a lieu de remarquer à cet égard qu’elle se borne à tenir pour avérées les déclarations de MM. Fur et Briard selon lesquelles seuls les membres de la Chambre syndicale, dont ils ne font pas partie, connaissent les conditions de remboursement par l’administration des déménagements, sans le vérifier autrement, sans expliquer comment cela est possible et sans s’interroger sur le fait qu’il ressort de ces déclarations qu’au moins l’entreprise de M. Briard a pour clients des gendarmes, même si elle perd la clientèle de certains d’entre eux, ses prix n’étant pas adaptés à la situation de ceux-ci, ce qui n’est pas nécessairement l’effet de l’ignorance alléguée ;
    Considérant que contrairement à ce que le Conseil a relevé, l’importance des groupements de déménageurs, tels que Demeco ou les Déménageurs Bretons, est établie comme le reconnaît le ministre dans ses observations ;
    Considérant enfin qu’en relevant que l’adhésion à la Chambre syndicale est une des conditions à remplir pour adhérer à l’AFDI et donc à la Fédération internationale des déménageurs internationaux, la décision attaquée ne caractérise pas un fait imputable à la requérante ;
    Considérant que celle-ci est fondée à soutenir que n’est rapportée la preuve ni que l’adhésion à la Chambre syndicale est une condition d’accès au marché, ni qu’elle constitue un avantage concurrentiel, ce qui, contrairement à ce qu’indique le ministre, ne saurait se déduire du seul fait que des entreprises demandent à adhérer à cette organisation ;
    Que, d’ailleurs, comme l’avait relevé le directeur général de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes dans sa lettre du 28 novembre 1995 au président du Conseil de la concurrence, les sociétés AGS, à l’origine de la saisine, connaissaient une bonne santé financière notamment pour la plus importante d’entre elles, AGS Paris, dont le chiffre d’affaires a progressé de 10 % de 1992 à 1993, alors que ces sociétés n’étaient pas membres de la Chambre syndicale ;
    Considérant qu’en conséquence, même à supposer établies les pratiques relevées par la décision, les conditions d’adhésion telles qu’elles sont prévues aux statuts, dont la Chambre syndicale indique sans être contredite qu’elles n’ont pas été modifiées depuis sa création, ne peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché concerné, de sorte qu’aucune infraction aux dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce n’est caractérisée ;
    Qu’il convient donc de réformer la décision et de dire qu’il n’y a lieu à sanction à l’encontre de la Chambre syndicale,

                    Par ces motifs :
    Rejette les exceptions soulevées par la requérante ;
    Réforme la décision no 02-D-60 ;
    Statuant à nouveau ;
    Dit qu’il n’est pas établi que la Chambre syndicale des entreprises de déménagement et gardes-meubles de France a enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce ;
    Dit n’y avoir lieu à sanction ;
    Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

Le greffier                Le président

    (*) Décision no 02-D-60 du Conseil de la concurrence en date du 25 septembre 2002 publiée au BOCCRF no 18 du 28 novembre 2002.

© Copyright Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Emploi - DGCCRF - 16/07/2003