Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie en date du 7 août 2002, au conseil de la société Louis Dreyfus Communications SA, relative à une concentration dans le secteur des télécommunications

NOR :  ECOC0300083Y

                    Maître,
    Par dépôt d’un dossier déclaré complet le 5 juillet 2002, vous avez notifié l’acquisition du Groupe 9 Telecom (« 9 Telecom ») par Louis-Dreyfus Communications S.A. (LDCom) dans le secteur des télécommunications.
    LDCom est une filiale française de Louis Dreyfus active dans le secteur des télécommunications. Ses principaux secteurs d’activité concernent les infrastructures de télécommunications, le transport de données, les services d’hébergement d’équipements de télécommunications, la fourniture de services d’accès commutés pour la voix et d’accès Internet « dial up », la commercialisation de services d’accès Internet ou de transport de données auprès de clients finaux et les services de téléphonie fixe. LDCom a réalisé en 2001 un chiffre d’affaires global de 181,67 millions d’euros dont 173,7 millions en France.
    9 Telecom, détenue actuellement par Telecom Italia, exerce majoritairement des activités de téléphonie fixe vocale et Internet destinées aux particuliers et aux PME, ainsi que, au sein de sa filiale Jet Multimédia, des services d’hébergement Audiotel, Minitel et Internet. 9 Telecom est dans une situation financière difficile avec 861 millions d’euros de pertes au titre de l’année 2001. Elle a réalisé en 2001 un chiffre d’affaires global de 183,5 millions d’euros dont 160 millions en France.
    Les seuils exprimés en chiffres d’affaires mentionnés à l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Bien qu’il soit permis de s’interroger sur la possibilité de considérer Louis Dreyfus comme une entreprise concernée au sens de l’article premier du Règlement no 4089 (CE) du Conseil, la Direction B de la DG Concurrence de la Commission Européenne, saisie par les autorités françaises, a considéré par lettre en date du 22 juillet 2002 que la présente opération ne constituait pas une concentration de dimension communautaire au sens du règlement précité.
    L’opération consiste en l’acquisition par LDCom de l’intégralité des actions détenues par Telecom Italia dans 9 Telecom pour le prix de [...] et la souscription par Telecom Italia à une augmentation du capital de LDCom, lui donnant accès à [...] du capital et des droits de vote de LDCom.
    L’activité de LDCom peut se diviser en six pôles :
     Le principal secteur d’activité de LDCom concerne les infrastructures de télécommunication et plus précisément la construction et la mise à disposition de réseaux, la maintenance de ces infrastructures et la gestion de droits de passage y attachés. France Télécom, Telecom Development (Cegetel) et LDCom sont les seules sociétés à mettre ce type d’infrastructures à disposition des opérateurs de télécommunications.
     Le deuxième secteur d’activité comprend le transport de données appartenant à des tiers à travers l’infrastructure de LDCom.
     Le troisième secteur d’activité de LDCom concerne les services d’hébergement d’équipements de télécommunications qui, pour l’essentiel, sont des services de fourniture de sites de régénération ou d’amplification ou de location d’emplacements immobiliers assortis de services à la carte (maintenance, monitoring ou services à valeur ajoutée du type coupe-feu - firewalls - ou stockage de données informatiques).
     Le quatrième secteur d’activité consiste en la fourniture de services d’accès commutés pour la voix et de services d’accès Internet « dial up » (c’est-à-dire en utilisant la ligne téléphonique) destinés aux autres opérateurs. LDCom vend des minutes commutées sur son réseau à des fournisseurs de services de télécommunications pour que ces derniers puissent offrir à leurs propres clients des services de téléphonie vocale et Internet.
     Le cinquième secteur d’activité est la commercialisation de services d’accès Internet ou de transport de données directement auprès des clients finaux, qu’il s’agisse de services de boucle locale radio (BLR), via notamment sa filiale Squadran, ou de services ADSL.
     Enfin, Kaptech et Belgacom France, filiales de LDCom, commercialisent des services de téléphonie fixe directement auprès de PME pour l’essentiel et pour une moindre part, en tant que grossistes, pour d’autres opérateurs de télécommunications.
    9 Telecom a pour activité principale la commercialisation de services de téléphonie fixe soit au détail auprès de particuliers ou d’entreprises, soit en tant que grossiste auprès d’autres opérateurs. Pour le reste, son activité consiste en la fourniture des services Internet dial up pour 9 Online ou AOL France et la fourniture de réseaux de type Fram Relay (FR).
    La principale activité de sa filiale Jet Multimédia consiste à concevoir et à développer des services en ligne (Audiotel, Minitel et Internet) et à les diffuser à partir de serveurs qu’elle met à la disposition de ses clients pour héberger leurs applications et leurs données. Dans une moindre mesure, elle est aussi active dans le domaine de la régie publicitaire.
    Tout d’abord, il convient de signaler la particularité du secteur des télécommunications, dans lequel, en dépit de son ouverture à la concurrence, l’opérateur historique, France Télécom, détient encore une position très forte.
    Les parties considèrent qu’il existe un marché global de mise à disposition d’infrastructures de télécommunications ou de services alternatifs dont les clients sont l’ensemble des opérateurs alternatifs de téléphonie fixe et d’accès à Internet (cf. note 1) . En effet, LDCom se présente comme un grossiste qui propose aux opérateurs de services de téléphonie fixe et aux fournisseurs d’accès à Internet un ensemble de produits ou services qui constituent une solution alternative à celle de l’opérateur historique France Télécom. Selon les parties, même si les produits ou services diffèrent dans leurs composantes physiques ou techniques, ils répondent à un même besoin et le service fourni est global : il s’agit d’offrir ou de demander des capacités de transmission assorties ou non de services (cf. note 2) .
    La question de savoir s’il existe un marché global de la mise à disposition d’infrastructures de télécommunications ou de services alternatifs peut cependant rester ouverte puisque, quel que soit le marché retenu, les conclusions de l’analyse demeurent inchangées.
    Toutefois, les parties, au cas où cette définition serait considérée par les autorités de concurrence comme trop large, proposent une segmentation de ce marché. Ainsi, elles considèrent sept segments distincts :
    a)  La fourniture d’infrastructures : il s’agit de la construction du réseau physique et de sa revente ou location, notamment les fourreaux et les fibres qui constituent la colonne vertébrale du réseau (backbone). LDCom est présent sur ce marché en tant que grossiste en construisant et en louant à d’autres opérateurs les infrastructures ainsi que les droits d’usage et les services y afférents. 9 Telecom, qui pourtant possède son propre réseau, n’est pas active sur ce marché dans la mesure où elle ne se présente pas en tant qu’offreur.
    Les parties distinguent au sein de ce segment la boucle locale, c’est-à-dire le dernier maillon du réseau qui permet de raccorder le client final (entreprise ou résidentiel) au réseau commuté. En effet, la boucle locale a été considérée par l’ART et la Commission (cf. note 3) comme pouvant représenter un marché distinct. En revanche, les parties considèrent que tant que le dégroupage (cf. note 4) des lignes de la boucle locale par France Télécom n’est pas complètement réalisé, les services d’accès grâce à la boucle locale radio, du type de celui commercialisé par LDCom, doivent être considérés comme une solution alternative appartenant au même marché que les solutions locales offertes par France Télécom. Ainsi, les parties considèrent que le marché de la boucle locale comprend les services de boucle locale radio, les services de boucle locale proposés par France Télécom et les services de câble éventuellement offerts par d’autres opérateurs.
    La Commission (cf. note 5) a distingué, dans le secteur de la fourniture d’infrastructures, deux marchés, à savoir celui de la fourniture d’infrastructures de boucle locale et celui des infrastructures de longue distance. Ainsi, il convient, tel que les parties l’ont indiqué, de considérer que le marché de la fourniture d’infrastructure de boucle locale constitue un marché distinct. Etant donné que 9 Telecom n’est pas présent sur ce marché, la question de savoir si les services de boucle locale et ceux de boucle locale radio et câble forment un seul marché peut cependant être laissée ouverte car, quel que soit le marché retenu, les conclusions de l’analyse demeurent inchangées.
    b)  Les services d’hébergement : ils consistent à offrir à tout opérateur de télécommunications un partage ou une location des infrastructures de connexion concurrentes des C.A.A. (Commutateur à Autonomie d’Acheminement (cf. note 6) de France Télécom ou de ses commutateurs de transit. Ce service peut être accompagné de services à valeur ajoutée tels que les coupe-feu (firewalls), le stockage de données, la maintenance ou le monitoring. Tandis que LDCom fournit des sites de régénération ou d’amplification (sites permettant d’héberger des équipements de réseaux destinés à amplifier ou régénérer la lumière circulant à travers les fibres optiques) et loue des emplacements immobiliers, Jet Multimédia, filiale de 9 Telecom, conçoit et développe pour le compte de tiers des services en ligne (sites web, services téléphoniques Audiotel, services Minitel, services mobiles WAP et SMS) puis les diffuse à partir de serveurs qu’elle met à la disposition de ses clients.
    La question de savoir si les services d’hébergement du type colocalisation offerts par LDCom font partie du même marché que les services d’hébergement de sites Internet offerts par 9 Telecom peut rester ouverte puisque, quel que soit le marché retenu, les conclusions de l’analyse demeurent inchangées.
    c)  Les services de téléphonie fixe : il s’agit des services de transmission de la voix. LDCom n’est que très peu présent sur ce marché tandis que 9 Telecom est incontestablement un fournisseur de services de téléphonie fixe aussi bien aux particuliers qu’aux entreprises.
    d)  La transmission de données : il s’agit des mêmes services que pour la transmission de la voix. Les parties en font toutefois un marché à part car la clientèle est en grande partie différente puisqu’il s’agit surtout des fournisseurs d’accès à Internet. Tant LDCom que 9 Telecom fournissent des services de transmission de données.
    La Commission a pour pratique bien établie (cf. note 7) de différencier, dans les services de communications fixes, les services de communications vocaux des services de communication de données. Il convient dès lors de considérer que les services fournis pour la transmission de la voix et ceux fournis pour la transmission de données constituent deux marchés distincts.
    e)  La fourniture de prestations de transport de la voix ou des données : il s’agit d’offrir, en tant que grossiste, des services de gestion de bandes passantes (cf. note 8) . Selon les parties, ce service appartient au même marché que celui des liaisons louées (cf. note 9) , car dans les deux cas il s’agit de la location de capacités s’adressant principalement à des fournisseurs de services de télécommunications qui ne disposent pas d’infrastructures propres ou qui souhaitent les compléter. Ce service s’adresse à des fournisseurs de services de téléphonie qui souhaitent pouvoir fournir leurs services sur un territoire étendu sans pour autant déployer un réseau. Les parties incluent dans le même marché la collecte de trafic, qui s’apparente à la location de capacité.
    La question de savoir si la fourniture de prestations de transports de la voix ou de données appartient au même marché que les liaisons louées et la collecte du trafic pour le compte de tiers peut rester ouverte car quelque soit le marché retenu, les conclusions de l’analyse demeurent inchangées.
    f)  La fourniture d’accès à Internet : les parties adoptent la distinction faite par la Commission (cf. note 10) entre le service utilisant une bande passante étroite au moyen de la ligne téléphonique (service dial up), qui est souvent la solution offerte aux consommateurs privés, et le service utilisant une large bande passante (connexions dédiées à haut débit), qui s’adresse davantage aux entreprises. Cependant, elles considèrent que, dans la mesure où l’offre aux particuliers est en train d’évoluer et de passer à une offre haut débit, il convient de considérer le marché de l’accès à Internet comme un marché global. Tant LDCom que 9 Telecom et Jet Multimédia sont présents sur ce secteur.
    Les techniques utilisées dans le dial up (accès à Internet grâce à une ligne téléphonique) et les prix pratiqués ne sont pas les mêmes que ceux pour l’accès à Internet haut débit. La Commission, dans l’affaire Wanadoo (cf. note 11) et le Conseil de la concurrence, dans plusieurs demandes de mesures conservatoires relatives aux ADSL, ont considéré que l’accès bas débit et l’accès haut débit constituent deux marchés de détail distincts. Toutefois, la question de savoir si ces deux types d’accès à Internet font partie du même marché peut rester ouverte étant donné que, quelle que soit la définition de marché retenue, les conclusions de l’analyse demeurent inchangées.
    g)  La régie publicitaire en ligne : elle consiste à assurer la promotion de services en ligne auprès du grand public. LDCom n’est pas du tout présent sur ce secteur. Jet Multimédia est présente sur ce marché en concurrence avec les agences de communications et régies publicitaires généralistes.
    Les parties considèrent que tous les marchés de produits identifiés sont de dimension nationale pour plusieurs raisons  : la nature des biens ou services en cause est suffisamment homogène quelle que soit la partie du territoire national où l’offre rencontre la demande, il s’agit toujours des mêmes produits et services offerts quelle que soit la région où ils sont offerts et le prix de la liaison louée est le même quel que soit le parcours emprunté. En outre, les clients et les concurrents sont les mêmes dans toutes les régions et ne diffèrent qu’en fonction des produits ou services offerts.
    En ce qui concerne le marché de la boucle locale, les parties considèrent qu’il est aussi de dimension nationale car LDCom, via sa filiale Squadran, est titulaire d’une licence boucle locale radio nationale et partant opère sur un marché de dimension nationale. Toutefois, il convient de prendre en compte qu’il existe également des licences BLR régionales, ce qui pourrait laisser penser que le marché n’est pas de dimension nationale mais régionale.
    La question de la délimitation géographique des marchés peut cependant rester ouverte car, quels que soient les marchés géographiques retenus, les conclusions de l’analyse demeurent inchangées.
    Etant donné que LDCom est surtout présent sur le marché amont de fourniture de capacité ou d’infrastructure de télécommunications et 9 Telecom sur le marché aval de la fourniture de services au détail, cette opération doit permettre à la nouvelle entité de réduire ses dépenses d’investissement et d’exploitation en réalisant d’importantes synergies. Une atteinte à la concurrence par intégration verticale peut être exclue car les parties ne détiennent pas de fortes parts de marché et se trouvent notamment confrontées à la concurrence de France Telecom, qui est également intégrée verticalement.
    En conclusion, l’opération notifiée n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j’autorise cette opération.
    Je vous prie d’agréer, Maître, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie,
Pour le ministre et par délégation :
Le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes,
Jérôme  Gallot


    Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées.
    Ces informations relèvent du « secret d’affaires », en application de l’article 8 du décret no 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d’application du livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

NOTE (S) :

(1) Voir en ce sens la décision de la Commission no IV/35.830 - Unisource du 29/01/1997.

(2) Cf. décision de la Commission M. 683 - GTS-Hermes Inc./HIT Rail BV du 05/03/1996 où la Commission qualifie cette activité de cariers’carrier.

(3) Communication de la Commission sur le dégroupage de l’accès à la boucle locale : permettre la fourniture concurrentielle d’une gamme complète de services de communications électroniques, notamment les services multimédias à large bande et l’Internet à haut débit. JOCE C-272 du 23/9/00, p. 55.

(4) Pour l’ART, le dégroupage est le processus par lequel l’opérateur historique met à disposition des opérateurs concurrents tout ou partie de sa boucle locale, c’est-à-dire la partie métallique de son réseau comprise entre le répartiteur principal et les locaux de l’abonné.

(5) Voir notamment la décision de la Commission M. 1439 - Telia/Telenor du 13/10/1999.

(6) Commutateur du réseau téléphonique de France Télécom auquel sont raccordés les abonnés de France Télécom.

(7) Cf. notamment la décision de la Commission no IV 35.592 Cegetel+4 du 20 mai 1999.

(8) L’ART définit la bande passante comme la capacité de transmission d’une liaison. Elle détermine la quantité d’informations qui peut être transmise simultanément.

(9) L’ART définit la liaison louée comme une liaison permanente constituée par un ou plusieurs tronçons d’un réseau ouvert au public et réservée à l’usage exclusif d’un utilisateur. Elle s’oppose à la liaison commutée qui est temporaire.

(10) Cf. décisions de la Commission M.1439 - Telia/Telenor du 13/10/1999, JV.46 - Blackstone/ CDPQ/ Kabel/Norderhein/ Westfalen du 19/06/2000 et M.1838 BT/Esat du 27/03/2000.

(11) Cf. communication de griefs de la Commission à Wanadoo Interactive dans l’affaire COMP/38.233 - Wanadoo Interactive.

© Copyright Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Emploi - DGCCRF - 21/05/2003