NOR : ECOC0300062X
Demanderesse au recours :
SA Spinevision, prise en la personne de ses représentants
légaux, ayant son siège 180, avenue Daumesnil, 75012 Paris,
représentée par Me Teytaud, avoué, 4-6, quai
de la Mégisserie, 75001 Paris. Assistée de Me Soffer,
avocat, 8, rue Magellan, 75008 Paris, toque M 1581.
Défenderesses au recours :
Société Medtronic Inc. 710 Medtronic
Parkway, prise en la personne de ses représentants légaux, ayant
son siège Minneapolis, MN 55432, 5604 USA.
Société Medtronic Sofamor Danek 1800 Pyramid
Place, prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son
siège Memphis Tennessee, 38132 USA.
Société Sofamor, prise en la personne de
ses représentants légaux, ayant son siège 13, rue de
la Perdrix, 93290 Tremblay-en-France.
Société Medtronic Sofamor Danek France Parc D
- Affaires Silic, prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège 22, avenue des Nations, bâtiment Le Rousseau,
93420 Villepinte,
représentées par la SCP Hardouin, avoué, 90, rue
dAmsterdam, 75009 Paris, assistées de Me Thill-Tayara,
avocat, 9, rue Boissy-dAnglas, 75008 Paris, toque P 0372.
En présence du ministre chargé de léconomie,
DGCCRF, bureau B 1, bâtiment 5, 59, boulevard Vincent-Auriol,
Télédoc 031, 75703 Paris Cedex 13, représenté
aux débats par M. Nollen, muni dun mandat régulier.
Composition de la cour lors des débats et du délibéré :
M. Coulon, premier président ;
Mme Penichon, conseiller ;
M. le Dauphin, conseiller.
Greffier, lors des débats et du prononcé
de larrêt : Mme Jagodzinski.
Ministère public : M. Woirhaye, substitut
général.
Débats à laudience publique du 17 décembre 2002.
Arrêt prononcé publiquement le 4 février 2003,
par M. Coulon, premier président, qui a signé la minute avec
Mme Jagodzinski, greffier. *
* * Après
avoir, à laudience publique du 17 décembre 2002, entendu
les conseils des parties, les observations du représentant du ministre
chargé de léconomie et celles du ministère public,
la requérante ayant eu la parole en dernier ;
Vu les mémoires, pièces et documents déposés
au greffe à lappui du recours ; *
* * La société
Spinevision est une société anonyme créée en 1999,
qui a pour objet la conception, la fabrication et la commercialisation dimplants
et dinstruments destinés à lorthopédie, à
la neurologie et à la neurochirurgie. Cette société, qui
a son siège en France, est également implantée, au travers
de filiales, aux Etats-Unis, en Espagne et en Italie et a conclu des accords de
distribution dans la plupart des pays européens.
Lactivité du groupe Medtronic, dont le siège
est aux Etats-Unis et auquel appartiennent les sociétés américaines
Medtronic Inc., Medtronic Sofamor Danek Inc. et les sociétés de
droit français Sofamor et Medtronic Sofamor Danek France, se rattache à
la technologie médicale, principalement dans les domaines cardio-vasculaire,
neurologique et rachidien.
Les implants rachidiens sont des dispositifs médicaux
destinés à être insérés dans le corps du patient
et fixés sur la colonne vertébrale au cours dinterventions
chirurgicales visant à la correction de déformations du rachis,
telle la scoliose. Les implants ont, dans la majorité des cas, pour rôle
de stabiliser les éléments de la colonne vertébrale afin
de permettre une fusion osseuse.
Soutenant que les sociétés Medtronic Inc.,
Medtronic Sofamor Danek Inc., Medtronic Sofamor Danek France et Sofamor (ci-après
le groupe Medtronic), occupant une position dominante sur le marché des
implants rachidiens, se livrait, en vue dentraver son développement
et finalement de lexclure de ce marché, à un ensemble de pratiques
constitutives dun abus de position dominante, manifestées, notamment,
par des pressions sur ses « salariés clefs » et
ses clients actuels ou potentiels et par lintroduction devant le tribunal
de commerce de Paris, le 6 novembre 2001, dune action en concurrence
déloyale fantaisiste, nayant dautre but que de la déstabiliser
financièrement et commercialement, la société Spinevision
a, par lettres du 12 février 2002, saisi le Conseil de la concurrence
de pratiques imputées au groupe Medtronic, relevant selon elle des dispositions
de larticle L. 420-2 du Code de commerce et dune demande
de mesures conservatoires.
Par décision no 02-D-35 du 13 juin 2002,
le Conseil de la concurrence, après avoir estimé que la saisine
ne comportait pas déléments suffisamment probants permettant
de penser que des pratiques qui auraient pour objet ou pour effet dentraver
le libre jeu de la concurrence au sens des dispositions des articles L. 420-1
et L. 420-2 du Code de commerce seraient commises par les entreprises mises
en cause, a rejeté la saisine au fond émanant de la société
Spinevision et, par voie de conséquence, la demande de mesures conservatoires
présentée par cette dernière.
La cour :
Vu le recours régulièrement formé,
le 15 juillet 2002, par la société Spinevision ;
Vu le mémoire du 13 août 2002,
contenant lexposé des moyens de la requérante, par lequel
celle-ci, poursuivant la réformation de la décision du 13 juin 2002,
demande à la cour :
de diligenter une enquête portant sur
les abus de domination imputés au groupe Medtronic ;
dordonner toutes mesures conservatoires
susceptibles de réparer latteinte grave et immédiate causée
par ces agissements, et notamment :
de faire cesser les
pressions exercées sur ses salariés, et plus généralement
sur toute personne susceptible de travailler avec elle ;
dinterdire que
laction en concurrence déloyale exercée par la société
Sofamor devant le tribunal de commerce de Paris et la décision rendue par
le Conseil de la concurrence, visée par le présent recours, soient
utilisées par le groupe Medtronic en tant quargument commercial ou
objet de dénigrement à son encontre.
Vu le mémoire en réponse du groupe Medtronic,
en date du 14 octobre 2002, tendant au rejet du recours et à
lapplication des dispositions de larticle 700 du nouveau code
de procédure civile au profit de la société Sofamor ;
Vu les observations du ministre chargé de léconomie,
en date du 28 octobre 2002, tendant au rejet du recours ;
Vu la lettre en date du 31 octobre 2002 par
laquelle la présidente du Conseil de la concurrence fait connaître
à la cour que le Conseil nentend pas user, en lespèce,
de la faculté de présenter des observations qui lui est reconnue
par larticle 9 du décret no 87-849 du 19 octobre 1987 ;
Vu le mémoire en réplique en date du 29 novembre 2002
par lequel le groupe Medtronic demande à la cour de condamner la société
Spinevision à une amende civile ainsi quà une indemnité
pour recours abusif ;
Vu le mémoire en supplique de la société
en date du 2 décembre 2002 par lequel la société
Spinevision ajoute aux prétentions précédemment formulées
une demande tendant à lapplication à son profit des dispositions
de larticle 700 du nouveau code de procédure civile ;
Les conseils des parties, le représentant du ministre
chargé de léconomie et celui du ministère public, qui
a conclu au rejet du recours, ayant été entendus en leurs observations
orales, la requérante ayant eu la parole en dernier ;
Sur ce :
Considérant quil ny a pas lieu dordonner
la réouverture des débats que la société Spinevision
a pris linitiative de solliciter après la clôture de ceux-ci ;
Considérant quaprès avoir constaté
quil existe une demande spécifique portant sur les implants rachidiens
et que sur ce marché de produits, actuellement en forte croissance, les
implants distribués par la société Spinevision, notamment
celui dénommé le « PLUS » (Pivot Link
Universal System), et par le groupe Medtronic, notamment celui dénommé
« CD Horion », dont les indications thérapeutiques
sont semblables, apparaissent substituables entre eux, de sorte que ces deux entreprises
se trouvent directement en concurrence sur le marché considéré,
le Conseil de la concurrence relève quen application des directives
no 90/385/CEE du 20 juin 1990 et no 93/42/CEE
du 14 juin 1993, tout nouveau dispositif médical mis sur le marché
avec la certification dune autorité dun des Etats membres de
lUnion est automatiquement certifié conforme aux normes européennes
et peut ainsi librement circuler dans lUnion européenne tandis que
le marché américain - lequel représente, en valeur, 70 %
du marché mondial contre 22 % pour le marché européen
- est régi par les normes dapprobation de la Food and Drug Administration ;
que le Conseil ajoute que les implants rachidiens semblent donc répondre,
au sein de lUnion européenne, à des caractéristiques
identiques et apparaissent substituables entre eux dans lensemble du territoire
européen et quen létat des éléments soumis
à son appréciation, il nest pas exclu que le marché
pertinent soit le marché européen des implants rachidiens ;
Considérant que la société Spinevision,
qui partage lanalyse du Conseil de la concurrence selon laquelle le marché
de produits est celui des implants rachidiens, fait en revanche valoir que le
Conseil a fait une appréciation erronée de la dimension géographique
de ce marché, lequel est mondial et non pas européen ; quelle
soutient que lexistence de procédures dhomologation européenne
et américaine différenciées ne permet pas de distinguer deux
marchés différents dès lors que ces procédures sont
similaires et ne constituent pas de véritables barrières à
lentrée dun marché et que les conditions dans lesquelles
les entreprises sont en concurrence ne différent pas de manière
appréciable selon les zones géographiques, les acteurs du marché
des implants rachidiens ne sopposant pas régionalement mais mondialement,
à linstar des deux entités en cause qui saffrontent,
commercialement, aussi bien en Europe quaux Etats-Unis ;
Mais considérant, dabord, que, devrait-il
être admis que le marché pertinent des prothèses rachidiennes
est le marché mondial, ce que conteste le groupe Medtronic, que celui-ci
napparaîtrait pas davantage en mesure de sabstraire de la concurrence
des autres acteurs de ce marché ;
Considérant, sur ce point, dune part, que
le Conseil relève, sans que les documents mis aux débats conduisent
à douter de la pertinence de ces données, que le groupe Medtronic
a vendu en 1999, 2000 et 2001 respectivement 29,9 %, 41 %
et 35 % des implants rachidiens commercialisés dans le monde, alors
quau cours de ces trois années ses deux principaux concurrents en
vendaient, respectivement, 22,9 % et 17 %, 24 % et 12 %, 22 %
et 15 %, ce dont il résulte quils détiennent des parts
de marchés relativement proches de celles de Medtronic ;
Considérant, dautre part, que le marché,
récent, des implants rachidiens - où les chirurgiens, attentifs
aux progrès techniques parce que soucieux dutiliser les produits
propres à améliorer leur pratique et le confort des patients, ainsi
que le fait observer la requérante, jouent un rôle déterminant
au stade des décisions dachat par les établissements de soins,
publics ou privés se distingue par limportance de linnovation
technologique ; que ce facteur, sajoutant à dautres, contribue
à accroître lintensité de la pression concurrentielle
sur ledit marché alors surtout que les avancées technologiques peuvent
être le fait de petites ou moyennes entreprises, telle la société
Spinevision ; quau demeurant, cette dernière souligne que durant
ces trois dernières années, elle a déposé des demandes
de brevets dinvention pour un certain nombre de produits très innovants,
en particulier limplant « Plus », lequel permettrait
de corriger deux inconvénients liés aux implants préexistants,
dont le « CD Horizon » du groupe Medtronic, que cette
caractéristique de ses produits a attiré lattention de chirurgiens
de grande renommée et que cet élément, allié à
une méthode marketing très efficace, doit lui permettre de « jouer
un rôle important à lavenir dans le domaine de lorthopédie,
de la neurologie et de la neurochirurgie, le premier bilan, encourageant, laissant
présumer un avenir brillant, au vu des résultats connus pour lannée
2001 » ;
Considérant, ensuite, quant aux pratiques de nature,
selon la requérante, à caractériser lexploitation abusive
de la position dominante alléguée, que la société
Spinevision, qui rappelle à titre liminaire quelle na jamais
considéré les échanges quelle a eus avec le groupe
Medtronic, entre décembre 2000 et janvier 2001, dans la perspective
dune éventuelle prise de contrôle de la part de ce dernier,
comme révélateurs dun abus anticoncurrentiel, ces faits nétant
évoqués quafin de donner au Conseil « une appréciation
globale des tenants et des aboutissants de ce dossier », expose
que la plus significative et la plus néfaste de ces pratiques résulte
de lengagement par la société Sofamor, par acte du 6 novembre 2001,
dune action en concurrence déloyale qui, sous lapparence dune
demande, non fondée, en paiement de dommages-intérêts dun
montant de 914 694 euros pour une prétendue usurpation de savoir-faire
et un prétendu détournement de clientèle, constitue en réalité
un moyen de pression à lencontre de ses salariés et des chirurgiens
pour les dissuader de travailler avec elle et na dautre but que de
lévincer du marché en la décrédibilisant et
en lui interdisant concrètement dutiliser ses brevets ;
Considérant cependant que pour que lexercice
dune action en justice par une entreprise occupant une position dominante
sur un marché déterminé reçoive la qualification dabus
au sens de larticle L. 420-2 du Code de commerce, il faut, dune
part, que laction, manifestement dépourvue de tout fondement, ne
puisse être raisonnablement considérée comme visant à
faire valoir les droits de lentreprise concernée et, dautre
part, quelle sinscrive dans un plan visant à empêcher,
restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré ;
Or, considérant quil résulte des constatations
de la décision déférée que laction litigieuse
napparaît pas manifestement dépourvue de fondement, étant
ici observé que ladite action, qui a donné lieu à une mesure
dinstruction instituée par jugement du 17 juillet 2002,
tend à lobtention dune indemnité en réparation,
notamment, du préjudice qui aurait été causé à
la société Sofamor par lexploitation illicite par la société
Spinevision, laquelle opère dans le même domaine et a été
fondée en 1999 par un ancien salarié de la société
Sofamor, de données développées au sein du département
recherche et développement de cette dernière, que trois personnes,
dont M. Dominique Petit, qui ont occupé des emplois de cadre ou technicien
au sein de ce service, lont quitté entre le 30 juin 1999
et le 31 janvier 2000 et quelles ont depuis la qualité
de salariés de la société Spinevision, pour le compte de
laquelle elles ont contribué à la mise au point des inventions récemment
brevetées ou de certaines dentre elles ; quil sensuit
quil est exclu, pour ce seul motif, et sans préjudice de la motivation
qui précède, que la saisine du tribunal de commerce de Paris par
la société Sofamor puisse être tenue pour la manifestation
dune pratique anticoncurrentielle ;
Considérant que la requérante fait en outre
valoir que des pressions ont été exercées par le groupe Medtronic
sur M. Petit, sur des chirurgiens, qui sont des clients potentiels et sur des
intermédiaires du marché, servant « dagents
de liaison » entre les entreprises opérant sur ce marché
et les professionnels ;
Mais considérant quaprès avoir procédé
à une exacte analyse du sens et de la portée des éléments
de preuve produits par la société Spinevision, le Conseil de la
concurrence a, par des motifs pertinents, estimé à juste titre que
les faits invoqués par ladite société nétaient
pas appuyés déléments suffisamment probants et quil
y avait donc lieu de rejeter la saisine en application des dispositions de larticle L. 462-8,
alinéa 2, du Code de commerce ; quil suffit de relever
en outre, pour répondre à largumentation de la requérante,
dune part, que lassignation précitée du 6 novembre 2001
na pas pour objet, fût-ce accessoirement, de porter atteinte à
la crédibilité ou à lhonnêteté de M. Petit
et, dautre part, que dès lors quaucune des diverses allégations
de « pressions » ou de tentatives de pressions dont
fait état la société Spinevision nest étayée
de manière suffisamment probante, le rapprochement de ces allégations
ne saurait conduire, contrairement à ce que soutient la requérante,
à une conclusion différente de celle à laquelle lon
parvient après les avoir examinées séparément ;
Considérant que le groupe Medtronic ne caractérise
pas labus du droit de recourir contre la décision du Conseil de la
concurrence quelle impute à la société Spinevision ;
que sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure
abusive est en conséquence rejetée ;
Considérant quil convient dallouer
à la société Sofamor la somme de 3 000 euros en
application des dispositions de larticle 700 du nouveau code de procédure
civile ; que la demande présentée par la requérante
sur le même fondement ne peut quêtre rejetée, Par
ces motifs :
Rejette le recours, condamne la société
Spinevision à payer à la société Sofamor la somme
de 3 000 euros en application des dispositions de larticle 700
du nouveau code de procédure civile ;
La condamne aux dépens ;
Rejette toute autre demande.
(*) Décision no 02-D-35 du Conseil
de la concurrence en date du 13 juin 2002 publiée dans le BOCCRF
no 14 du 30 septembre 2002. |