Sommaire | N° 10 du 24 juin |
Arrêt de la cour dappel de Paris (1re chambre, section H) en date du 7 mai 2002 relatif au recours formé par le ministre chargé de léconomie et la société Masterfoods contre la décision no 00-D-82 (*) du Conseil de la concurrence en date du 26 février 2001 relative à des pratiques relevées dans le secteur des glaces et crèmes glacées industrielles sur le marché de limpulsion
NOR : ECOC0200163X
Demandeurs au recours :
M. le ministre chargé de léconomie,
pour qui domicile est élu à Paris (13e), direction
générale de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes, bâtiment 5, 3e étage, 59, boulevard
Vincent-Auriol, 75703 Paris Cedex 13, représentée par
Mme Bibet, munie dun mandat régulier ;
Masterfoods, société en commandite simple
venant aux droits de Mars Alimentaire SA, ayant son siège social lieudit
Saint-Nicolas, 45550 Saint-Denis-de-LHôtel, agissant par son
gérant Masterfoods Holding représentée par M. F. Barbier,
représentée par la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoué
23, rue du Louvre, 75001 Paris, assistée de Me de
La Laurencie, avocat, cabinet Norton Rose, Washington Plaza, 42, rue de
Washington, 75408 Paris Cedex 08, toque J 039.
Défenderesses au recours :
SA Nestlé Grand Froid, venant aux droits de la
société France Glace Findus, ayant son siège social 7, boulevard
Pierre-Carle, 77420 Noisiel, prise en la personne de ses représentants
légaux, représentée par la SCP Teytaud, avoué, 4-6, quai
de la Mégisserie, 75001 Paris, assistée de Me C. Maitre-Devallon,
avocat, cabinet Rambaud Martel, 27, boulevard de lAmiral-Bruix, 77782 Paris
Cedex 16, toque P 134 ;
SA Boncolac, ayant son siège social 203, avenue
des Etats-Unis, 31200 Toulouse, prise en la personne de ses représentants
légaux, assistée de Me Denantes, avocat, 13, avenue
Hoche, 75008 Paris, toque K 30 ;
Société Cogesal-Miko, ayant son siège
social 23, rue François-Jacob, 92500 Rueil-Malmaison, prise
en la personne de ses représentants légaux ;
Société Seges, ayant son siège
social 308, boulevard Marcel-Paul, BP 164, 44802 Herblain Cedex,
prise en la personne de ses représentants légaux, représentée
par la SCP Duboscq-Pellerin, avoué, 18, rue Séguier, 75006 Paris,
assistée de Me Saint-Esteben et Me Bretzner,
avocats, cabinet Bredin Prat, 130, rue du Faubourg-Saint-Honoré,
75008 Paris, toque T 12.
Composition de la cour : lors des débats
et du délibéré :
Mme Marais, président ;
M. Savatier, conseiller ;
M. Le Dauphin, conseiller.
Greffiers :
Lors des débats : Mme Klock ;
Lors du prononcé du délibéré :
Mme Padel.
Ministère public : M. Woirhaye, substitut
général.
Arrêt prononcé publiquement le 7 mai 2002,
par Mme Marais, président, qui a signé la minute avec Mme Padel,
greffier.
Après avoir, à laudience publique
du 6 novembre 2001, entendu les conseils des parties, les observations
de Mme le représentant du ministre chargé de léconomie
et celles du ministère public, les conseils des parties ayant eu la parole
en dernier ;
Vu les mémoires, pièces et documents déposés
au greffe à lappui du recours ;
Par lettre du 25 juillet 1996, le ministre
délégué aux finances et au commerce extérieur a
saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées dans le secteur
des glaces et crèmes glacées industrielles sur le marché
de limpulsion.
Par décision no 00-D-82 du 26 février 2001,
le Conseil de la concurrence, après avoir écarté quarante-cinq
procès-verbaux daudition comme ne satisfaisant pas à lobligation
de loyauté dans la recherche des preuves faute de comporter la mention
de lobjet de lenquête et lindication que celui-ci avait
été porté à la connaissance des personnes entendues,
a estimé, au vu des autres éléments de preuve fournis :
sur le premier grief, quil
était établi que la société France Glaces Findus
avait enfreint les dispositions de larticle L. 420-1 du code de commerce
et a enjoint à celle-ci dans un délai de trois mois à compter
de la notification de la décision, de réduire à un an au
plus la durée dapplication de la clause de non concurrence figurant
dans les contrats de concession quelle conclut ou quelle conclura
avec ses distributeurs ;
sur le second grief, quil nétait
pas démontré que leffet conjugué de lexclusivité
de marque combinée au prêt gratuit de congélateur aurait
eu un effet anticoncurrentiel au sens des dispositions de larticle L. 420-1
du code de commerce ;
La cour :
Vu le recours en annulation et en réformation
formé, le 30 mars 2001, par le ministre chargé de léconomie ;
Vu lexposé des moyens déposé
le 27 avril 2001, et les observations en réplique du 1er octobre
2001 par lesquels le ministre chargé de léconomie, limitant
son recours au deuxième grief, demande à la cour :
de rétablir dans le dossier
neuf procès-verbaux et leurs annexes, qui ont été, selon
lui, écartés à tort des débats et dont il fournit
la liste précise ;
de considérer dès lors,
au vu des éléments ainsi recueillis, que leffet cumulatif
des contrats parallèles de prêt de meubles combinés avec
la clause dexclusivité de la marque, à durée indéterminée,
pour une part cumulée de marché de limpulsion quil
estime à 66 %, ont des effets anticoncurrentiels par la forclusion
du marché et relèvent des dispositions de larticle L. 420-1
du code de commerce ;
dimputer la responsabilité
des effets restrictifs de concurrence aux sociétés Miko, France
Glaces Findus, Cogesal, Seges et Mars ;
de sanctionner lesdites sociétés
sous langle de larticle L. 420-1 du code de commerce sans
que les contrats puissent bénéficier de lexemption prévue
par larticle L. 420-4 (2o) du code de commerce,
de prononcer, en application des
dispositions de larticle L. 464-2 du code de commerce, les sanctions
suivantes :
enjoindre
aux sociétés Miko, France Glaces Findus, Cogesal et Seges de mettre
fin au prêt de meubles à durée indéterminée
assorti dune exclusivité de marque ;
dinfliger
les sanctions pécuniaires suivantes :
Miko :
152 449,01 Euro ;
France
Glaces Findus : 228 673,52 Euro ;
Cogesal :
38 112,25 Euro ;
Seges :
106 714,31 Euro,
dapprécier,
au regard des dispositions de larticle L. 464-2 du code de commerce,
si la sanction pécuniaire sollicitée à lencontre
de la société Masterfoods (venue aux droits de Mars alimentaire)
pour un montant de 152 449,01 Euro a lieu dêtre réduite
en raison de son implication moindre et de son rôle de suiveur ;
Vu le recours incident en annulation et en réformation
formé, le 2 avril 2001, par la société Masterfoods,
venant aux droits de la société Mars alimentaire,
Vu lexposé des moyens de la société
Masterfoods en date du 2 mai 2001 et ses mémoires en réplique
des 2 juillet et 2 octobre 2001 par lesquels cette société,
tout en se prévalant dun intérêt direct et légitime
à agir dans le cadre de la présente procédure, demande
à la cour :
de réintégrer les procès-verbaux
émanant de personnes nappartenant pas, au moment de leur audition,
à une entreprise à qui des griefs ont été notifiés,
ainsi que les procès-verbaux des personnes internes à son entreprise
dont elle ne conteste pas quelles aient été tenues informées
de lobjet de lenquête ;
dénonçant le fait que
le Conseil ait limité le champ de son analyse aux trois entreprises Cogesal,
France Glaces Findus et Boncolac, de décider que les contrats de prêt
de congélateurs contenant une clause dexclusivité de marque
mis en uvre par les sociétés Miko, Cogesal, Seges, France
Glaces Findus et Boncolac sont, par leur effet cumulatif, contraires aux dispositions
de larticle L. 420-1 du code de commerce et que ces sociétés
ont contribué de manière significative à la fermeture du
marché, compte tenu tant de leurs parts de marché que de leur
part respective dans le parc total des congélateurs de référence ;
enjoindre en conséquence aux
sociétés Miko, Cogesal, Seges et France Glaces Findus de supprimer
la clause stipulant une exclusivité de marque dans les contrats de prêt
de meubles de froid quelles ont conclus et quelles concluront, directement
ou indirectement, avec leurs distributeurs et détaillants ;
Vu les mémoires du 3 juillet 2001 par lesquels
la société Cogesal-Miko, dune part, et la société
Seges, dautre part, demandent à la cour :
à titre principal, de dire
que le recours formé par la société Masterfoods est irrecevable
et quil en est de même des demandes de sanctions formulées
par les deux demandeurs au recours, lacte de saisine du Conseil de
la concurrence étant nul et la prescription acquise ;
à titre subsidiaire, de dire
que les procès-verbaux qui leur sont opposés doivent être
écartés des débats et quen labsence de tout
élément de preuve aucune entente résultant de leurs contrats
de prêt de meubles de froid ne saurait leur être imputée ;
plus subsidiairement encore, de dire
que la qualification dentente doit être écartée dans
la mesure où aucun effet sensible ne résulte de la clause dexclusivité
litigieuse et que la théorie de leffet cumulatif est inapplicable
au cas despèce ;
et, confirmant la décision entreprise de condamner in solidum
le ministre de léconomie et la société Masterfoods
à verser à chacune delles la somme de 150 000 francs
au titre de larticle 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu le mémoire du 2 juillet 2001 par lequel
la société Nestlé Grand Froid, venant aux droits de la
société France Glaces Findus, demande à la Cour de rejeter
les recours de la société Masterfoods et du ministre de léconomie,
invoquant à cet effet, outre lirrecevabilité de la société
Masterfoods à former un recours, lirrégularité des
procès-verbaux écartés des débats par le Conseil
de la concurrence, et linopposabilité des pratiques anticoncurrentielles
qui lui sont reprochées alors quelle nest pas signataire
des contrats de prêts de meubles comportant la clause litigieuse, que
ces contrats sont résiliables à tout moment et que la clause nest
en tout état de cause pas anticoncurrentielle au sens de larticle
L. 420-1 du code de commerce ;
Vu le mémoire du 3 juillet 2001 par lequel
la société Boncolac, invoquant des motifs identiques, sollicite
la confirmation de la décision du Conseil et demande à la cour
de constater quen tout état de cause aucune pratique anticoncurrentielle
au sens de larticle L. 420-1 du code de commerce ne peut lui être
imputée compte tenu de la part marginale de ses produits sur le marché
et de sa position individuelle rendant insignifiante sa contribution à
leffet cumulatif des contrats critiqués ;
Vu les observations en date du 26 juillet 2001
présentées par le Conseil de la concurrence tendant à lirrecevabilité
du recours de la société Masterfoods et au rejet de celui formé
par le ministre de léconomie ;
Le ministère public ayant été entendu
en ses observations orales ;
Les parties ayant été mises en mesure
de répliquer ;
Sur
quoi :
Sur
la saisine du Conseil de la concurrence et la prescription :
Considérant que larticle L. 462-5
du code de commerce dispose que le Conseil de la concurrence peut être
saisi par le ministre chargé de léconomie de toute pratique
mentionnée aux articles L. 420-1, L. 410-2 et L. 420-5 ;
quen lespèce, la lettre de saisine est signée de M. Yves
Galland, ministre délégué aux finances et au commerce extérieur ;
Considérant quaux termes du décret
no 95-1248 du 28 novembre 1995, publié au Journal
officiel du 29 novembre 1995, M. Yves Galland exerçait
les attributions qui lui sont confiées par le ministre de léconomie
et des finances, relatives à la consommation, à la concurrence,
aux marchés publics et au commerce extérieur ; que le
texte précisait que, pour lexercice de ses attributions et dans
la limite de celles-ci, il avait autorité sur la direction générale
de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
et recevait délégation du ministre de léconomie et
des finances de signer, en son nom, tous actes, arrêtés et décisions ;
Que M. Yves Galland était donc habilité,
par leffet de ce seul texte, à saisir le Conseil de la concurrence
des pratiques dénoncées dans la lettre du 23 juillet 1996,
enregistrée le 25 juillet suivant ;
Que cet acte de saisine régulier a valablement
interrompu la prescription triennale prévue par larticle L. 462-7
du code de commerce, laquelle nétait pas acquise lorsque les griefs
ont été notifiés aux parties, le 13 juillet 1999 ;
Sur
la recevabilité du recours de la société Masterfoods :
Considérant que larticle L. 464-8
du code de commerce dispose que les décisions du Conseil sont notifiées
aux parties en cause et au ministre de léconomie qui peuvent, dans
le délai dun mois, introduire un recours en annulation ou en réformation
devant la cour dappel de Paris ; quun tel recours nest
recevable quautant que lauteur du recours a qualité et justifie
dun intérêt à le formuler ;
Considérant que le Conseil de la concurrence
a été saisi, le 25 juillet 1996, par lettre du délégué
du ministre de léconomie ; que la société Masterfoods,
qui ne sest pas jointe à cette saisine et qui a fait lobjet
dune notification de grief, nest pas partie plaignante ;
Que si elle peut valablement répondre au recours
du ministre qui, dans lexposé de ses moyens, retient à son
encontre les pratiques dénoncées et sollicite contre elle le prononcé
de sanctions, elle nest pas pour autant recevable à agir pour la
poursuite des pratiques incriminées ;
Que son recours incident doit donc être déclaré
irrecevable ;
Sur
les procès-verbaux :
Considérant que pour écarter 45 des
procès-verbaux daudition figurant au dossier du rapporteur, le
Conseil a relevé que ceux-ci ne comportaient pas la mention de lobjet
de lenquête ni lindication que celui-ci avait été
indiqué aux intéressés, que les déclarations des
personnes auditionnées avaient largement débordé le strict
secteur de la distribution des glaces et crèmes glacées industrielles
sur le marché de limpulsion et que les échanges entre les
sociétés et lenquêteur qui, à plusieurs reprises,
avait demandé par téléphone la communication de pièces
et précisions complémentaires, ne permettaient pas, au vu des
réponses faites par ces sociétés, de savoir si elles avaient
eu connaissance de lobjet précis de lenquête ;
que le Conseil a estimé quil navait, de ce fait, pas été
satisfait à lobligation de loyauté dans la recherche des
preuves ;
Mais considérant que les neufs procès-verbaux
dont le ministre sollicite le rétablissement comportent, contrairement
à ce que retient le Conseil, les deux mentions préimprimées
selon lesquelles lenquêteur déclare être « habilité
à procéder aux enquêtes nécessaires à lapplication
de lordonnance no 86-1243 du 1er décembre
1986, par larrêté du 22 janvier 1993, pris en application
de larticle 45 de ladite ordonnance », et précise :
« nous avons justifié de notre qualité et indiqué
lobjet de lenquête à Monsieur... » ;
Que la mention pré-imprimée sur les procès-verbaux
selon laquelle lobjet de lenquête a été porté
à la connaissance de la personne entendue suffit à justifier de
lindication de cet objet jusquà preuve contraire, laquelle
nest pas rapportée en lespèce ;
Quil nest pas démontré ni
même allégué que les déclarations transcrites ensuite
de cette mention, qui portent, ne serait-ce que pour partie, sur le secteur
dactivité concerné, auraient été obtenues
au moyen de manuvres déloyales auxquelles les enquêteurs
se seraient livrés et qui auraient conduit les personnes entendues à
se méprendre sur la portée de leurs propos ;
Que les neufs procès-verbaux en cause doivent
en conséquence être rétablis au dossier ;
Sur
le marché en cause :
Considérant quest dite « dimpulsion »
la glace qui fait lobjet dun achat « impulsif »,
pour être consommée immédiatement en plein air, sur place
ou à proximité du lieu dachat, en quantité très
limitée et à un prix relativement élevé ; que
cette glace, vendue en conditionnement ou en portions individuelles dans des
lieux caractérisés par leur extrême diversité et
par leur répartition géographique diffuse (kiosques, boulangeries,
cinémas, stations-services, clubs sportifs, tabacs, plagistes, campings,
manifestations...) fait lobjet dune demande saisonnière très
marquée et qui varie en fonction des conditions climatiques, ce qui la
soumet à un impératif de forte publicité ;
Considérant quil est habituel de distinguer
sur le marché de la glace dimpulsion trois types de glaces pour
lesquelles lintervention du détaillant est plus ou moins importante,
à savoir :
la glace emballée, sous forme
desquimaux ou de cônes, pour laquelle le vendeur exerce uniquement
une activité de vente ;
la glace en bac, vendue sous forme
de boules consommées notamment en cornets, pour lesquelles à la
fonction de vente du détaillant sajoute une activité de
transformation manuelle consistant à diviser la glace en portion ;
la glace à litalienne,
crème glacée au lait, peu compacte, souvent consommée en
cornet, dont la mise en état de consommation nécessite de la part
du détaillant une opération mécanique qui consiste à
transformer la poudre en glace après adjonction des matières premières,
lait et eau, et la mise à disposition du détaillant dun
équipement spécial.
Considérant que si ces produits, à lexception
des glaces italiennes, sont des produits fragiles qui requièrent, pour
conserver leur qualité, dêtre maintenus à basse température,
force est de constater que les glaces et crèmes glacées industrielles
présentent cette spécificité dêtre fabriquées
à grande échelle pour être distribuées sur lensemble
du territoire national ; que cette distribution, relevant de spécialistes
qui exercent leurs activités à travers des réseaux de distribution,
de grossistes et de points de vente, est soumise à de fortes contraintes
techniques qui tiennent à la nature du produit et à la nécessité
dassurer un réapprovisionnement rapide de points de vente dispersés,
dépourvus de capacité de stockage, et ce dans le respect impérieux
du maintien de la chaîne du froid ;
Que ces caractéristiques spécifiques conduisent
à définir le marché des glaces et crèmes glacées
industrielles dimpulsion comme constituant, à lui seul, le marché
pertinent sur lequel sinscrivent les pratiques dénoncées
et doù sont exclues les glaces artisanales, mêmes si ces
dernières, dans certaines zones restreintes, leur font concurrence ;
Sur
la pratique dénoncée :
Considérant quil résulte de
lenquête à laquelle il a été procédé
que les producteurs ou grossistes mettent gratuitement à la disposition
des détaillants des congélateurs en échange de lexclusivité
des produits qui y sont conservés ; que cette pratique est formalisée
par la conclusion dun contrat de prêt gratuit de meubles assorti
dune clause dexclusivité de marque ; quil importe
peu que ce contrat soit directement passé avec le producteur, comme pour
les contrats Miko, Cogesal, Girki, Boncolac, Sofraco et Mars, ou avec le distributeur,
comme pour la société France Glaces Findus (aujourdhui Nestlé
Grand Froid), le meuble étant mis, en ce cas, gratuitement à disposition
du distributeur par le producteur sans que cette transaction soit formalisée,
ou encore, moitié par les distributeurs Frigécrème, moitié
par les grossistes indépendants, comme pour la société
Seges ;
Considérant que le ministre fait valoir quen
raison des contraintes de place inhérentes à lencombrement
des meubles, de tels contrats, dont la durée, dans la pratique, se révèle
indéterminée quelle que soit la rédaction adoptée,
conduisent les détaillants à noffrir que les produits dun
seul producteur auquel ils se fidélisent, le non-respect de lexclusivité
aboutissant à la reprise du matériel ; quil soutient
que les restrictions imposées par les producteurs, qui détiennent
une part de marché cumulée de 65,9 % pour lannée
1994, tendent à un verrouillage du marché limitant les possibilités
concrètes et réelles pour un nouvel entrant de sinfiltrer
dans le faisceau de contrats ou pour un opérateur de développer
son activité ; que ce verrouillage à laccès
du marché se trouve, selon lui, renforcé par lenvironnement
juridique et économique et, notamment, par la puissance des parties présentes
sur le marché et du mode de distribution des produits, lequel seffectue
par le biais de réseaux intégrés qui ne laissent dautre
alternative à lindustriel désirant distribuer des produits
sur le marché de limpulsion que de recourir à la mise en
place dun réseau de distribution personnel ;
Quil estime, sur limputabilité des
pratiques, quest significatif leffet restrictif de concurrence que
produit lopérateur qui détient, cumulativement, une part
de marché supérieure à 5 % (seuil en dessous duquel
les accords sont présumés dimportance mineure), un contrat
à durée indéterminée et une puissance de marché
renforcée par la dimension et létendue de son réseau
ainsi que par le nombre de ses points de vente ;
Quil reproche, en conséquence, à
la société Miko (qui détient 23,1 % de parts de marché)
et à la société Cogesal-Seges (14,7 %) pour le groupe
Unilever, à la société Nestlé Grand Froid (11,8 %),
ainsi quà la société Masterfoods (5,3 %), lesquelles
présentent une puissance de marché certaine, davoir enfreint
les dispositions de larticle L. 420-1 du code de commerce en contribuant
de manière significative à la fermeture du marché par leffet
cumulatif de leurs contrats ;
Quil ajoute que ces contrats ne peuvent bénéficier
de lexemption de larticle L. 420-4 (2o) du
code de commerce, dès lors que le progrès économique allégué
nest pas obtenu en raison de lexclusivité de la marque qui,
restreignant le choix du consommateur, limite la concurrence sur lensemble
de loffre et diminue les efforts dinnovation des producteurs ;
Mais considérant que leffet restrictif
de concurrence résultant dun ensemble daccords de distribution
doit sapprécier au regard de la nature et de limportance
des contrats sur le marché en cause, de lexistence de possibilités
réelles et concrètes pour un nouveau concurrent de sinfiltrer
dans le faisceau des contrats, et des conditions dans lesquelles saccomplit
le jeu de la concurrence sur le marché de référence, à
savoir, notamment, le nombre et la taille des producteurs présents sur
le marché, le degré de saturation de ce marché, la fidélité
de la clientèle aux marques existantes ;
Que si les entreprises mises en cause dans la présente
affaire disposent effectivement, ensemble, dune part de marché
pertinent de 66 %, force est de constater que limportance de cette
part de marché cumulée ne suffit pas, à elle seule, à
démontrer la fermeture du marché aux nouveaux entrants ;
Or considérant que les sociétés
Cogesal-Miko et Seges font pertinemment remarquer, quoutre lentrée
sur le marché de sociétés comme Girki, Sofraco, Boncolac
et Haagen Dazs, sont également apparues des sociétés comme
Ben & Jerrys, Baskin Robins, Isjborg et Pole Sud, dont la croissance,
pour celle-ci, sest traduite par une extension significative du périmètre
géographique de commercialisation de ses produits dans tout le sud de
la France et à Paris ; quil nest pas contesté
que des sociétés comme Mars ou Häagen Dazs sont dotées
dun pouvoir de marché important ; quaucun élément
du dossier ne permet dimputer les pertes alléguées par la
société Mars à une prétendue fermeture du marché
que larrivée de plusieurs entrants dotés de tailles et de
profils différents, pour certains de dimension modeste, vient contredire ;
Que si la durée indéterminée des
contrats constitue un critère dappréciation du degré
de fermeture du marché, force est de constater en lespèce
que lesdits contrats, quils soient à durée dun an
renouvelable par tacite reconduction, à durée indéterminée
ou quils ne contiennent aucune indication de durée, à défaut
généralement pour la mention prévue au contrat davoir
été complétée, peuvent à tout moment être
résiliés moyennant le respect dun bref délai de préavis
variant de 15 jours, pour les contrats Mars, Boncolac et France Glaces
Findus, à un mois pour les contrats Cogesal ;
Que la restitution de 20 % des meubles, chaque
année, atteste de la fluidité du marché considéré,
soumis à un fort caractère saisonnier et dont le caractère
fluctuant et volatile, compte tenu notamment du nombre important de revendeurs
et de leurs changements, doit être souligné ;
Considérant quil y a lieu également
de relever que plus de 27 % des distributeurs sont propriétaires
de leurs meubles et que certaines sociétés, comme les sociétés
Miko-Cogesal et Seges, favorisent lachat du meuble de froid en accordant
des remises particulières à ceux qui désirent se diriger
dans cette voie ;
Que seuls 47,7 % des professionnels interrogés
ayant affirmé ne pas disposer de place suffisante pour accueillir au
moins deux meubles, 52,3 %, à tout le moins, dentre eux conservent
la faculté de sadresser concomitamment à dautres producteurs,
la clause dexclusivité de marque étant limitée au
meuble gratuitement prêté ;
Que si le marché de la glace dimpulsion,
compte tenu des habitudes du consommateur, nest pas particulièrement
développé en France, comparé à celui des pays voisins,
il nest pas démontré que ce marché serait arrivé
à saturation ;
Que les sociétés Cogesal-Miko et Seges
font pertinemment remarquer que la présence, aux côtés dentreprises
aux dimensions modestes, des sociétés les plus importantes en
matière de marque et de puissance de marché, permet de maintenir
un degré élevé de concurrence ;
Quil nest pas démontré, dans
ces conditions, que leffet cumulatif des contrats parallèles de
prêt de meubles assortis dune clause dexclusivité de
marque, aurait eu, pour la période 1994/1995 considérée,
des effets anticoncurrentiels par la fermeture de laccès au marché
et relèveraient, en conséquence, des dispositions de larticle L. 420-1
du code de commerce ;
Que le grief doit en conséquence être écarté
et le recours rejeté ;
Quil ny a lieu de faire application de larticle 700
du nouveau code de procédure civile,
Par
ces motifs :
Déclare irrecevables le recours incident et les
prétentions formées par la société Masterfoods,
venant aux droits de la société Mars alimentaire ;
Réformant la décision entreprise ;
Dit y avoir lieu à rétablir au dossier
les procès-verbaux du 18 octobre 1994, Miko, du 8 novembre
1994, Cogesal, du 14 décembre 1994, Sofridagel, du 2 novembre
1994, France Glaces Findus, du 4 mai 1995, Seges, du 16 novembre 1994,
Girki, du 11 octobre 1994, Sofraco, du 15 novembre 1994, Boncolac
et du 27 octobre 1994, Mars alimentaire, ainsi que leurs annexes ;
Rejette pour le surplus le recours ;
Dit ny avoir lieu de faire application de larticle 700
du nouveau code de procédure civile ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor
public.
Le greffier Le
président
(*) Décision no 00-D-82 du Conseil de la concurrence en date du 26 février 2001 (parution dans le BOCCRF no 3 du 30 mars 2001).
© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 25 juin 2002 |