Sommaire | N° 10 du 24 juin |
Arrêt de la cour dappel de Paris (1re chambre, section H) en date du 7 mai 2002 relatif au recours formé par la ministre de léconomie (DGCCRF) contre la décision no 01-D-58 (*) du Conseil de la concurrence en date du 24 septembre 2001 relative à des pratiques mises en uvre par le groupe Benetton sur le marché de la distribution du vêtement du prêt-à-porter et de la maille
NOR : ECOC0200166X
Demandeur au recours :
M. le ministre de léconomie (DGCCRF),
domicilié bâtiment 5, 59, boulevard Vincent-Auriol, 75703 Paris
Cedex 13, repréenté par Mme Gouaini (I.), munie dun
mandat régulier.
Défenderesses au recours :
SARL Benetton France Trading, prise en la personne de
ses représentants légaux, ayant son siège social 29-31, rue
Saint-Augustin, 75002 Paris ;
Société Benetton Group, société
de droit italien, prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social via villa Minelli, 31050 Ponzano Veneto (TV)
(Italie), représentée par la SCP Annie Baskal, avoué, 3, rue
du 29-Juillet, 75001 Paris, assistée de Me Karsenty-Ricard
(M.), avocat, 70, boulevard de Courcelles, 75017 Paris, et de Me Brunet
(F.), avocat, 41, avenue de Friedland, 75008 Paris ;
Société Per Bene, prise en la personne
de ses représentants légaux, ayant son siège social 11, rue
Portefoin, 75003 Paris, assistée de Me Zerdoun (J.-D.),
avocat, 51, avenue Raymond-Poincaré, 75116 Paris, toque P 299 ;
SA Benelyon, prise en la personne de ses représentants
légaux, ayant son siège social 24, rue Childebert, 69002 Lyon ;
SARL Nova, prise en la personne de ses représentants
légaux, ayant son siège social 21, avenue de la Liberté,
33110 Le Bouscat ;
SARL Repsud, prise en la personne de ses représentants
légaux, ayant son siège social 38-40, rue Grignan, 13001 Marseille,
représentée par la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoué,
23, rue du Louvre, 75001 Paris, assistée de Me Robin
(C.), avocat, 14, rue Pergolèse, 75116 Paris.
Composition de la cour, lors des débats et du
délibéré :
M. Lacabarats, président ;
M. Savatier, conseiller ;
M. Maunand, conseiller.
Greffier :
Lors des débats : Mme Jagodzinski ;
Lors du prononcé de larrêt :
Mme Padel.
Débats : à laudience publique
du 2 avril 2002.
Ministère public : M. Woirhaye, substitut
général.
Arrêt, prononcé publiquement le 7 mai 2002,
par M. Lacabarats, président, qui a signé la minute avec
Mme Padel, greffier.
Après avoir, à laudience publique
du 2 avril 2002, entendu Mme le représentant du ministère
chargé de léconomie, les conseils des parties et le ministère
public en leurs observations, le requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les mémoires, pièces et documents déposés
au greffe à lappui du recours ;
En 1997, une enquête a été
ouverte par le Conseil de la concurrence sur des pratiques anticoncurrentielles
imputées aux sociétés du groupe Benetton.
A lissue de cette enquête, deux griefs ont
été notifiés au groupe Benetton et soumis à lappréciation
du Conseil de la concurrence :
la mise en uvre dune
pratique de prix de revente publics imposés ;
la mise en uvre dune
pratique consistant à imposer aux revendeurs de produits Benetton le
choix des entreprises daménagement de magasins.
Par décision du 24 septembre 2001, le Conseil
de la concurrence a dit quil ny avait pas lieu de poursuivre la
procédure à lencontre de Benetton.
Le 23 octobre 2001, le ministre chargé de léconomie
a déposé au greffe de la cour une déclaration de recours
contre la décision du Conseil de la concurrence. Ce recours ne porte
que sur le premier des deux griefs notifiés à Benetton.
Par des écritures du 26 novembre 2001, le
ministre chargé de léconomie demande à la cour :
de qualifier au regard de larticle
L. 420-1 du code de commerce la pratique de prix de revente imposés
mise en uvre par les sociétés Benetton Group SpA et Benetton
France Trading au cours de la période 1993-1996 ;
de sanctionner au regard de larticle
L. 464-2 du code de commerce cette pratique ;
de juger nécessaire de faire
procéder à un complément dinvestigations afin de
rechercher sil existe des indices graves, précis et concordants
pour qualifier le comportement des sociétés Benetton Group SpA
et Benetton France Trading, en ce qui concerne la période postérieure
à 1996.
Par un mémoire du 25 janvier 2002 les sociétés
Benetton Group SpA et Benetton France Trading demandent à la cour de
rejeter le recours et de condamner le requérant aux dépens.
Par un mémoire de la même date, les sociétés
Benelyon, Nova et Repsud demandent à la cour de prendre acte que le recours
ne les concerne pas. La société Per Bene a sollicité par
des écritures du même jour, la confirmation de la décision
et sa mise hors de cause.
Le Conseil de la concurrence a déposé
des observations le 13 février 2002.
Des observations ont également été
déposées le 20 février 2002 par le ministre chargé
de léconomie et le 13 mars 2002 par les sociétés
Benetton. A laudience du 2 avril 2002, la cour a entendu le représentant
du ministre chargé de léconomie en ses explications, les
conseils des sociétés Benetton, Per Bene, Benlyon, Nova et Repsud
en leurs plaidoiries, M. lavocat général en ses conclusions
orales tendant au rejet du recours. Le requérant a eu la parole en dernier.
A lissue des débats, laffaire a été
mise en délibéré pour être jugée le 7 mai
2002.
Considérant que le système de distribution
du groupe Benetton sur le territoire français repose sur une filiale,
la société Benetton France Trading, des agents commerciaux mandataires
de cette société se partageant les cinq zones déterminées
par Benetton pour le territoire national et un réseau de détaillants
revendeurs ; que lenquête du Conseil de la concurrence a été
ouverte à la suite de plaintes danciens détaillants soutenant
avoir été soumis par Benetton à des pratiques de prix imposés ;
que le ministre chargé de léconomie fait grief au Conseil
de la concurrence dune part davoir fait une interprétation
erronée des faits en retenant que la pratique de prix imposés
nétait pas suffisamment caractérisée, dautre
part de ne pas avoir donné de base légale à sa décision
en refusant des investigations complémentaires par labsence de
franchissement dun seuil de sensibilité ;
Sur
la pratique des prix imposés :
Considérant quen vertu de larticle
L. 420-1 (2o) du code de commerce, sont prohibées,
lorsquelles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet dempêcher,
de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché,
les actions concertées, conventions, ententes ou coalitions tendant à
faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché
en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
Considérant que pour justifier sa demande au
regard de ce texte, le ministre chargé de léconomie soutient
que, pour la période 1993 à 1996, Benetton a livré aux
revendeurs des produits préétiquetés ne permettant pas
aux commerçants de modifier les prix indiqués sans altérer
la marque Benetton et contrevenir ainsi à larticle 10 des
conditions générales de vente imposées par le fournisseur
interdisant toute modification de cette marque ;
Considérant cependant que tout fournisseur peut
en principe déterminer librement les conditions de distribution de ses
produits et diffuser auprès des revendeurs des prix conseillés
ou indicatifs, même au moyen dun système de préétiquetage ;
que cest seulement lorsque les engagements contractuels ou le comportement
des intéressés démontrent quen réalité
les prix proposés simposent aux revendeurs que la pratique en cause
peut constituer une atteinte illicite à la liberté de la concurrence ;
Considérant que, contrairement à ce que
soutient le ministre chargé de léconomie, la preuve dune
telle atteinte nest pas en lespèce rapportée ;
Considérant en effet que si certains revendeurs
ont indiqué lors de lenquête que le procédé
du pré-étiquetage, combiné à larticle 10
susvisé des conditions générales de vente, leur interdisait
de modifier les prix indiqués (M. Troyano, commerçant à
Montpellier, Mme Lafortune, commerçante à Paris, les époux
Gaudy, anciens dirigeants de la société Marine, Mme Laporte,
revendeur à Lunel), dautres ont en revanche affirmé que
leur liberté de fixer les prix de revente des marchandises livrées
par Benetton demeurait entière (Mme Schellino, commerçante
à Paris, M. Lafay, revendeur à Rouen, M. Vitton-Mea,
revendeur à Chambéry, M. Mauris, revendeur à Annecy,
M. Sanchez, revendeur à Orléans, M. Dupuis, revendeur
à Angers, M. Wolff, revendeur à Paris) ; que cette liberté
a été rappelée à plusieurs reprises, notamment en 1990,
1993, et 1999, par Benetton au moyen de lettres-circulaires diffusées
auprès des agents commerciaux à lattention des revendeurs ;
quen outre lexamen des types détiquettes utilisées
par Benetton montre que les revendeurs ont la possibilité de modifier
le prix des marchandises sans toucher à la partie de létiquette
reproduisant le « code-barre » du vêtement et la
marque appartenant au fournisseur ;
Considérant que la preuve dune entrave
à la concurrence ne saurait résulter que dun faisceau dindices
constituant des présomptions graves, précises et concordantes ;
quaucune circonstance ne permettant daccorder à certaines
déclarations de revendeurs une valeur probante supérieure à
celle des autres, cest à juste titre que le Conseil de la concurrence
a retenu que les contradictions constatées entre les différentes
déclarations et labsence de mesures de surveillance, de contrainte
ou de rétorsion appliquées par Benetton à légard
de ses distributeurs ne permettaient pas de soutenir utilement la thèse
dune pratique de prix de revente publics imposée ; que la
décision attaquée doit être, dès lors, sur ce point
confirmée ;
Sur
la demande de complément denquête :
Considérant que le ministre chargé
de léconomie fait grief au Conseil de la concurrence davoir,
pour rejeter sa demande de complément denquête concernant
la période postérieure à 1996, fait référence
à lexistence dun seuil de sensibilité et à
labsence de toute incidence significative des pratiques dénoncées
sur le marché ;
Mais considérant quun complément
denquête ne se justifie quen présence dindices
sérieux de pratiques anticoncurrentielles qui auraient été
négligés dans linstruction de laffaire ; quà
défaut de toute précision fournie par le requérant sur
ce point et en létat dinvestigations minutieuses nayant
pas permis, au terme dune instruction de plus de trois ans, détablir
la réalité des faits dénoncés, le Conseil de la
concurrence a légalement justifié sa décision ; que
le recours doit en conséquence être rejeté,
Par
ces motifs :
Rejette le recours ;
Condamne le requérant aux dépens.
Le greffier Le président
(*) Décision no 01-D-58 du Conseil de la concurrence en date du 24 septembre 2001 (parution dans le BOCCRF no 16 du 30 octobre 2001).
© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 25 juin 2002 |