Sommaire | N° 10 du 24 juin |
Arrêt de la cour dappel de Paris (1re chambre, section H) en date du 30 avril 2002 relatif au recours formé par la société SNC Jean François et la SA Colas Midi-Méditerranée contre la décision no 01-D-67 (*) du Conseil de la concurrence en date du 19 octobre 2001 relative à des pratiques relevées à loccasion de la passation de marchés publics de travaux routiers dans le département des Bouches-du-Rhône
NOR : ECOC0200164X
Demanderesses au recours :
SNC Jean François, prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège social boulevard Paymarlier, 83460 Les Arcs ;
SA Colas Midi-Méditerranée, prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège social 345, rue de Broglie, La Duranne, BP 70000, 13857 Aix-en-Provence Cedex 3, représentées par la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoué, 23, rue du Louvre, 75001 Paris, assistées de Me D. Gaffuri, avocat, cabinet Jeantet et Associés, 87, avenue Kléber, 75116 Paris.
Demandeur incident au recours :
Le ministre chargé de léconomie (DGCCRF), domicilié bâtiment 5, 59, boulevard Vincent-Auriol, 75703 Paris Cedex, représenté par Mme Bibet, munie dun mandat spécial.
Composition de la cour lors des débats et du délibéré :
M. Lacabarats, président ;
Mme Penichon, conseiller ;
Mme Delmas-Goyon, conseiller.
Greffier :
Lors des débats : Mme Jagodzinski ;
Du prononcé de larrêt : Mme Padel.
Débats : à laudience publique du 19 mars 2002.
Ministère public : M. Woirhaye, substitut général.
Arrêt prononcé publiquement le 30 avril 2002, par M. Lacabarats, président, qui a signé la minute avec Mme Padel, greffier.
Après avoir, à laudience publique du 19 mars 2002, entendu les conseils des parties, les observations de Mme le représentant du ministre chargé de léconomie et celles du ministère public ;
Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à lappui du recours ;
Le 18 décembre 1997, le ministre chargé de léconomie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques dentente relevées à loccasion de la passationn de marchés publics de travaux routiers dans le département des Bouches-du-Rhône.
Le rapporteur du Conseil a notifié aux sociétés Colas Midi-Méditerranée et Jean François des griefs pour avoir mis en uvre des actions concertées à loccasion des marchés sur appel doffres relatifs à laménagement de la D 43 A sur la commune dAubagne et au parachèvement de la rue Albert-Einstein dans la ZAC du technopole du château Gombert, à Marseille.
Par décision du 19 octobre 2001, le Conseil de la concurrence a sanctionné la société Colas Midi-Méditerranée et sa filiale Jean François à hauteur respectivement de 10 000 000 F (1 324 490,1 Euro) et 750 000 F (114 336,76 Euro) pour des pratiques prohibées par larticle L. 420-1 du code de commerce.
Les 26 et 29 novembre 2001, les sociétés Jean François et Colas Midi-Méditerranée ont formé un recours contre la décision du Conseil.
Un recours incident a été exercé par le ministre chargé de léconomie le 21 décembre 2001 pour solliciter la confirmation de la décision attaquée.
Par un mémoire contenant exposé des moyens du 26 décembre 2001, la société Jean François demande à la cour de réformer la décision du Conseil de la concurrence, en ce que la sanction pécuniaire qui lui a été infligée est disproportionnée au regard des critères de larticle L. 464-2 du code de commerce, de réduire de façon substantielle le montant de cette sanction, dordonner le remboursement immédiat à la société Jean François du trop-perçu des sommes versées au titre de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter du paiement, dordonner la capitalisation des intérêts à compter du paiement, de condamner le ministre chargé de léconomie au paiement dune somme de 50 000 F sur le fondement de larticle 700 du NCPC.
Par un mémoire contenant exposé des moyens du 28 décembre 2001, la société Colas Midi-Méditerranée demande à la cour de réformer la décision du Conseil de la concurrence en ce que la sanction pécuniaire qui lui a été infligée est disproportionnée au regard des critères de larticle L. 464-2 du code de commerce, de réduire de façon substantielle le montant de cette sanction, les autres demandes étant identiques à celles de la société Jean François.
Des observations écrites sur les prétentions et moyens des sociétés requérantes ont été déposées, par le ministre chargé de léconomie le 24 janvier 2002, par le Conseil de la concurrence le 28 janvier 2002.
Les sociétés requérantes ont déposé des conclusions en réplique le 1er mars 2002.
A laudience du 19 mars 2002, la cour a entendu le conseil des sociétés requérantes en sa plaidoirie, le représentant du ministre de léconomie en ses observations, M. lavocat général en ses observations tendant au rejet du recours.
Les sociétés requérantes ont eu la parole en dernier.
A lissue des débats, laffaire a été mise en délibéré pour être jugée le 30 avril 2002.
Considérant quen vertu de larticle L. 464-2 du code de commerce dans sa rédaction applicable en la cause, les sanctions pécuniaires susceptibles dêtre infligées par le Conseil de la concurrence aux entreprises convaincues de pratiques anticoncurrentielles sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à limportance du dommage causé à léconomie et à la situation de lentreprise sanctionnée ; quelles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise sanctionnée et de façon motivée pour chaque sanction ; que le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre daffaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos ;
Considérant quen lespèce les sociétés Colas Midi-Méditerranée et Jean François contestent lappréciation faite par le Conseil de la concurrence de la gravité des faits reprochés, du dommage causé à léconomie et de leur propre situation.
La gravité des faits reprochés
Considérant que les sociétés requérantes font grief à la décision critiquée de ne pas avoir tenu compte dune circonstance particulière, en loccurrence lappartenance des deux sociétés à un même groupe, de ne pas non plus avoir pris en compte le caractère isolé de la pratique sanctionnée, davoir en revanche relevé des antécédants non pertinents ;
Considérant cependant que le caractère illicite des pratiques sanctionnées nétant pas contesté, il convient à cet égard de souligner que les deux entreprises en cause ont présenté des offres distinctes apparemment concurrentes lors des deux appels doffres ; quen réalité la société Colas Midi-Méditerranée et sa filiale avaient au préalable échangé des informations et coordonné leurs propositions de prix ; quelles ont dissimulé aux maîtres douvrage concernés cette concertation et lélaboration commune des offres ultérieurement présentées ;
Considérant quil importe peu que la concertation illicite constatée émane dentreprises appartenant au même groupe, la gravité des faits résultant de la tromperie commise au détriment des collectivités publiques quant à lexistence ou à lintensité de la concurrence sur le marché, au nombre doffre réellement concurrentes soumises à lappréciation de ces collectivités ; que cette gravité est renforcée par lappartenance des deux sociétés requérantes à un groupe denvergure nationale et de grande notoriété dans son secteur dactivité connaissant parfaitement les règles applicables aux marchés publics, cette appartenance étant en elle-même de nature à convaincre les entreprises de moindre envergure de la banalité et de la généralité dun tel comportement et à les inciter ainsi, soit à adopter des comportements similaires, soit à renoncer à présenter des offres sur des marchés quelles seraient pourtant aptes à réaliser ; que, quelle que soit la discussion sur le caractère définitif ou non des décisions antérieures de sanctions contre les mêmes entreprises, les autres circonstances relevées suffisent à établir la gravité des pratiques et à justifier le rejet du premier moyen invoqué par les sociétés requérantes à lencontre de la décision contestée.
Le dommage causé à léconomie
Considérant quà ce point de vue les sociétés Colas Midi-Méditerranée et Jean François font valoir que le Conseil de la concurrence ne fournit aucun élément concret de démonstration, que les pratiques incriminées sont ponctuelles et ne concernent que deux entreprises dont la concertation navait pas un objet anticoncurrentiel ;
Considérant cependant quindépendamment du but poursuivi par les entreprises mises en cause, le dommage à léconomie peut se déduire de leffet des pratiques illicites constatées sur les marchés et le secteur dactivité affectés ;
Considérant quen lespèce lentente incriminée porte sur des marchés financés par des fonds publics et particulièrement exposés aux pratiques anticoncurrentielles, ainsi que le montrent les décisions antérieures de sanctions prises par le Conseil de la concurrence contre les mêmes entreprises ; que pour le marché passé par la commune dAubagne, le maître douvrage a été conduit, au vu des écarts importants constatés entre les offres déposées et son estimation, à déclarer lappel doffres infructueux et passer un marché négocié avec les entreprises ; que les sociétés requérantes ont nécessairement contribué, par une concertation les conduisant à proposer des prix artificiels ne tenant pas compte de lutilisation la plus économique possible de leurs ressources et conditions dexploitation, à lallongement de la procédure et à lengagement de frais supplémentaires ; que, pour le second marché même sil a en définitive été attribué à une entreprise nayant pas participé à la concertation illicite, le dommage à léconomie résulte du fait que deux des neuf offres remises, déterminées par une entente préalable, ont trompé le maître de louvrage sur lintensité de la concurrence et perturbé ainsi le système dappel doffres ; que ces circonstances, qui ne constituent pas une simple énumération abstraite des facteurs pris en considération mais reposent sur une analyse des données de laffaire, justifient la décision du Conseil de la concurrence et impliquent le rejet du deuxième moyen invoqué par les requérantes.
La situation des entreprises sanctionnées
Considérant que les sociétés
Colas Midi-Méditerranée et Jean François font grief au
Conseil de la concurrence de ne pas avoir tenu compte des résultats déficitaires
quelles ont présentés, la première au cours de lexercice
1999, la seconde à la clôture de lexercice 2000 ;
Considérant cependant quoutre le fait que
ce déficit a été expressément relevé par
le Conseil pour la société Jean François, le montant des
sanctions pécuniaires susceptibles dêtre infligées
aux entreprises coupables de pratiques anticoncurrentielles est apprécié
au regard dun ensemble déléments comportant non seulement
la situation particulière de chaque entreprise, mais aussi la gravité
des faits et limportance du dommage causé à léconomie ;
que cest à lissue dun examen circonstancié de
ces différents éléments que le Conseil de la concurrence,
auquel aucun défaut de motivation ne peut être reproché,
a fixé les sanctions contestées à un niveau très
inférieur au plafond fixé par larticle L. 464-2 du
code de commerce et dans les conditions conformes au principe de proportionnalité
qui leur est applicable ; que le dernier moyen nétant pas
fondé, les recours des sociétés Colas Midi-Méditerranée
et Jean François doivent être rejetés,
Par
ces motifs :
Rejette les recours ;
Condamne les sociétés Colas Midi-Méditerranée
et Jean François aux dépens.
Le greffier Le président
(*) Décision no 01-D-67 du Conseil de la concurrence en date du 19 octobre 2001 (parution dans le BOCCRF no 1 du 21 janvier 2002).
© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 25 juin 2002 |