Sommaire | N° 10 du 24 juin |
Arrêt de la cour dappel de Paris (1re chambre, section H) en date du 9 avril 2002 relatif au recours formé par la SA Concurrence contre la décision no 01-D-49 (*) du Conseil de la concurrence en date du 31 août 2001 relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Concurrence concernant la société Sony
NOR : ECOC0200139X
Demanderesse au recours :
SA Concurrence, ayant son siège 19, place
de la Madeleine, 75008 Paris, représentée par son directeur
général, M. Jean Chapelle.
Défenderesse au recours :
La Société Sony, prise en la personne
de ses représentants légaux, ayant son siège 20-26, rue
Morel, 92110 Clichy, représentée par la SCP Teytaud, avoués,
4-6, quai de la Mégisserie et 1, rue Edouard-Colonne, 75001 Paris,
assistée de Me Yann Utzchneider et de Me L. Borrel,
avocats au barreau de Paris, cabinet Gide-Loyrette-Nouel, 26, cours Albert-Ier,
75008 Paris, toque T 03.
En présence du ministre de léconomie,
des finances et du budget, représenté aux débats par M. Nollen,
muni dun mandat régulier.
Composition de la cour lors des débats et du
délibéré :
M. Lacabarats, président ;
M. Remenieras, conseiller ;
M. Savatier, conseiller.
Greffier lors des débats et du prononcé
de larrêt : Mme Padel, greffier.
Ministère public : M. Woirhaye, substitut
général.
Arrêt prononcé publiquement le 9 avril 2002,
par M. Lacabarats, président, qui en a signé la minute avec
Mme Padel, greffier.
Après avoir, à laudience publique
du 26 février 2002, entendu la requérante, le conseil
de la défenderesse, les observations de M. le représentant
du ministre chargé de léconomie et celles du ministère
public, le requérant ayant eu la parole en dernier.
Vu les mémoires, pièces et documents déposés
au greffe à lappui du recours ;
Le 30 mai 2001, la société Concurrence
a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques susceptibles de constituer
un exploitation abusive dun état de dépendance économique
imputées à la société Sony France sur les marchés
des produits audiovisuels, des ordinateurs et des vidéo-projecteurs ;
quelle a demandé au Conseil de se saisir au fond de telles pratiques
et sollicité lapplication immédiate de mesures conservatoires.
Par décision du 31 août 2001,
le Conseil de la concurrence a rejeté les deux demandes.
Le 4 octobre 2001, la société
Concurrence a formé un recours contre cette décision.
Elle demande à la cour dannuler ou réformer
la décision attaquée, de dire que les faits reprochés à
la société Sony France constituent des pratiques anticoncurrentielles
prohibées, de renvoyer le dossier à linstruction devant
le Conseil de concurrence, subsidiairement de nommer un expert pour examiner
les faits incriminés.
Le 10 décembre 2001, la société
Sony France a déposé des conclusions tendant au rejet du recours,
à la confirmation de la décision du Conseil de la concurrence
et à la condamnation de la société requérante au
paiement de la somme de 80 000 F sur le fondement de larticle 700
du nouveau code de procédure civile.
Le 9 janvier 2002, le Conseil de la concurrence a déposé
des observations écrites réfutant les moyens invoqués au
soutien du recours.
A la même date, le ministre chargé de léconomie
a déposé des observations tendant au rejet du recours.
Le 11 février 2002, la société
Concurrence a déposé des observations en réplique sollicitant
le bénéfice de son recours et le rejet des moyens soulevés
à son encontre.
A laudience du 26 février 2002
la cour a entendu les conseils ou représentants des parties en leurs
plaidoiries, le ministère public en ses observations tendant à
la confirmation de la décision attaquée. Le représentant
de la société requérante a pu répliquer à
ces observations.
A lissue des débats, laffaire a été
mise en délibéré pour être jugée le 9 avril 2002.
Sur
la procédure :
Considérant que la société
Concurrence soutient que le Conseil de la concurrence aurait méconnu
les droits de la défense et le droit à un procès équitable
en la convoquant pour une audience de recevabilité sans lavertir
que le fond du litige serait aussi abordé, en linformant tardivement
du rejet de ses observations complémentaires, en procédant à
une instruction incomplète ;
Considérant cependant que lexamen des écritures
et des pièces de la procédure révèle que la société
Concurrence, tenue dapporter la preuve des faits propres à justifier
ses prétentions et à rendre vraisemblables les atteintes à
la concurrence dénoncées, a pu débattre contradictoirement
de lensemble des questions de forme et de fond du litige soumis au Conseil ;
quelle a disposé dun délai raisonnable pour fournir
les éléments de conviction quelle estimait nécessaires
au succès de ses prétentions tant sur lexistence de pratiques
prohibées que sur la justification des mesures conservatoires et ne saurait
remettre en cause dans ces conditions le pouvoir dappréciation
dont dispose le rapporteur dans la conduite de ses investigations ou la régularité
de la procédure ; que ses premiers griefs ne sont pas dès
lors fondés ;
Sur
le fond :
Considérant quaux termes de larticle L. 420-2,
alinéa 2, du code de commerce dans sa rédaction résultant
de la loi du 15 mai 2001, est prohibée, dès lors quelle
est susceptible daffecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence,
lexploitation abusive par une entreprise ou un groupe dentreprises
de létat de dépendance économique dans lequel se
trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur ;
Considérant que la société Concurrence
qui exerce une activité de vente au détail de produits audiovisuels
sur un point de vente à Paris ou par internet, fait grief à son
principal fournisseur, la société Sony France, davoir mis
en uvre à compter du 1er avril 2001
de nouvelles conditions de vente empêchant le distributeur de pratiquer
sa politique traditionnelle de prix bas, davoir également cessé
de livrer directement la clientèle de la société Concurrence
et de lui octroyer une remise logistique de 3 %, davoir enfin adopté
une clause denseigne commune présentant un caractère anticoncurrentiel
et de lui avoir refusé illégitimement laccès au réseau
à lenseigne « Espace Sony » ;
Considérant cependant que le seul fait par un
fournisseur davoir modifié ses conditions de distribution des produits
ne suffit pas à caractériser latteinte à la concurrence
visée par larticle L. 420-2, alinéa 2, du
code de commerce qui implique non seulement la constatation dune soumission
du distributeur à la domination économique du fournisseur, mais
aussi un exercice fautif par celui-ci de ses prérogatives ;
Considérant quil est constant que, dans
le cadre de relations commerciales nouées depuis près de vingt
ans, la société Concurrence na cessé daccroître
la part de ses approvisionnements auprès de la société
Sony France qui sélevaient par exemple à 20,9 MF en
1997 et à 61,7 MF en 2000 ;
Considérant que si les achats de la société
Concurrence en produits Sony représentent actuellement, selon la requérante,
95 % de ses approvisionnements, il convient de constater que cette situation
ne correspond nullement à une position particulièrement avantageuse
de la société Sony dans le secteur dactivité en question
et à linexistence de produits substituables ; quil ressort
ainsi de données fournies par la société denquête
GFK quà la fin de lannée 2000 et au début de
lannée 2001, la part de Sony sur lensemble du marché
des produits audio-vidéo est de 18 % contre 15,5 % à
Philips et 9 % à Thomson, quen « audioportable »
elle était de 13 % contre 21 % à Philips et 11 %
à Pioneer, quen caméscopes elle était de 32 %
contre 24 % à Philips et 9 % pour Canon, Samsung et Panasonic,
quen matériel « hi-fi » elle était,
comme Philips, de 16 % contre 13 % pour Aiwa et 9 % pour JVC,
que pour la télévision elle était de 18 % contre 25 %
à Philips, 15 % à Thomson et 5 % à Panasonic,
que pour la photo numérique elle était de 14 % contre 17 %
pour Olympus et Fuji, 12 % pour Nikon et Canon ; quen outre,
pour certains produits où Sony est lentreprise la mieux placée,
les chiffres de GFK montrent que la part de marché de Sony a tendance
à baisser puisque notamment entre 1997 et 2000, la part de Sony est passée,
pour les caméscopes analogiques de 32 à 25 %, pour les caméscopes
numériques de 60 à 44 % et pour les baladeurs minidisques
de 65 à 48 % ;
Considérant quil ne peut être fait
grief à la société Sony davoir cherché ou
consenti, pour la promotion de ses produits, à favoriser les achats effectués
par la société Concurrence dès lors quaucune pièce
du dossier ne révèle lemploi, par le producteur, de procédés
anormaux destinés à détourner le distributeur des autres
fournisseurs en produits comparables ; que labsence de réponse
de la société Philips à la demande de communication de
ses conditions de vente présentée par la société
Concurrence ou le refus de JVC de contracter avec celle-ci en raison de ses
pratiques commerciales et dun litige antérieur nest pas imputable
à la société Sony et nest pas de nature à
caractériser létat de dépendance économique
allégué par la requérante ; quil apparaît
en réalité, comme le montrent les écritures de la société
Concurrence insistant notamment sur le fait que son point de vente est « le
seul endroit notable où on peut acheter Sony en discount »,
que la part prépondérante prise par Sony dans les activités
commerciales de la société Concurrence résulte, non dune
puissance économique exceptionnelle du producteur sur les marchés
concernés, mais dune politique délibérée du
distributeur ayant choisi de privilégier lune de ses sources potentielles
dapprovisionnement ;
Considérant que la société Sony
na pas modifié brutalement ses conditions de vente mais a au contraire
diffusé dès le mois de janvier 2001 une information sur les motifs
et les modalités des nouveaux barèmes de ristournes et remises
consenties aux distributeurs ; quau surplus malgré la date
du 1er avril 2001 fixée pour lentrée
en vigueur des nouvelles conditions, les négociations entre les parties
se sont poursuivies jusquau mois de mai ou juin 2001 ; quen
toute hypothèse et à supposer quelle en ait eu réellement
lintention, la société Concurrence a bénéficié
dun délai raisonnable pour rechercher de nouvelles sources dapprovisionnement
et ne justifie daucune démarche en ce sens, les contacts précités
pris avec les sociétés Philips et JVC étant postérieurs
à laudience tenue par le Conseil de la concurrence ;
Considérant que cest par des motifs pertinents
que le Conseil de la concurrence a rejeté largumentation de la
société requérante quant à lobjet ou leffet
prétendument anticoncurrentiel des pratiques incriminées ;
Considérant que les conditions dobtention
des remises et ristournes prévues par les nouveaux barèmes diffusés
par Sony ont vocation à sappliquer à tous les distributeurs
prêts à fournir les services demandés par le producteur,
quelles sont définies de manière objective, sans quil
soit démontré quelles ont pour but ou pour résultat
dévincer certains distributeurs, de supprimer ou de limiter la
politique de prix pratiquée par ceux-ci pour la revente des produits
et de les contraindre à relever leurs tarifs ; que les pièces
de la procédure révèlent que la société Concurrence,
loin dêtre affectée par le changement critiqué, figure
au contraire parmi les entreprises qui disposent des taux de remise et ristourne
les plus proches du maximum des avantages accordés à ses distributeurs
par Sony ; quen dépit de ce quelle prétend dans
ses écritures, la pérennité de son activité napparaît
pas plus compromise puisque, même depuis la mise en vigueur des nouvelles
conditions de vente du producteur, ses ventes ont progressé de 33 %
sur lensemble du premier trimestre 2001 par rapport au premier semestre
de lannée précédente et que, selon ses prévisions,
ses achats en produits Sony devraient représenter 90 MF en 2001
contre 61,7 MF en 2000 ;
Considérant que la société requérante
ne saurait revendiquer loctroi de la remise logistique de 3 % destinée
par Sony à récompenser les distributeurs assurant eux-mêmes
lapprovisionnement des revendeurs en produits Sony ; que si Sony
a accepté, à loccasion du lancement par la société
Concurrence au mois de juillet 2000 dune activité de vente par
internet, de livrer provisoirement les clients revendeurs ayant passé
une commande grâce au site ouvert par la société Concurrence,
celle-ci navait aucun droit acquis au maintien de cette facilité
et ne justifie pas remplir les conditions de la remise réclamée
dès lors quelle neffectue pas la prestation de livraison
correspondante ; quen outre elle nétablit pas que dautres
distributeurs bénéficieraient de la remise sans en suporter la
contrepartie et que la décision de Sony aurait été prise
pour lempêcher de développer lactivité de vente
par internet ; que les fluctuations constatées sur ce marché
pour la société Concurrence napparaissent dailleurs
nullement liées à lattitude de Sony puisque les transactions
informatiques ont sensiblement diminué avant la mise en application par
Sony de ses nouvelles conditions de vente et ont augmenté à nouveau
aux mois de mai et juin 2001 ;
Considérant que la société Concurrence
nest pas plus fondée à contester la régularité
dune clause contractuelle qui, selon elle, réserverait dans des
conditions discriminatoires injustifiées certaines remises de prix aux
revendeurs placés sous une enseigne commune ; que le Conseil de
la concurrence a en effet retenu par une exacte analyse de la clause litigieuse
des nouvelles conditions de vente que lexistence dune enseigne commune
nétait pas une condition nécessaire à lobtention
de la remise en cause et que la société Concurrence nétait
pas a priori exclue de son bénéfice ;
Considérant enfin que le réseau de distribution
à lenseigne « Espace Sony » a été
mis en place par la société Sony en faveur des distributeurs contractant
certains engagements particuliers à son égard, notamment pour
les livraisons des matériels achetés, leur installation chez les
consommateurs et le service après-vente ; quaucune disposition
législative ninterdisant la constitution dun tel réseau
dès lors quelle intervient dans des conditions objectives et non
discriminatoires, la société Concurrence a pu sen voir légitimement
refuser laccès dès lors quil ressort des propres observations
écrites de la requérante quelle nassurait pas les
services autorisant laccès à ce réseau ;
Considérant que la contestation par la société
Concurrence de la suppression davantages particuliers que lui avait consentis
la société Sony avant lentrée en vigueur de ses nouvelles
conditions de vente constitue un litige de nature commerciale susceptible dêtre
soumis à la juridiction arbitrale choisie par les parties pour trancher
tous différends relatifs à linterprétation ou lexécution
de leurs accords ; quelle ne saurait en revanche caractériser
une pratique pouvant être sanctionnée par le Conseil de la concurrence
sur le fondement de larticle L. 420-2 du code de commerce dont
les conditions dapplication ne sont pas réunies ; que le recours
doit en conséquence être rejeté ;
Considérant que sont réunis au profit
de la société Sony France les conditions de lapplication
de larticle 700 du nouveau code de procédure civile,
Par
ces motifs :
Rejette le recours ;
Condamne la société Concurrence à
payer à la société Sony France la somme de 4 500 Euro
au titre de larticle 700 du nouveau code de procédure civile ;
Condamne la société Concurrence aux dépens.
Le greffier Le président
(*) Décision no 01-D-49 du Conseil de la concurrence en date du 31 août 2001 (parution dans le BOCCRF no 16 du 30 octobre 2001).
© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 25 juin 2002 |