Sommaire | N° 10 du 24 juin |
Arrêt de la cour dappel de Paris (1re chambre, section H) en date du 9 avril 2002 relatif au recours formé par la SA Geodis Overseas France, la SARL Amazonie Déménagements, la société Ho You Fat et la société Déménagement Antilles-Guyane (DAG) contre la décision no 01-D-63 (*) du Conseil de la concurrence en date du 9 octobre 2001 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement des personnels militaires de larmée de terre affectés dans le département de la Guyane
NOR : ECOC0200142X
Demanderesses au recours :
SA Geodis Overseas France, prise en la personne de ses représentants
légaux, ayant son siège social Parc des Reflets, 165, avenue
du Bois-de-la-Pie, ZAC de Paris Nord-II, 95700 Roissy-en-France, représentée
par la SCP Lagourgue, avoué, 19, boulevard de Sébastopol,
75001 Paris, assistée de Me V. Ledoux, avocat, 3, place
des Victoires, 75001 Paris, toque P 0280 ;
SARL Amazonie Déménagements, prise en
la personne de ses représentants légaux, ayant son siège
PK, 16, route de Dégrad-des-Cannes, BP 350, Remire-Montjoly,
97328 Cayenne Cedex, représenté par Me Bolling,
avoué, 40, rue du Bac, 75007 Paris, assistée de Me M.
Bremond, avocat, 43, rue de Courcelle, 75008 Paris, toque G 247 ;
Société Ho You Fat, prise en la personne
de ses représentants légaux, ayant son siège, 1, rue
Lalouette, BP 130, 97323 Cayenne ;
Société Déménagement Antilles-Guyane
(DAG), prise en la personne de ses représentants légaux, ayant
son siège ZI du Larivot, Matoury, BP 1168, 97345 Cayenne Cedex,
représentée par Me Cossec de la SCP Cossec, avoué,
159, rue de la Pompe, 75116 Paris, assistée de Me J.
Tubiana, avocat, 64, rue La Boétie, 75008 Paris, toque P 0162.
En présence du ministre de léconomie,
des finances et du budget, représenté aux débats par M. Nollen,
muni dun mandat régulier.
Composition de la cour lors des débats et du
délibéré :
Mme Kamara, président ;
M. Remenieras, conseiller ;
M. Maunand, conseiller.
Greffier :
Lors des débats : Mme Jagodzinski.
Lors du prononcé de larrêt :
Mme Padel.
Ministère public : M. Woirhaye, substitut
général.
Débats : à laudience publique
du 5 mars 2002.
Arrêt : prononcé publiquement le 9 avril 2002,
par Mme Kamara, président, qui en a signé la minute avec
Mme Padel, greffier ;
Après avoir, à laudience publique
du 5 mars 2002, entendu les conseils des parties, le représentant
du ministre chargé de léconomie et le ministère public
en leurs observations, les requérantes ayant eu la parole en dernier ;
Vu les mémoires, pièces et documents déposés
au greffe à lappui du recours ;
Saisi par le ministre chargé de léconomie
de pratiques constatées dans le secteur des déménagements
des militaires de larmée de terre affectés dans le département
de la Guyane, le Conseil de la concurrence a, par décision no 01-D-63
du 9 octobre 2001, infligé des sanctions pécuniaires
de 25 000 F à 350 000 F à cinq entreprises,
dont la participation à des ententes sur le marché pertinent concerné
avait été retenue, et a ordonné la publication de sa décision
dans le quotidien France-Antilles et dans le mensuel Armées
daujourdhui.
Sur
quoi, la cour :
Vu lexposé des moyens déposé
le 18 décembre 2001 par la société Geodis Overseas
France au soutien de son recours, tendant à lannulation ou, à
défaut, à la réformation de la décision entreprise,
et demandant à la cour de réduire de façon très
significative le montant de lamende de 350 000 F qui lui a été
infligée, en tenant compte de la spécificité du système
de remboursement par lautorité militaire des frais de déménagement
des militaires en Guyane et prenant en considération sa situation individuelle
ainsi que le caractère marginal des pratiques reprochées et lincidence
marginale que ces pratiques ont pu avoir sur le fonctionnement de la concurrence,
et, enfin, de dire ny avoir lieu à publication et, subsidiairement,
de juger quil ny a lieu de mettre à sa charge les frais de
publication ;
Vu lexposé des moyens déposé
le 20 décembre 2001 par la société Amazonie Déménagements
au soutien de son recours, tendant à lannulation ou, à défaut,
à la réformation de la décision entreprise et priant la
cour de dire quil ny a pas lieu à sanction à son égard
ni à publication, à titre subsidiaire, de reconnaître lexistence
de circonstances atténuantes en ce quil existe un partage de responsabilités
avec les autorités militaires, de constater que léventuelle
entrave à la concurrence résulte dune cause étrangère
et na pas comme origine lentente intervenue entre elle et les autres
sociétés de déménagement de Guyane et de réduire
à la somme maximale de 82 500 F le montant de la sanction pécuniaire
qui a été prononcée contre elle à hauteur de 165 000 F ;
Vu lexposé des moyens déposé
le 10 décembre 2001 par les sociétés Ho You Fat
et Déménagements Antilles-Guyane au soutien de son recours, tendant
à lannulation ou, à défaut, à la réformation
de la décision entreprise, faisant valoir notamment quil nexiste
aucune justification de la participation de la société Ho You
Fat, créée en 1997, comme auteur ou comme complice dans les
faits à lorigine de la présente instance, qui se sont déroulés
en 1992, et visant à la condamnation de lEtat français
au paiement dune somme de 7 623 Euro sur le fondement de larticle 700
du nouveau code de procédure civile ;
Vu les observations du ministre chargé de léconomie
en date du 6 février 2002 concluant au rejet des recours et,
en cas de réformation, à la publication dans le quotidien France-Guyane,
le quotidien France-Antilles ayant une diffusion restreinte aux deux
seuls départements antillais ;
Vu les observations écrites du Conseil de la
concurrence en date du 1er février 2002,
concluant également au rejet des recours, par lesquelles le Conseil appelle
lattention de la cour sur les nombreux problèmes de concurrence
qui caractérisent le secteur du déménagement des fonctionnaires
et militaires à lorigine de plusieurs décisions du Conseil,
de la cour de ce siège et de la Cour de cassation, souligne que les pratiques
litigieuses, graves par nature, ayant été condamnées par
la cour de céans dans un arrêt de principe du 29 avril 1993
relatif à une saisine similaire dans le secteur du déménagement
des fonctionnaires dans les DOM-TOM, et développe diverses observations
afférentes au secteur concerné, à la réglementation
des prix, aux preuves de la concertation, à leffet sensible de
ce genre de pratiques, citant à cet égard divers motifs de larrêt
précité de 1993 et dun arrêt de la cour de ce
siège du 23 mai 1995, et aux sanctions prononcées ;
Vu les écritures en réplique déposées
le 22 février 2002 par les requérantes, aux termes desquelles
les sociétés Ho You Fat et Amazonie Déménagements
demandent à la cour, au visa de larticle 9 du décret
du 19 octobre 1987, des articles L. 462-6 et L. 464-2 du
code de commerce, de larticle 55 de la Constitution et de larticle 6
de la Convention européenne des droits de lhomme et des libertés
fondamentales, de juger que lintervention devant la cour du Conseil de
la concurrence, juridiction de première instance, constitue une violation
des droits de la défense et de larticle 6 de la convention
susmentionnée, de dire lensemble de la procédure de première
instance et dappel nulle et de nul effet, et dannuler, en conséquence,
lensemble des procédures ;
Ouï le ministère public, qui a soulevé
lirrecevabilité du moyen de procédure tiré de lintervention
du Conseil devant la cour, motif pris du caractère nouveau dudit moyen
qui ne figurait pas dans les déclarations de recours ni dans les exposés
des moyens déposés au greffe, et, sur le fond, conclu au rejet
des recours, la légalité externe et interne de la décision
déférée nétant pas affectée ;
Et, les requérantes ayant eu la parole en dernier,
ouï les sociétés Ho You Fat et Amazonie Déménagements
qui ont souligné quelles navaient pu invoquer lirrégularité
liée à lintervention du Conseil de la concurrence devant
la cour avant que celui-ci nait fait usage de la faculté de formuler
des observations écrites, quil a déposées au greffe
le 1er février 2002 ;
Considérant que, si, en application de larticle 2
du décret du 19 octobre 1987, les moyens invoqués par le
requérant à lencontre dune décision du Conseil
de la concurrence doivent être énoncés, à peine dirrecevabilité,
dans la déclaration de recours ou dans lexposé des moyens
déposés au greffe dans les deux mois de la notification de la
décision critiquée, lexception de nullité de la procédure
tirée de la violation de larticle 6-1 de la Convention européenne
des droits de lhomme et des libertés fondamentales fondée
sur les observations écrites formulées devant la cour par le Conseil
de la concurrence ne pouvait être soulevée avant le dépôt
desdites observations ; que cette exception est donc recevable ;
Considérant quen application de larticle 6
de la Convention européenne des droits de lhomme et des libertés
fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement par un tribunal indépendant et impartial ;
Que ces dispositions supranationales sappliquent,
nonobstant les dispositions réglementaires du droit interne, à
la procédure de sanctions prévues par les articles L. 420-1
et L. 420-2 du code de commerce qui, bien que de nature administrative,
visent, comme en matière pénale, par leur montant élevé
et la publicité qui leur est donnée, à punir les auteurs
de pratiques anticoncurrentielles et à dissuader les opérateurs
de se livrer à de telles pratiques ;
Considérant quil résulte du texte
précité que, lorsque la décision fait lobjet dun
recours de plein contentieux devant une juridiction dappel, la procédure
régissant le recours doit respecter les principes de légalité
des armes et de lefficacité du recours, garantissant lexercice
des droits de la défense ;
Considérant quen lespèce,
le Conseil de la concurrence, qui a infligé des sanctions pécuniaires
aux termes dune décision frappée de recours, a formulé
des observations écrites devant la cour saisie dudit recours ;
Quil a, en particulier, développé
divers éléments qui ne figuraient pas dans la décision
déférée, relatifs notamment aux nombreux problèmes
caractérisant le secteur du déménagement des fonctionnaires
et militaires, même hors du marché pertinent concerné, ainsi
quaux décisions précédemment rendues dans ce domaine,
de sorte que, par ces éléments nouveaux, il a privé les
sociétés requérantes de lefficacité du recours
par elles formé ; quen effet, celles-ci sont exclues de tout
recours contre les éléments nouveaux développés
pour la première fois devant la cour, lesquels ajoutent à la décision
qui aurait dû être seule déférée à la
connaissance du juge du recours ;
Que, de surcroît, légalité
des armes est rompue en ce que les sociétés requérantes
se trouvent confrontées devant la cour non seulement au ministre chargé
de léconomie qui avait originellement saisi le Conseil, mais encore
au Conseil lui-même qui, bien quil leur ait infligé des peines
pécuniaires assimilables à des sanctions pénales, a formulé,
devant la cour, des observations modifiant, en les aggravant, les données
quil avait retenues contre elles dans sa décision ;
Que le seul fait que les requérantes aient pu
répliquer aux observations du Conseil ne suffit pas à établir
léquilibre entre, dune part, lautorité qui a
saisi le Conseil et le Conseil lui-même, et dautre part, les requérantes,
puisque ne peut pas être écartée avec certitude léventualité
que la cour, même si elle évinçait les observations écrites
du Conseil, ait néanmoins pu être convaincue, à laide
des informations contenues dans les observations écrites du Conseil,
de lexistence des pratiques incriminées et/ou de leur gravité ;
Considérant quil sensuit que la procédure
de recours est irrémédiablement viciée et doit être
annulée ; que, par voie de conséquence, les sociétés
requérantes se trouvant privées de la faculté dintroduire
un recours contre la décision dont il sagit, cette dernière
sera également annulée ;
Considérant quil ny a pas lieu à
application des dispositions de larticle 700 du nouveau code de procédure
civile,
Par ces motifs :
Annule la procédure de recours devant la cour
ainsi que la décision du Conseil de la concurrence no 01-D-63
du 9 octobre 2001 ;
Rejette toute autre prétention ;
Dit que les dépens seront supportés par
le Trésor public.
Le greffier Le président
(*) Décision no 01-D-63 du Conseil de la concurrence en date du 9 octobre 2001 (parution dans le BOCCRF no 16 du 30 octobre 2001).
© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 25 juin 2002 |