Sommaire | N° 10 du 24 juin |
Arrêt de la cour dappel de Paris (1re chambre, section H) en date du 12 mars 2002 relatif au recours formé par la SA Routière de lEst Parisien (REP) contre la décision no 98-D-61 (*) du Conseil de la concurrence en date du 6 octobre 1998 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du traitement des ordures ménagères en Ile-de-France
NOR : ECOC0200162X
Demanderesse à la saisine :
SA Routière de lEst Parisien (REP), ayant son siège ZI,
5, rue Robert-Rochon, 95193 Goussainville, prise en la personne de
son président du conseil dadministration, représentée
par la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoué, 23, rue du Louvre,
75001 Paris, assistée de Me Azencot, avocat, 36, avenue
Matignon, 75008 Paris, toque A 197.
En présence du ministre de léconomie,
des finances et du budget, représenté aux débats par Mme Gouaini,
munie dun pouvoir spécial.
Composition de la cour lors des débats et du
délibéré :
Mme Renard-Payen, président ;
Mme Riffault, président ;
M. Savatier, conseiller ;
M. Jardel, conseiller ;
M. Maunand, conseiller.
Greffier lors des débats et du prononcé
de larrêt : Mme Jagodzinski.
Ministère public : M. Woirhaye, substitut
général.
Débats : à laudience publique
du 5 février 2002.
Arrêt prononcé publiquement le 12 mars 2002
par Mme Renard-Payen, président, qui a signé la minute avec
Mme Jagodzinski, greffier.
Après avoir, à laudience publique
du 5 février 2002, entendu le conseil de la partie demanderesse,
les observations de Mme le représentant du ministre chargé
de léconomie et celles du ministère public, la requérante
ayant eu la parole en dernier ;
Vu les mémoires, pièces et documents déposés
au greffe à lappui de la déclaration de saisine ;
Le 16 janvier 1995, le ministre de léconomie
et des finances a saisi le Conseil de la concurrence de la situation de la concurrence
sur le marché de la collecte et du traitement des ordures ménagères
en Ile-de-France.
Par décision no 98-D-61 du 6 octobre 1998
relative à la situation de la concurrence dans le secteur du traitement
des ordures ménagères en Ile-de-France, le Conseil de la concurrence
a, notamment, retenu quil existait un marché de la mise en décharge
contrôlée de classe II des ordures ménagères
en Ile-de-France et que la société Routière de lEst
Parisien (REP) disposait dune position dominante sur ce marché.
Il a estimé quen consentant des tarifs préférentiels
aux entreprises du groupe auquel elle appartenait, la société
REP avait commis une pratique discriminatoire constitutive dun abus de
position dominante et lui a infligé une sanction pécuniaire de
5 000 000 F pour avoir enfreint les dispositions de larticle 8
de lordonnance du 1er décembre 1986.
Sur pourvoi de la société REP, larrêt
du 13 avril 1999, rendu par la cour dappel de Paris, qui avait
rejeté les recours formés contre cette décision, a été
cassé, dans toutes ses dispositions, par arrêt de la Cour de cassation
du 22 mai 2001, au motif que la cour dappel navait pas
donné de base légale à sa décision faute davoir
recherché « si le choix des demandeurs à lélimination
des déchets est ou non effectivement déterminé par tel
ou tel mode de traitement des ordures ménagères par des considérations
tenant à leurs spécificités techniques, ce pourquoi chacun
de ces procédés ne serait pas substituable aux autres ».
La cour :
Vu la déclaration de saisine de la société
REP, sur renvoi de la Cour de cassation ;
Vu le mémoire et les conclusions en réplique
déposés les 26 octobre 2001 et 14 janvier 2002
par la société REP qui demande :
à titre principal :
lannulation
de la décision aux motifs que le marché pertinent au sens de larticle
L. 420-2 du code de commerce nest pas celui des décharges
contrôlées de classe II en Ile-de-France, mais celui du traitement
des déchets ménagers quelle que soit la technique utilisée,
que la société REP ne détient aucune position dominante
au sens du texte précité, ni sur le marché de la mise en
décharge contrôlée de classe II des déchets,
ni sur le marché de la mise en décharge contrôlée
de classe II des déchets, ni sur le marché du traitement
des ordures ménagères, que les tarifs préférentiels
consentis par la société REP aux entreprises du groupe auquel
elle appartient ne sauraient caractériser un abus de position dominante
au sens du texte précité ;
le remboursement
immédiat des sommes versées au titre de la sanction pécuniaire,
assorti des intérêts au taux légal à compter du paiement
par la société REP et la capitalisation des dits intérêts
à compter du paiement ;
à titre subsidiaire :
la nomination
dun expert avec mission de déterminer si le marché des décharges
contrôlé de classe II en Ile-de-France constitue ou non un
marché pertinent au sens du texte précité ;
à titre très subsidiaire :
la réformation
de la décision au motif que la sanction prononcée est disproportionnée
compte tenu de la gravité des faits et du dommage porté à
léconomie des marchés du traitement et de la collecte des
ordures ménagères ;
la condamnation
du ministre chargé de léconomie au paiement dune somme
de 50 000 F au titre de larticle 700 du nouveau code de
procédure civile ;
Vu les observations écrites déposées
le 27 décembre 2001 par le ministre chargé de léconomie
concluant à la confirmation de la décision ;
Vu les observations écrites déposées
le 21 décembre 2001 par le Conseil de la concurrence ;
Vu les observations écrites et orales du ministère
public selon lesquelles la définition du marché de référence
retenu par le Conseil est justifiée, de sorte que, dans sa décision,
il a légalement qualifié le comportement de la société
REP et que les moyens présentés par cette dernière sont
insuffisants pour pouvoir en justifier lannulation,
Sur
ce :
Considérant que le marché se définit
comme le lieu où se rencontrent loffre et la demande pour un bien
ou un service spécifique, et que, pour être retenu comme pertinent,
ce marché implique quexiste une concurrence effective entre les
produits ou service qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant
dinterchangeabilité en vue du même usage entre les produits
ou services faisant partie du même marché ;
Considérant, en lespèce, que pour
retenir lexistence dun marché des décharges contrôlées
de classe II en Ile-de-France, le Conseil de la concurrence a relevé
que « la mise en décharge fait appel à des techniques
différentes de celles des autres modes de traitement des déchets
ménagers comme le recyclage, le compostage ou lincinération
qui impliquent une transformation physique ou chimique des déchets ;
que les usines de recyclage, de compostage et dincinération ne
disposaient pas à lépoque des faits de capacité de
traitement disponible pour augmenter leur production ; quen outre,
la mise en décharge contrôlée est le seul mode de traitement
qui permet lélimination des déchets ultimes générés
par les autres procédés tels que les mâchefers et les résidus
de fumées, ainsi que lélimination des déchets encombrants,
quen revanche, ce mode de traitement ne répond manifestement pas
aux objectifs de valorisation des déchets par réemploi ou recyclage
définis par la loi » ; quil sest fondé
aussi pour statuer comme il a fait, sur limportance des écarts
de prix entre les techniques délimination des déchets ;
Considérant, cependant, que comme le reconnaît
le ministre dans ses observations, lincinération et la mise en
décharge contrôlée permettent de satisfaire un même
besoin, indépendamment de leurs mérites respectifs en termes de
valorisation ;
Considérant, en effet, que, comme lavait
relevé le Conseil, la responsabilité de lélimination
des déchets des ménages incombe aux communes ou aux groupements
constitués par elles aux termes de la loi no 75-633 du
15 janvier 1975 ; que ces collectivités sont donc les
demandeurs sur le marché du traitement des ordures ménagères ;
quelles recourent tant à lincinération quà
la mise en décharge contrôlée ; quainsi, selon
les chiffres cités dans la décision attaquée, pour lIle-de-France,
les quantités traitées en 1993 ont été respectivement
de 2 504 302 tonnes par incinération et de 1 372 387 tonnes
par mise en décharge ; que le plus important des opérateurs
en la matière, le Syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères
de lagglomération parisienne (SYCTOM), qui intervient pour environ
47 % du total des déchets traités en Ile-de-France, sil
a, en 1993, incinéré 1 675 640 tonnes, a aussi
recours à la mise en décharge contrôlée pour 373 392 tonnes
en 1993 (477 640 tonnes en 1992) ;
Considérant que la loi du 13 juillet 1992
relative à lélimination des déchets ainsi quaux
installations classées pour la protection de lenvironnement, qui
a modifié le texte précédent afin, notamment, de promouvoir
la valorisation des déchets par recyclage, compostage ou incinération,
na pas, en 1992 et 1993, époque des faits reprochés à
la REP, entraîné de modification du comportement de ces collectivités,
même si le législateur, sans imposer immédiatement lune
ou lautre des techniques de traitement, a fixé des objectifs à
terme tendant à limiter le recours à la mise en décharge ;
quaucun élément précis permettant daffirmer
que cette loi a incité les collectivités à différencier
leur demande selon le mode de traitement nest dailleurs invoqué ;
Quau contraire, la REP produit des appels doffres
qui, sils sont largement postérieurs à la période
examinée, permettent, néanmoins, de constater que les communes
ne distinguent pas les modes délimination et sadressent aux
opérateurs quelles que soient les techniques que ceux-ci sont susceptibles
de mettre en uvre ; quaucun élément nautorise
à penser quil en allait différemment pour la période
antérieure, seule concernée ;
Considérant que le fait que le coût de
la mise en décharge serait très inférieur à celui
des autres modes de traitement - ce qui nest pas démontré
pour lIle-de-France, létude dont fait état la décision
attaquée, réalisée pour la France entière, ne recouvrant
pas les réalités dune région aussi urbanisée
que la zone géographique retenue par le Conseil de la concurrence -
ne permet pas de subdiviser le marché du traitement des ordures ménagères
selon les techniques employées, les demandeurs étant à
même darbitrer entre les offres selon leurs intérêts
et les contraintes qui sont les leurs, notamment celles liées aux conditions
de la collecte et au transport ;
Considérant quaucune spécificité
du traitement par mise en décharge ne peut être découvert
dans le fait que celles-ci appartiennent à 88 % à des sociétés
privées, tandis que toutes les usines dincinération appartiennent
à des collectivité publiques, à lexception dune
seule ; quen effet, il est constant que le plus souvent lexploitation
des dites usines est concédée à des entreprises privées,
de sorte que le ministre nest pas fondé à soutenir dans
ses observations quil nexistait pas doffre privée de
service de traitement par incinération ;
Considérant, enfin, que le fait que les opérateurs
offrant un traitement des ordures ménagères par incinération
nétaient pas en mesure, à lépoque, daugmenter
leur production, faute de capacité de leurs usines, dans lattente
de louverture à Vitry dun nouveau centre de traitement, ne
justifie pas leur exclusion dun marché qui, comme il a été
dit, nest pas délimité par la nature du mode de traitement
offert ;
Considérant quil sensuit que les
différents modes de traitement sont suffisamment substituables entre
eux pour quil y ait lieu de retenir que le marché concerné
est celui du traitement des ordures ménagères sans distinction
entre les techniques de traitements ;
Considérant quil apparaît que la
société REP nest pas en position dominante sur ce marché ;
quen effet, dans les trois décharges qui lui appartiennent sur
les 18 existantes, elle a traité, en 1993, seulement 746 539
tonnes dordures ménagères, à comparer aux 4 058 224
tonnes traitées dans lIle-de-France, tout mode de traitement confondu ;
Quelle nencourt donc pas le grief retenu
par la décision attaquée qui sera réformée de ce
chef ;
Considérant que le Trésor public devra
restituer en conséquence les sommes perçues au titre de la sanction
prononcée avec intérêts au taux légal à compter
de la notification du présent arrêt, la capitalisation de ceux-ci
dans les conditions de larticle 1154 du code civil étant dès
à présent ordonnée ;
Considérant quau regard des circonstances
de la cause et de léquité il ny a pas lieu de faire
droit à la demande fondée sur les dispositions de larticle 700
du nouveau code de procédure civile,
Par
ces motifs :
Réforme la décision attaquée en
ce quelle a retenu que la société REP a enfreint les dispositions
de larticle 420-2 du code du commerce et lui a infligé une sanction ;
Dit ny avoir lieu à sanction ;
Dit que les sommes perçues au titre de la sanction
pronconcée seront remboursées à la Société
REP avec intérêts au taux légal à compter de la notification
du présent arrêt, la capitalisation de ceux-ci dans les conditions
de larticle 1154 du code civil étant dès à présent
ordonnée ;
Rejette toute autre demande :
Laisse les dépens à la charge du Trésor
Public.
Le greffier Le président
(*) Décision no 98-D-61 du Conseil de la concurrence en date du 6 octobre 1998 (parution dans le BOCCRF no 24 du 31 décembre 1998).
© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 25 juin 2002 |