Sommaire N° 2 du 31 janvier 2002


Arrêt de la cour d’appel de Paris (concurrence chambre, section H) en date du 20 novembre 2001 relatif au recours formé par la SA Norelec, la SA Forlumen et la SA Société fécampoise d’entreprises électriques contre une décision no 2001-D-17 du Conseil de la concurrence en date du 25 avril 2001 relative à des pratiques anticoncurrentielles d’électrification de la région du Havre

NOR :  ECOC0100462X

    Demanderesses au recours :
    SA Norelec, ayant son siège Route nationale 37, BP 13, 62131 Verquin, prise en la personne de son président-directeur général, représentée par la SCP Teytaud, avoué, 4-6, quai de la Mégisserie et 1, rue Edouard-Colonne, 75001 Paris, assistée de Me Maitre-Devallon, avocat, SCP Rambaud Martel, 25, boulevard de l’Amiral-Bruix, 75782 Paris Cedex 16, Toque P 134 ;
    SA Forlumen, ayant son siège avenue du Cantipou, ZAC du Campdolont, 76700 Harfleur, prise en la personne du président de son conseil d’administration, représentée par la SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau, avoués, 201, rue Lecourbe, 75015 Paris, assistée de Me E. Portos, avocat, 7, boulevard Raspail, 75007 Paris ;
    SA Société fécampoise d’entreprises électriques (SFEE), ayant son siège ZI de Babeuf, Saint-Léonard, 76400 Fécamp, prise en la personne de son président du conseil d’administration, représentée par la SCP Verdun-Seveno, avoués, 5, rue Récamier, 75007 Paris, assistée de Me C. Duteil, avocat, 1, rue des Mathurins, 14104 Lisieux Cedex.
    En présence du ministre de l’économie, des finances et du budget, représenté aux débats par Mme Bibet, munie d’un mandat régulier.
    Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
    M. Cavarroc, président ;
    M. Remenieras, conseiller ;
    Mme Penichon, conseiller.
    Greffiers :
    Lors des débats : Mme Thierry ;
    Lors du prononcé de l’arrêt : Mme Jagodzinski.
    Ministère public : M. Woirhaye, substitut général, qui a déposé ses observations.
    Arrêt : prononcé publiquement le 20 novembre 2001, par M. Cavarroc, président, qui a signé la minute avec Mme Jagodzinski, greffier.
    Après avoir, à l’audience publique du 9 octobre 2001, entendu les conseils des parties, les observations de Mme le représentant du ministre chargé de l’économie et examiné celles du ministère public ;
    Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours ;

    Le ministre de l’économie a, à la suite d’une enquête de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la Seine-Maritime, saisi le 6 octobre 1992 le Conseil de la concurrence de pratiques de concertation imputables, notamment, aux entreprises SFEE, Norelec et Forlumen à l’occasion de la passation de marchés de travaux publics par la ville du Havre et le Port autonome du Havre ;
    Par décision no 2001-D-17 du 24 avril 2001, le Conseil de la concurrence a dit que ces sociétés avaient enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce et leur a infligé des sanctions pécuniaires s’élevant, respectivement, à 1,2 million, 8,4 millions et 1,6 million de francs ;
            Les faits :
    La ville du Havre a, dans le courant de l’année 1989, lancé deux appels d’offre afin d’entreprendre, d’une part, la rénovation d’un bâtiment communal (« la halte d’accueil de la petite enfance ») et, d’autre part, la création de sanitaires dans un groupe scolaire ;
    S’agissant du premier marché, la commission d’appel d’offres de la ville du Havre a constaté le 5 septembre 1989, lors de la lecture de l’acte d’engagement d’une des cinq entreprises qui avait fait une offre, la société SFEE, qu’y était fixé un « Post-it » portant les mentions : « Basille 138 452,00 F HT-BLG » ;
    L’offre de la société SFEE s’élevait précisément à 138 452,00 F et celle de la société Basille, première moins disante, à 130 771,00 F ;
    La commission d’appel d’offres, suspectant l’existence d’une entente, a alors écarté les offres de ces deux entreprises au profit de celle de l’entreprise deuxième moins disante ;
    S’agissant du second groupe de travaux, cette même commission a également découvert, à la lecture de l’acte d’engagement de l’entreprise SFEE, un « post-it » qui y était fixé portant les mentions suivantes : « 21 200,65 F La Mailleraye-Lacheray-Criquetot » ;
    La commission d’appel d’offres a, de la même manière, décidé d’attribuer le marché en cause à l’entreprise moins disante, Normandie-Electricité ;
    Le Port autonome du Havre a lancé de son côté un marché de travaux concernant le détournement d’une avenue, imposés par la réalisation et l’équipement de quais et de terre-pleins pour l’aménagement du port ;
    Les membres de la commission d’appel d’offres ont, de même, découvert dans la soumission de l’entreprise SFEE un autocollant portant une mention comparable aux deux déjà citées : « Forlumen-Norelec 2 408 285 F HT, Accord BLG, PA du Havre ». Le montant de l’offre de la SFEE s’élevait précisément, en l’espèce à 2 408 285 F et celui de Forlumen et Norelec, qui avaient présenté leur offre en groupement solidaire, à 2 002 097 F ;
    Le marché a, en définitive, été attribué à l’entreprise Saunier-Duval, moins disante, avec une offre à 1 845 875 F ;
    Les enquêteurs de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la Seine-Maritime ont, en vertu d’une ordonnance du 21 novembre 1990 du président du tribunal du Havre, procédé dans les entreprises concernées au droit de visite et de saisie prévu par l’article L. 450-4 du code de commerce ;
    Une ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance du Havre du 20 novembre 1997 a constaté la nullité d’une partie des opérations de visite et de saisie ;
    Dans ces conditions, trois griefs seulement ont, en définitive, été notifiés :
      à l’encontre de la société SFEE : concertation préalablement à la remise des plis pour le marché de « la halte d’accueil de la petite enfance » ;
      à l’encontre des sociétés SFEE et Simon Lacheray : échange d’informations préalablement à la remise des plis pour le marché de La Mailleraye ;
      à l’encontre, enfin, des sociétés SFEE, Norelec et Forlumen : échange d’informations préalablement à la remise des offres pour le marché de l’avenue de l’Amiral-Chillou ;
    Les sociétés Norelec, Forlumen et SFEE ont formé un recours en annulation et subsidiairement en réformation à l’encontre de la décision du Conseil,
            La Cour :
    Vu le mémoire déposé le 25 juin 2001 par lequel la société Norelec demande à la Cour de :
    1.  Constater la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme sur l’exigence du procès équitable en raison de la durée particulièrement excessive de la procédure (plus de 12 ans) qui a entraîné des difficultés et des obstacles dans l’exercice des droits de la défense ;
    2.  Dire que les procès-verbaux de déclarations évoqués par la décision frappée de recours, se référant, directement ou indirectement, au contenu de pièces irrégulièrement saisies selon l’ordonnance définitive du président du tribunal de grande instance du Havre du 20 novembre 1997, doivent être totalement écartés du dossier, selon la jurisprudence ;
    Dire que tel doit notamment être le cas du procès-verbal de déclaration du 25 juin 1991 de M. Rémy Le Grand, de la société SFEE (annexe II.7 du rapport du Conseil de la concurrence) ;
    Dire en conséquence qu’il n’y a pas lieu à poursuite à son encontre ;
    3.  Constater que la participation de Norelec à l’échange d’informations retenu par la décision du Conseil de la concurrence frappée de recours, à propos du marché de la réfection de l’éclairage et de la signalisation de l’avenue de l’Amiral-Chaillou, n’est pas établie puisqu’il n’existe aucune preuve ni même aucun faisceau d’indices graves, précis et concordants, de nature à établir sa participation effective à cette prétendue entente ;
    En conséquence, annuler ou, en tout cas, réformer la décision frappée de recours, et la mettre hors de cause ;
    4.  Subsidiairement, pour le cas où la cour d’appel estimerait que la société Norelec devrait néanmoins être sanctionnée, constater le caractère manifestement disproportionné et excessif de la sanction qui lui a été infligée par la décision déférée ;
    En conséquence, réformer en tout état de cause cette décision, en réduisant très substantiellement la sanction prononcée ;
    5.  En cas d’annulation de la décision du Conseil ou de réformation et de réduction de la sanction prononcée, dire que le trop-perçu par le Trésor public au titre de cette sanction doit lui être remboursé ;
    Vu le mémoire déposé par la société SFEE le 26 juin 2001 par lequel cette société demande à la cour :
      d’annuler la décision attaquée ;
    Subsidiairement :
      de réformer cette décision et réduire la sanction pécuniaire à un montant purement symbolique,
    En cas d’annulation ou de réformation :
      de dire que le trop-perçu par le Trésor public lui sera remboursé.
    Vu le mémoire déposé par la société Forlumen le 26 juin 2001 par lequel cette société demande à la cour :
      d’annuler et, à défaut, réformer la décision du Conseil de la concurrence du 25 avril 2001 en ce qu’elle a prononcé sa condamnation au paiement d’une amende de 1,6 million de francs pour avoir enfreint l’article L. 420-I du code de commerce ;
    En conséquence :
      d’ordonner la distraction des procès-verbaux de déclaration dressés dans le cadre de la procédure et plus particulièrement ceux concernant M. Le Grand, PDG de la société SFEE, et M. Garlantezec, de Forlumen ;
      de constater l’absence de preuve formelle ou d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants d’une participation de la société Forlumen à une entente ;
      de dire et juger que le seul grief de concertation retenu à l’encontre de la société Forlumen constituée en groupement momentané solidaire avec la société Norelec dans le cadre du marché du Port autonome du Havre relatif à l’avenue de l’Amiral-Chillou n’est pas fondé ;
      de dire et juger qu’il n’est pas démontré qu’elle a méconnu lesdispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce ;
      de décharger la société Forlumen de toute condamnation pécuniaire.
    A titre subsidiaire, de ramener à de plus justes proportions le montant de l’amende infligée ;
    Vu les écritures déposées le 6 septembre 2001 par lesquelles le ministre chargé de l’économie demande à la cour de conformer la décision du Conseil ;
    Vu le « mémoire d’observations » en réplique déposé le 24 septembre 2001 par la société Norelec ;
    Vu le « mémoire récapitulatif » de la société Forlumen déposé le 24 septembre 2001 ;
    Vu la note déposée le 31 août 2001, par laquelle le Conseil de la concurrence a fait connaître qu’il n’entendait pas user de la faculté de présenter des observations écrites ;
    Vu les observations écrites, mises à la disposition des parties, du ministère public,
            Sur ce :
            Sur les moyens de procédure :

1o  Sur la durée anormale de la procédure

    Considérant que la société Norelec observe qu’alors que les pratiques incriminées ont été mises en œuvre en 1989, la saisine du Conseil de la concurrence n’a eu lieu qu’en 1992, que la notification des griefs a été effectuée le 27 mars 1997 et que la décision du Conseil n’est intervenue, en définitive, qu’en avril 2001 ;
    Que la durée d’environ 12 ans de la procédure ne correspond pas aux exigences de délai raisonnable prévu par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et qu’elle a, en outre, porté atteinte aux droits de la défense en raison du départ de l’entreprise des employés qui avaient en charge les dossiers d’appels d’offre en cause ;
    Considérant qu’aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales toute personne à certes droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable ;
    Qu’il doit cependant être observé qu’en l’espèce le délai critiqué s’explique en partie par la complexité et l’ampleur de l’enquête qui portait sur environ 17 marchés et que la notification initiale visait dix griefs, concernant d’autres entreprises que les requérantes ;
    Qu’à la suite de l’annulation d’une partie des procès-verbaux d’enquête par l’ordonnance déjà citée du 20 novembre 1997, la procédure a alors été légitimement suspendue par le Conseil jusqu’au terme de la procédure devant la Cour de cassation, constitué par un arrêté du 25 janvier 2000 ;
    Qu’il n’est, par ailleurs, nullement établi que la durée de la procédure ait privé la société requérante de la possibilité de se défendre et du bénéfice d’un procès équitable ;
    Qu’enfin, à supposer même ce délai excessif au regard de la complexité de l’affaire, la sanction qui s’attache à la violation de l’obligation pour le Conseil de se prononcer dans un délai raisonnable résultant de la convention précitée n’est pas l’annulation ou la réformation de la décision mais la réparation du préjudice résultant de la durée excessive de la procédure ;
    Que, par suite, le moyen ne peut être accueilli ;

2o  Sur les procès-verbaux de déclaration

    Considérant que les sociétés Norelec et Forlumen prétendent que le procès-verbal du 25 juin 1991 recueillant les déclarations de M. Le Grand, dirigeant de la SFEE, et le procès-verbal de déclaration du 3 juillet 1991 de M. Garlantezec, cadre de Forlumen, qui font référence à des pièces irrégulièrement saisies, doivent être écartés ;
    Qu’en effet, un procès-verbal formant un tout indissociable, il n’était pas loisible au Conseil d’en extraire certains éléments seulement et de s’y référer ;
    Mais considérant que l’ordonnance du président du tribunal de grande instance du Havre a simplement constaté la nullité des opérations de visite et de saisies effectuées en novembre 1990 dans les locaux d’une société Hermes, en ce que ces opérations ont donné lieu à la saisie de notes manuscrites et de pièces relatives à des marchés étrangers à ceux visés dans les notifications de griefs finalement examinés par le Conseil ;
    Que le procès-verbal critiqué du 25 juin 1991 atteste que M. Le Grand s’est expliqué successivement, d’abord sur les marchés et procédures du groupe scolaire de La Mailleraye puis celui du Port autonome du Havre et, enfin, de manière clairement distincte, sur les autres marchés ;
    Qu’il est constant que les premières déclarations de M. Le Grand, qui ont contribué à fonder les griefs relatifs à certains marchés de la ville du Havre et à ceux du Port autonome de cette même ville, ne se réfèrent ni directement ni indirectement aux pièces déclarées irrégulièrement saisies qui concernent, en outre, des marchés distincts de ceux sur lesquels il est invité à s’expliquer ;
    Que tel est le cas également s’agissant des déclarations de M. Garlantezec consignées dans un autre procès-verbal ;
    Qu’il s’ensuit que le moyen ne peut qu’être rejeté ;
            Sur les pratiques :
    Considérant qu’en matière de marchés publics la coordination des offres ou l’échange d’informations antérieures au dépôt des offres caractérisent une entente anticoncurrentielle contrevenant aux dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce ;
    Que la preuve d’une telle entente peut être rapportée par un faisceau d’indices qui, après recoupement, constituent un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes ;
    Considérant qu’en espèce la société SFEE résiste aux griefs d’entente en soutenant qu’une simple concertation en vue d’une sous-traitance ne saurait caractériser une pratique illicite et, en outre, qu’une mention sur un autocollant ne peut constituer un élément de preuve ;
    Que les sociétés Forlumen et Norelec soutiennent, pour leur part, en outre, que ce document qui fait état du prix proposé par la SFEE ne peut leur être opposé pour établir l’existence d’un échange d’informations ;
    Qu’enfin, compte tenu de la constitution régulière d’un groupement solidaire, les échanges d’informations intervenues dans le cadre ne sauraient revêtir un caractère illicite ;
            Sur le marché de rénovation d’un bâtiment communale de la ville du Havre et sur le marché de création de sanitaires dans le groupe scolaire La Mailleraye :
    Considérant qu’il est acquis que lors de l’ouverture des plis concernant le premier marché a été découvert un « Post-it », collé sur l’offre de la société SFEE, portant les mentions « BASILLE 138 452,00 F BLG » ;
    Que le 12 septembre à l’occasion de l’ouverture des plis du second marché a également été découvert, dans les mêmes conditions, un autre Post-it portant cette fois-ci la mention : « 21 200,65 F » La Mailleraye-Lacheray-Criquetot » ;
    Que par lettre du 29 septembre 1989 adressée au maire du Havre M. Rémy Le Grand, PDG de la SFEE, a expliqué au sujet des annotations, concernant les deux marchés, que le personnel « Etude » de son entreprise avait « consulté certains confrères pour chiffrer la partie tableau électrique afin, éventuellement, de leur sous-traiter », explications reprises ensuite lors de son audition par les enquêteurs de la DGCCRF ;
    Considérant, cependant que comme l’a justement relevé le Conseil, aucun élément du dossier ne permet d’établir ou même de faire présumer l’existence d’un tel projet de sous-traitance, dont le maître d’ouvrage n’avait d’ailleurs pas connaissance préalablement à l’ouverture des plis, et qui aurait été susceptible de justifier un échange d’informations ;
    Qu’enfin, s’agissant plus particulièrement du marché de La Mailleraye, les déclarations de M. Lacheray (« il est exact qu’à l’occasion d’un contrat informel, j’ai informé un cadre de la société SFEE de mon intention de soumissionner au marché en cause et je lui ai indiqué le montant de ma soumission. En revanche le montant de la soumission de la SFEE ne m’a pas été fourni. Mon interlocuteur m’avait indiqué que le montant proposé par moi-même devait passer ») démontrent également de manière indiscutable l’existence d’un tel échange entre la SFEE et son entreprise afin de lui faire attribuer le marché ;
            Sur le marché du détournement de l’avenue de l’Amiral-Chaillou :
    Considérant que le « papillon » qui a été découvert dans les conditions qui viennent d’être rappelées par les membres de la commission d’appel d’offres dans la soumission de l’entreprise SFEE porte les mentions suivantes : « Forlumen-Norelec 2 408 285 HT accord BLG PA du Havre » ;
    Que M. Le Grand a également expliqué aux enquêteurs de la DGCCRF que de telles mentions signifiaient que sa société souhaitait exécuter un marché en co-traitance ou en sous-traitance avec Formulen et Norelec et que les termes « Accord BLG » manifestaient un accord avec le prix qu’elles souhaitaient « remettre » ;
    Qu’il ne pouvait, toutefois, présenter les dossiers concernant ces affaires, car la SFEE n’ayant pas été déclarée attributaire, ils « avaient été jetés » ;
    Mais considérant que comme l’observe exactement le Conseil, il est ainsi avéré qu’à tout le moins la SFEE connaissait déjà l’existence d’un projet de groupement entre ces deux entreprises antérieurement à l’ouverture des plis et avant que le Port autonome du Havre en soit informé ;
    Qu’en outre, et surtout les allégations sur un projet de co-traitance ou sous-traitance n’ont, comme pour les autres marchés, nullement été confirmées par le dossier ;
    Considérant que c’est dès lors à bon droit que le Conseil a estimé que ces éléments, après recoupement, démontraient l’existence d’échanges d’informations avant le dépôt des offres ; que de tels échanges ont bien eu pour objet et ont pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence entre les soumissionnaires et tendaient à tromper le maître d’ouvrage sur la réalité de la concurrence ;
    Que le Conseil a ainsi conclu à juste titre qu’ils constituent des pratiques prohibées par l’article L. 420-1 du code de commerce ;
            Sur les sanctions :
    Considérant qu’aux termes de l’article 464-2 du code de commerce, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie et à la situation de l’entreprise sanctionnée ; qu’elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise et de façon motivée pour chaque sanction ;
    Considérant que pour demander la réduction des sanctions pécuniaires, les entreprises requérantes excipent du caractère disproportionné de leur montant en raison de l’ancienneté des faits, du déroulement de ceux-ci sur une brève durée ainsi que de leur faible ampleur ;
    Que SFEE invoque, en outre, plus particulièrement, des difficultés de trésorerie et que Norelec soutient qu’il ne peut lui être fait grief d’une précédente sanction pour entente, celle-ci étant intervenue en vertu d’une décision postérieure aux faits de la cause ;
    Considérant, s’agissant en premier lieu de la gravité générale des pratiques, que le Conseil de la concurrence a justement rappelé que la tromperie de l’acheteur public perturbe le secteur où elle est pratiquée et porte une atteinte grave à l’ordre public économique ;
    Que par ailleurs, le Conseil a exactement relevé que le dommage à l’économie est indépendant du dommage souffert par le maître d’ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s’apprécie en fonction de l’entrave directe apportée au libre jeu de la concurrence ;
    Que les pratiques anticoncurrentielles dénoncées qui caractérisent un dommage à l’économie sont répréhensibles du seul fait de leur existence, en ce qu’elles constituent une tromperie sur la réalité de la concurrence dont elles faussent le libre jeu, nonobstant la circonstance que l’échange d’information entre les entreprises sur les prix a été suivi d’une adjudication inférieure aux estimations du maître d’œuvre et que le marché a été, en définitive, attribué à une entreprise ne participant pas à la concertation :
    Considérant, enfin, que le Conseil a justement reconnu que l’ancienneté des faits est sans influence sur le montant des sanctions prononcées ;
    Considérant, s’agissant en second lieu des éléments individuellement retenus pour la fixation du montant de la sanction, qu’il doit être relevé :
      que la société SFEE qui a mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles à l’occasion de trois marchés a été exactement sanctionnée par une amende de 1,2 million de francs, étant observé que son chiffre d’affaires réalisé en France pour l’exercice clos en 1999 s’élevait à 68 millions de francs et qu’elle n’a pas justifié l’existence de difficultés financières particulières ;
      que la société Forlumen, auteur de pratiques illicites sur un marché, a également été justement sanctionnée par le Conseil d’une amende de 1,6 million de francs, compte tenu d’un chiffre d’affaires réalisé en France, pour le même exercice, de 117 millions de francs ;
      qu’enfin, la société Norelec s’est, comme la précédente entreprise, livrée à des pratiques irrégulières sur un seul marché ;
    Que la décision du Conseil lui infligeant une sanction pécuniaire en raison de faits similaires de concertations dans le cadre de marché public étant postérieure aux pratiques poursuivies, et compte tenu par ailleurs du montant de son chiffre d’affaires réalisé en France (308 millions de francs), la sanction prononcée par le Conseil doit être ramenée à 5 millions de francs ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’ensemble des moyens aux fins d’annulation doivent être rejetés et que le décision déférée doit être réformée sur le montant de la sanction prononcée à l’encontre de la société Norelec,
                    

Par ces motifs :
    Rejette le recours formé par les sociétés SFEE et Forlumen ;
    Réformant pour le surplus la décision attaquée, fixe au montant de 5 millions de francs la sanction pécuniaire de la société Norelec ;
    Dit que le Trésor public restituera à cette société le trop perçu de la sanction prononcée et que les intérêts des sommes restituées à la société Norelec seront dues à compter de la notification du présent arrêt et porteront intérêt dans les conditions de l’article 1154 du code civil ;
    Laisse les dépens à la charge des sociétés requérantes.

Le greffier                 Le président
    

(*)    Décision no 2001-D-17 du Conseil de la concurrence en date du 25 avril 2001 (parution dans le BOCCRF no 10 du 24 juillet 2001).

© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 05 février 2002