Décision no 2001-D-75 du Conseil de la concurrence
en date du 13 novembre 2001 relative au respect de linjonction
prononcée à lencontre de la société Canal
Plus par la cour dappel de Paris dans son arrêt du 15 juin 1999
NOR : ECOC0100461S
Le Conseil de la concurrence (section III),
Vu la lettre enregistrée le 20 octobre 2000 sous le numéro R. 29, par laquelle le ministre de léconomie, des finances et de lindustrie a saisi le Conseil de la concurrence du non-respect des injonctions prononcées à lencontre de la société Canal Plus par la cour dappel de Paris dans son arrêt du 15 juin 1999 ;
Vu la lettre enregistrée le 9 janvier 2001 sous le numéro R. 30, par laquelle les sociétés Multivision et Télévision Par Satellite (TPS) ont saisi le Conseil de la concurrence du non-respect des injonctions prononcées par la cour dappel de Paris dans son arrêt du 15 juin 1999 ;
Vu le livre IV du code de commerce et le décret no 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions dapplication de lordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
Vu larrêt de la cour dappel de Paris du 15 juin 1999 ;
Vu larrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 30 mai 2000 ;
Vu la décision no 01-MC-01 du 11 mai 2001 relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires présentées par les sociétés Multivision et Télévision Par Satellite (TPS) ;
Vu la décision de secret des affaires no 01-DSA-04 du 21 février 2001 ;
Vu la lettre du président du Conseil supérieur de laudiovisuel du 29 mars 2001 et lavis du Conseil supérieur de laudiovisuel du 6 mars 2001 ;
Vu les observations présentées par les sociétés Canal Plus, Multivision, TPS et par le commissaire du Gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, les sociétés Multivision, TPS et Canal Plus entendus au cours de la séance du 18 septembre 2001,
Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
Par une décision no 98-D-70 du 24 novembre 1998, le Conseil de la concurrence a sanctionné des pratiques mises en uvre par la société Canal Plus et enjoint à cette dernière de les faire cesser. Par un arrêt du 15 juin 1999 rendu sur le recours de la société Canal Plus, la cour dappel de Paris a annulé la décision du Conseil de la concurrence pour des motifs de procédure et, évoquant laffaire au fond, a sanctionné les pratiques mises en uvre par la société Canal Plus, notamment en lui enjoignant de les faire cesser, en application des dispositions de larticle 13 de lordonnance du 1er décembre 1986. Par un arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société Canal Plus à lencontre de larrêt de la cour dappel de Paris.
Par lettre enregistrée le 20 octobre 2000, le ministre de léconomie, des finances et de lindustrie a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement des dispositions de larticle L. 462-5 du code de commerce, du défaut de respect par Canal Plus, des injonctions prononcées à son encontre par la cour dappel de Paris le 15 juin 1999. Parallèlement à cette saisine, les sociétés Multivision et TPS, par lettre enregistrée le 9 janvier 2001, ont également saisi le Conseil de la concurrence du même défaut de respect dinjonctions.
Interrogées lors de linstruction, Mmes Bloch-Lainé et Gineste, respectivement responsable des acquisitions des films français et directrice juridique des programmes de la société Canal Plus, ont déclaré le 4 février 2000 : « (...) A compter du 25 février 1999, nous avons rédigé un nouveau contrat standard répondant aux exigences du Conseil, ce nouveau contrat nétant toutefois proposé aux ayants droit quà la fin du mois de mars 1999. Ce nouveau contrat na cependant pas été produit lors de la procédure devant la cour dappel de Paris (...). »
Le contrat type, ainsi mentionné, comporte les stipulations suivantes, les passages en caractères gras indiquant les modifications apportées :
« Contrat dachat de droits de diffusion (...).
« (...) Article 6 : exclusivité de diffusion et dannonce de diffusion.
« 6.1. Le contractant sengage pour lui-même et pour ses cessionnaires, mandataires ou ayants droit, à ne pas autoriser un tiers à exercer dans les territoires définis à larticle 1, les droits de diffusion télévisuelle cédés à CANAL PLUS pendant toute la durée du présent contrat, telle que précisée à larticle 2. (...) Par dérogation aux dispositions ci-dessus, il est précisé que lexclusivité objet du présent article cessera à légard des organismes de télédiffusion belges et suisses un mois avant lexpiration du présent contrat et ne sapplique pas aux services de télévision pratiquant le paiement à la séance (Pay per view) pendant toute la durée telle que prévue au premier paragraphe de larticle 2 des présentes 6.2. Sous réserve de ce qui est dit au dernier paragraphe de larticle 6.1 ci-dessus en ce qui concerne (...) les services de télédiffusion pratiquant le paiement à la séance, si, du fait des agissements du contractant (...), une société de télévision (...) pouvait (...), exploiter en version française (...) et/ou annoncer la diffusion du film objet des présentes, Canal Plus aura la faculté (...) - soit de résilier la présente convention tout en mettant en uvre la clause pénale définie à larticle 7 ci-après, - soit de maintenir les effets du contrat tout en exigeant, à titre de réparation de son préjudice, le versement de la clause pénale prévue à larticle 7 (...).
« (...) Article 7 : clause pénale. Sous réserve de ce qui est dit au dernier paragraphe de larticle 6.1 en ce qui concerne (...) les services de télédiffusion pratiquant le paiement à la séance, si lexclusivité de diffusion et dannonce de diffusion conférée à Canal Plus à larticle 6 des présentes venait à être méconnue par le contractant (...), Canal Plus serait en droit dexiger du contractant le versement dune indemnité à titre de dommages et intérêts (...). »
A lissue de son instruction, le rapporteur a conclu que si la société Canal Plus a modifié ses contrats de préachat de droits exclusifs de diffusion télévisuelle par abonnement des films cinématographiques dexpression française récents, de sorte que cette exclusivité ne sapplique pas au service de paiement à la séance, elle a, cependant, par diverses pressions exercées sur les producteurs de films, lié le préachat de droits exclusifs de diffusion télévisuelle par abonnement de certains de ces films à lacquisition par sa filiale Kiosque des droits exclusifs pour la diffusion en paiement à la séance.
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS
QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL,
Sur
la jonction :
Considérant que la saisine du ministre de
léconomie, des finances et de lindustrie, enregistrée
sous le numéro R. 29, et la saisine des sociétés Multivision
et TPS, enregistrée sous le numéro R. 30, sont dirigées
contre la même pratique émanant dune même entreprise,
portent sur la même question et ont fait lobjet dune instruction
commune ; quil y a lieu de les joindre pour statuer par une seule
et même décision ;
Sur
le respect des injonctions :
Considérant quen application de larticle
L. 464-3 du code de commerce, il appartient au Conseil de vérifier
si les injonctions prises en application des articles L. 464-1 et L. 464-2
de ce code ont été respectées et de prononcer, le cas échéant,
une sanction pécuniaire dans les limites fixées à larticle
L. 464-2 ;
Considérant que, par larrêt susvisé
du 15 juin 1999, la cour dappel de Paris a :
« - Enjoint à la société
Canal Plus de cesser de lier le préachat de droits exclusifs de diffusion
télévisuelle par abonnement des films cinématographiques
dexpression française récents à la condition que
le producteur renonce à céder à tout autre opérateur
les droits de diffusion télévisuelle de ces films pour la diffusion
par un service de paiement à la séance, avant et pendant la période
au cours de laquelle Canal Plus peut mettre en uvre lexclusivité
de la diffusion par abonnement ;
« - Enjoint, par voie de conséquence,
à la société Canal Plus de mettre son contrat type de préachat
de droits exclusifs de diffusion télévisuelle par abonnement quelle
propose aux producteurs de films en conformité avec linjonction
précédente, en modifiant notamment les articles 2, 6 et 7
de ce contrat type » ;
Considérant quil résulte de
linstruction que la société Canal Plus a établi,
le 25 février 1999, un nouveau contrat type, mis en application
à partir du 16 mars 1999 et dont larticle 6 stipule
que « (...) Par dérogation aux dispositions ci-dessus,
il est précisé que lexclusivité objet du présent
article (...) ne sapplique pas aux services de télévision
pratiquant le paiement à la séance (Pay per view pendant
toute la durée telle que prévue au premier paragraphe de larticle 2
des présentes » ; que cette clause précise
donc, en termes non équivoques, que lexclusivité des droits
de diffusion télévisuelle acquis par Canal Plus ne sapplique
pas aux services de paiement à la séance ; que la société
Canal Plus a, en mars 1999, adressé aux producteurs duvres
cinématographiques dexpression française le contrat type
ainsi modifié, accompagné dune lettre circulaire précisant :
« nous attirons votre attention sur le fait que nous avons modifié
les articles de notre contrat type de préachat 6.1, 6.2 et 7 et ce pour
prendre en compte la décision no 98-D-70 du Conseil de
la concurrence en date du 24 novembre 1998 relative à la diffusion
télévisuelle des films en paiement à la séance » ;
que ce contrat a été appliqué du 25 juin 1999
au 31 décembre 1999 pour lachat de droits de diffusion
de 85 films ; quà la date de larrêt de la cour
dappel de Paris, 28 films avaient déjà fait lobjet
dachats des droits de diffusion suivant les nouvelles modalités
contractuelles ;
Considérant que la société Canal
Plus, en modifiant les clauses 6.1, 6.2 et 7 de son contrat type et en concluant,
avec les producteurs, des contrats dexclusivité qui ne sappliquent
plus à la diffusion en paiement à la séance, a cessé
de lier le préachat de droits exclusifs de diffusion pour la télévision
par abonnement à la condition que les producteurs renoncent à
céder à tout autre opérateur les droits de diffusion pour
le paiement à la séance, ainsi quelle en avait reçu
linjonction de la cour dappel de Paris dans larrêt susvisé
du 15 juin 1999 ;
Considérant que le ministre de léconomie,
des finances et de lindustrie, ainsi que les sociétés Multivision
et TPS font valoir dans leurs saisines que la société Canal Plus
aurait utilisé divers procédés pour vider deffet
utile la mesure ainsi exécutée et aurait continué, dans
la pratique, à lier le préachat de droits exclusifs de diffusion
télévisuelle par abonnement de ces films à la condition
que les producteurs renoncent à céder les droits de diffusion
télévisuelle pour la diffusion en paiement à la séance ;
quil est ainsi soutenu, dune part, que la société
Canal Plus aurait exercé des pressions sur les producteurs au cours de
lannée 1999, par les déclarations publiques de ses dirigeants
et par la suspension de la signature des contrats de préachat de droits
de diffusion des films, ce qui aurait contribué à pousser une
partie importante des producteurs à ne pas contracter avec la société
Multivision, quelle aurait, également, suscité la création
dune nouvelle structure institutionnelle, le Bureau de liaison des organisations
du cinéma (BLOC), organisme défavorable au mode de paiement à
la séance et issu dune scission du Bureau de liaison des industries
du cinéma (BLIC) et quelle aurait conclu, le 20 mai 2000,
un accord général avec les organisations professionnelles de lindustrie
cinématographique française, BLIC, BLOC et ARP, en écartant
lexamen du régime du paiement à la séance ;
quil est prétendu, dautre part, que la société
Canal Plus aurait développé lactivité de sa filiale,
la société Kiosque, dans le cadre dune stratégie
globale, afin que cette société conclue, en ses lieu et place,
des contrats dexclusivité de préachat et dachat de
droits de diffusion en paiement à la séance avec les producteurs ;
Considérant quil ressort dune jurisprudence
constante, dune part, que les injonctions formulées en application
de larticle L. 464-1 du code de commerce sont dinterprétation
stricte et doivent être formulées en termes clairs, précis
et exempts dincertitudes quant à leur exécution (voir, notamment,
les arrêts rendus par la cour dappel de Paris le 29 mars 1996
sur recours contre la décision no 95-D-47, et le 10 septembre 1996
sur recours contre la décision no 95-D-82) et, dautre
part, que le Conseil de la concurrence ne peut, dans le cadre de la procédure
prévue à larticle L. 464-3 du code de commerce, sanctionner
dautres pratiques que celles qui résultent du défaut de
respect dinjonction (voir, notamment, les arrêts rendus par la cour
dappel de Paris, le 19 novembre 1992 sur recours contre la décision
du Conseil no 92-D-25, et le 26 avril 1994 sur recours
contre la décision no 93-D-26) ;
Considérant que le Conseil, dans sa décision
01-MC-01, rendue le 11 mai 2001, sur la saisine des sociétés
TPS et Multivision enregistrée sous les numéros F 1287 et M 278,
a précisé quil convenait de disjoindre lexamen du
respect de linjonction prononcée par la cour dappel, de lexamen
des autres pratiques dénoncées par les sociétés
Multivision et TPS dans leur saisine précitée ; quà
ce dernier titre, le Conseil a examiné les pratiques distinctes du respect
de linjonction, relatives à la signature de laccord général
avec la profession et la conclusion par la société Kiosque des
contrats de préachat et dachat de droits exclusifs de diffusion
en paiement à la séance et a estimé quelles étaient
susceptibles, sous réserve de linstruction au fond, dentrer
dans le champ dapplication du livre IV du code de commerce ;
Considérant, quaucune des pratiques dénoncées
par le ministre de léconomie, des finances et de lindustrie
et par les sociétés TPS et Multivision dans le cadre de la procédure
de non respect dinjonction ne fait apparaître que la société
Canal Plus aurait lié le préachat de droits exclusifs de diffusion
télévisuelle par abonnement de films français récents
à la condition que le producteur renonce à céder à
tout opérateur les droits de diffusion télévisuelle de
ces films en paiement à la séance ; que, les pressions alléguées
sur les membres des professions cinématographiques, quand bien même
seraient-elles établies, ne peuvent être assimilées à
la pratique dont la cour dappel a ordonné la cessation dans les
termes de linjonction prononcée par larrêt du 15 juin 1999 ;
Considérant que les pratiques ainsi dénoncées
font lobjet dune instruction au fond dans le cadre de la saisine
F 1287, qui a donné lieu à la décision de mesure conservatoire
no 01-MC-01 du 11 mai 2001, susvisée ;
que le ministre a, dailleurs, relevé dans ses observations que
lanalyse faite dans le rapport reposait sur des pratiques nouvelles mises
en uvre par Canal Plus et qui font, par ailleurs, lobjet dune
nouvelle saisine par les sociétés Multivision/TPS ; que,
dès lors, lenquête et les pièces y afférentes
produites par le ministre à lappui de la présente saisine,
seront versées au dossier F 1287 puisquelles concernent les faits
dénoncés dans le cadre de cette autre saisine,
Décide :
Art. 1er. - La
saisine du ministre de léconomie, des finances et de lindustrie,
enregistrée sous le numéro R. 29, et la saisine des sociétés
Multivision et TPS, enregistrée sous le numéro R. 30, sont
jointes.
Art. 2. - Il nest
pas établi que la société Canal Plus na pas respecté
les injonctions prononcées par larrêt de la cour dappel
de Paris en date du 15 juin 1999.
Art. 3. - Les pièces
du dossier enregistré sous le numéro R. 29 sont versées
au dossier enregistré sous le numéro F 1287.
Délibéré, sur le rapport de M.
Bernard Lavergne, par Mme Hagelsteen, présidente, M. Cortesse, vice-président,
MM. Bidaud, Ripotot, Robin et Charrière-Bournazel, membres.
La secrétaire de séance,
Françoise Hazaël-Massieux |
La présidente,
Marie-Dominique Hagelsteen |
©
Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 23
janvier 2002
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