Décision no 2001-D-70 du Conseil de la concurrence
en date du 24 octobre 2001 relative à des pratiques mises en
uvre dans le secteur de la mélasse et du rhum à la Réunion
NOR : ECOC0100436S
Le Conseil de la concurrence (section III),
Vu la lettre enregistrée le 13 juin 1997 sous le numéro F 967, par laquelle la société Jean Chatel a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques commerciales dans le secteur de la mélasse et du rhum à la Réunion ;
Vu la lettre en date du 12 janvier 1998 par laquelle la société J. Chatel a déclaré retirer sa saisine ;
Vu la décision en date du 5 février 1998 enregistrée sous le numéro F 1018, par laquelle le Conseil de la concurrence a décidé de sautosaisir de la situation de la concurrence dans le secteur de la mélasse et du rhum à la Réunion ;
Vu le livre IV du code de commerce et le décret no 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour lapplication de lordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence ;
Vu les observations présentées par les sociétés Groupe Bourbon, Quartier français et Sucrière de la Réunion, par le GIE Rhums Réunion ainsi que par le commissaire du Gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement ainsi que les représentants des sociétés Jean Chatel, Sucrière de la Réunion, Groupe Bourbon, Groupe Quartier français et GIE Rhums Réunion entendus lors de la séance du 26 juillet 2001 ; la SA Etablissements Isautier ayant été régulièrement convoquée,
Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
1. Le secteur dactivité à la Réunion
Compte tenu de limbrication étroite et de la complémentarité des différentes activités, il est dusage de parler de « filière canne-sucre-rhum ».
Si la production de sucre de la Réunion (en moyenne 200 000 tonnes par an) ne représente que 1,20 % de la production européenne et 4,3 % de la production nationale, cette activité demeure importante pour léconomie de ce département. Selon un rapport du Conseil économique et social régional (cf. note 1) , la filière génère environ 20 000 emplois directs et concerne « plus de la moitié de la population agricole », la production de canne à sucre représentant environ un tiers des productions agricoles.
A la suite dun certain nombre de restructurations, lactivité industrielle de la filière est actuellement assurée par deux groupes qui sont le groupe Quartier français, dune part, et le groupe Bourbon, dautre part.
Le premier, présidé par M. Xavier Thieblin, a réalisé un chiffre daffaires denviron 1,3 milliard de francs en 1998. Outre sa présence dans la filière canne à sucre, ce groupe intervient dans des activités industrielles diversifiées. Le second, présidé par M. Jacques de Chateauvieux, également présent dans différents secteurs dactivité, a réalisé un chiffre daffaires de lordre de 7 milliards de francs en 1999.
La production de sucre est encadrée par un système de quotas et de prix, lequel résulte des dispositions prises au niveau communautaire dans le cadre de lOrganisation commune de marché (OCM).
Le prix de base, payé par les industriels pour la canne à sucre à la Réunion, est fixé dans une convention signée entre le syndicat des fabricants de sucre et les organisations agricoles représentatives, sous légide du préfet. Le prix de la tonne de canne livrée a ainsi été fixé à 258,38 F pour la campagne 1996-1997, ce prix « tenant compte de la recette sucre et mélasse des industriels », qui représente les revenus tirés de la valorisation de la mélasse et de la bagasse à la Réunion.
La production de sucre et de mélasse
On estime généralement quune tonne de canne à sucre produit 103 kg de sucre et 33 kg de mélasse, le rendement en alcool de ce produit étant estimé à 4,8 kg pour un litre dalcool pur (LAP). La production de mélasse sest élevée à 62 000 tonnes au cours de la campagne 1996/1997.
La mélasse permet de produire :
du rhum traditionnel de sucrerie distillé à moins de 96o et comprenant un minimum de 225 g par hectolitre dalcool pur (HLAP) de substances dites « non alcool » ;
du rhum léger distillé à moins de 96o et comprenant entre 60 et 225 g par HLAP de substances dites « non alcool » ;
de lalcool dénommé « alcool cru de canne », distillé à moins de 96o et comprenant plus de 45 g par HLAP de substances dites « non alcool », destiné à la fabrication de spiritueux composés (punchs, liqueurs...). Le rhum léger et le rhum traditionnel de sucrerie peuvent être déclassés en alcool de canne pour satisfaire les besoins des liquoristes ;
du rhum vieux, qui est du rhum traditionnel comportant un minimum de 325 g par HLAP de substances dites « non alcool » et vieilli en fûts de bois de chêne pendant au moins trois ans.
Le rhum traditionnel et le rhum léger, fabriqués à partir de la mélasse, sont destinés à être consommés en létat ou utilisés pour la fabrication de punchs, après déclassement. Selon la société Groupe Bourbon, « lalcool cru de canne (initialement alcool de canne du cru) est une pure construction administrative locale à linitiative des douanes visant à faire bénéficier aux liquoristes des dispositions fiscales favorables au rhum traditionnel les produits dérivés en les assimilant à ces derniers. Le droit de consommation applicable au rhum traditionnel, produit et vendu dans le département, est de 250 F HLAP auquel sajoute une taxe régionale de 700 F, soit au total 950 F. Il est de 9 510 F par HLAP pour tous les autres alcools, y compris le rhum léger. Cest pour permettre aux liquoristes qui préfèrent utiliser le rhum léger plutôt que le rhum traditionnel pour fabriquer leur punch et liqueurs qua été instauré lalcool cru de canne que lon assimile fiscalement au rhum traditionnel. Lalcool cru de canne nest donc pas un produit spécifique de la Réunion. Lappellation désigne simplement du rhum traditionnel ou du rhum léger déclassé en fonction de lutilisation qui en est faite. Il ny a pas de fabrication particulière pour les liquoristes ».
Les deux producteurs de mélasse à la Réunion sont : la SA Sucrière de la Réunion (Groupe Quartier français) et la SAS Sucrerie de Bois Rouge (Groupe Bourbon).
La SA Sucrière de la Réunion, qui a pour activité principale la production et la commercialisation du sucre et de la mélasse, procède aussi accessoirement au négoce du rhum. Le capital de cette société est détenu à 54,96 % par le groupe Quartier français et à 36,64 % par le groupe Eridiana Beghin Say, le reste (8,39 %) étant détenu par une filiale de la Générale Sucrière. Les participations, détenues par cette société dans les entreprises intervenant dans la production ou la distribution du rhum, sont les suivantes : 36,83 % du capital du GIE Rhums Réunion (ex GIE Rhum) et 20,35 % du capital de la société concurrente, SA Sucrerie de Bois Rouge. Le groupe, auquel appartient la société Sucrière de la Réunion, détient par ailleurs des participations dans les sociétés suivantes : 99,75 % de la SA Distillerie Rivière du Mât, 99,6 % de celui de la société de distribution Soraco, 20 % de celui de la SA Distillerie de Savanna (appartenant au groupe concurrent Bourbon) et indirectement 14,24 % du GIE Rhums Réunion.
Selon le directeur administratif et financier de la société (PV du 11 janvier 2000), le tonnage de mélasse produit en 1996 et 1997 par la société Sucrière de la Réunion sest élevé respectivement à 43 755 et 48 010 tonnes et les ventes ont atteint respectivement 54 023 et 37 654 tonnes au cours des mêmes exercices (dont respectivement 25 933 et 6 781 tonnes à lexportation). La société dispose, en effet, dune capacité de stockage de lordre de 20 000 tonnes. Le tonnage exporté sest, enfin, élevé à 7 440 tonnes en 1998 pour une production de 39 672 tonnes et des ventes totales de 45 639 tonnes. Les prix nets moyens de vente pondérés de mélasse ont varié, au cours de la période considérée, de 259,79 F à 495 F/tonne, pour la mélasse transformée localement. Ce prix sest élevé à 210 F/tonne au cours de la même période pour la mélasse exportée ou destinée à la fabrication des rhums non contingentés et à environ 505 F/tonne pour la mélasse vendue aux éleveurs et aux fabricants daliments pour bétail. Parmi les clients de Sucrière de la Réunion, acheteurs de mélasse, figurent les trois distillateurs de rhum de la Réunion.
La SAS Sucrerie de Bois Rouge, dont le capital est détenu à 79,65 % par le Groupe Bourbon, et à 20,35 % par la SA Sucrière de la Réunion, a également pour activité la production et la commercialisation du sucre et de la mélasse. Cette société est présidée par la société Groupe Bourbon, elle-même dirigée par un comité de direction. M. Jacques de Chateauvieux représente la personne morale « Groupe Bourbon » au sein du conseil dadministration de cette société qui ne possède, hormis la part quelle détient dans le GIE Rhums Réunion, aucune autre participation dans des sociétés intervenant dans la production ou la distribution de rhum. Sa société holding « Groupe Bourbon » détient en revanche les participations suivantes : 78,2 % de la SA Distillerie de Savanna, 28,8 % de la SA SOPAVI (liquoristerie) et 57 % de la SOGIM (liquoristerie).
La totalité de la mélasse produite à lusine de Saint-André est vendue à la société Distillerie de Savanna, le prix net pratiqué « départ usine » sétant élevé à 275 F/tonne en 1996 et à 480 F/tonne de 1997 à 1999. Les quantités commercialisées ont atteint respectivement à 18 227 et 20 753 tonnes en 1996 et 1997.
La production dalcool et de rhum à la Réunion
Lévolution de la production de rhum à la Réunion (en HLAP) apparaît dans le tableau suivant :
CATÉGORIES |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
Rhum traditionnel agricole |
- |
1 249 |
- |
- |
- |
Rhum traditionnel de sucrerie |
37 844 |
47 384 |
43 016 |
47 743 |
39 451 |
Rhum léger |
20 145 |
22 522 |
29 165 |
24 079 |
28 718 |
Total |
57 989 |
71 155 |
72 181 |
71 822 |
68 169 |
Source : direction régionale des douanes et droits indirects.
Sur ces quantités, environ 6 000 HLAP ont été commercialisées sous la dénomination « alcool de canne » en 1996.
Trois entreprises interviennent dans la production du rhum à la Réunion. Il sagit de la SA Distillerie Rivière du Mât, de la SA Distillerie de Savanna et de la SA Etablissements Isautier.
La société Distillerie Rivière du Mât qui appartient au groupe Quartier français a produit environ 22 000 HLAP de rhum traditionnel de sucrerie en 1996. A ces quantités, il convient dajouter celles, produites pour le compte de la SA Établissements Isautier (2 895 HLAP en 1996) au prix de 4 F/HLAP.
La quasi-totalité du rhum de la société Sucrière de la Réunion était commercialisée par le GIE Rhum au prix moyen de 31,22 F/LAP en 1996.
La société Distillerie de Savanna, qui appartient au Groupe Bourbon, sapprovisionne en mélasse principalement auprès de la SA Sucrière de Bois Rouge, appartenant au même groupe, au prix unitaire de 275 F/tonne en 1996 pour 480 F/tonne de 1997 à 1999.
Le potentiel de production de la distillerie (90 000 HL/an), installée dans lenceinte même de la sucrerie Sucrière de Bois Rouge, est utilisé à moins de 50 %.
Le président directeur général de la société Distillerie de Savanna, également directeur général de la société Sucrerie de Bois Rouge, appartenant au même groupe, a déclaré, lors de son audition, le 25 janvier 2000 :
« La production de rhum traditionnel et de rhum léger est de lordre de 40 000 HLAP/an. (...). Les ventes à Rhums Réunion représentent de 8 500 à 9 000 HLAP/an. Les prix ont été de : /- 30,20 F/LAP (1996) pour le rhum traditionnel ;/- 31,22 F/LAP, puis 32,16 F/LAP (1977) ;/- 32,16 F/LAP, puis 33,12 F/LAP (1998) (...) ;
« Pour ces mêmes années, les prix de vente du rhum destiné aux liquoristes ont été de :/- 21,09 F/LAP pour le rhum traditionnel/- 23,10 F/LAP pour le rhum léger.
« Lalcool de canne :
« Cet alcool est destiné à la confection des liqueurs, punchs et autres spiritueux. Ses ventes sont de lordre de 4 000 HLAP/an, dont 3 000 HLAP en moyenne à J. Chatel SARL. Les prix de vente ont été de 12,16 F/LAP en 1996 et 1997, puis 6,35 F/LAP en 1998 et 1999 pour Chatel, et de 12,16 F/LAP pour les autres liquoristes de 1996 à 1999. »
Les conditions générales de vente pour le marché local, mises à jour au 21 juillet 1999 et annexées audit procès-verbal, font ressortir les prix suivants :
« rhum traditionnel déclassé - alcool cru de canne » : de 21,09 F/LAP (jusquà 1 000 HLAP) à 15,620/LAP (pour des volumes supérieurs à 4 500 HLAP) ;
« rhum léger déclassé - alcool cru de canne » : de 12,16 F/LAP (jusquà 1 000 HLAP) à 6,1595 F/LAP (pour des volumes supérieurs à 4 500 HLAP).
La société Etablissements Isautier : le capital de cette société anonyme, qui a pour activité la production de rhum, est détenu par des membres de la famille Isautier. Le chiffre daffaires annuel est de lordre de 7 millions de francs. Cette société détient 6,8 % du capital du GIE Rhums réunion et 34,66 % de celui de la société anonyme SOPAVI, liquoriste concurrent de la société Jean Chatel.
La production de la distillerie, implantée à Saint-Pierre, a varié denviron 1 000 HLAP à 2 500 HLAP au cours de la période 1996 - 1999, cette production étant complétée par de la sous-traitance réalisée par la société Distillerie Rivière du Mât (de 1 000 à 2 900 HLAP au cours de la même période), la mélasse nécessaire étant achetée directement par la SA Etablissements Isautier auprès de la société Sucrière de la Réunion. Le rhum traditionnel de sucrerie destiné à la consommation locale est commercialisé en totalité par le GIE Rhums Réunion (environ 1 100 HLAP/an). Le prix unitaire (en F/LAP - livraison incluse -) a varié de 31,22 F à 34,19 F de 1996 à 1999.
Le directeur général de la société a déclaré, lors de son audition, le 4 février 2000 : « Le rhum traditionnel de sucrerie.
« Il est en partie fabriqué par la distillerie de la société et pour le reste sous-traité à la SA Distillerie Rivière du Mât.
« (..........)
« Les Etablissements Isautier vendent également du rhum traditionnel déclassé en alcool de canne. Les quantités vendues ont été de (......) 1 554 HLAP en 1996, aux prix moyens de (...) 6,64 F/LAP en 1997 et 6,50 F/LAP en 1996. /- Cet alcool de canne est vendu uniquement à la société SOPAVI (...).
« Le rhum léger :
« Sa fabrication est sous-traitée à la Distillerie Rivière du Mât./- (........) Une partie de ce rhum est déclassée en alcool de canne et vendu également à la SOPAVI. »
Le secteur du stockage et de lembouteillage
Le capital social du GIE « Rhums Réunion » (anciennement « GIE Rhum »), présidé par M. Xavier Thieblin, était détenu au moment des faits à 42,12 % par la société « Distillerie de Savanna » (Groupe Bourbon), 36,83 % par la société « Sucrière de La Réunion » (Groupe Quartier français), 14,24 % par la société « Distillerie Rivière du Mât » et, à hauteur de 6,8 %, par la société « Etablissements Isautier », la société « Sucrerie de Bois Rouge » ne détenant quune part symbolique.
Le GIE a pour activité principale lachat en vrac de rhum auprès de ses membres (à lexception de la « Sucrerie de Bois Rouge ») pour la revente. Le rhum livré en vrac est stocké, assemblé, embouteillé puis commercialisé, principalement sous la marque « Charrette » (rhum traditionnel de sucrerie à 49o) et accessoirement sous les marques « Cocktail » (rhum léger à 45o) et « Vieux rhum de Savanna » (rhum vieux à 49o), la vente des deux derniers produits étant marginale (moins de 0,10 % du total).
Depuis avril 1997, les quatre fournisseurs commercialisent lintégralité de leur rhum traditionnel de sucrerie sous la marque « Charrette », lequel représente la quasi-totalité des ventes du GIE. Outre son activité de négoce, le GIE Rhums Réunion assure également une activité de stockage du rhum léger et traditionnel de ses membres, destiné à lexportation, ceci en contrepartie dune rémunération de 20 F/HLAP.
Par ailleurs, jusquen novembre 1996, le GIE Rhums Réunion a vendu et facturé du rhum traditionnel et de lalcool de canne aux producteurs de punchs et liqueurs, pour le compte de la société Distillerie de Savanna.
Les prix unitaires facturés sélevaient à 21,09 F/LAP pour le rhum traditionnel et à 12,16 F/LAP pour lalcool de canne (cf. PV daudition de M. Alain Macé du 17 janvier 2000 - facture Distillerie de Savanna à GIE Rhum du 31/10/96).
Les statuts du GIE Rhums Réunion, tels quapplicables au moment des faits, stipulaient à larticle 9 qu« un membre du groupement ne peut céder ses parts quà un autre membre du Syndicat des producteurs de Rhum ». Cette disposition a été supprimée lors de lassemblée générale mixte ordinaire et extraordinaire du GIE, qui sest tenue le 22 juin 2001.
Le président du GIE Rhums Réunion a déclaré, lors de son audition : « les prix de vente du rhum en vrac au GIE Rhum sont les mêmes pour tous les producteurs et les augmentations de ces prix se font aux mêmes dates pour tous : ces prix et ces hausses sont fixés par le GIE ».
Le secteur des autres spiritueux fabriqués localement
Il sagit essentiellement des punchs locaux et des liqueurs fabriqués à partir dalcool de canne et de rhum « déclassé ».
Quatre entreprises interviennent dans ce secteur qui se situe en aval de celui de la production dalcool de canne. Il sagit de la société Jean Chatel, de la Sopavi, de la Sogim et de la Distillerie de Vue Belle. Selon les résultats de lenquête, le groupe Jean Chatel disposerait avec la Distillerie de Vue Belle denviron 70 % du marché concerné.
Bien quelle ne distille plus dalcool depuis de nombreuses années, la société Jean Chatel continue à commercialiser, sous sa propre marque, du rhum en bouteille quelle se procure en vrac auprès des distilleries locales.
Au moment des faits, le capital de la société anonyme Sopavi était détenu à 65,12 % par la société Cilam, elle-même contrôlée par le groupe Bourbon, et à 34,66 % par la société Etablissements Isautier, laquelle assurait lapprovisionnement de la Sopavi en alcool de canne aux prix de 6,50 F/LAP en 1996 et de 6,64 F/LAP en 1997. La quasi-totalité de la production de punchs et de liqueurs de la Sopavi était vendue à la société Cilam, laquelle la commercialisait ensuite auprès de la grande distribution dans laquelle le Groupe Bourbon détenait des participations.
La consommation de boissons alcoolisées à la Réunion
Le tableau suivant fait ressortir lévolution de la consommation des principales boissons alcoolisées à la Réunion (source : Douanes, en HL dalcool pur) :
|
1980 |
1999 |
Rhum |
47 % |
30 % |
Spiritueux locaux |
13 % |
10 % |
Spiritueux importés |
9 % |
10 % |
Bière |
12 % |
22 % |
Vin |
19 % |
28 % |
La population de lîle est passée de 501 000 à 705 000 habitants au cours de cette période et la consommation dalcool par habitant a varié de - 16 %.
Le rapport présenté par le Conseil Interprofessionnel du Rhum Traditionnel des DOM (CIRTDOM) au groupe de travail interministériel chargé de « préparer les échéances 2000-2002-2003 » (cf. note 2) reconnaît, au sujet du rhum en général, que l« élasticité croisée de la demande de rhum en cas de hausse du prix du rhum et de stabilité des prix des autres boissons nest pas mesurable aisément ».
La brochure intitulée « Le Livre blanc du rhum », publiée par le Syndicat des producteurs de Rhum de la Réunion souligne, de fait, la « place privilégiée » occupée par le rhum de consommation courante produit localement et les multiples utilisations du rhum dans les « traditions réunionnaises ».
La société Groupe Bourbon a enfin déclaré, au sujet du prix des boissons spiritueuses consommées à la Réunion : « On pourra observer en magasin quà la Réunion cet avantage comparatif fiscal se retrouve largement au niveau du consommateur local, qui achète son rhum à 49 degrés autour de 35 F le litre contre 90 F pour un whisky en moyenne. En métropole, la part de lavantage retournée au consommateur sur rayon dépasse rarement 5 à 10 F du litre, avec un rhum autour de 80 F (au mieux) pour un whisky à 90 F. »
2. Les faits
Le 20 novembre 1995, le gérant de la société Jean Chatel qui est un liquoriste, sadresse au président du GIE Rhums Réunion, dans ces termes : « Nous venons par la présente attirer votre attention sur la dangereuse dérive inflationniste du prix de vente de lalcool de canne depuis ces quatre dernières années./- Le prix de lalcool a en effet augmenté de plus de 34 % en quatre ans, pénalisant ainsi fortement nos produits par rapport aux produits dimportation, malgré une fiscalité différentielle avantageuse./- Durant cette même période, le prix de certains produits spiritueux dimportation est resté stable, tels certains whiskys ou certains apéritifs. (...)/- Nous avons, en outre, respecté une attitude de retrait vis-à-vis de la commercialisation de produits susceptibles de concurrencer le rhum Charrette et ce, malgré de nombreuses invectives de nos clients distributeurs./ Nous navons guère rencontré de votre part une attitude constructive, concertée et volontariste./- Nous avons au contraire subi des augmentations tarifaires soutenues chaque année, sans le moindre aménagement des conditions que nous sommes aujourdhui en droit dattendre de par le volume dachat que nous représentons./- Nous avons de surcroît assisté à larrivée de concurrents nouveaux sur nos segments de marché opérant pour certains dans un contexte privilégié.
« Nous sommes, en outre, placés devant une situation dunicité de loffre nous privant ainsi du libre jeu de la libre concurrence.
« Ce contexte sapparente à une situation dabus de position dominante que nous tenons aujourdhui à dénoncer vigoureusement./- Nous vous demandons, en conséquence, de reconsidérer cette position et dintroduire une nouvelle politique tarifaire concertée et réaliste. »
Le 26 avril 1996, le gérant de la société Jean Chatel rappelle au président du GIE Rhums Réunion les engagements que ce dernier aurait pris au sujet dune proposition de prix, lors dune entrevue qui se serait tenue, « le 11 avril ».
Le 6 mai 1996, le président du GIE Rhums Réunion adresse une proposition de prix relative à la fourniture dalcool cru de canne « avec effet rétroactif au 1er janvier 1996 et maintien du prix sur trois ans, sauf dérive importante de linflation ou modification sur la fiscalité des alcools ».
Le prix proposé pour lalcool destiné à la fabrication de produits destinés au marché local sélève à 12,160 F/LAP, avec des remises quantitatives variant de 1 à 6 %, le prix proposé pour la fabrication de produits destinés à lexportation sélevant à 6,00 F/LAP.
Compte tenu des prix proposés par le GIE Rhums Réunion, la société Jean Chatel décide alors de procéder elle-même à la fabrication dalcool de canne à partir de la mélasse, lunité de production devant être opérationnelle « début 1997 ». A cette fin, elle se tourne le 19 juin 1996, vers les deux producteurs de mélasse présents sur le marché afin dobtenir des offres commerciales.
Le 14 août 1996, la société Sucrière de la Réunion informe le président de la société Jean Chatel quelle « a pour objectif doptimiser, dans le cadre de contrats pluriannuels, ses disponibilités de mélasse » et que, « dans ce but, elle maintient des relations privilégiées avec les trois distilleries du département, dans lesprit dun partenariat industriel à long terme ». Cette société, qui indique quelle livre par ailleurs des « petites quantités de mélasse » aux éleveurs de bétail et la société France Mélasse, dans le cadre dun contrat à long terme, se dit prête à fournir la société Jean Chatel en mélasse, mais en précisant que cela ne pourrait concerner que des « excédents conjoncturels ». Le prix proposé sélève à 500 F/tonne « stade départ Gol ».
Le 24 septembre 1996, la société Jean Chatel informe la société Sucrière de la Réunion que ses besoins de mélasse sélèvent de 1 200 à 2 000 tonnes par campagne à livrer sous trois à cinq mois « par 100 à 150 tonnes ».
Le 21 octobre 1996, le GIE Rhums Réunion informe la société Jean Chatel que les commandes dalcool cru de canne devront être adressées « directement aux distilleries » à compter du 1er novembre 1996.
Le 29 octobre 1996, la société Jean Chatel adresse une lettre de rappel à la société Sucrière de la Réunion au sujet des commandes de mélasse.
Dans une lettre datée du 27 décembre 1996, le président du Groupe Quartier Français déclare à la société Jean Chatel : « Nous faisons suite à votre courrier du 24/09/96 par lequel vous nous demandez de vous céder de la mélasse.
« Nous vous informons, quau-delà de nos relations avec nos clients habituels, nous avons décidé de distiller pour notre propre compte lensemble des mélasses dont nous disposons dans le cadre du Groupe Quartier Français.
« Dans cet esprit, nous sommes prêts à envisager avec vous un partenariat à long terme basé sur un contrat pluriannuel au titre duquel nous vous fournirions de lalcool de canne au prix de 7,60 F par litre dalcool pur, sur la base dune quantité annuelle minimum de 3 000 hectolitres dalcool pur. »
Le 4 février 1997, le gérant de la société Jean Chatel invite le directeur de la société Distillerie de Savanna à lui adresser une proposition de prix « sous un délai de quinze jours » et linforme quen labsence de proposition, il se tournera vers le groupe Quartier Français.
Le 20 mars 1997, la société Distillerie de Savanna adresse un projet de contrat à la société Jean Chatel, dans lequel il est proposé au fabricant de punchs et liqueurs la fourniture dalcool cru de canne au prix de 6,35 F/LAP.
Dans une lettre adressée, le 12 mai 1997, à la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de Saint-Denis-de-la Réunion, le directeur de la société Rivière du Mât déclare :
« Stratégie de notre société en matière de valorisation des mélasses./ - Si lon retient une utilisation moyenne de 4,8 kg de mélasse par litre AP, la production maximale possible est de 90 000 HLAP, ce qui est devenu possible depuis 1996 avec une capacité de production de 2 800 HLAP par semaine X 47 semaines, soit 131 600 HLAP en annuel.
« Nous sommes donc en phase de recherche active de nouveaux débouchés de produits à base de rhums et devons, pour la première fois, durant linter-campagne 1997, distiller 8 000 HLAP de flegmes pour notre plus gros client Ryssen, un des plus grands opérateurs européens ; celui-ci, si le premier contrat se révèle satisfaisant, sest engagé à prendre toute notre production dalcool de canne.
« 7. Proposition faite aux Etablissements Chatel de lui fabriquer de lalcool cru de canne sur la base de 7,60 F par litre AP. Nous connaissons le mécontentement des Ets Chatel sur les prix de vente dalcool cru de canne qui lui étaient proposés par Savanna. Dans le cadre de notre stratégie dutilisation de la totalité de la mélasse produite par la Sucrière de la Réunion (...), nous avons fait une proposition de contrat pluriannuel de vente dune quantité significative dalcool cru de canne qui nous semblait équilibrée (en répondant aux soucis de lacquéreur tout en nous préservant une marge raisonnable). »
Un protocole daccord est finalement signé, le 11 décembre 1997, entre la société Distillerie de Savanna et la société Jean Chatel, protocole aux termes duquel le prix de lalcool cru de canne est fixé à 6,35 F/LAP, départ usine, pour un volume minimum de 3 000 HLAP, alors que le prix facturé jusque-là sélevait à 12,16 F/LAP. Des remises sont consenties pour des volumes supérieurs. Le prix, ainsi fixé, sapplique rétroactivement à compter du 1er janvier 1997. En outre, une indemnisation dun montant de 950 000 F du groupe Chatel est prévue par le contrat (article 5) au sujet du préjudice causé du fait de labandon du projet de construction dune distillerie et dun chais de vieillissement du rhum devant permettre à ce groupe de « fabriquer, à partir de la mélasse, sa propre matière première ».
Le protocole précise enfin (article 3) que la validité de laccord est subordonnée au retrait de la plainte devant le Conseil de la concurrence et quen cas de poursuite de la part du Conseil de la concurrence, les éventuelles pénalités seront « déduites de lindemnité prévue à larticle 5 ».
Lenquête réalisée localement a permis détablir que la société Sucrière de la Réunion se livrait, au moment des faits, à des exportations de mélasse (25 796 tonnes en 1996 et 6 781 tonnes en 1997), et ce, à des prix inférieurs à ceux pratiqués sur le plan local (210 F en 1996 - 144 F en 1997 contre 480 F et plus pour les ventes effectuées auprès des industriels locaux).
3. Rappel des griefs notifiés
Les griefs retenus dans le rapport définitif ont été notifiés dans les termes suivants :
« Le premier grief notifié à la société Sucrière de la Réunion du chef dabus de position dominante pour sêtre opposé, par des manuvres dilatoires, à la vente de mélasse à la société Jean Chatel, est retenu à ce stade du débat contradictoire.
« Le second grief, notifié aux sociétés Groupe Bourbon, Groupe Quartier Français et Etablissements Isautier, du chef dabus de position dominante collective pour sêtre livré à la vente dalcool de canne à un prix artificiellement élevé à la société Jean Chatel, antérieurement à la fin de lannée 1996, puis en 1997 vis-à-vis dautres sociétés, est également retenu à ce stade du débat contradictoire.
« Le troisième grief, notifié aux sociétés Groupe Bourbon, Groupe Quartier français et Etablissements Isautier ainsi quau GIE Rhums Réunion, du chef dentente anticoncurrentielle pour la politique commerciale commune adoptée par ses membres et son caractère fermé nest plus retenu, à ce stade du débat contradictoire, quen raison du caractère fermé du GIE. Le GIE Rhums Réunion, auquel avait également été notifié le grief, est en revanche mis hors de cause, en raison du caractère transparent de cette organisation. »
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS
QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL,
Sur
la demande de retrait de saisine de la société Jean Chatel :
Considérant que, par lettre en date du 12 janvier 1998,
la société Jean Chatel a demandé le retrait de saisine ;
quil y a lieu de lui en donner acte ;
Considérant toutefois que, par une décision
du 5 février 1998, le Conseil de la concurrence a décidé
de sautosaisir de la situation de la concurrence dans le secteur de la
mélasse et du rhum à la Réunion ; que, par suite,
il y a lieu pour lui dexaminer les faits relatés ci-dessus ;
Sur
les marchés :
Considérant que les fabricants de boissons
alcoolisées de type punchs ou liqueurs installés à la Réunion
estiment nécessaire, compte tenu des préférences des consommateurs
locaux ainsi que de la nécessité dafficher, sur les autres
marchés, la provenance de leurs produits, dutiliser de lalcool
distillé à partir de mélasses issues de canne à
sucre cultivée dans le département de la Réunion ;
quainsi, bien que la mélasse de canne à sucre fasse lobjet
dun commerce international et que dautres produits intermédiaires
puissent être utilisés pour fabriquer des punchs ou des liqueurs,
il existe une demande spécifique dalcools issus de mélasse
réunionnaise adressée par les fabricants de punchs et liqueurs
installés à la Réunion aux distillateurs de ce département ;
que, de même, les distillateurs qui désirent fabriquer de lalcool
de canne réunionnais adressent aux sucreries une demande spécifique
de mélasse issue de canne cultivée à la Réunion ;
quil suit de là quil existe un marché de la mélasse
issue de canne à sucre cultivée à la Réunion
et un marché de lalcool fabriqué à partir de cette
mélasse ;
Considérant que si, avec 60 % de parts de
marché, il nest pas exclu que la société Sucrière
de la Réunion se soit trouvée en position dominante sur le
marché de la mélasse issue de cannes cultivées à
la Réunion, il nest pas nécessaire de trancher ce point
dès lors quen tout état de cause et, comme il sera ultérieurement
démontré, cette société ne sest pas livrée
à une pratique susceptible dêtre qualifiée dabus
de position dominante ; que, de la même façon, sil nest
pas exclu que les sociétés Quartier français, Groupe Bourbon
et Etablissements Isautier, compte tenu de leurs parts de marché et des
liens qui les unissent au travers du GIE Rhums Réunion, détiennent
une position dominante collective sur le marché de lalcool de canne
issue de mélasse de la Réunion, il nest pas nécessaire
de trancher ce point dès lors quen tout état de cause et,
ainsi quil sera démontré ultérieurement, les pratiques
qui leur sont imputables ne sont pas susceptibles dêtre qualifiées
dabus de position dominante collective ;
Sur
le grief de refus de vente de mélasse opposé à la société
Jean Chatel par la société Sucrière de la Réunion :
Considérant que le grief notifié à
la société Sucrière de la Réunion reposait
sur lanalyse que le refus opposé à la demande de mélasse
présentée par la société Jean Chatel était
destiné à empêcher cette dernière de créer
une nouvelle activité de distillation, concurrente des activités
mises en uvre par dautres sociétés du Groupe Quartier
français, auquel appartient la société Sucrière
de la Réunion ;
Mais considérant, en premier lieu, que la société
Jean Chatel a fait savoir, le 19 juin 1996, aux deux producteurs de
mélasse que, compte tenu des prix proposés par le GIE Rhums Réunion
pour lui fournir de lalcool cru de canne, elle envisageait de procéder
elle-même à la fabrication dalcool de canne à partir
de la mélasse et quelle sollicitait de leur part des offres commerciales ;
quen réponse, le 14 août 1996, la société
Sucrière de la Réunion sest déclarée
prête à « étudier lopportunité
dun partenariat industriel » avec la société
Jean Chatel et a indiqué que le prix pratiqué était de
500 F/tonne ; que cette société ajoutait que, compte
tenu de ses engagements, cela ne pourrait concerner que des « excédents
conjoncturels » ; quil résulte des termes employés
que cette société na pas opposé une fin de non recevoir
la demande de la société Jean Chatel mais a consenti au principe
de livraisons de mélasse qui ne pourraient toutefois obéir à
aucune régularité car conditionnées par lexistence
dexcédents ;
Considérant, en deuxième lieu, quil
est loisible à un groupe dont une filiale produit un bien intermédiaire
qui pour la plus grande partie alimente une autre filiale fabriquant un produit
fini, de réserver à cette seconde filiale la partie de sa production
amont qui lui est nécessaire ; que, de même, lorsque des contrats
dapprovisionnement de long terme ont été passés avec
des clients, il est licite pour un producteur même en position dominante
de refuser de répondre à une nouvelle demande qui excède
ses capacités de production restant disponibles ;
Considérant, en troisième lieu, que si
le prix de cession envisagé, soit 500 F/tonne, était supérieur
à celui que la société Sucrière de la Réunion
pouvait espérer obtenir à lexportation, il est constant
que les exportations effectuées par cette société étaient
variables et correspondaient à des excédents conjoncturels ;
quainsi, ces exportations se sont élevées à 25 796 tonnes
en 1996 mais à 6 781 tonnes seulement en 1997 et
7 440 tonnes en 1998 ; que la position, soutenue lors de
la séance par cette société, selon laquelle, en dehors
de ses débouchés habituels, elle ne disposait que de surplus en
quantité variable, susceptibles dêtre exportés mais
quelle aurait tout aussi bien pu vendre à la société
Jean Chatel, apparaît plausible ;
Considérant, enfin, que la préférence
marquée par le Groupe Quartier français en faveur dun approvisionnement
prioritaire de sa propre distillerie (Rivière du Mât) peut sexpliquer
par la circonstance quun nouveau débouché durable se manifestait
pour les alcools quelle produisait du fait des propositions de son plus
gros client extérieur, Ryssen ;
Considérant quil suit de là quil
nest pas établi que le refus dapprovisionner la société
Jean Chatel en mélasse, autrement que sur la base dexcédents
conjoncturels, soit constitutif dun abus de position dominante de la part
de la société Sucrière de la Réunion ;
Sur
le grief notifié aux sociétés Groupe Bourbon, Groupe Quartier
français et Etablissements Isautier pour avoir cédé lalcool
de canne à un prix artificiellement élevé :
Considérant que le prix facturé par le
GIE Rhums Réunion, pour le compte de la société Distillerie
de Savanna à la société Jean Chatel était de 12,16 F/LAP
en 1995 ; que ce prix assurait incontestablement au Groupe Bourbon, auquel
la société Distillerie de Savanna appartient, des marges très
élevées puisquen 1997 les deux partenaires se sont mis daccord
pour un prix de 6,35 F/LAP sans quil apparaisse que les coûts
de production aient significativement évolué au cours de la période ;
que, dailleurs, à lépoque des faits, au sein du groupe
Isautier, les cessions dalcools entre la distillerie et le liquoriste
seffectuaient sur une base de 6,50 F/LAP, ce qui donne un élément
de comparaison ;
Considérant que si les entreprises sont libres
de fixer leurs prix comme elle lentendent, un prix manifestement trop
élevé pratiqué par une entreprise en position dominante
peut constituer un abus dexploitation de ladite position ; que pour
quune telle pratique puisse être qualifiée dabus, il
faut, cependant, que le prix pratiqué, une fois son caractère
manifestement élevé établi, trouve sa cause dans la position
dominante ;
Considérant quen lespèce,
la société Jean Chatel, unique acheteur dalcool indépendant
de la Réunion, était, pour les distillateurs, un client professionnel
important et expérimenté ;
Considérant que le dossier ne comporte pas délément
démontrant que la société Jean Chatel ait entrepris avant
la fin de lannée 1995 dobtenir des prix plus bas pour
la fourniture dalcool cru de canne ; quà partir du 20 novembre 1995,
cette société a commencé à exercer des pressions
sur son fournisseur habituel, la société Distillerie de Savanna,
par lintermédiaire du GIE Rhums Réunion qui la représentait ;
que ces pressions ont abouti, le 6 mai 1996, à lobtention
dune remise quantitative de 6 % avec effet rétroactif au 1er janvier
1996 ; que, par la suite, la société Jean Chatel a fait jouer
la concurrence en envisageant dabord une stratégie fondée
sur lachat de mélasse et la mise en route dune activité
propre de distillation, puis en négociant avec la société
Distillerie de la Rivière du Mât, filiale du Groupe Quartier français ;
que cette société, concurrente de son fournisseur habituel, lui
a proposé, le 27 décembre 1996, un prix de 7,60 F/LAP,
très inférieur au prix pratiqué par la société
Distillerie de Savanna ; que cette dernière, en réaction
à loffre faite par la société Distillerie de la Rivière
du Mât a, le 20 mars 1997, proposé un prix de 6,35 F/LAP ;
que si, avant cette dernière proposition, la société Jean
Chatel avait laissé entendre quelle pourrait saisir les autorités
de concurrence, cette saisine nétait pas encore intervenue à
la date du 20 mars 1997 ; que le fait de recourir à de
telles menaces, dans le cadre dune négociation commerciale difficile,
ne suffit pas à démontrer que lacheteur est victime dune
pratique anticoncurrentielle ;
Considérant quil résulte de ce qui
précède que la société Jean Chatel est parvenue
à faire baisser les prix à partir du moment où elle a mis
en uvre une stratégie adéquate ; que la lenteur du
processus peut sexpliquer par la forte position du fournisseur habituel
de cette société et par lancienneté de leurs relations
commerciales ; que, dans ces conditions, il nest pas établi
que le prix initial de lalcool vendu à la société
Jean Chatel par la société Distillerie de Savanna résultait
uniquement de léventuelle position dominante détenue collectivement
par cette dernière avec le Groupe Quartier français et les Etablissements
Isautier sur le marché de lalcool de canne à la Réunion ;
quau surplus, lexistence même dune position dominante
collective détenue par les membres du GIE Rhum Réunion, leur permettant
de résister aux pressions dun client important, paraît douteuse
eu égard à la relative facilité avec laquelle un prix beaucoup
plus bas a été obtenu auprès dun distillateur concurrent
de la société Distillerie de Savanna ;
Considérant quil suit de là que
la réalité du deuxième grief nest pas établie ;
Sur
le grief relatif au caractère « fermé »
du GIE Rhums Réunion :
Considérant que les statuts du GIE Rhums Réunion,
tels quils étaient en vigueur au moment des faits, stipulaient
à larticle 9 qu« un membre du groupement
ne peut céder ses parts quà un autre membre du syndicat
des Producteurs de Rhums » ;
Considérant quil est loisible à
des entreprises de constituer entre elles des groupements et, le cas échéant,
den limiter laccès à leur gré, sous réserve
de ne pas porter atteinte au fonctionnement de la libre concurrence ; que
la « fermeture » dun groupement, cest-à-dire
le fait den réserver ladhésion à ses fondateurs
ou à des entreprises acceptées par eux, nest susceptible
dentraver le libre jeu de la concurrence que si la participation au groupement
est la condition de laccès au marché ;
Considérant quen lespèce,
le GIE Rhums Réunion a pour objet la fabrication et la commercialisation
de rhums, et notamment du rhum réunionnais vendu sous la marque « Charette » ;
quen dépit de la forte position quoccupe cette marque de
rhum sur le marché local, aucun élément du dossier ne permet
de penser que le lancement par un distillateur de sa propre marque se heurterait
à des obstacles de nature à vouer par avance un tel projet à
léchec ; que les dépenses, de publicité notamment,
quimpliquerait une telle opération ne semblent pas devoir dépasser
les frais que supporte tout nouvel entrant sur un marché où les
marques jouent un rôle important, étant, dailleurs, observé
à cet égard, que, selon les précisions fournies lors de
la séance, lapparition de la marque « Charette »
ne remonte pas à plus de seize ans ; que, dans ces conditions, la
participation au GIE Rhums Réunion nest pas une condition de laccès
à un éventuel marché du rhum de la Réunion
ni, a fortiori, à dautres marchés de boissons
alcoolisées ; que le troisième grief nest pas fondé ;
Considérant quaucune des pratiques reprochées
aux sociétés Sucrière de la Réunion, Groupe
Bourbon, Groupe Quartier français et Etablissements Isautier et au GIE
Rhums Réunion nétant établie, il y a lieu de faire
application des dispositions de larticle L. 464-6 du code de commerce,
Décide :
Art. 1er. - Il
est donné acte du désistement de la société Jean
Chatel.
Art. 2. - Il ny
a pas lieu de poursuivre la procédure à lencontre des sociétés
Sucrière de la Réunion, Groupe Bourbon, Groupe Quartier Français
et Etablissements Isautier ni à lencontre du GIE Rhums Réunion.
Délibéré sur le rapport de M. Bourhis,
par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente
et M. Charrière-Bournazel, membre.
La secrétaire de séance,
Françoise Hazaël-Massieux |
La présidente,
Marie-Dominique Hagelsteen |
NOTE (S) :
(1) « Lorganisation commune du marché du sucre (OCM Sucre), quelques pistes de réflexion pour la prochaine OCM », assemblée plénière du 16 novembre1999.
(2) Document établi en janvier 2000 et versé au dossier par le GIE Rhums Réunion en annexe à ses observations.
©
Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 23
janvier 2002
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