Sommaire N° 14 du 24 septembre  2001

Décision no 2001-D-46 du Conseil de la concurrence en date du 23 juillet 2001 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom à l’occasion d’une offre sur mesure conclue en 1999

NOR :  ECOC0100310S

    Le Conseil de la concurrence (section I),
    Vu la lettre enregistrée le 7 février 2000 sous le numéro F 1207, par laquelle l’Autorité de régulation des télécommunications a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques commerciales mises en œuvre par la société France Télécom à l’occasion d’une offre sur mesure conclue avec la société Renault en 1999 ;
    Vu le livre IV du code de commerce et le décret no 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour l’application de l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence ;
    Vu l’article L. 36-10 du code des postes et télécommunications ;
    Vu les observations présentées par la société France Télécom, l’Autorité de régulation des télécommunications, ainsi que par le commissaire du Gouvernement ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, les représentants de France Télécom, de l’Autorité de régulation des télécommunications, ainsi que le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 22 mai 2001 ;
    Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I.  -  CONSTATATIONS

1.  La demande de services téléphoniques émanant des grandes entreprises (« grands comptes ») et l’offre correspondante en 1999
    Le délégué général du Club informatique des grandes entreprises françaises (CIGREF), qui réunit 95 grands groupes industriels qui « comptent parmi les 100 premiers en France en termes de chiffre d’affaires », a déclaré, lors de son audition par le rapporteur, le 26 juin 2000 : « Nous considérons qu’il existe une demande spécifique de la part des entreprises « grands comptes » dans plusieurs secteurs d’activité dont les télécommunications. Cette spécificité porte, par exemple, sur des questions de sécurisation du réseau et sur une facturation adaptée aux besoins des grandes entreprises, lesquelles disposent généralement d’un responsable télécoms, ainsi que d’économies d’échelle et de remises au volume. Nous estimons que les « groupes d’entreprises », au sens large du terme, doivent pouvoir bénéficier de prix reflétant les coûts supportés par les opérateurs. Nous avons dû discuter avec France Télécom pour un élargissement de cette notion. Nous observons par ailleurs un raccourcissement de la durée d’engagement contractuelle, qui se situe fréquemment à un an, la tendance étant pour les grands comptes de prévoir une disposition leur permettant de sortir à tout moment du contrat. Généralement les grands comptes qui ont recours à des appels d’offres prévoient un lot communications internationales. Pour le reste, la pratique est variable dans la mesure où les standards téléphoniques ne permettent pas toujours de distinguer les communications locales, des communications de voisinage et/ou interurbaines. Le chiffre d’affaires total télécoms cumulé des grands comptes s’élève à environ 20 milliards de francs y compris communications internationales (tous services confondus hors achat d’équipement et hors frais de main d’œuvre). La moitié de ce chiffre concerne la transmission de données. La facture des opérateurs télécoms s’élève en moyenne à environ 200 - 250 millions de francs par grands comptes. La partie « voix » de cette facture s’élève aux alentours de 100 millions de francs ».
    Selon une autre source (Telnet Investment citée dans La Lettre des télécommunications no 52 du 20 mars 2000), les télécommunications professionnelles représenteraient, sur le plan national, plus de 58 milliards de francs au total, dont environ 44 milliards pour le « local » (abonnements, liaisons louées et communications) et 14 milliards pour le « longue distance et l’international ».
    Parmi les opérateurs spécialisés dans l’offre de services de télécommunication aux grandes entreprises, le CIGREF cite (« Observatoire des télécoms », septembre 1999), outre France Télécom, Cegetel, Colt, Equant, Siris et MCI Worldcom, tous ces opérateurs disposant d’un réseau de fibres optiques longue distance et, marginalement pour certains, d’une ou plusieurs boucles locales.
    A l’époque des faits (1999), en l’absence de dégroupage ou de technologie substituable, les opérateurs concurrents n’étaient présents que sur quelques boucles locales installées sur des sites à forte densité commerciale ou industrielle, alors que France Télécom exploite environ 350 boucles locales.
    Par ailleurs, France Télécom et Cegetel étaient les seuls opérateurs de téléphonie à pouvoir offrir, grâce à leur réseaux mobiles respectifs, France Télécom Mobiles et SFR, à la fois des services de téléphonie fixe et de téléphonie mobile aux grands comptes, France Télécom étant l’opérateur disposant du réseau fixe offrant, de très loin, la meilleure capillarité. Les autres opérateurs ne pouvaient présenter des offres qu’en partenariat avec d’autres opérateurs.
    Le chiffre d’affaires total réalisé par France Télécom s’est élevé en 1998 à 161,6 milliards de francs dont 146,7 milliards en France. Les facturations aux entreprises ont atteint 40 milliards de francs. Le réseau de l’opérateur historique se compose notamment de 22 000 km de fibre optique et de 148 200 km de câbles de cuivre. Le chiffre d’affaires des services de télécommunications réalisé par France Télécom avec les « grands comptes » s’est élevé à 7,8 milliards de francs en 1998 et à 8,2 milliards de francs en 1999. S’agissant de la partie « voix », le chiffre d’affaires s’est élevé respectivement pour ces deux exercices à 4,99 milliards de francs et 4,92 milliards de francs.
    En l’absence de données publiques précises au sujet des « grands comptes », ces chiffres sont à comparer avec les chiffres d’affaires réalisés en France avec les entreprises en général par des opérateurs concurrents (source : CIGREF) : Siris : 750 MF (1999), Colt : 470 MF (1999), Cegetel Entreprises : 720 MF (1998), et Equant : 44 M$ (1998), soit environ 300 MF.
    France Télécom a admis avoir proposé, en 1999, à la société Renault une offre « qu’elle était probablement seule à pouvoir faire sur l’ensemble du territoire ». L’Observatoire des télécoms du CIGREF recensait de son côté, comme « handicap » des nouveaux entrants, en 1999, le « manque de réseaux capillaires » (Equant), la « faible couverture du territoire et une offre voix incomplète » (Colt), la « faible couverture du territoire » (MCI Worldcom), la « voix » et la « couverture du territoire » (Siris).
    France Télécom comptait, parmi ses clients répertoriés comme « grands comptes » en 1998-1999, la majorité des grandes entreprises françaises, lesquelles étaient d’ailleurs le plus souvent membres du CIGREF. Les principaux ministères (économie, intérieur, défense, affaires sociales) faisaient également partie des clients « grands comptes » de France Télécom.

2.  Le contexte réglementaire en vigueur en 1999

    Le cahier des charges de France Télécom prévoit l’homologation des tarifs du service universel et des services hors concurrence et définit également le concept « d’offre sur mesure », qui déroge à ces procédures d’homologation.
    L’article 3 de ce document approuvé par le décret no 96-1225 du 27 décembre 1996 précise que les tarifs de France Télécom relatifs au service universel sont fixés de manière à respecter les principes de transparence et d’orientation vers les coûts au sens de la directive no 95/62 du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne du 13 décembre 1995. L’article 17, relatif aux tarifs, mentionne : « France Télécom établit un catalogue des prix pour le service universel et les services obligatoires. Ce catalogue est consultable librement dans les agences commerciales de France Télécom et les points de contact avec les clients, et est accessible à un tarif raisonnable par un moyen électronique ». Le 2 de l’article 17 fixe les « modalités d’évolution des tarifs du service universel et des services pour lesquels il n’existe pas de concurrents sur le marché ». Le 3 de l’article 17 précise que « France Télécom fixe librement les tarifs des autres services. Elle les communique pour information aux ministres chargés des télécommunications et de l’économie, ainsi qu’à l’Autorité de régulation des télécommunications huit jours avant leur publication ».
    Dans son avis no 98-A-24 du 16 décembre 1998 relatif à une demande d’avis de l’Autorité de régulation des télécommunications concernant les conditions des offres sur mesure de France Télécom, le Conseil de la concurrence avait estimé que « Le traitement similaire, du point de vue tarifaire, dans le cahier des charges de France Télécom, des activités relevant du service universel et des services pour lesquels il n’existe pas de concurrents sur le marché estompe la limite, souvent difficile à établir par ailleurs, entre ces deux types de services. La question de savoir si les contrats de téléphonie destinés aux entreprises, présentant des remises liées au volume de trafic ou proposant des services particuliers, relèvent du service universel n’est pas clairement tranchée. Dans la négative, l’homologation des tarifs correspondants relèverait plutôt de l’absence de concurrence effective sur le marché concerné ».
    L’article 14 du cahier des charges de France Télécom indique : « Lorsque France Télécom propose directement ou indirectement une prestation globale, incluant du service universel du téléphone, elle doit séparer, lors de l’offre ou de toute étude ou devis préalable, ainsi que dans le contrat et la facturation, ce qui relève d’une part du service universel et, d’autre part, des autres services. (...) France Télécom ne peut déroger aux conditions générales techniques et tarifaires qu’elle a préalablement publiées que lorsque la spécificité technique ou commerciale de la demande le justifie. France Télécom peut alors proposer une offre sur mesure dans le respect du principe de non-discrimination. Elle informe l’Autorité de régulation des télécommunications préalablement à la signature du contrat des conditions techniques et financières de cette offre. L’Autorité de régulation des télécommunications peut notamment demander, lorsque cela est nécessaire pour garantir le principe de non discrimination, la publication des caractéristiques de l’offre, dans le respect du secret des affaires ».
    L’Autorité de régulation des télécommunications estime que, dès lors que la demande prend la forme d’un appel d’offres, « il y a lieu de retenir le caractère spécifique de la demande au sens de l’article 14 du cahier des charges ».
    Le projet d’offre sur mesures (OSM) Renault dont est saisi le Conseil de la concurrence avait été transmis à l’ART, le 10 août 1999, par France Télécom ; l’Autorité n’avait pas exigé sa publication.

3.  Les relations entre activités fixes
et activités mobiles de France Télécom

    Au moment des faits, l’activité mobile de France Télécom était exercée dans l’entreprise par une division dénommée « France Télécom Mobiles », qui a été transformée en filiale en août 2000. Par ailleurs, en application de l’arrêté du 17 novembre 1998, les données comptables relatives au réseau GSM de France Télécom doivent faire l’objet d’un traitement individualisé de manière à permettre de vérifier que « les éventuels transferts de charges et de ressources entre les différentes activités ne portent pas atteinte aux conditions de concurrence ».
    Une convention régissant les relations entre France Télécom (pour son réseau fixe) et France Télécom Mobiles a été signée en 1991 (« document cadre »). L’avenant no 10 à cette convention, applicable au moment des faits, a prévu que le tarif de terminaison d’appels sur le réseau de France Télécom Mobiles, depuis le réseau fixe de France Télécom, s’élevait à 1,57 F la première minute indivisible, en heures pleines et en heures creuses, puis, pour les minutes suivantes facturées à la seconde, 1,57 F en heures pleines, et 0,78 F en heures creuses.
    Les relations de France Télécom avec les « grands comptes » étaient entretenues par la division « grands comptes » de la branche « Entreprises » de l’opérateur pour l’ensemble des communications (fixes vers fixes, fixes vers mobiles).

4.  La consultation organisée par la société Renault en 1999

    La société Renault avait, en 1998, contracté avec France Télécom, d’une part, qui assurait la téléphonie locale et 80 % du trafic interurbain, et Cegetel, d’autre part, qui fournissait 20 % du trafic interurbain, le trafic international et les communications fixes vers mobiles. En 1999, elle a souhaité faire jouer la concurrence afin de réduire ses dépenses de télécommunications, tant pour les communications vocales que pour les émissions de télécopies jusqu’à 14 400 b/s, les communications numériques et les communications modem.
    A cette fin, la société Renault a rédigé un cahier des charges intitulé « consultation pour la réduction des coûts des communications téléphoniques internationales, fixes vers mobiles, et nationales des établissements du groupe RENAULT ».
    Renault estimait dans ce document son volume annuel de communications internationales à 95 000 heures et celui de communications fixes vers mobiles à 60 000 heures, dont 55 % vers le réseau Itinéris, 30 % vers le réseau SFR et 15 % vers le réseau Bouygues Telecom. Pour les communications nationales, le volume, estimé à environ 2 500 000 heures par an, se répartissait en 50 % de communications locales, 25 % de communications de voisinage et 25 % de communications interurbaines.
    Le planning de la consultation arrêté par la société Renault était le suivant : le 15 avril 1999 : envoi du cahier des charges à plusieurs opérateurs ; 10 mai 1999 : réception des offres ; 11 mai au 28 mai 1999 : analyse technique et économique des offres, sélection d’une « short-list » ; 31 mai au 18 juin 1999 : mise à jour des offres en « short-list » ; 21 juin au 25 juin  : synthèse finale des offres par RENAULT, décision, choix du ou des opérateurs : 28 juin au 30 juillet 1999 : déploiement du réseau.
    Le cahier des charges donnait la possibilité aux opérateurs, soit de proposer une réponse globale pour l’ensemble des trafics, soit de limiter leur réponse à certains périmètres : national, ou/et fixes vers mobiles, ou/et international avec une sélection éventuelle pays par pays. L’opérateur devait en outre préciser le délai de mise en œuvre de la solution et son coût, les zones de tarification retenues devant respecter le plan de numérotation national. La durée du contrat était limitée à une année à compter du 1er août 1999, avec possibilité de reconduction d’un an.
    La société Renault demandait aux opérateurs de présenter une offre tarifaire « sans palier indivisible », l’opérateur devant préciser le « mode de calcul du coût des communications » (facturation à l’impulsion, à la durée....). Il devait, en outre, préciser le coût de la solution proposée en distinguant les charges initiales (coût de mise en service, coût de gestion du projet...) et les charges d’exploitation mensuelles (abonnements, location d’équipements, de maintenance, de supervision et coûts liés au volume des communications).
    Le cahier des charges prévoyait que les communications internationales et celles vers les mobiles, reroutées sur un centre de transit privé, pourraient être partagées entre plusieurs opérateurs selon les offres présentées, en fonction des directions de trafic. Pour ce qui concerne les communications nationales, il était précisé : « un seul opérateur sera retenu par établissement ». Ainsi, un opérateur de boucle locale desservant un établissement du groupe aurait pu se voir attribuer une part, même modeste, du trafic.
    Les responsables de la société Renault, entendus le 17 mars 2000, ont déclaré ce qui suit : « Pour satisfaire ses besoins en matière de télécommunications, la société Renault procède chaque année à une consultation des fournisseurs potentiels. En avril 1999, une consultation d’environ 7 ou 8 opérateurs a été organisée (.........) le national ayant été attribué à France Télécom et l’international à France Télécom, MCI Worldcom et TELEGLOBE (.......). Les critères de choix qui ont prévalu sont le prix et la faculté de mise en œuvre, étant précisé que ce qui importe pour la société Renault c’est avant tout le coût de la prestation globale qui intègre les coûts de mise en œuvre, les frais de migration.... ».
    Le tableau ci-après reprend le montant total estimé des offres de chaque opérateur et des combinaisons de certaines offres, d’une part, sans prise en compte des coûts de déploiement (dont modification des autocommutateurs en cas de changement d’opérateur), d’autre part, avec prise en compte de ces coûts, tels qu’estimés par la société Renault.    

OPÉRATEUR CEGETEL
contact
FRANCE
Télécom
WORLDCOM
RTC
WORLDCOM
direct
+ Worldcom RTC
WORLDCOM
direct,
Cegetel contact
9 TELECOM
Sans déploiement 44 514 894 45 255 432 42 101 367 38 547 307 40 099 732 41 352 436
Coût estimé du déploiement 5 109 461   5 511 716 6 104 059 5 845 322 5 636 538
Avec déploiement 49 624 355   47 613 083 44 651 367 45 945 054 46 988 974

5.  L’offre sur mesure de France Télécom
à la société Renault en 1999

    France Télécom a adressé une première offre, le 10 mai 1999, laquelle a été suivie d’autres propositions, à la suite des négociations entamées par l’acheteur avec plusieurs opérateurs, parmi lesquels figuraient, notamment, les sociétés MCI Worldcom et Cegetel.

a)  L’offre de France Télécom du 10 mai 1999 (offre initiale)

    Dans sa réponse datée du 10 mai 1999, la société France Télécom rappelle que la société Renault utilise un réseau privé voix/données dénommé « REUNIR » desservant les sites de la région parisienne et les principales usines, deux centres de transit assurant les fonctions de routage et de concentration du trafic.
    France Télécom indiquait, au sujet de son offre sur mesures initiale, que « c’est l’offre catalogue Atout RPV Tarifs qui a servi de référence à son établissement » et l’offre fixe vers mobile « Atout PV Itinéris » qui a été retenue dans le contrat signé avec la société Renault. La solution proposée, qui reposait sur l’utilisation du réseau téléphonique général de France Télécom devait, selon l’opérateur, permettre au groupe Renault de « bénéficier de tarifs préférentiels sur les appels nationaux entre deux sites Renault intégrés dans le contrat, tarifs applicables sans aucune modification du format de numérotation ». Cette première offre comprenait des charges initiales (frais d’accès au service de 1 260 000 F), des charges d’exploitation (abonnement) et un prix au volume de communications variable selon les zones.

b)  Les propositions suivantes de la société France Télécom
pour le trafic fixe vers fixe

    Ainsi que l’attestent les pièces versées au dossier, d’autres propositions ont été adressées à la société Renault par France Télécom, à la suite de l’offre du 10 mai. Le tableau suivant fait ressortir l’évolution dans le temps de l’offre de France Télécom (en FF HT) pour ce qui concerne le tarif « standard » des appels externes (par minute au-delà du crédit-temps) :   

  CONTRAT 1998 OFFRE
du 10 mai 1999
OFFRE
du 1er juin 1999
OFFRE
du 4 juin 1999
CONTRAT 1999
Local
0,215
0,19
0,19
0,19
0,19
V 1
0,289
0,22
0,26
0,24
0,24
V 2
0,433
0,34
0,39
0,34
0,34
V 3
0,686
0,51
0,48
0,46
0,46
V 4 + LD
0,650
0,61
0,48
0,46
0,46
Fixes vers Itinéris
1,48
1,48
1,48
1,48, 1,30 ou 1,15
Par centre de transit
1,30
1,30
Frais d’accès au service
1 260 000
Gratuits
Gratuits
Gratuit
Charges d’exploitation (abonnement)
1 000/mois
Gratuit
Gratuit
Gratuit

    A la différence de l’offre catalogue « Atout RPV Tarifs » ayant servi de base à la première offre de la société France Télécom, aucun frais d’accès n’est prévu au contrat finalement signé en 1999.
    L’offre sur mesures proposée (deuxième version non datée de la présentation à Renault, mais postérieure au 1er juin) donne l’estimation suivante de l’« impact financier » de la tarification proposée par rapport au tarif France Télécom « entreprises » :
    –  prise en compte des trafics sur raccordements hors PABX (lignes isolées sur les sites échappant donc à la concurrence) - estimé à 15 % du CA global : 3,3 MF,
    –  prise en compte du trafic local et voisinage intradépartemental (estimé à 80 % du trafic intradépartemental) : 3,1 MF,
    –  prise en compte du trafic fax, data, Numéris de bout en bout, visioconférence - estimé à 10 % du CA global : 1,1 MF ;
    –  prise en compte du trafic fixe vers mobile hors centre de transit (estimé à 45 650 heures/an) : 2,7 MF.
    Selon France Télécom, l’avantage consenti, qui s’élevait au total à 13,5 MF, se justifie par l’économie réalisée « en termes de négociation commerciale ». Le chiffre d’affaires estimé, avant prise en compte des remises accordées dans l’offre sur mesure, s’élevant à 61 MF, la remise offerte représentait donc, selon la propre estimation de France Télécom, 22,5 % du CA.

c)  La négociation entre la société France Télécom
et la société Renault

    Postérieurement à l’offre du 10 mai 1999, la société Renault a indiqué qu’elle souhaitait que lui soient présentées des offres à prix unique par palier tarifaire, quel que soit le site (« grand » ou « petit ») et sans frais d’accès ni abonnement. Des négociations se sont alors engagées sur cette base avec différents opérateurs. Lors de la présentation de la nouvelle offre, le 1er juin 1999, France Télécom faisait notamment valoir les « atouts » suivants de son offre : la « simplicité de l’offre » basée sur l’accessibilité à tous les sites Renault « indépendamment de leur localisation », l’absence d’investissements au niveau des PABX et l’utilisation des raccordements existants, la « qualité du réseau » France Télécom, la « couverture » de l’offre prenant en compte l’« ensemble des trafics » pour tous usages et l’« évolutivité » des tarifs France Télécom durant la période contractuelle.
    Le document commercial intitulé « complément à la présentation du 1er juin » de France Télécom mentionnait l’absence de frais d’accès et d’abonnement, un « tarif unique par type d’appel » (local, voisinage 1, voisinage 2, voisinage  3, interurbain, international par zone) pour « tous les sites du groupe Renault », une tarification internationale spécifique pour le centre de transit Renault, des réductions heures creuses (- 50 %), une tarification à la seconde au-delà d’un crédit-temps, conditions subordonnées à la réalisation minimum de chiffre d’affaires sur l’« ensemble du périmètre », alors estimé à 60 millions de francs. D’autres documents de présentation, postérieurs à celui du 1er juin, faisaient ressortir, dans la rubrique « périmètre de l’offre - 2 - », les avantages de l’offre France Télécom. Parmi ces avantages figuraient notamment la « prise en compte du trafic local et voisinage intradépartemental », ainsi que celle du trafic « fixe vers Itinéris », hors centre de transit, à prix avantageux. L’« impact financier » de cette dernière prestation, qui portait sur 80 % du trafic intradépartemental, a été estimé par France Télécom à environ 3 millions de francs.
    Dans la dernière présentation de l’offre à la société Renault, à la fin du mois de juin 1999, France Télécom revenait sur les « principes » du projet d’offre sur mesure, en rappelant les estimations de trafic local (1 250 000 heures), de voisinage (625 000 heures), interurbain (625 000 heures), international (plus de 95 000 heures) et fixe vers Itinéris (46 650 heures).
    Le 28 juin 1999, France Télécom adresse à la société Renault une télécopie dans laquelle elle précise : « Pour maintenir l’économie de notre offre, nous demandons que Renault prenne les engagements suivants : un volume annuel de trafic local, de voisinage, interurbain et international de 61,5 MF par an (valorisé au tarif entreprises) sur l’ensemble des sites du groupe Renault intégrés dans le contrat, dont 1,5 MF par an de trafic international au départ des deux centres de transit du réseau privé Renault ; un volume de trafic fixe vers Itinéris de 4,2 MF par an (valorisé au tarif public) sur l’ensemble des sites du groupe Renault intégrés dans le contrat, dont 1,2 MF issus des deux centres de transit du réseau privé Renault. Ces engagements évolueront avec les tarifs de référence : tarif entreprises pour le trafic fixe et tarif public pour le trafic fixe vers mobiles ».
    L’engagement de volume annuel de trafic est ensuite, au cours des négociations, ramené successivement à 60 puis 56 MF. Le 30 juin 1999, France Télécom adresse à Renault une télécopie qui confirme : « Pour maintenir l’économie de notre offre, nous demandons que Renault prenne les engagements suivants : un volume annuel de trafic local, de voisinage, interurbain et international de 56 MF par an (valorisé au tarif entreprises) sur l’ensemble des sites du groupe Renault intégrés dans le contrat. Remarque : Tout volume de trafic international que vous voudrez bien nous confier au départ de vos centres de transit sera pris en compte dans le niveau de consommation atteint par Renault ; un volume de trafic fixe vers Itinéris de 4,2 MF par an (valorisé au tarif public) sur l’ensemble des sites du groupe Renault intégrés dans le contrat, dont 1,2 MF issus des deux centres de transit du réseau privé Renault. Ces engagements évolueront avec les tarifs de référence : tarif entreprises pour le trafic fixe et tarif public pour le trafic fixe vers mobiles ».
    Un compte rendu de réunion interne à France Télécom daté du 2 août 1999 mentionnait (réunion du même jour) : « pour l’ART, à compter du 01/09/99 les futures options tarifaires multisites entreprises peuvent descendre jusqu’à moins 30 % du tarif entreprises. Au 01/09 prochain cela conduit à une minute Interurbain de 0,455 F. Dans l’OSM Renault cette minute est à 0,46 F. C’est bon. Le problème est que FT s’est engagé à faire bénéficier Renault des prochaines offres tarifaires ce qui donnerait au 01/09 prochain une minute interurbain à environ 0,41 F. Ce qui est très risqué ».
    Par un message électronique daté du 30 juillet 1999, le directeur juridique de la branche Entreprises de France Télécom exposait dans une note interne « le Conseil de la concurrence a eu l’occasion de s’exprimer récemment sur ce sujet en décembre 1998, le Conseil de la concurrence a explicitement énoncé le fait qu’une OSM ne doit pas comporter de couplage entre des segments en concurrence et en monopole de fait, en l’occurrence entre téléphonie longue distance et téléphonie locale. Par conséquent le fait d’accorder des tarifs préférentiels en contrepartie d’un engagement de trafic global, présente des risques lors de sa notification à l’ART ».
    Lors de leur audition du 17 juillet 2000, les responsables de France Télécom ont déclaré que l’offre sur mesures (OSM) proposée à la société Renault en 1999 « n’a pas donné lieu à l’établissement d’un compte d’exploitation spécifique dans la mesure où l’offre Renault du mois de juin 1999 correspondait à l’ingénierie tarifaire de l’offre catalogue TRE V2.0 soumise à homologation de l’ART et du ministre ».
    Le 4 août 1999, France Télécom revenait sur l’accord donné à la société Renault en ce qui concerne la globalisation du trafic, dans les termes suivants : (......) « Nous devons maintenir le partage de l’engagement de trafic (local pour 16 MF et voisinage interurbain et international pour 40 MF) conformément aux exigences du Conseil de la concurrence. Cette répartition est conforme au trafic constaté en accord avec les responsables de la DOII ». Le partage de l’engagement de trafic sera finalement maintenu dans le contrat relatif aux communications fixes vers fixes, lequel, bien que daté du 30 novembre 1999, est entré en application le 1er août 1999. Le 6 août 1999, la société Renault indiquait toutefois à France Télécom : « (......) J’ai par ailleurs noté votre accord sur le fait que l’engagement de Renault (article 8) serait jugé sur la globalité du trafic (local, national, voisinage, interurbain et international) ».

6.  Les tarifs des communications fixes vers mobiles

    Lors de la présentation de la dernière offre le 26 juin 1999, les tarifs suivants sont proposés par France Télécom à la société Renault, en ce qui concerne les tarifs des communications fixes vers mobiles Itinéris :
    « . Coût à la minute en FHT fixe vers Itinéris (*) :
    –  Centre de transit « Off Net » 1,30 F HT ;
    –  Centre de transit « On Net » 1,15 F HT vers la flotte Itinéris Renault (sous simple déclaration à F.T. des numéros de mobiles Itinéris) ;
    –  pour l’ensemble des sites du groupe Renault ;
    –  autres sites 1,48 F HT.... soit : - 40 % par rapport au tarif payé actuellement.
    Offre conditionnée à un minimum de 700 KF par bimestre de trafic vers GSM sur l’ensemble du périmètre ».
    France Télécom soutient qu’il ne s’agit pas d’une offre sur mesure, puisque ces tarifs sont ceux de l’offre catalogue « Atout RPV Itinéris ».
    Le message électronique adressé le 30 juillet 1999 par M. Blomet, directeur juridique de la branche entreprise, à Mme Varenne, chef du département des affaires tarifaires, au sujet de la convention fixe vers Itinéris, soulignait les faits suivants : « Nous avons fait une offre ferme qui a visiblement été acceptée par le client avant la décision d’arrêter la commercialisation de ces offres (pour les problèmes concurrentiels qu’elles posent) et il semble donc que côté marketing et Division client, la décision est prise de signer un contrat correspondant avec Renault ». La société Renault avait déclaré, le 28 mars 2000 : « Concernant les appels fixes vers mobiles, les conditions tarifaires stipulées sont les suivantes : 1,30 Franc la minute pour les appels vers des téléphones mobiles Itinéris ; 1,23 Franc la minute pour les appels vers des téléphones mobiles SFR ».
    Le contrat relatif aux communications fixes vers mobiles, signé entre la société France Télécom, par l’intermédiaire de la division « grands comptes » de sa branche « entreprises », et la société Renault, le 27 août 1999, indiquait que le tarif par minute était de 1,48 F HT. Ce prix avait vocation à s’appliquer à l’ensemble des sites mentionnés en annexe au contrat.
    Une option « grand site » a, par ailleurs, été souscrite (article 6.2.) par la société Renault, moyennant le paiement de frais d’accès de 5000 F HT par site pour les deux centres de transit situés, l’un à Boulogne-Billancourt, l’autre à Voisins-le-Bretonneux. Lorsque la consommation de ces sites était supérieure à 40 000 F HT sur le bimestre, une réduction de 12 % était appliquée sur le prix de base. Le prix applicable s’élevait donc, dans ce cas, à 1,48 F × 0,88 = 1,30 F HT/minute.
    Une option « flotte Itinéris » a enfin été souscrite par la société Renault (article 6.3.), moyennant des « frais d’initialisation » de 5 000 F HT pour l’ensemble de la flotte, pour les appels destinés aux mobiles Itinéris identifiés dans le contrat. Les appels fixes vers mobiles transitant par les deux centres de transit susmentionnés bénéficiaient donc d’une remise « complémentaire » de 12 %, soit un prix de 1,15 F HT/minute.
    L’option « grands sites » s’est appliquée à une part importante du trafic fixe vers mobiles, dans la mesure où le cahier des charges établi par Renault prévoyait que les appels fixes vers mobiles de son réseau privé seraient reroutés à partir des différents établissements raccordés sur le réseau privé de l’entreprise, vers les centres de transit de Boulogne-Billancourt et Voisins-le-Bretonneux. De plus, contrairement à ce qui était prévu au contrat, aucun numéro de mobile n’a été mentionné en annexe à ladite convention et la part de trafic susceptible de bénéficier du tarif de 1,15 F n’était donc pas strictement délimitée.
    De fait, concernant la répartition du volume des communications fixes vers mobiles entre les trois tarifs (1,48 F, 1,30 F et 1,15 F), France Télécom a déclaré le 27 décembre 2000 : « Ce tarif de 1,15 F HT par minute n’a été appliqué dans les faits que sur 10 à 18 % du trafic fixe vers Itinéris environ (...). On peut effectivement affirmer qu’à l’époque 75 % du trafic fixes vers mobiles était dirigé vers les centres de transit et que 55 % de ce trafic était dirigé vers des mobiles Itinéris mais vers n’importe quel mobile Itinéris et pas seulement vers ceux déclarés au titre de la flotte Itinéris de Renault ». La part du trafic fixe vers mobiles Itinéris facturée à 1,30 F ou 1,15 F peut donc être estimée à environ 75 %.
    France Télécom a également déclaré que, sur les 1,57 F HT par minute (cf. note 1) du prix de la terminaison d’appel en heure pleine fixée par France Télécom Mobiles, 4 centimes étaient conservés par France Télécom (fixe) pour permettre la distribution des options tarifaires fixes vers mobiles. Le prix effectivement versé par France Télécom fixe à France Télécom Mobiles pour la terminaison des appels fixes vers mobiles s’élevait donc à 1,53 F HT.
    Par ailleurs, France Télécom a fourni des documents intitulés « consolidation des factures du bimestre (en francs H.T.) » qui font apparaître les réductions au volume accordées à la société Renault pour le bimestre juillet-août 2000. Le volume total des réductions (613 645,46 F HT), rapportées au montant total de la facturation fixe vers mobiles Itinéris (1 771 892,74 F HT), permet de chiffrer la remise moyenne au volume à 34,6 %. Pour septembre-octobre 2000, le même calcul, avec 850 085,75 F HT de réductions et 2 442 956,97 F HT de facturation, permet de chiffrer la remise moyenne au volume à 35 %. Cette remise moyenne de 35 % appliquée au prix de base de 1,97 F HT aboutit à un prix net facturé de 1,28 F HT.

7.  L’offre présentée par les autres opérateurs

    La société MCI Worldcom possédait, comme d’autres opérateurs, un certain nombre de boucles locales (au moment de l’appel d’offres : Lyon, Marseille, Strasbourg et Lille) permettant des accès directs de certains sites au réseau longue distance de l’opérateur via des liaisons louées à France Télécom.
    Alors que France Télécom faisait porter son offre du 10 mai 1999 sur l’ensemble des appels fixes vers fixes et sur les appels fixes vers mobiles, MCI Worldcom limitait son offre du 15 avril 1999 aux seuls appels fixes vers fixes. Ultérieurement, le 8 juin 1999, cet opérateur a adressé à la société Renault une offre d’un montant de 1,99 F HT pour les appels fixes vers mobiles. Pour les sites qui n’étaient pas directement situés sur le passage de son réseau métropolitain, l’offre de MCI Worldcom prévoyait l’utilisation du réseau téléphonique commuté (RTC). Ce mode de communications était, selon l’opérateur concerné, rendu possible grâce aux accords d’interconnexion signés avec France Télécom avec préfixe 36 78 et 16 18 : « ces préfixes, une fois analysés par le commutateur d’accès France Télécom (CAA) permettent le reroutage des appels vers le réseau MCI Worldcom ». Dans sa réponse du 15 avril 1999 à la société Renault, la société MCI Worldcom a expliqué qu’« aucune programmation du PABX n’est nécessaire » en raison de la possibilité d’utiliser un équipement MCI Worldcom situé entre le commutateur et le réseau commuté national. Une programmation des PABX était également possible, si le client le souhaitait : l’offre du 15 avril 1999 proposait, pour les communications « de courte distance » (moins de 30 km) concernant les sites en accès direct (via les centres de transit de Voisins-le-Bretonneux et de Boulogne) un prix de 0,19 F par minute au-delà d’un palier tarifaire de 15 secondes et un prix unitaire de 0,33 F par minute avec le même palier pour les autres sites.
    Le problème se posait en des termes quasiment identiques pour la société Cegetel, qui n’était en mesure de proposer des communications locales à prix compétitif que dans des sites desservis par des boucles locales d’entreprises (BLE en fibres optiques interconnectées entre elles), à savoir Paris-Hauts-de-Seine (La Défense, Nanterre, Courbevoie, Neuilly, Levallois, Issy-les-Moulineaux, Boulogne), Lyon et Lille. L’offre commerciale de cette société se déclinait en deux services distincts :
    –  le service Pléiade Contact pour l’ensemble des sites, accessible via le réseau public commuté ;
    –  le service Pléiade Intégrale pour les sites « à fort trafic adressable », accessible par BLE de la société Cegetel ou par liaisons spécialisées.
    S’agissant des appels fixes vers mobiles, la société Cegetel précisait dans sa réponse à la société Renault : « (........) Cegetel ne propose une solution technique que dans le cadre de son service Pléiade Intégrale. Cegetel, depuis le mois d’avril 1999, n’est plus en mesure d’offrir une tarification fixe vers mobiles Itinéris et Bouygues compétitive, du fait de l’introduction de taxes sur le reroutage international. Par conséquent, Cegetel propose un tarif unique fixes vers mobiles SFR pour tous les sites raccordés via Pléiade Intégrale ». Le tarif de la communication locale proposé par la société Cegetel pour le service Pléiade Intégrale s’élevait à 0,23 F/minute. Les appels fixes vers les terminaux SFR étaient proposés à 1,23 F/minute. Le 28 juin, la société Cegetel présentait une nouvelle offre à la société Renault pour les sites pour lesquels elle avait été « shorlistée » (seize sites au total), ces sites étant tous des sites pour lesquels la société Cegetel avait déployé une boucle locale.
    Pour la société 9 Telecom, le raccordement du site Renault concerné au réseau longue distance 9 Telecom n’était possible que par liaison spécialisée entre le site et le réseau ou par le réseau de France Télécom avec utilisation du préfixe 9. Les appels locaux ne pouvaient être acheminés que par l’intermédiaire d’une liaison spécialisée et uniquement dans certaines agglomérations (Région parisienne, Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Toulouse et Nantes). En outre, en raison de l’existence de commutateurs d’abonnés (CAA) de « première génération » moins performants que les commutateurs plus récents, les accès longue distance de 9 Telecom via le réseau commuté n’étaient pas disponibles dans toutes les zones géographiques du territoire.
    Le prix proposé pour les communications locales extra-départementales, acheminées par le réseau 9 Telecom en dehors de la zone locale de tri, s’élevait à 0,36 F/minute.

8.  Rappel des griefs

    Deux des griefs notifiés à France Télécom ont été maintenus au stade du rapport : « Le premier porte sur la pratique ayant consisté, de la part de France Télécom, à présenter une offre globale de services de télécommunications à la société Renault en 1999, offre ayant, après négociation globale, débouché, d’une part, sur un contrat portant sur l’ensemble des communications fixes vers fixes nationales, et, d’autre part, sur un contrat portant sur les communications fixes vers mobiles. Les éléments réunis en cours d’instruction ont en effet permis d’établir que la société France Télécom, qui se trouvait en compétition avec plusieurs opérateurs nouveaux entrants, avait fait porter la négociation sur l’ensemble du trafic local, de voisinage, interurbain, international et fixes vers mobiles. Bien que, ainsi que le fait valoir France Télécom, un contrat distinct du trafic “fixes vers fixes” ait été finalement signé pour le trafic “fixes vers mobiles”, les transparents communiqués en cours d’enquête montrent que, jusqu’à fin juin 1999, soit plus d’un mois et demi après la première offre, France Télécom a continué à présenter à son client les différents aspects de son offre de manière globale, laquelle recouvrait notamment des services pour lesquels elle disposait et continue de disposer d’un monopole de fait. L’instruction a également mis en évidence qu’au moment de la prise d’effet du contrat, les parties s’étaient accordées sur le fait que l’engagement du client en terme de volume de trafic serait jugé, non pas, par type de trafic, mais de manière globale.
    Il s’avère en effet que, dans les zones dans lesquelles les concurrents ne disposent pas de boucle locale, ce qui était presque toujours le cas en l’espèce, le trafic intra-ZLT était assuré par l’opérateur dominant, à savoir France Télécom. Par ailleurs, l’instruction a montré que France Télécom s’est trouvé seul en mesure de proposer une offre réellement compétitive pour le trafic fixes vers mobiles eu égard, notamment, aux mesures prises par l’opérateur historique pour limiter le reroutage international utilisé jusqu’alors par ses principaux concurrents.
    Enfin, l’absence d’établissement de compte d’exploitation prévisionnel de l’offre globale sur mesure a pu permettre au service commercial de France Télécom d’adapter librement les conditions de son offre, indépendamment des coûts réellement supportés et de prendre le risque non calculé de déclencher un effet de ciseau tarifaire en raison de l’indexation acceptée de l’offre sur l’évolution des prix catalogues au moment de la négociation. Cette pratique renforce le caractère anticoncurrentiel des conditions dans lesquelles France Télécom a présenté et négocié son offre.
    Le deuxième grief porte sur la pratique ayant consisté de la part de France Télécom à proposer et à appliquer un prix des communications fixes vers mobiles inférieur aux prix des terminaisons d’appels que cet opérateur est censé verser à sa division France Télécom Mobiles (devenue filiale depuis le 23 août 2000). Cette pratique, mise en œuvre de manière dérogatoire aux conditions de vente figurant au catalogue de prix et concomitamment aux mesures prises par l’opérateur historique pour limiter le reroutage international a en effet eu pour effet d’empêcher des concurrents aussi efficaces que lui de présenter des offres compétitives pour ce type de prestations. »

II.  -  SUR LA BASE DES CONSTATATIONS
QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL,

            Sur les droits de la défense :
    Considérant que la société France Télécom soutient, d’une part, que les caractéristiques de la demande n’ont pas fait l’objet d’un examen « spécifique et concret » et, d’autre part, que les négociations menées par la société Renault et les autres opérateurs n’ont pas été examinées dans le rapport ; que cette « carence (....) incompréhensible » serait de nature à porter atteinte aux droits de la défense ;
    Mais considérant que, contrairement à ce que déclare la société France Télécom, tant la notification de griefs (pages 18 à 23) que le rapport (pages 12 à 15) examinent la demande « telle qu’exprimée par la société Renault », ainsi que la demande des entreprises grands comptes dans leur ensemble ; que, dans ses observations écrites en réponse à la notification de griefs, la société France Télécom reconnaît elle-même (page 5) la spécificité de la demande de services de télécommunications caractérisée, selon ses propres termes, « par la puissance d’achat et de négociation des clients » et par la capacité des entreprises ou collectivités à « segmenter des offres » et à recourir à « plusieurs opérateurs pour leurs différents besoins » ;
    Considérant, en outre, qu’après avoir examiné la négociation entre France Télécom et la société Renault, la notification de griefs, analysant (page 26) « l’offre présentée par les autres opérateurs », aboutit au constat selon lequel la société France Télécom était, au moment des faits, seule en mesure de présenter une offre compétitive pour le trafic intradépartemental ainsi que pour le trafic fixes vers mobiles ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société France Télécom ne peut utilement soutenir que la délimitation des marchés et les conditions dans lesquelles les opérateurs ont présenté leurs offres respectives n’ont pas été débattues de manière contradictoire, conformément à l’article L. 463-1 du code de commerce ; que le moyen de France Télécom manque en fait ;
            Sur la méthode à retenir pour la définition des marchés pertinents :
    Considérant que la société France Télécom fait valoir que, s’agissant des appels d’offres publics ou privés, la jurisprudence retient que « le croisement de l’appel d’offres et des réponses des candidats » réalise un marché ; que cet opérateur soutient que le Conseil de la concurrence a suivi cette analyse dans sa décision no 97-D-53 du 1er juillet 1997 relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom et par la société Transpac dans le secteur de la transmission de données ; qu’ainsi, la distinction retenue dans le rapport entre téléphonie « intra-ZLT » et téléphonie « extra-ZLT » ne reflète pas « la réalité et la spécificité de la demande de Renault » qui portait sur un « lot unique de communications nationales » ;
    Mais considérant, en premier lieu, que, s’il résulte bien de la jurisprudence que le croisement d’un appel d’offres et la réponse des candidats constitue un marché, il convient, ainsi que l’a rappelé le Conseil de la concurrence dans sa décision no 2001-D-08 du 4 avril 2001 relative à une saisine présentée par le Syndicat des exploitants indépendants des réseaux d’eau et d’assainissement, « pour déterminer si une entreprise détient une position dominante, (....) d’examiner non le marché particulier résultant du croisement d’un appel d’offres et des soumissions qui ont été déposées en réponse, mais le marché plus général où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à l’appel d’offres concerné » ; qu’afin de déterminer si France Télécom détenait une position dominante au moment des faits, il convient donc de délimiter préalablement les marchés sectoriels et géographiques concernés ; que, statuant sur le recours formé à l’encontre de la décision no 97-D-53 du 1er juillet 1997 du Conseil de la concurrence à laquelle se réfère la société France Télécom, la cour d’appel de Paris a, d’ailleurs, confirmé (arrêt en date du 19 mai 1998) que la demande à retenir pour la définition du marché de la transmission de données ne se limitait pas à celle émanant du seul donneur d’ordres, en l’occurrence une grande compagnie d’assurances, mais celle qui émanait des « grands utilisateurs désirant un réseau de transmission de données en étoiles » ;
    Considérant, en second lieu, que, dans ses observations écrites en réponse à la notification de griefs, la société France Télécom relève elle-même, au sujet de la définition des marchés : « cette délimitation des marchés pertinents n’appelle pas de commentaires de la part de France Télécom. (.....) Le marché pertinent est bien celui des grands clients des opérateurs de télécommunications, entreprises et collectivités publiques dont les besoins en télécommunications sont quantitativement importants, qualitativement élevés et diversifiés » ;
    Considérant que, pour définir les marchés, il convient donc de rechercher s’il existe, pour l’ensemble des demandeurs ou une catégorie de demandeurs préalablement identifiée, des services substituables de nature à satisfaire les besoins exprimés par les demandeurs concernés en ce qui concerne les prestations de télécommunications ;
            Sur les marchés pertinents et la position occupée par France Télécom sur ces marchés :
            En ce qui concerne les communications nationales et internationales fixes :
    Considérant, en premier lieu, ainsi que l’a déclaré le représentant du CIGREF lors de son audition, qu’« il existe une demande spécifique de la part des entreprises “grands comptes” dans plusieurs secteurs d’activité dont les télécommunications » ; que cette spécificité repose essentiellement sur les volumes de trafic concernés, lesquels sont susceptibles d’entraîner des économies d’échelle importantes et des réductions de prix, le cas échéant à l’issue de mises en concurrence ;
    Considérant que la société France Télécom détenait, au moment des faits, en raison de l’absence de dégroupage et de l’assimilation par l’Autorité de régulation des télécommunications des contours de la Zone locale de tri (ZLT) à ceux du département, un quasi-monopole sur les communications échangées à l’intérieur des départements ; que la société France Télécom a, d’ailleurs, déclaré : « il n’est certes pas contestable que France Télécom dispose sur le marché de la téléphonie locale d’un quasi monopole de fait » ; que l’offre de services téléphoniques intra-ZLT, en réponse aux demandes émanant des « grands comptes », appartient donc à un marché distinct de celui des services téléphoniques à l’extérieur de ce périmètre ; que France Télécom détient donc sur ce marché une position dominante ;
    Considérant, par ailleurs, que la structure de la concurrence relative aux appels nationaux à l’extérieur du département est différente de celle relative aux appels internationaux ; que, s’agissant des appels internationaux, une concurrence s’était déjà instaurée, dans les faits, depuis 1995, grâce notamment à l’émergence des procédés de « reroutage international » et de « call-back », ainsi qu’à la possibilité donnée aux opérateurs de télécommunications d’utiliser les liaisons louées de l’opérateur public ou d’établir leurs propres infrastructures ; qu’en revanche, la libéralisation totale de la téléphonie vocale n’a été rendue effective que le 1er janvier 1998, par la loi no 96-659 du 26 juillet 1996, laquelle a, par ailleurs, affirmé le principe du maintien d’un service public des télécommunications ; qu’il est, de fait, fréquent que les entreprises distinguent, dans leurs cahiers des charges, les deux catégories d’appels ; qu’ainsi, la société BT, actionnaire de la société Cegetel, avait obtenu le contrat de communications internationales de la société Renault en 1997 ; que le niveau de prix de chacune des prestations présente également des différences importantes ; que le croisement de l’offre et de la demande des « grands comptes » pour les prestations de téléphonie longue distance nationales, d’une part, et internationales, d’autre part, constitue donc des marchés distincts ;
    Considérant que la société France Télécom conteste le fait qu’elle détenait une position dominante sur le marché de la téléphonie longue distance nationale ; que cette entreprise fait valoir que les sociétés PSA, Paribas Elf, Axa et Daimler-Chrysler étaient également clientes de MCI Worldcom en 1998 et que d’autres entreprises avaient également décidé de contracter avec la société Cegetel plutôt que de la reconduire dans leurs contrats ;
    Mais considérant qu’en 1998, le réseau de France Télécom était composé, notamment, de plus de 350 boucles locales, d’environ 2 millions de km de fibre optique ; que le chiffre d’affaires « voix » de la branche entreprises de la société France Télécom s’est élevé à environ 20 milliards de francs en 1998 contre environ 460 millions de francs pour la société Cegetel, deuxième opérateur national dans la téléphonie fixe en termes de réseau ; qu’ainsi que le relève le CIGREF, la plupart des nouveaux entrants étaient handicapés par l’« absence de réseaux nationaux capillaires », leur « faible couverture du territoire » ou encore une « offre voix incomplète » par rapport à France Télécom ; qu’en 1998-1999, la société France Télécom était titulaire de la majorité des contrats signés par des entreprises ainsi que par les administrations de l’Etat, répertoriées comme « grands comptes » ; que si, comme le fait valoir France Télécom, certaines grandes entreprises ont décidé de choisir un opérateur concurrent pour leurs services « voix » sur le plan national, la fourniture de ces services était principalement limitée au siège des entreprises, le plus souvent installé en région parisienne ; que France Télécom ne conteste pas le fait que 20 % du trafic téléphonique fixe longue distance était détenu par des entreprises concurrentes à la fin de l’année 1999 pour environ 5 % à la fin de l’année 1998 ; qu’il convient également de tenir compte du fait que la présélection du transporteur, qui devait entrer en application au 1er janvier 1998, a pris du retard, rendant plus difficile l’accès au marché des nouveaux entrants ; qu’il résulte de ce qui précède que France Télécom disposait, au moment des faits, d’une position dominante sur le marché de la téléphonie longue distance nationale des « grands comptes » ;
            Sur les communications fixes vers mobiles :
            En ce qui concerne l’existence d’un marché spécifique :
    Considérant, en premier lieu, que la prestation d’acheminement des appels fixes vers mobiles nécessite l’utilisation des réseaux fixes et mobiles ; qu’ainsi, le niveau de prix de ce type d’appels se trouve nécessairement contraint par le niveau de prix des terminaisons d’appels sur les réseaux mobiles, lesquels sont fixés par les opérateurs de téléphonie mobile ; que les appels fixes vers mobiles se distinguent notamment des autres types d’appels par le niveau élevé des prix unitaires ; que le prix à la minute d’une communication type de trois minutes en heures pleines pour les appels fixe vers fixe tel que proposé à la société Renault lors de l’appel d’offres variait en effet de 0,566 F (zone locale) à 1,456 F (interurbain) pour la société France Télécom et de 0,69 F (zone locale) à 1,17 F (interurbain) pour la société Cegetel, alors que le prix de terminaison d’appel sur le réseau Itinéris, tel qu’il résultait de la convention alors en vigueur entre France Télécom et France Télécom Mobiles, était fixé à 1,57 F par minute ;
    Considérant, en second lieu, qu’à la différence des particuliers et des PME, les entreprises « grands comptes » peuvent bénéficier de solutions techniques et commerciales leur permettant d’abaisser le coût de leurs appels fixes vers mobiles ; qu’ainsi, ces entreprises peuvent notamment recourir, pour les seuls appels émis à partir de postes appartenant à l’entreprise (appels internes) à des réseaux privés virtuels (RPV) nécessitant l’usage d’une numérotation spécifique ; que les « grands comptes » se voient également généralement proposer par les opérateurs concernés des réductions de prix importantes en fonction des volumes de trafic ; qu’ainsi, la société France Télécom offrait ce type de réductions aux entreprises répondant aux conditions fixées en termes de niveau de trafic, dans le cadre de son offre standard « Atout RPV tarifs Itinéris », laquelle a servi de base à l’offre présentée à la société Renault ;
    Considérant qu’en raison des différences ci-dessus observées, il y a lieu de retenir l’existence d’un marché spécifique relatif aux prestations de téléphonie fixes vers mobiles en ce qui concerne les « grands comptes » ;
            En ce qui concerne les intervenants et la position occupée par France Télécom sur le marché précédemment défini :
    Considérant, en premier lieu, que la société France Télécom fait valoir que les prix des communications téléphoniques en provenance du réseau fixe de France Télécom vers les mobiles étaient, au moment des faits, fixés par les opérateurs de téléphonie mobile, ceci conformément à leurs cahiers des charges ; qu’elle ne fixait que le prix de la prestation de transit des appels fixes vers mobiles ; que cet opérateur en déduit que c’est donc aux opérateurs de téléphonie mobile qu’il convient d’« imputer la position d’offreur sur le marché » ;
    Considérant, en deuxième lieu, que les opérateurs de téléphonie fixe concurrents de France Télécom ne peuvent présenter d’offres concernant les appels fixes vers mobiles que s’ils disposent de boucles locales alternatives à celle du réseau technique commuté (RTC) de France Télécom ou s’ils peuvent se raccorder audit RTC en louant des liaisons spécialisées à cet opérateur, ou encore s’ils recourent au « reroutage international » ;
    Considérant, en troisième lieu, qu’il est constant, et admis par la société France Télécom, que celle-ci dispose d’un « quasi-monopole » sur la boucle locale ; que, par ailleurs, ainsi qu’elle l’a reconnu au sujet des conventions entre opérateurs de réseau de téléphonie fixe et mobile, France Télécom était, jusqu’à fin 1999, le « seul opérateur de réseau fixe à avoir signé avec les opérateurs mobiles une telle convention », les autres opérateurs de téléphonie fixe ayant, selon elle, renoncé à bénéficier de cette prestation, laquelle aurait pu leur être proposée en application du « principe de non-discrimination » ; qu’il en résulte que les appels émis au départ des réseaux des opérateurs de téléphonie fixe concurrents de France Télécom devaient nécessairement transiter par le réseau de cet opérateur ;
    Considérant, en quatrième lieu, que s’agissant du « reroutage international », l’activité des opérateurs concurrents de France Télécom était largement contrainte par les décisions prises par l’opérateur public dans ce domaine ; qu’ainsi, la société Cegetel, qui assurait cette prestation en 1998, avait déclaré à son client, lors de l’appel d’offres organisé par la société Renault en 1999 : « Cegetel, depuis le mois d’avril 1999, n’est plus en mesure d’offrir une tarification fixe vers mobiles Itinéris et Bouygues compétitive du fait de l’introduction de taxes sur le reroutage international » ;
    Considérant, en cinquième lieu, que si, comme le fait valoir la société France Télécom, les prix de téléphonie fixes vers mobiles au départ du RTC étaient fixés par les opérateurs de téléphonie mobile, les prix de l’ensemble des prestations de télécommunications aux entreprises « grands comptes » dont fait partie la société Renault, étaient négociés et fixés par la division « grands comptes » de la branche « entreprises » de la société France Télécom et non par la division « France Télécom Mobiles » ; qu’ainsi, le projet de contrat d’offre sur mesure (version V1.0 du 19 juillet 1999) établit que le prix proposé émane de la division « grands comptes » de France Télécom ; que, s’il existe bien une offre catalogue dénommée « Atout RPV Itinéris » proposée par France Télécom Mobiles, les conditions de fourniture d’une prestation des appels fixes vers les téléphones Itinéris de la société Renault ont fait l’objet d’une convention, distincte de l’offre catalogue, signée le 27 août 1999, entre la société Renault, d’une part, et la société France Télécom, représentée par la division « grands comptes » de sa branche entreprises, d’autre part ; qu’il résulte de ce qui précède et en tout état de cause que l’opérateur présent sur le marché concerné était la société France Télécom et non France Télécom Mobiles, laquelle n’avait pas encore été filialisée et n’avait ni personnalité morale ni autonomie juridique ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société France Télécom disposait d’une position dominante sur le marché des appels fixes vers mobiles pour les « grands comptes » ;
            Sur les pratiques mises en œuvre par France Télécom :
            En ce qui concerne les conditions dans lesquelles France Télécom a présenté une offre de prestations téléphoniques à la société Renault en 1999 :
    Considérant que la société France Télécom fait valoir que son offre est une réponse globale à l’appel d’offres organisé par la société Renault, lequel appel d’offres comportait plusieurs lots ; que cet opérateur soutient que, sauf à vouloir interdire a priori à France Télécom, du seul fait de sa position sur le marché, la possibilité de présenter une réponse globale, il ne serait pas justifié de lui reprocher d’avoir présenté une telle offre en réponse à l’appel d’offres de la société Renault, dès lors que cette offre respectait les règles de concurrence ; que, notamment, le fait de négocier une offre portant sur l’ensemble du trafic local, de voisinage, interurbain, international et fixes vers mobiles, doit, selon cet opérateur, être distingué des pratiques de couplage de prix ; que France Télécom affirme, enfin, ne pas avoir méconnu les règles et principes énoncés par le Conseil de la concurrence dans son avis no 98-A-24 du 16 décembre 1998, relatif aux offres sur mesure, rendu à la demande de l’Autorité de régulation des télécommunications ;
    Mais considérant, qu’à l’époque des faits, France Télécom se trouvait en situation de quasi-monopole sur les marchés des communications intradépartementales, en raison de l’absence de dégroupage de la boucle locale, un nombre très limité de boucles locales ayant été installé sur quelques sites par des opérateurs entrants ; qu’en revanche, suite à l’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications à compter du 1er décembre 1998, quelques opérateurs avaient déployé des réseaux longue distance leur permettant de concurrencer efficacement France Télécom sur les marchés des communications nationales ; qu’une concurrence effective était déjà constatée depuis 1995 en ce qui concerne les communications internationales ; qu’en conséquence, France Télécom était le seul opérateur à pouvoir proposer, au début de l’année 1999, une offre globale comportant l’ensemble des types de communications, y compris les communications intradépartementales ; que l’opérateur admet en effet avoir « certes proposé à la société Renault une offre répondant à l’ensemble de sa demande », qu’elle était probablement la seule à pouvoir faire sur l’ensemble du territoire ; qu’au stade de la consultation, Renault estimait que les communications locales représentaient environ 50 % de l’ensemble des communications nationales ;
    Considérant que, d’une part, cette offre a permis à France Télécom de faire bénéficier Renault de prix avantageux sur le trafic local, dont il a estimé, dans un document de présentation de l’offre, l’impact financier à 3,1 MF, alors qu’il n’était confronté à aucune concurrence pour ce type de communications ; qu’il ressort des échanges de télécopies des 28 et 30 juin 1999, entre France Télécom et Renault, que les tarifs offerts pour les différentes catégorie de communications étaient subordonnés à l’achat par Renault d’un volume global de communications, à l’exception des communications fixes vers mobiles qui faisaient l’objet d’une négociation séparée, puisque France Télécom écrit : « Pour maintenir l’économie globale de notre offre, nous demandons que Renault prenne les engagements suivants : un volume annuel de trafic local, de voisinage, interurbain et international de 61,5 MF par an », puis accepte de réduire le volume annuel sur lequel elle demande à Renault de s’engager à 60 puis 56 MF au cours des échanges ultérieurs ; que, le 24 août 1999, c’est-à-dire postérieurement à la conclusion de l’accord, France Télécom indiquait à Renault que « Nous devons maintenir le partage de l’engagement de trafic (local pour 16 MF et voisinage, interurbain et international pour 40 MF) conformément aux exigences du Conseil de la concurrence. Cette répartition est conforme au trafic constaté en accord avec les responsables de la DO. » ; qu’il apparaît donc que ce n’est que pour satisfaire, dans sa présentation, aux exigences du droit de la concurrence, et postérieurement à sa conclusion, que cet accord a été scindé en deux parties, la première pour les communications locales, la deuxième pour les autres catégories de communications ; que, compte tenu des volumes estimés pour chaque catégorie de communications, l’avantage tarifaire offert sur les communications locales était bien lié à l’engagement sur les autres types de communications ;
    Considérant, d’autre part, que le fait que l’engagement de volume ait été, dans la réalité, pris pour l’ensemble des communications locales, de voisinage, interurbaines et internationales, minimisait les risques de pénalité que Renault aurait encouru s’il n’avait pas atteint le seuil prévu dans l’un ou l’autre des catégories de communications ; que, comme il l’a été établi ci-dessus, les pénalités portant sur le non-respect de l’engagement de volume prévues à l’article 9 du contrat définitif, distinguant, d’une part, le trafic local et, d’autre part, les autres types de trafic, constituaient un habillage de l’engagement réellement pris par Renault ; que tous les documents de présentation de l’offre sur mesure mettaient au contraire en relief le fait que l’engagement de volume portait sur l’ensemble du trafic : « minimum de CA (local, national et international) sur l’ensemble du périmètre (document de présentation du 1er juin 1999) » ; que, de fait, la société Renault déclarait à France Télécom dans une télécopie du 6 août 1999 : « j’ai par ailleurs noté votre accord sur le fait que l’engagement de Renault (article 8) serait jugé sur la globalité du trafic (local, voisinage, interurbain et international) » ;
    Considérant que le fait que la société Renault ait, dans son appel d’offres, laissé la possibilité aux opérateurs soit de proposer une offre globale pour l’ensemble des trafics, soit de limiter leur réponse à certains périmètres, ne donnait pas pour autant latitude à l’opérateur historique de demander un engagement de volume global portant sur l’ensemble des trafics ;
    Considérant, ainsi, qu’en permettant à Renault de prendre un engagement de volume portant sur la globalité du trafic, France Télécom lui a offert deux avantages majeurs, une remise sur les communications locales et un risque de pénalités réduit, qu’aucun opérateur entrant ne pouvait offrir à ce stade de l’ouverture des marchés des télécommunications à la concurrence, notamment en l’absence de dégroupage ; qu’une telle pratique avait pour objet de freiner la pénétration des opérateurs entrants sur les marchés des télécommunications des « grands comptes » que France Télécom a été la seule à remporter l’appel d’offres de Renault pour les communications nationales en 1999, alors, qu’en 1998, Cegetel avait été attributaire d’une partie des lots ;
    Considérant que, d’ailleurs, le Conseil de la concurrence, dans son avis du 16 décembre 1998, rendu à la demande de l’ART, avait mis en garde l’Autorité en précisant que « les offres et les remises doivent (....) être définies, présentées et justifiées segment par segment » ; que l’Autorité de régulation des télécommunications, dans ses observations en réponse au rapport, précise : « le principe de segmentation des offres est en effet essentiel au respect des règles de concurrence par France Télécom pour lesquelles elle a une responsabilité particulière liée à sa position sur le marché » ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui précède que France Télécom a abusé de la position dominante qu’elle occupe sur les marchés des services de télécommunications aux grands comptes et enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce ;
            En ce qui concerne le niveau tarifaire de l’offre de prestations téléphoniques fixes vers Itinéris à la société Renault en 1999 :
    Considérant, qu’à la suite de l’appel d’offres et des négociations ayant suivi la consultation, un contrat a été signé, le 27 août 1999, entre la société France Télécom, représentée par la division « grands comptes » de sa branche entreprises, d’une part, et la société Renault, d’autre part, pour la fourniture de prestations téléphoniques fixes vers Itinéris ; que ce contrat indiquait que le tarif HT en francs par minute était de 1,48 F et que ce prix avait vocation à s’appliquer à l’ensemble des sites mentionnés en annexe au contrat ; qu’une option « grand site » a, par ailleurs, été souscrite par la société Renault, moyennant le paiement de frais d’accès de 5 000 F HT par site, pour deux centres de transit situés, l’un à Boulogne-Billancourt, l’autre à Voisins-le-Bretonneux, prévoyant une réduction de 12 % sur le prix de base lorsque la consommation de ces sites était supérieure à 40 000 F HT sur le bimestre, portant donc le prix applicable dans ce cas à 1,30 F HT/minute ; qu’une option « flotte Itinéris » a également été souscrite par la société Renault, moyennant des « frais d’initialisation » de 5 000 F HT pour l’ensemble de la flotte, permettant de faire bénéficier les appels destinés aux mobiles Itinéris identifiés dans le contrat d’une remise « complémentaire » de 12 %, soit un prix de 1,15 F HT/minute ;
    Considérant que, concernant la répartition du volume des communications facturées entre ces trois tarifs (1,48 F, 1,30 F et 1,15 F), les déclarations de France Télécom permettent d’établir que les communications facturées à 1,30 F ou 1,15 F constituent environ 75 % du total, puisque 75 % du trafic fixes vers mobiles était dirigé vers les centres de transit de Boulogne et de Voisin-le-Bretonneux, et que celles facturées à 1,15 F représentent de 10 à 18 % du total ; qu’il en ressort que le prix moyen facturé peut être évalué entre 1,318 F [hypothèse des communications facturées à 1,15 F représentant 18 % du total, soit (0,18*1,15)+(0,57*1,30)+(0,25*1,48)] et 1,33 F [hypothèse des communications facturées à 1,15 F représentant 10 % du total, soit (0,10*1,15)+(0,65*1,30)+(0,25*1,48)] ; que les documents communiqués par France Télécom, portant sur les réductions consenties à Renault sur ses communications fixes vers Itinéris pour les bimestres juillet-août 2000 et septembre-octobre 2000, confirment ces ordres de grandeur, puisqu’ils font ressortir une remise moyenne au volume de 35 % qui, appliquée au prix « standard » de 1,97 F, aboutit, pour ces périodes, à un tarif moyen facturé de 1,28 F HT ; que le prix moyen de la terminaison d’appel payé à France Télécom Mobiles par France Télécom fixe, tel que prévu par la convention alors en vigueur entre les deux divisions de l’opérateur historique, était de 1,57 F la minute, dont il faut soustraire 4 centimes reversés à France Télécom fixe pour la commercialisation du service, soit 1,53 F ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’un opérateur de téléphonie fixe disposant d’une boucle locale, aussi efficace que France Télécom et signataire d’une convention de terminaison d’appel avec France Télécom Mobiles, après avoir versé une charge de terminaison d’appel de 1,57 F HT par minute en heures pleines (première minute indivisible et minutes suivantes facturées à la seconde), n’aurait pu proposer à Renault un tarif équivalent à celui de France Télécom qu’en supportant une perte qui peut être évaluée à environ 20-21,2 centimes par minute ; que les représentants de France Télécom ont précisé que le tarif « standard » des appels fixes vers mobiles s’élevait alors à 1,97 F HT par minute en heures pleines et reconnu, en séance, que les tarifs consentis à la société Renault n’ont pu être pratiqués qu’en raison d’une péréquation tarifaire ;
    Considérant que France Télécom soutient que le prix offert à la société Renault pour les appels fixes vers mobiles n’a pu avoir d’effet sur le marché dans la mesure où, selon cet opérateur, la cause « directe et certaine » de l’impossibilité pour des concurrents aussi efficaces que France Télécom fixe de présenter des offres compétitives pour ce type de prestations « résidait dans la mise en œuvre de surtaxes mobiles » destinées à lutter contre le reroutage international ; que cet opérateur fait valoir que la société Cegetel soulignait elle-même, dans son offre du 10 mai 1999, que « sauf dans le cas de sites directement raccordés à la boucle locale », elle n’était plus en mesure d’offrir, depuis le mois d’avril 1999, une tarification fixe vers mobiles compétitive du fait de l’introduction des surtaxes « mobiles » ;
    Mais considérant, que, comme le relève l’ART, au moment des faits, existaient deux types d’offres tarifaires alternatives à celle de France Télécom pour les appels fixes vers mobiles : celles bâties sur le mécanisme du reroutage international, d’une part, et celles proposées par un opérateur concurrent fixe disposant d’une boucle locale, d’autre part ; que France Télécom a reconnu que ces prestations se rattachaient à un « marché ouvert » sur lequel plusieurs opérateurs fixes étaient « également présents » ; que, dans sa lettre du 8 juin 1999 adressée à la société Renault, la société MCI Worldcom déclarait ainsi : « nos tarifs fixe vers mobile sont de 1,99 HT par minute » ; que la société France Télécom a, enfin, précisé que le marché des appels fixes vers mobiles est « un marché sur lequel les opérateurs fixes auraient pu bénéficier des mêmes conditions que France Télécom dans leurs relations avec les opérateurs mobiles, ce qu’ils n’ont demandé que tardivement » ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les tarifs consentis par France Télécom à la société Renault, dans le cadre de l’offre sur mesure pour 1999, engendraient pour les opérateurs concurrents un effet de ciseau tarifaire, et qu’il ne leur était donc pas possible de proposer une offre équivalente : qu’en proposant ce tarif, France Télécom a mis en place une barrière artificielle à l’entrée sur le marché des communications fixes vers mobiles ; que cette pratique, mise en œuvre par un opérateur en position dominante sur le marché de la téléphonie fixe vers mobiles pour les « grands comptes », est prohibée par les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce ;
    Considérant qu’il n’est ni établi ni allégué que les pratiques susmentionnées avaient pour effet d’assurer un progrès économique au sens des dispositions de l’article L. 420-5 du code de commerce ;
            Sur la sanction :
    Considérant que les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi no 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques ; que, par suite, les disposition introduites par cette loi dans l’article L. 464-2 du code de commerce, en ce qu’elles prévoient des sanctions plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables ;
    Considérant qu’aux termes de l’article L. 464-2 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : « Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d’inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie et à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionnée. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n’est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs » ;
    Considérant que la gravité des pratiques doit être appréciée en tenant compte du fait que ces pratiques ont été mises en œuvre par l’opérateur dominant du secteur des télécommunications sur le plan national, lors de la deuxième année faisant suite à l’ouverture du secteur de la téléphonie fixe nationale à la concurrence ; que la gravité de la pratique est renforcée par le fait que France Télécom connaissait l’avis rendu par le Conseil (avis no 98-A-24 du 16 décembre 1998) sur les offres sur mesure ;
    Considérant que le dommage à l’économie doit être apprécié en tenant compte du fait qu’en présentant, d’une part, une offre globale qu’aucun de ses concurrents ne pouvait contester et, d’autre part, un tarif de terminaison d’appels sur le réseau Itinéris comportant un effet de ciseau, France Télécom a dressé artificiellement des barrières à l’entrée sur les marchés de la téléphonie des grands comptes ;
    Considérant toutefois que la durée des pratiques n’a pas excédé une année ;
    Considérant que le chiffre d’affaires réalisé en France par France Télécom s’est élevé à 138 651 539 012 F, lors du dernier exercice clos (1999) ; qu’au vu des éléments généraux et individuels tels qu’appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 40 millions de francs ;
    Considérant que, pour améliorer le fonctionnement de la concurrence dans les offres sur mesure, il convient de porter à la connaissance des opérateurs et des acheteurs le caractère illicite des pratiques susmentionnées et la sanction prononcée à l’encontre de France Télécom ; qu’il y a lieu d’ordonner la publication de la partie II de la présente décision par France Télécom dans « Les Echos », dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, aux frais de la société France Télécom,
                    Décide :
    Art.  1er.  -  Il est établi que France Télécom a enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce.
    Art.  2.  -  Une sanction pécuniaire d’un montant de 40 millions de francs est infligée à la société France Télécom.
    Art.  3.  -  Dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, la société France Télécom fera publier, à ses frais, la partie II de celle-ci dans le quotidien « Les Echos  ». Cette publication sera précédée de la mention « Décision du Conseil de la concurrence no 2001-D-46 du 23 juillet 2001 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom à l’occasion d’un offre sur mesure conclue en 1999 ».
    Délibéré, sur le rapport de M. Bourhis, par M. Cortesse, vice-président, présidant la séance, Mmes Mader-Saussaye et Perrot, MM. Bargue, Lasserre et Piot, membres.

La secrétaire de séance, Patricia  Perrin Le vice-président, présidant la séance, Pierre  Cortesse

NOTE (S) :

(1) Première minute indivisible et minutes suivantes décomptées à la seconde.

 

© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 03 décembre 2001