Sommaire N° 10 du 24 juillet 2001
Décision no 2001-D-34 du Conseil de la concurrence en date du 26 juin 2001 relative à une saisine de la société Joe’s Sight Seeing

NOR :  ECOC0100272S

    Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
    Vu les lettres enregistrées le 2 décembre 1996 sous le numéro F 920 et le 2 mai 1997 sous le numéro F 959, par lesquelles la société Joe’s Sight Seeing a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées dans le secteur du transport touristique sur la Côte d’Azur, qu’elle estime anticoncurrentielles ;
    Vu le livre IV du code de commerce et le décret no 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour l’application de l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre1986 ;
    Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 24 avril 2001 ;
    Après en avoir délibéré ;
    Considérant que les saisines enregistrées sous les numéros F 920 et F 959 émanent du même auteur et concernent toutes deux des faits que la société Joe’s Sight Seeing estime anticoncurrentiels et dont elle aurait été victime ; qu’il y a donc lieu de les joindre ;
    Considérant que la société Joe’s Sight Seeing, créée le 4 mai 1990 afin d’exercer une activité de transport touristique occasionnel, a demandé, le 9 août 1990, à la Société d’exploitation de l’aéroport de Nice-Côte d’Azur l’autorisation de louer un guichet dans les locaux de l’aéroport afin d’offrir un service de limousines entre l’aéroport et les villes de Cannes et Monaco ; que cette autorisation lui a été délivrée le 19 mars 1991 ; que, cependant, le saisissant considère que l’obligation de « strict respect des règles d’exploitation du service à la place, tant dans les faits que dans les documents ou courriers émis par votre société », dont était assortie cette autorisation, révèle, entre l’Association des transports routiers de voyageurs des Alpes-Maritimes (ci-après ATRIV 06) et la Société de l’exploitation de l’aéroport de Nice, une entente ayant pour but de l’empêcher de concurrencer les Rapides Côte d’Azur, société dont le directeur est également président de l’ATRIV 06 ;
    Considérant que la société Joe’s Sight Seeing, qui avait obtenu l’autorisation d’utiliser pour ses activités le quai no 5 de la gare routière de Nice, à partir duquel s’effectuent tous les départs et arrivées des véhicules des sociétés de transports touristiques occasionnels, s’est plainte, le 8 juillet 1991, auprès du tribunal de grande instance de Nice, puis, le 13 juillet 1992, auprès du procureur de la République de Nice, du refus du gestionnaire de la gare routière de Nice de lui affecter un autre quai pour ses départs ; que la société saisissante a été successivement déboutée de ces deux actions ; qu’elle a été invitée par la direction de la gare routière de Nice à retirer ses installations de la gare à compter du 31 juillet 1992 ; qu’elle dénonce ce fait comme une pratique ayant pour objet de l’évincer du marché du transport touristique à Nice ;
    Mais considérant qu’aux termes de l’article L. 462-7 du code de commerce : « Le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s’il n’a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation et leur sanction » ; que la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 1er décembre 1995 (société L’Entreprise industrielle, 1re chambre, section concurrence, arrêt no 95/3245), a décidé que « ce texte établit un délai de prescription et définit la nature des actes ayant pour effet de l’interrompre ; (...) que toute prescription dont l’acquisition a pour conséquence de rendre irrecevable une action ou d’interdire la sanction d’un fait, commence à courir après qu’elle ait été interrompue, sous réserve d’une éventuelle cause (...) de suspension de son cours » ;
    Considérant que les faits dénoncés ci-dessus se sont déroulés au cours des années 1990, 1991 et 1992, alors que la saisine du Conseil par la société Joe’s Sight Seeing a été enregistrée le 2 décembre 1996 ; qu’en conséquence, le Conseil ne peut les examiner ;
    Considérant qu’aux termes de l’article L. 462-8 du code de commerce : « Le Conseil de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable pour défaut d’intérêt ou de qualité à agir de l’auteur de celle-ci, ou si les faits sont prescrits au sens de l’article L. 462-7, ou s’il estime que les faits invoqués n’entrent pas dans le champ de sa compétence. Il peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu’il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants » ;
    Considérant que, selon le saisissant, le Comité régional du tourisme de Riviera-Côte d’Azur, le Syndicat des hôteliers de Nice-Côte d’Azur, le Syndicat des hôteliers de Cannes, le Syndicat des hôteliers limonadiers-restaurateurs Auron - Saint-Etienne-de-Tinée, le Syndicat national des agents de voyages et la Maison de la France à Paris lui auraient, à tort, imputé un tract intitulé « Prévention du crime touristique », qualifiant l’organisation du tourisme dans le département des Alpes-Maritimes « d’organisation criminelle et mafieuse », tract distribué au Syndicat des agents de voyage en Allemagne, le 11 mars 1994, et au Rotary International Club à New York, le 27 avril 1995, et auraient, à titre de riposte, mis en œuvre des pratiques constitutives d’une entente anticoncurrentielle ayant pour objet de l’évincer du marché du transport touristique occasionnel à Nice ;
    Mais considérant que les tracts dont il s’agit portaient l’en-tête de la société Joe’s Sight Seeing et présentaient cette société comme le « coordinateur des démarches et de l’aide apportée aux touristes » ; qu’en outre, le contenu de ces documents a été repris dans un article du journal américain Travel Weekly affirmant que M. de Lacuetara, gérant de la société Joe’s Sight Seeing, en était l’auteur ; que, de plus, M. de Lacuetara a transmis, le 2 juin 1994, à l’Association des agents de voyage américains, une lettre dans laquelle il dénonce le fait que le tract envoyé au Syndicat des agents de voyage en Allemagne a été distribué sur toute la Côte d’Azur et estime que sa société a été boycottée pour avoir voulu dénoncer le crime en matière touristique ; que les organismes professionnels mis en cause par le saisissant ont réagi en demandant une consultation juridique en vue de décider d’un éventuel recours aux juridictions compétentes et en informant le préfet du département des Alpes-Maritimes ; que la société Joe’s Sight Seeing n’apporte aucun élément suffisamment probant qui pourrait laisser présumer que les professionnels du tourisme de la Côte d’Azur se seraient entendus afin de l’évincer du marché du transport de touristes dans le département ;
    Considérant que la société Joe’s Sight Seeing expose, par ailleurs, que la Délégation régionale au tourisme en Riviera-Côte d’Azur a estimé, le 27 juin 1994, que son activité ne relevait plus de la législation relative au transport occasionnel dans la mesure où elle ne disposait plus de l’autorisation d’utiliser le quai no 5 de la gare routière de Nice, ni de celle nécessaire pour charger les voyageurs à l’Aéroport de Nice, mais qu’elle relevait de la législation applicable aux agents de voyage, laquelle prévoit que les gérants des entreprises qui se livrent à cette activité doivent être titulaires d’une licence d’agent de voyage ; qu’elle dénonce également le fait que la Commission départementale de l’action touristique a rejeté, le 1er juillet 1996, sa demande tendant à la délivrance d’un certificat d’aptitude à la profession d’entrepreneur de tourisme, au double motif qu’elle ne disposait pas des diplômes requis et que ses agissements étaient contraires aux règles de déontologie professionnelle ;
    Considérant que la société Joe’s Sight Seeing estime également anticoncurrentielle la mise en demeure qui lui a été adressée, le 27 septembre 1995, par le maire de la ville de Nice, visant à lui faire enlever de la voie publique ou de ses abords un véhicule publicitaire stationné en infraction à l’article 1er de l’arrêté municipal du 25 mai 1992, relatif à la réglementation des enseignes et des pré-enseignes à Nice ; que, de même, elle dénonce une seconde mise en demeure, reçue le 19 juillet 1996, visant à lui faire enlever une pré-enseigne posée devant l’hôtel Plaza à Nice, et souligne que le gérant de cet établissement occupe les fonctions de premier adjoint au maire de Nice ;
    Mais considérant que les décisions de la Délégation régionale du tourisme en Riviera-Côte d’Azur, de la Commission départementale de l’action touristique et de la ville de Nice, susvisées, constituent des actes administratifs mettant en œuvre des prérogatives de puissance publique et ne relèvent donc pas du champ de compétence du Conseil, tel qu’il est défini dans l’article L. 410-1 du code de commerce ;
    Considérant que la société Joe’s Sight Seeing porte, enfin, à la connaissance du Conseil une série de faits qu’elle qualifie de pratiques anticoncurrentielles : installation à proximité de son établissement d’un concurrent, le garage Plaza, offrant les mêmes prestations ; refus du propriétaire des locaux qu’elle occupe, de l’autoriser à vendre son fonds de commerce ; confusion créée par l’installation d’une autre société dénommée Joe’s Sightseeing (en un seul mot) à proximité de son établissement ; contestations sur le loyer des locaux qu’elle occupe pour son activité professionnelle et sur les conditions de répartition entre elle-même et son bailleur de la taxe foncière et de la redevance pour ordures ménagères ;
    Mais considérant que les faits dénoncés ci-dessus ne sont appuyés d’aucun élément qui pourrait laisser présumer qu’ils résultent d’une entente ou seraient constitutifs d’un abus de position dominante entrant dans le champ d’application des articles L. 420-1 ou L. 420-2 du code de commerce ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de faire application des dispositions de l’article L. 462-8 du code de commerce,
                    Décide :
    Article unique.  -  Les saisines enregistrées sous les numéros F 920 et F 959 sont déclarées irrecevables.
    Délibéré, sur le rapport oral de M. Taoumi, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, et M. Cortesse, vice-président.

La secrétaire de séance,
Patricia  Perrin
La présidente,
Marie-Dominique  Hagelsteen
© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie - DGCCRF - 03 septembre  2001