Sommaire N° 06 du 24 avril  2001

Décision no 2001-D-10 du Conseil de la concurrence en date du 30 mars 2001 relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires de la société Labarbe

NOR :  ECOC0100166S

    Le Conseil de la concurrence (section III),
    Vu les lettres enregistrées les 27 novembre 2000, 13 et 20 février 2001 et 2 mars 2001 sous les numéros F 1273 et M 279, par lesquelles la société Labarbe a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Collectes Valorisation Energie Déchets (Coved), pratiques qu’elle estime tomber sous le coup de l’article L. 420-5 du livre IV du code de commerce, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ;
    Vu le livre IV du code de commerce et le décret no 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour l’application de l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
    Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et par la société Collectes Valorisation Energie Déchets ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, le représentant de la société Labarbe et le représentant de la société Collectes Valorisation Energie Déchets entendus au cours de la séance du 27 mars 2001 ;
    Considérant que le syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) du canton de Podensac a lancé, le 29 mars 1999, un appel d’offres ouvert en vue de la collecte sélective en porte-à-porte des déchets ménagers, du transport, du tri, du conditionnement et de la valorisation des produits issus de la collecte, de la communication et de l’information auprès de la population du canton ; que la date limite de réception des offres était fixée au 27 mai 1999 à 17 heures ; que quatre entreprises ont déposé une offre dans les délais requis : les sociétés Onyx Aquitaine, Labarbe, Coved et le groupement momentané conjoint GIE Tiru-Surca ; qu’il ressort du procès-verbal d’ouverture des plis que deux candidatures ont été écartées : la société Labarbe, qui ne disposait pas des références dans le domaine de la collecte sélective et n’a donc pu produire aucun certificat de capacité se rapportant à des prestations de nature et d’importance identiques à celles de l’appel d’offres, le groupement momentané conjoint GIE Tiru-Surca, qui disposait de moyens en personnels et en matériels techniques jugés insuffisants ; que la commission d’appel d’offres du SIVOM a comparé les offres présentées par les sociétés Onyx et Coved, d’un montant annuel toutes taxes comprises de 1 885 440 F pour la société Coved, et d’un montant annuel toutes taxes comprises de 2 211 040 F pour la société Onyx, et a retenu le 2 juin 1999 l’offre de la société Coved, jugée mieux-disante ;
    Considérant que le syndicat intercommunal de collecte et de traitement des ordures ménagères (SICTOM) de Castillon-La Bataille a lancé, en juillet 1999, un appel d’offres en vue du renouvellement du marché de la collecte traditionnelle des déchets ménagers, ainsi que de la collecte sélective en porte-à-porte des déchets ménagers ; que la commission d’appel d’offres du syndicat a écartée la candidature de la société Labarbe, son chiffre d’affaires ayant été jugé insuffisant par rapport au montant du marché ; qu’elle a déclaré cet appel d’offres infructeux, les offres de prix proposées par les entreprises candidates au marché étant très supérieures au montant estimé par le syndicat ; qu’un deuxième appel d’offres a été lancé en octobre 1999 en vue de la collecte sélective en porte-à-porte des déchets ménagers, du tri, du conditionnement et de la valorisation des produits issus de la collecte, de la communication auprès de la population dépendant du syndicat ; que, parmi les offres présentées par les entreprises candidates au marché, figurait l’offre de la société Coved pour un montant hors taxes de 6 047 000 F pour la collecte sélective, le tri, le conditionnement et la valorisation des déchets, et d’un montant hors taxes de 975 000 F pour les prestations de communication ; que la commission d’appel d’offres a retenu l’offre de la société Bioval, jugée moins disante, et a décidé, le 3 mars 2000, de lui attribuer le marché ; que, par une ordonnance du 31 mars 2000, le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision d’attribution de ce marché ; que, par une délibération du 7 avril 2000, le comité syndical du SICTOM a décidé de lancer une nouvelle procédure d’appel d’offres ; que, le 20 avril 2000, un troisième appel d’offres a été lancé en vue de la collecte sélective en porte-à-porte des déchets ménagers, du tri, du conditionnement et de la valorisation des produits issus de la collecte, de la communication auprès de la population dépendant du syndicat ; que la date limite de réception des offres était fixée au 15 juin 2000 à 17 heures ; que quatre offres ont été examinées par la commission d’appel d’offres du SICTOM, parmi lesquelles : l’offre de la société Coved, d’un montant annuel hors taxes de 4 522 000 F pour la collecte sélective, le tri, le conditionnement et la valorisation des déchets, et d’un montant hors taxes de 960 000 F sur cinq ans pour les prestations de communication, l’offre du groupement momentané Labarbe-Bioval, d’un montant annuel hors taxes de 5 046 741 F pour la collecte sélective, le tri, le conditionnement et la valorisation des déchets, et d’un montant hors taxes de 980 000 F sur cinq ans pour les prestations de communication ; que la commission d’appel d’offres du syndicat a décidé, le 30 juin 2000, de retenir l’offre de la société Coved, jugée mieux disante ; que, par une requête et des mémoires enregistrés au greffe les 3, 7 et 17 juillet 2000 les sociétés Labarbe et Bioval ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux, en référé, sur le fondement de l’article L. 22 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel devenu l’article L. 532-1 du code de la justice administrative, l’annulation de la décision d’attribution du marché ; qu’en date respectivement du 3 août 2000 et du 4 août 2000 les sociétés Labarbe et Bioval ont déclaré se désister de leur requête ; que, par une ordonnance du 11 août 2000, le président du tribunal administratif de Bordeaux a donné acte du désistement de la requête des sociétés Labarbe et Bioval ;
    Considérant que le syndicat de l’Entre-Deux-Mers et du Réolais pour la collecte et le traitement des ordures ménagères (USERCTOM) de Monségur a lancé, le 14 décembre 2000, un appel d’offres ouvert en vue, d’une part, du renouvellement du marché de la collecte et du transport des déchets ménagers (lot no 1), d’autre part, de la gestion des déchetteries de La Réole et de Rimons (lot no 2) ; que la date limite de réception des offres était fixée au 9 février 2001 ; que deux candidats ont présenté une offre pour la collecte et le transport des déchets ménagers, la société Coved, d’un montant annuel hors taxes de 2 815 000 F, et le groupement momentané Labarbe-Onyx, d’un montant annuel hors taxes de 3 468 831 F ; que trois candidats ont déposé une offre pour la gestion des déchetteries, la société Coved, d’un montant annuel hors taxes de 1 273 000 F, la société Surca, d’un montant annuel hors taxes de 1 376 000 F, le groupement momentané Labarbe-Onyx, d’un montant annuel hors taxes de 1 479 675 F ; qu’il ressort du rapport d’analyse des offres de la direction départementale de l’agriculture et de la forêt de la Gironde que la société Labarbe, mandataire du groupement momentané solidaire constitué avec la société Onyx, société du groupe Compagnie générale d’entreprises automobiles (CGEA), filiale du groupe Vivendi, a produit pour chacun des lots un acte d’engagement non signé ; que la commission d’appel d’offres de l’USERCTOM a décidé, le 19 février 2001, de retenir les offres de la société Coved, jugées mieux disantes ;
    Considérant que la société Labarbe soutient que la société Collectes Valorisation Energie Déchets (Coved), filiale du groupe Bouygues, a proposé à l’occasion de ces appels d’offres des prix abusivement bas et que ces pratiques sont contraires aux dispositions de l’article L. 420-5 du livre IV du code de commerce ; qu’elle fait valoir que ces pratiques de prix l’ont conduite à être écartée des appels d’offres et à perdre le seul marché qu’elle détenait ; qu’elle cessera de ce fait toute activité de collecte des déchets ménagers à compter du 31 mars 2001 ; qu’en conséquence elle demande au Conseil de prendre des mesures conservatoires sur le fondement de l’article L. 464-1 du livre IV du code de commerce, dans l’attente d’une enquête qu’elle lui demande de diligenter et jusqu’à ce qu’il soit statué au fond ;
    Considérant, d’une part, que l’article L. 420-5 du livre IV du code de commerce prohibe les « offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’éliminer d’un marché ou d’empêcher d’accéder à un marché une entreprise ou l’un de ses produits... » ;
    
Considérant, d’autre part, que le Conseil de la concurrence ne peut prononcer les mesures conservatoires mentionnées à l’article L. 464-1 du livre IV du code de commerce que si la demande dont il est saisi à cette fin est fondée accessoirement à une saisine au fond recevable ; d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 462-8 du livre IV du même code : « Le Conseil de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable s’il estime que les faits invoqués n’entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants » ;
    
Considérant, en premier lieu, ainsi que l’a énoncé la cour d’appel de Paris (3 juillet 1998, 1re chambre, SMA, Société moderne d’assainissement et de nettoiement), que l’exigence qui pèse sur l’acheteur public, en vertu des articles 95 bis, 97 ter, 297 bis et 300 du code des marchés publics, de ne pas rejeter une offre qui lui semble anormalement basse sans demander, par écrit, des précisions sur sa composition, et de vérifier cette composition au vu des justifications fournies, suppose une compétence technique incompatible avec la notion de « consommateur » au sens de l’article 10-1 de l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, codifié à l’article L. 420-5 précité du livre IV du code de commerce, et exclut l’application de ce texte à l’occasion de la passation des marchés publics ;
    Considérant qu’en passant les marchés pour la collecte classique ou sélective des déchets ménagers, ainsi que, pour l’USERCTOM de Monségur, pour la gestion des déchetteries de Réole et de Rimons, le SIVOM du canton de Podensac, le SICTOM de Castillon-La Bataille et l’USERCTOM de Monségur sont intervenus pour déléguer une mission de service public et pour satisfaire les besoins des habitants des collectivités territoriales adhérentes, et non pour satisfaire leurs propres besoins ; qu’il s’ensuit que ces établissements publics ne sont pas des consommateurs au sens des dispositions de l’article L. 420-5 précité ; qu’en conséquence les offres de prix proposées par la société Collectes Valorisation Energie Déchets au SIVOM du canton de Podensac, au SICTOM de Castillon-La-Bataille, ainsi qu’à l’USERCTOM de Monségur, ne sont pas visées par les dispositions de l’article L. 420-5 précité, qui prohibent les seules offres ou pratiques de prix de vente aux consommateurs ;
    Considérant, en deuxième lieu, que la société Labarbe n’apporte aucun élément qui pourrait laisser présumer que des pratiques relevant de l’article L. 420-1 du livre IV du code de commerce, qui prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, auraient été mises en œuvre par la société Coved à l’occasion des appels d’offres concernés ;
    Considérant, en troisième lieu, qu’au regard de l’article L. 420-2 du même code, qui prohibe l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprise d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, la société Labarbe n’apporte pas d’éléments permettant ni de délimiter le marché de référence, ni, a fortiori, d’établir l’existence d’une position dominante de la société Coved, ni, enfin, de démontrer que cette dernière société a présenté des offres abusivement basses en pratiquant des prix inférieurs à ses coûts variables moyens, tels qu’ils résultent des éléments comptables propres à cette société ; que l’existence de prix prédateurs ne peut être déduite de la seule comparaison des prix pratiqués entre les appels d’offres de chaque syndicat, ni de la seule comparaison des prix pratiqués entre ces appels d’offres et les appels d’offres concernant les marchés antérieurs ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de faire application des dispositions de l’article L. 462-8 précité du livre IV du code de commerce et de déclarer la saisine irrecevable et, par voie de conséquence, de rejeter la demande de mesures conservatoires,
                        Décide :
    Art.  1er.  -  La saisine au fond enregistrée sous le numéro F 1273 est déclarée irrecevable.
    Art.  2.  -  La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 279 est rejetée.
    Délibéré, sur le rapport oral de Mme Reffet, par Mme Hagelsteen, présidente, M. Cortesse, vice-président, MM. Bidaud, Robin et Ripotot, membres.

La secrétaire de séance, Patricia  Perrin La présidente, Marie-Dominique  Hagelsteen

Ministre de l'conomie, des Finances et de l'Industrie- 18 juin 2001