Décision no 2000-D-78 du Conseil de la concurrence en
date du 21 mars 2001 relative à la situation de la concurrence dans le secteur
des taxis à Besançon
NOR : ECOC0100149S
Le Conseil de la concurrence (commission
permanente),
Vu la lettre enregistrée le 28 décembre 1995 sous le
numéro F 832-2, par laquelle le ministre de léconomie a saisi le Conseil de
la concurrence de pratiques relatives à la situation de la concurrence dans le secteur
des taxis à Besançon ;
Vu le livre IV du code de commerce et le décret no 86-1309
du 29 décembre 1986 modifié, pris pour lapplication de lordonnance
no 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
Vu les observations présentées par lassociation
Taxis-Radio Besançon et le commissaire du Gouvernement ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement et le représentant de lassociation Taxis-Radio Besançon entendus lors
de la séance du 22 novembre 2000,
Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les
motifs (II) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
A. - Le dispositif encadrant lexercice de la
profession
dexploitant de taxi
1. Le cadre général
Lindustrie du taxi est soumise à une
réglementation concernant, notamment, les conditions générales dexercice de la
profession et la tarification des services rendus.
Larticle 1er de la loi no 95-66
du 20 janvier 1995 relative à laccès à lactivité de conducteur
et à la profession dexploitant de taxi, reprenant la définition du décret no 73-225
du 2 mars 1973, qualifie de taxi : « Tout véhicule automobile de
neuf places assises au plus, y compris celle du chauffeur, muni déquipements
spéciaux, dont le propriétaire ou lexploitant est titulaire dune
autorisation de stationnement sur la voie publique en attente de clientèle, afin
deffectuer à la demande de celle-ci et à titre onéreux le transport particulier
des personnes et de leurs bagages. »
Laccès à la profession dexploitant de taxis est
subordonné à une condition de compétence sanctionnée par un certificat de capacité
professionnelle et à la détention dune autorisation de stationnement sur la voie
publique. Ces dernières sont délivrées par le maire, qui en détermine le nombre et
délimite sur le territoire de sa commune les zones de prise en charge des clients. Une
entreprise de taxis peut détenir plusieurs autorisations et les exploiter par préposé.
Elles sont cessibles à titre onéreux. Le titulaire présente son successeur à
lautorité administrative, qui agrée la mutation après consultation de la
commission communale ou départementale des taxis et voitures de petite remise.
Au nom de considérations tirées de la commodité des usagers et
de la sécurité de la circulation sur les voies publiques, le dispositif législatif et
réglementaire en vigueur confère aux maires des communes de plus de
20 000 habitants le pouvoir de réglementer, compte tenu des circonstances
locales, lorganisation et lexercice de la profession de taxi. Les taxis
doivent être obligatoirement munis dun compteur horokilométrique, dun
dispositif extérieur, lumineux la nuit, portant la mention taxi, et les indications,
visibles de lextérieur, de la commune ou de lensemble des communes
dattachement, ainsi que du numéro dautorisation de stationnement. Ils ne
peuvent stationner et éventuellement charger des clients que dans des zones prévues à
cet effet sur les territoires des communes dattachement.
La conduite dun véhicule taxi nest pas réservée
exclusivement au titulaire de lautorisation de stationnement ; les exploitants
peuvent confier la conduite de leurs taxis à leur conjoint, à des salariés ou à des
suppléants ; il sagit de la pratique du « doublage ». Cette
pratique a reçu une consécration réglementaire, puisque larticle 10 du
décret no 95-935 du 17 août 1995 la prévoit explicitement.
Par dérogation aux règles générales applicables en matière de
concurrence et sur le fondement de larticle 1er de lordonnance
du 1er décembre 1986, les tarifs des courses de taxi sont
réglementés. Le Conseil de la concurrence, dans lavis no 87-A-01
du 18 mars 1987 relatif à la réglementation des courses de taxi, avait
considéré que lindustrie du taxi « constitue un service dintérêt
collectif utilisant la voie publique » et que, par suite, les dispositions
législatives et réglementaires habilitant les maires et les préfets à prendre toutes
mesures relatives à son organisation et à son exercice « font obstacle à ce
que puisse être débattu sur la voie publique le prix de chaque course ».
Le décret no 87-238 du 6 avril 1987 a
défini les différentes composantes à retenir pour fixer le prix des courses, compte
tenu de la distance parcourue et du temps de transport : prise en charge, prix du
kilomètre, période dattente commandée par le client, marche ralentie du
véhicule. Des majorations sont prévues qui tiennent compte, par exemple pour le prix du
kilomètre, de courses effectuées de nuit ou qui imposent un retour à vide. En
application de ce texte, le ministre chargé de léconomie fixe chaque année
laugmentation du prix dune course type, délégation étant donnée au préfet
pour fixer les prix maximaux que les taxis peuvent appliquer dans le département. Le
non-respect de ce dispositif constitue une infraction à larticle 1er
de lordonnance du 1er décembre 1986, qualifiée de pratique de prix
illicites.
2. Lorganisation de la profession dexploitant
de taxis à Besançon
A la date des constatations, quarante-quatre
professionnels bénéficiaient dune autorisation de stationnement à Besançon.
Le 1er décembre 1970, les membres du Syndicat autonome
des taxis bisontins ont décidé de créer une section de radio-téléphone sous la
forme dune association de la loi 1901, qui a pris le nom de Taxis-Radio Besançon
(TRB).
Lassociation regroupait quarante-trois taxis sur les
quarante-quatre titulaires dune autorisation de stationnement.
La cotisation mensuelle des membres sélevait, à
lépoque des faits, à 1 200 F hors taxes. Selon larticle IV
des statuts de lassociation, le successeur dun membre de lassociation
est admis de plein droit, sous réserve dacquitter un droit dinscription de
2 500 F. Ladmission dun exploitant taxi non successeur est
subordonnée au vote favorable dau moins les deux tiers des membres de
lassociation et le montant de son droit dentrée est fixé par
lassociation.
B. - Les pratiques constatées
Larticle IV des statuts de
lassociation des Taxis-Radio Besançon dispose : « Pour adhérer à la
section, il faut être titulaire de lautorisation taxi délivrée par la ville et
être membre du Syndicat autonome des taxis bisontins. Les nouvelles demandes
dadhésion seront adressées au président, examinées par le bureau et soumises au
vote des membres de la section. Le vote sera secret et deux tiers des voix seront
nécessaires pour être admis. Le successeur dun taxi-radio est admis de plein droit
dans la section sous réserve dacquittement des droits dinscription en
vigueur. »
Au cours de lassemblée générale du
26 février 1994, la candidature de M. Badi a fait lobjet dun
vote favorable de plus des deux tiers des participants. Le droit dentrée de ce
nouvel adhérent a été fixé, au cours dune réunion de bureau qui sest
tenue le 9 mars 1994, à 50 000 F hors taxes. Ce montant correspond à
3 500 F pour participation au matériel, à 3 000 F de droit dentrée et
à 43 500 F dapport de clientèle.
Larticle X des statuts interdit aux membres de
lassociation de faire de la publicité personnelle et larticle XII interdit
aux adhérents de posséder une « deuxième installation radiophonique ou
téléphonique permettant une liaison avec un poste fixe ou mobile en vue de prise ou de
commande de courses... Le comité se réserve le droit, en cas de détournement de
clientèle caractérisé et en application des règles de proximité, dexclure
immédiatement le contrevenant de la section taxi-radio ».
Au vu de ces constatations, les griefs suivants ont été
notifiés à lassociation des Taxis-Radios Besançon :
davoir inscrit, à larticle IV de
ses statuts, lobligation dadhérer au Syndicat autonome des taxis bisontins
pour pouvoir adhérer à lassociation ;
de soumettre ladhésion dun taxi,
non successeur dun membre de lassociation, à un vote favorable de
lassemblée générale et à lacquittement dun droit fixé par cette
même assemblée ;
davoir inscrit à larticle X de ses
statuts linterdiction faite à tout membre de lassociation de faire de la
publicité personnelle et, à larticle XII, linterdiction de posséder une
deuxième installation téléphonique ou radiophonique permettant une liaison avec un
poste fixe ou mobile en vue de la prise ou de la commande de courses.
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS
QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL
Sur
les pratiques constatées :
En ce qui
concerne les conditions dadhésion à lassociation Taxis-Radio
Besançon :
Considérant que larticle IV des statuts dispose que tout
nouvel adhérent doit être membre du Syndicat autonome des taxis bisontins ;
Considérant que le montant du droit dentrée dans
lassociation demandé aux candidats qui ne succèdent pas à un membre de
lassociation nest pas fixé dans les statuts ou par lassemblée
générale dans des conditions objectives, mais est laissé à lappréciation des
membres du bureau ; quainsi, dans le cas de ladhésion de M. Badi,
cest le bureau qui a fixé le montant du droit dentrée, après le vote
favorable de lassemblée générale à son admission ; quen
labsence de critères de calcul objectifs, cette faculté peut être utilisée pour
faire obstacle à laccès dun nouvel entrant sur le marché des courses de
taxis de la ville de Besançon ;
Considérant que le représentant de lassociation
Taxis-Radio Besançon a soutenu en séance que la seule demande dadhésion qui ait
été présentée est celle de M. Badi, laquelle a été acceptée par lassemblée
générale ; que les nouveaux statuts, en vigueur depuis mai 1998, définissent les
modalités de détermination du droit dentrée pour les candidats qui ne succèdent
pas à un membre de lassociation ; quactuellement, le montant du droit
dentrée sélève à 50 000 F ; que lobligation
dadhérer au Syndicat sexplique par les circonstances de la création de
lassociation qui, à lorigine, était une section du Syndicat ; que,
dans la pratique, lappartenance au Syndicat na jamais été exigée ; que
cette obligation a dailleurs disparu des statuts depuis mars 1998 ;
Considérant, toutefois, que, même si les dispositions
précitées nont pas reçu dapplication, leur simple présence dans les
statuts de lassociation, qui regroupait la quasi-totalité des exploitants de taxis
à Besançon, a eu pour objet, pendant la période pendant laquelle les statuts ont été
en vigueur, de limiter laccès au marché des courses de taxis à Besançon de
candidats non successeurs dun membre de lassociation, ainsi que de candidats
non membres du syndicat professionnel ; que, par suite, ces dispositions sont
prohibées par larticle L. 420-1 du code de commerce ;
En ce qui concerne
linterdiction de faire de la publicité personnelle et de posséder une seconde
installation téléphonique ou radiophonique :
Considérant que larticle X des statuts interdit aux membres
de faire de la publicité personnelle ; que larticle XII leur interdit de
posséder une deuxième installation téléphonique ou radiophonique permettant une
liaison avec un poste fixe ou mobile en vue de prise ou de commande de courses ;
Considérant que le président de lassociation a fait valoir
en séance quaucune sanction pour publicité personnelle na jamais été
prononcée ; que linterdiction de posséder une seconde installation
téléphonique ou radiophonique était, à lorigine, imposée par France
Télécom ; que cette interdiction ne figure plus dans les nouveaux statuts ;
que la borne dappel de la gare na pas été supprimée ; que la redevance
téléphonique perçue sur cette borne dappel est dailleurs payée par
lassociation ;
Considérant, toutefois, que, même si la disposition relative à
linterdiction de la publicité personnelle na pas donné lieu à sanctions, sa
simple présence dans les statuts a été de nature à restreindre la liberté commerciale
des membres de lassociation en les dissuadant de se constituer une clientèle
propre ; quil nappartenait pas à lassociation Taxis-Radio
Besançon de se substituer à France Télécom pour faire appliquer la
réglementation ; que linterdiction de posséder une seconde installation,
telle quelle figurait dans larticle XII des statuts, était également de
nature à entraver la liberté commerciale des membres de lassociation en les
dissuadant de se constituer une clientèle propre ;
Considérant quil résulte de ce qui précède que les
dispositions des articles X et XII des statuts de lassociation ont eu pour objet
dempêcher le libre jeu de la concurrence entre les membres de lassociation et
sont, par suite, prohibées par larticle L. 420-1 du code de commerce ;
Sur les
sanctions :
Constatant quaux termes de larticle L. 464-2
du code de commerce : « Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux
intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé
ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire
applicable soit immédiatement, soit en cas dinexécution des injonctions. Les
sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à
limportance du dommage causé à léconomie et à la situation de
lentreprise ou de lorganisme sanctionné. Elles sont déterminées
individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée
pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de
5 % du montant du chiffre daffaires hors taxes réalisés en France au cours du
dernier exercice clos. Si le contrevenant nest pas une entreprise, le maximum est de
dix millions de francs » ;
Considérant que limportance du dommage causé à
léconomie par les pratiques de lassociation Taxis-Radio Besançon, qui
regroupait au moment des faits quarante-trois exploitants de taxi sur les quarante-quatre
en activité de la ville de Besançon, résulte de ce quelles visaient à empêcher,
dune part, le développement dentreprises concurrentes et, dautre part,
la constitution dune clientèle privée par ses adhérents ; que de telles
pratiques, visant à supprimer dans un secteur réglementé les faibles marges où peuvent
sexercer la concurrence, sont graves ; que, toutefois, il convient de tenir
compte, dune part, de la circonstance quelles nont pas conduit à
évincer des concurrents du marché et, dautre part, que les restrictions visées
par la présente décision ont été retirées des statuts modifiés en mars 1998 ;
Considérant quil y a lieu de prendre acte des modifications
introduites dans les statuts en vigueur depuis mars 1998, en ce quelles ont
supprimé lobligation pour les membres de lassociation dadhérer au
Syndicat autonome des taxis bisontins et linterdiction de faire de la publicité
personnelle, de posséder une seconde installation téléphonique ou radiophonique et en
ce quelles ont prévu que le montant des droits dentrée et dadhésion
sont fixés chaque année par lassemblée générale ordinaire sur proposition du
bureau ;
Considérant que les ressources de lassociation se sont
élevées à 647 441 F en 1999 ; quil y a lieu, au vu des éléments
dappréciation exposés ci-dessus, de lui infliger une sanction pécuniaire de
25 000 F,
Décide :
Art. 1er. - Il est
établi que lassociation des Taxis-Radio Besançon a enfreint les dispositions de
larticle L. 420-1 du code de commerce.
Art. 2. - Il est infligé à
lassociation des Taxis-Radio Besançon une sanction pécuniaire de 25 000 F.
Délibéré, sur le rapport oral de Mme Chaulet-Philippe, par
Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel et M. Cortesse, vice-présidents.
La secrétaire de séance, Patricia Perrin |
La présidente, Marie-Dominique Hagelsteen |
Ministre de l'conomie, des Finances et de l'Industrie- 18 juin 2001