Sommaire | N° 01 du 23 janvier 2001 |
Décision no 2000-D-63 du Conseil de la concurrence en date du 20 décembre 2000 relative à la situation de la concurrence dans le secteur de la distribution de fioul domestique
NOR : ECOC0100003S
Le Conseil de la concurrence
(section IV),
Vu la lettre enregistrée le 1er avril 1998 sous
le numéro F 1036, par laquelle le ministre de léconomie, des finances et de
lindustrie a saisi le Conseil de la concurrence de la situation de la concurrence
dans le secteur de la distribution du fioul domestique ;
Vu le livre IV du code de commerce et le décret no 86-1309
du 29 décembre 1986 modifié pris pour lapplication de lordonnance no 86-1243
du 1er décembre 1986 ;
Vu les observations présentées par la société Interfuel, les
établissements Pinson, les établissements Périn, la société Les Distributeurs de
Combustibles associés, venant aux droits et obligations de la société Etablissements
Bernoville, le Syndicat des négociants en combustibles de lAisne, la société
Shell Direct, venant aux droits et obligations de la société Copitherm, M. Cordey,
distributeur indépendant, la Chambre régionale de commerce des combustibles de
Normandie, la société Les Combustibles de Normandie, les sociétés Petrovex et Soft, la
société Mobil Oil Française, venant aux droits de Coredis, la société Nervol, venant
aux droits de C3M et M. Lévêque, distributeur indépendant, et par le commissaire
du Gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement et les représentants de la société Interfuel, de la société Les
Distributeurs de Combustibles associés venant aux droits et obligations des
établissements Bernoville, de la société Petrovex, de la société Les Combustibles de
Normandie, des établissements Périn, de la société Shell Direct venant aux droits et
obligations de la société Copitherm, de la société Mobil Oil Française venant aux
droits de la société Coredis, de la société Nervol, entendus lors de la séance du
25 octobre 2000 ;
Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les
motifs (II) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
A. - La distribution de fioul domestique
1. La demande et loffre au niveau national
En diminution régulière depuis les chocs
pétroliers, la consommation nationale de fioul domestique atteignait 17 293
kilotonnes en 1993. Cette consommation est répartie entre le chauffage des particuliers
(51 %), lagriculture (14 %), lindustrie (17 %) et, enfin,
les marchés publics (10 %). En tant quénergie de chauffage, le fioul est, en
principe, substituable à lélectricité et au gaz mais le choix des consommateurs
est limité par la nature de léquipement installé. La demande de fioul est
saisonnière, les volumes mensuels vendus en décembre, janvier et février représentant
en moyenne plus du double de ceux vendus en mai et juin. Le Nord - Pas-de-Calais
et la Picardie, régions dans lesquelles ont eu lieu les pratiques dénoncées,
représentent respectivement 5 % et 3,5 % de la consommation nationale.
Trois catégories dentreprises distribuent du fioul
domestique. Pour lannée 1996, les groupes pétroliers et leurs filiales ont assuré
ensemble la très grande majorité des ventes nationales (77 %). Prises séparément,
les filiales détenaient, pour la même année, 38 % du marché national, les
principales étant les filiales dElf (14,5 %), Total (9,3 %) et BP
(4,3 %).
22 % des ventes totales sont assurées par les négociants
revendeurs indépendants, qui disposent soit dune unique implantation locale, soit
dun réseau de plusieurs points de vente. A léchelle nationale, les
principaux vendeurs indépendants sont Bolloré Energie (4,6 % des ventes), Les
Combustibles de Normandie (1,8 %), les Etablissements Périn (1,5 %).
Limportance des négociants revendeurs indépendants décroît du fait, notamment,
des rachats de fonds de commerce par les filiales de groupe pétroliers.
Enfin, la distribution du fioul domestique et également assurée
par la grande distribution. Ainsi, la société Pétrovex, citée dans la présente
affaire, est une filiale dAuchan chargée de cette activité. La part des ventes
effectuée par la grande distribution, très minoritaire en 1996 (1 % des ventes
nationales), est croissante, les points de vente ayant doublé entre 1995 et 1996, pour
atteindre 180. A la différence de la clientèle des filiales de groupes pétroliers et
des revendeurs indépendants, celle des grandes surfaces est presque exclusivement
composée de particuliers.
Les distributeurs de fioul domestique sapprovisionnent
auprès dentrepositaires agréés et de grossistes appartenant principalement aux
groupes pétroliers. Les filiales de groupes pétroliers spécialisées dans la
distribution de fioul domestique ne sont pas forcément liées à leur maison mère pour
leurs approvisionnements. De leur côté, les distributeurs indépendants sadressent
en général à plusieurs fournisseurs, en fonction des conditions offertes.
2. La distribution de fioul domestique est caractérisée
par lexistence de marchés géographiques locaux
4 000 points de vente de fioul domestique
étaient recensés sur le territoire français dans les années quatre-vingt-dix. Il
existe une très grande dispersion des volumes annuels vendus entre ces points de vente.
Le rayon de livraison dun distributeur de fioul domestique est limité à une zone
géographique dune trentaine de kilomètres à partir de limplantation de son
dépôt ; au-delà de cette zone, il nest pas rentable pour le distributeur de
livrer des clients en raison des coûts de transport.
Cette dimension géographique des marchés pertinents conduit à
relativiser la faiblesse des parts des ventes réalisées à léchelle nationale.
Dès lors que les consommateurs ne peuvent sadresser quaux distributeurs
présents dans leur zone dhabitation, un distributeur peut être en position
dominante sur un marché local, alors même que ses ventes ne représentent quune
faible part des ventes nationales. Sur ces marchés locaux, on dénombre en général une
ou plusieurs filiales de groupe pétrolier, plusieurs distributeurs indépendants et, plus
rarement, encore que le mouvement soit à la hausse, une ou des filiales de la grande
distribution. Le poids relatif de ces types de distributeurs varie dune zone à
lautre.
Les prix finaux sont étroitement liés au prix dachat du
fioul. Ils sont susceptibles de fluctuer à un horizon de quinze jours à trois semaines,
ce qui explique que les publicités sur les prix soient très rares dans ce secteur.
Néanmoins, le caractère géographique restreint des marchés autorise des campagnes
publicitaires très ciblées et les démarchages directs de clients, au moyen de tracts ou
de « phoning ».
En réponse aux fluctuations saisonnières de la demande, les
distributeurs de fioul domestique différencient leur prix selon lépoque de
lannée. Ainsi, en 1993, le prix moyen annuel de vente du fioul domestique au niveau
national était de 2,09 F (TTC) par litre, le prix moyen mensuel maximum, de
2,15 F (TTC), ayant été atteint en novembre et le prix moyen mensuel minimum de
2,04 (TTC), en juin. Lamplitude des variations mensuelles de prix ainsi que les mois
où les prix atteignent des maxima/minima dépendent des conditions climatiques. Par
ailleurs, ces données nationales masquent dimportantes disparités locales.
Pour lensemble des distributeurs, les marges dhiver
sont supérieures à celle dété et les particuliers constituent un segment de
clientèle plus rentable que la clientèle des agriculteurs. Les ordres de grandeur de
marges ont varié sur la durée de lenquête. Entre 1993 et 1996, elles se situaient
dans une fourchette allant de 10 à 35 centimes par litre. Les niveaux de marge
diffèrent, en outre, dun marché local à lautre.
B. - Les pratiques relevées
1. Le cadre général des « opérations riposte »
de la société Interfuel
La société Interfuel, qui appartient au groupe
British Petroleum (BP), a défini, au début des années quatre-vingt-dix, une
politique commerciale orientée vers la préservation de ses marges et de ses parts de
marché. Cette politique commerciale, baptisée « opérations riposte »,
était définie et encadrée par le siège Interfuel, ainsi quen témoignent les
documents saisis lors de lenquête. Le principe de ces opérations a été arrêté
en 1989, comme le précise une note dactylographiée, datée du 29 mai 1989, émanant
de la direction commercial dInterfuel :
« (...) Politique (...) : 5o Prix
de vente correspondant à notre image de qualité, politique non agressive, mais avec
droit de riposte.
(...) 3. Prix de vente : sauf exception décidée
en commun avec la direction générale, nous ne sommes pas attaquants, mais suiveurs.
3.1. Prix des fiouls. (...)
3.1.2. Stratégie de prix. En cas dattaque
dun client par un concurrent dans notre zone, le responsable dagence doit
rechercher le niveau de prix susceptible de ne pas perdre ce client. Il cherche bien
entendu à fixer au plus haut en tenant compte, notamment, des qualités de lagence
par rapport à ladversaire.
Il a par la suite un droit de riposte avec cet adversaire. La
condition dexercice de ce droit est de la faire savoir à ladversaire. »
Une note manuscrite, intitulée « La Stratégie
riposte » et rédigée par Mme Prince, ancienne responsable marketing
dInterfuel, a été saisie au siège de cette société. Elle établit les motifs de
mise en place dune opération riposte (débauche ou installation de personnel
Interfuel, agression sur le marché) et les moyens de ces opérations (guerre des prix,
opérations promotionnelles). Elle souligne quil est nécessaire destimer les
risques de contamination, dinformer les concurrents, de suivre et analyser les
résultats obtenus en fonction de lobjectif initial. Cette note fixe également le
cadre dune participation du siège aux opérations des agences, ce qui leur permet
de pratiquer pendant plusieurs mois des marges très faibles :
« Les principes des budgets riposte
1o La contribution riposte des
agences :
10 F/m3 prélevés par avance ;
12 F/m3 apportés par IF siège (lire Interfuel
siège) ;
Remise dans un compte dattente.
2o Le responsable du budget :
Bernard Hiffler. »
La mise en uvre, le déroulement et les résultats des
opérations riposte font lobjet de rapports dans des documents hebdomadaires
rédigés par la direction commerciale dInterfuel (DCO) intitulés « Les
Echos de la DCO ».
2. Le marché de la zone de Maubeuge (59)
Selon le rapport administratif denquête, la
société Interfuel, filiale de la société BP, disposait en 1993-1994, sur le
marché de la zone de Maubeuge, de quatre points de prise de commande, qui lui
permettaient de totaliser près de 45 % des volumes annuels vendus dans un
périmètre de 15 km autour de Maubeuge. Un magasin Auchan desservait, depuis
octobre 1992, le marché local de Maubeuge par lintermédiaire de la société
Petrovex, filiale du groupe Auchan, à hauteur de 7 % des volumes annuels. La
stratégie tarifaire de cet opérateur était de prendre des parts de marché, sans pour
autant casser systématiquement les prix. Enfin, une douzaine de distributeurs
indépendants assuraient aussi la distribution de fioul domestique sur ce marché local.
Leurs parts de marché étaient faibles : cinq dentre eux desservaient moins de
3 % du marché, et les sept restants desservaient entre 4 et 9,5 %.
La détermination de ces parts de marché repose sur une zone de
livraison de 15 km autour de Maubeuge, alors que le rayon daction des
distributeurs de fioul domestique est de 30 km en moyenne. Les parts relatives
réelles de chaque distributeur sont donc entachées dune certaine incertitude. Il
nen demeure pas moins que, sur le marché de la distribution de fioul domestique
dans la proche région de Maubeuge, le principal opérateur était, à lépoque,
Interfuel, concurrencé par de petits ou très petits distributeurs indépendants et par
un magasin Auchan.
Les pratiques relevées sur le marché de Maubeuge paraissent
sinscrire dans la stratégie générale de la société Interfuel définie par le
siège. A lautomne 1993, M. Nolot, responsable de lagence Interfuel
de Maubeuge, a effectué des démarches auprès de quatre distributeurs indépendants de
la zone afin de mettre en place une concertation tarifaire. Les incitations à la hausse
des prix étaient appuyées de deux éléments : dune part, il était avancé
que cette démarche était collective, au sens où dautres distributeurs, y compris
Auchan, étaient daccord pour relever leurs prix ; dautre part, en cas de
refus dalignement à la hausse, Interfuel menaçait de déclencher une guerre
tarifaire pouvant aller jusquà lannulation de ses propres marges, ce qui
amènerait les récalcitrants à relever leurs prix.
Les distributeurs suivants ont été contactés par Interfuel,
sans succès : les établissements Ducornet (8,2 % des parts de marché), les
établissements Blot (4,9 % des ventes) et la société Lenain, qui détenait moins
de 1 % du marché.
En revanche, la démarche effectuée par M. Nolot auprès des
établissements Pinson, situés à Hautmont (59) et desservant 4,2 % du marché local
de Maubeuge, a été suivie deffet, ainsi que lindique M. Pinson dans le
procès-verbal de déclaration du 14 mai 1997.
« M. Nolot de la société Interfuel est venu me voir en
septembre-octobre 1993 (...) pour me dire que mes prix étaient corrects et que nous
nétions pas plus cher quAuchan Louvroil mais que la marge commerciale devait
être augmentée. M. Nolot ma indiqué quil agissait sur les ordres de sa
direction pour prendre contact avec la concurrence dans la perspective daugmenter
les marges de son point de vente de Maubeuge. Il ma demandé daugmenter mes
marges et dans le cas où je nacceptais pas cette demande il pouvait faire des
marges 0. Je lui ai fait savoir que mes prix de vente étaient alignés sur ceux
dAuchan Louvroil avec un différentiel de 1 centime environ en dessous de ceux
dAuchan en lui précisant que si les prix dAuchan subissaient des hausses,
jaurais pu augmenter mes prix également. Sur ce, M. Nolot ma indiqué
quil allait prendre contact avec les responsables des distributeurs du secteur dont
ceux de lhypermarché de Louvroil. Jai considéré cette démarche positive
dans le sens où chacun doit faire fonctionner son entreprise.
(...) A cette époque, jai constaté un
relèvement de lordre de 10 centimes des prix de vente du fioul de la part
dAuchan (...). Le relèvement constaté ma permis de relever dans les mêmes
proportions mes propres prix de vente et donc mes marges. »
3. Le marché de la zone de Saint-Quentin (02)
Selon le rapport administratif denquête,
sept entreprises assuraient, en 1996, la distribution de fioul domestique sur le
marché de Saint-Quentin. Les principaux distributeurs, en termes de parts de marché,
étaient les suivants : les établissements Bernoville, avec 26 % des
volumes vendus, DCA, filiale de Total, avec 25 %, Interfuel, filiale de BP, avec
16 %, et les établissements Périn, avec 16 %. Les trois autres distributeurs
indépendants étaient des entreprises de petite taille. Loffre sur le marché de
Saint-Quentin était donc principalement répartie entre deux filiales de groupes
pétroliers et deux distributeurs indépendants.
Les établissements Bernoville avaient une clientèle composée
très majoritairement dagriculteurs. Lors de lhiver 1993-1994, ils ont
décidé daccorder aux particuliers le bénéfice des tarifs traditionnellement
réservés aux agriculteurs, par le biais des comités dentreprise. Les prix
pratiqués par Bernoville à cette époque étaient donc sensiblement plus bas que ceux
des autres distributeurs du secteur.
Ce positionnement commercial des établissements Bernoville a
été à lorigine dune opération riposte de la part dInterfuel.
Dune part, Interfuel a lancé une offre promotionnelle valable du
21 décembre 1993 au 7 janvier 1994. Les prix proposés étaient
de 1,66 F TTC/litre, pour des livraisons de moins
de 3 000 litres, et de 1,60 F TTC/litre, pour des livraisons de plus
de 3 000 litres. Ce prix était inférieur à celui des établissements
Bernoville, le différentiel étant de lordre de 30 centimes, et le décrochage
par rapport aux prix pratiqués jusqualors par Interfuel était de lordre
de 50 centimes. Cette offre promotionnelle aurait été diffusée auprès des
consommateurs au moyen de tracts et de publicités parues dans lhebdomadaire PUB,
édition de Compiègne. La campagne publicitaire aurait été élaborée en collaboration
avec les responsables « marketing » du siège dInterfuel.
Linformation sur les prix bas de lagence Interfuel de Saint-Quentin aurait
aussi été transmise à un groupement dacheteurs de fournitures agricoles, le
GERMA.
Dautre part, Interfuel aurait sollicité lintervention
de M. Launoy, qui exerçait à la fois les fonctions de directeur des établissements
Périn, distributeur de taille comparable aux établissements Bernoville, et de président
du Syndicat des négociants en combustibles de lAisne, auprès de M. Bernoville,
pour amener celui-ci à relever ses prix.
Cette « opération riposte » aurait permis
datteindre lobjectif que sétait assigné lagence Interfuel de
Saint-Quentin puisque le prix du fioul des établissements Bernoville aurait affiché une
hausse à lissue de lopération.
4. Les autres marchés
Dautres marchés ont été étudiés par les
enquêteurs. Cependant, lors de la rédaction de son rapport, le rapporteur a écarté,
pour des raisons de procédure, les principales pièces afférentes à ces marchés.
C. - Les griefs notifiés
Sur la base de ces constatations, les griefs
suivants ont été notifiés, le 12 avril 1999 et le 12 octobre 1999, sur le
fondement de larticle L. 420-1 du code de commerce :
- à lencontre dInterfuel, pour avoir mis en uvre des actions
concertés sur les marchés de Maubeuge, Saint-Quentin et Cherbourg ;
- à lencontre de la société Pétrovex, pour avoir mis en uvre
une action concertée sur les marchés de Cherbourg et de Périgueux ;
- à lencontre de la société Shell Direct, venant aux droits de la
société Copitherm, pour avoir mis en uvre une action concertée sur le marché de
Vimoutiers ;
- à lencontre de la chambre régionale de commerce des combustibles de
Normandie, pour avoir organisé des réunions et diffusé des informations appuyées sur
des évaluations de coûts auprès des distributeurs en vue de fixer des marges
minimales ;
- à lencontre de la société Les Combustibles de Normandie (LCN) pour
avoir participé à une action concertée sur le marché de Cherbourg ;
- à lencontre des Etablissements Pinson pour avoir adhéré à une
action concertée sur le marché de la distribution de fioul domestique dans la région de
Maubeuge ;
- à lencontre des Etablissements Périn pour avoir adhéré à une
action concertée sur le marché de la distribution de fioul domestique dans la région de
Saint-Quentin ;
- à lencontre des Etablissements Bernoville, qui ont été
ultérieurement absorbés par la société Les Distributeurs de Combustibles associés,
pour avoir adhéré à une action concertée sur le marché de la distribution de fioul
domestique dans la région de Saint-Quentin ;
- à lencontre de M. Cordey, distributeur indépendant, pour avoir
adhéré à une action concertée sur le marché de la distribution de fioul domestique
dans la région de Vimoutiers ;
- à lencontre de la société Soft pour avoir adhéré à une action
concertée sur le marché de la distribution de fioul domestique dans la région de
Périgueux ;
- à lencontre de la société Nervol, venant aux droits
de C 3 M, pour avoir adhéré à une action concertée sur le marché de la
distribution de fioul domestique dans la région de Périgueux ;
- à lencontre de M. Lévêque, distributeur indépendant, pour avoir
adhéré à une action concertée sur le marché de la distribution de fioul domestique
dans la région de Périgueux ;
- à lencontre du Syndicat des négociants en combustibles de
lAisne pour avoir adhéré à une action concertée sur le marché de la
distribution de fioul domestique dans la région de Saint-Quentin ;
- à lencontre de la société Mobil Oil Française, venant aux droits de
la société Corédis, pour avoir adhéré à une action concertée sur le marché de la
distribution du fioul domestique dans la région de Périgueux.
Au stade du rapport écrit, nont été retenus que les
griefs formulés à lencontre :
- de la société Interfuel, pour sêtre livrée à des pratiques
dentente anticoncurrentielle sur les marchés de Maubeuge et Saint-Quentin, sous
réserve toutefois de lappréciation des pièces versées au dossier sur ce
deuxième marché ;
- des Etablissements Pinson, pour sêtre livrés à des pratiques
dentente anticoncurrentielle sur le marché de Maubeuge ;
- des Etablissements Périn et des établissements Bernoville, qui ont été
ultérieurement absorbés par la société Les Distributeurs de Combustibles Associés,
pour sêtre livrés à des pratiques dentente anticoncurrentielle sur le
marché de Saint-Quentin, sous réserve toutefois de lappréciation des pièces
versées au dossier.
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS
QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL,
Sur
les pratiques relevées sur le marché de la zone de Saint-Quentin :
En ce qui concerne
la régularité des procès-verbaux :
Considérant que la société Interfuel, les établissements
Périn et les établissements Bernoville font valoir que lensemble des pièces
relatives au marché de Saint-Quentin doit être écarté au motif que lobligation
de loyauté dans le déroulement de la procédure na pas été respectée dès lors
que les procès-verbaux de déclaration et de communication de documents ne comportent ni
le visa du livre IV du code de commerce, anciennement ordonnance no 86-1243
du 1er décembre 1986, ni, à lexception de deux dentre eux,
lexplication de lobjet de lenquête ;
Considérant que le commissaire du Gouvernement conclut à la
validité des procès-verbaux daudition de M. Bernoville en date des
22 juin et 12 juillet 1994 dès lors que, malgré labsence de
référence à lordonnance du 1er décembre 1986, « le fait
que lenquêteur ait décliné ses qualités tout en précisant quil agissait
notamment sous lautorité du chef de la brigade interrégionale denquête
Nord - Pas-de-Calais - Picardie pouvait difficilement laisser ignorer
à la personne interrogée quil sagissait dune enquête de concurrence.
Cette personne pouvait dautant moins lignorer que ses déclarations portent
précisément sur des questions de concurrence. » ;
Mais considérant que les déclarations et documents
permettant détablir la participation dune personne auditionnée à une
entente prohibée ne peuvent être considérés comme régulièrement recueillis que si
cette personne na pu se méprendre ni sur la portée de ses déclarations et des
communications de documents auxquelles elle procède, ni sur le fait que ces déclarations
et communications pouvaient ensuite être utilisées contre elle ; quen
lespèce, le procès-verbal de déclaration de M. Bernoville, en date du
22 juin 1994, le procès-verbal de déclaration de M. Alleau, « manager »
régional Picardie de la société Interfuel, en date du 29 juin 1994, le
procès-verbal de déclaration de M. Alleau et de M. Tugaut, « manager »
régional pour la région Est de la société Interfuel, en date du 1er juillet
1994, ne visent pas lordonnance du 1er décembre 1986 et portent la
simple mention « après avoir indiqué lobjet de lenquête »,
sans autre précision ; que le procès-verbal de déclaration de M. Bernoville,
en date du 12 juillet 1994, et le procès-verbal de M. Launoy, « directeur
régional du groupe Périn basé à Rouvroy », également en date du
12 juillet 1994, ne visent pas non plus lordonnance du 1er décembre
1986 et portent la simple mention « après avoir indiqué lobjet de
lenquête, à savoir : distribution du fuel », elle aussi
insuffisante ; quil nexiste, en la cause, aucun élément extrinsèque ou
intrinsèque permettant de conclure que les personnes entendues ne pouvaient, néanmoins,
ignorer quelles étaient appelées à sexpliquer dans le cadre des
dispositions de lordonnance du 1er décembre 1986 relative aux
pratiques anticoncurrentielles ; quelles ont pu, dès lors, se méprendre sur
les conséquences susceptibles dêtre tirées de leurs déclarations ; que,
dans ces conditions, les procès-verbaux susvisés doivent être écartés de la
procédure, ainsi que lensemble des documents communiqués dans le cadre de ces
auditions ;
Considérant quil résulte de lensemble de ce qui
précède quaucun élément ne permet détablir les griefs qui avaient été
notifiés à la société Interfuel, aux établissements Bernoville et aux établissements
Périn ; quil y a lieu, dès lors, de faire application des dispositions de
larticle L. 464-6 du code de commerce ;
Sur les
pratiques relevées sur le marché de la zone de Maubeuge :
Considérant que les relevés tarifaires concernant le marché
de Maubeuge pour la période de lautomne 1993 ont été écartés dans le rapport
faisant suite à la notification de griefs comme ayant été communiqués par
M. Sagaert, contrôleur de gestion de la société Pétrovex, à la suite dune
demande écrite de lenquêteur qui ne mentionnait pas lobjet de
lenquête et ne faisait pas référence à lordonnance du 1er décembre
1986 ; quen conséquence, lanalyse des pratiques ne peut sappuyer
que sur les procès-verbaux daudition des différents distributeurs ;
Considérant quà lautomne 1993, M. Nolot,
responsable de lagence Interfuel de Maubeuge, a démarché quatre distributeurs
indépendants de la zone de Maubeuge pour leur proposer daugmenter leurs
tarifs ; quil a avancé que cette hausse était convenue avec dautres
distributeurs, y compris le magasin Auchan de Louvroil ; quil a assorti sa
proposition de menaces de déclenchement dune guerre tarifaire en cas de
refus ; que ses démarches nont pas été suivies deffet pour la
majorité des distributeurs rencontrés ; quelles ont amené M. et
Mme Ducornet à déposer une plainte devant la DDCCRF de Valenciennes, le
31 mars 1994 ; quen revanche, les établissements Pinson ont effectivement
procédé à une hausse tarifaire ;
Considérant quaucun élément du dossier ne permet
détablir la participation dAuchan Louvroil à la hausse concertée des prix,
ni même davancer quAuchan aurait été démarché à cette fin par la
société Interfuel ;
Considérant que la société Interfuel fait valoir que la preuve
dune entente tarifaire entre elle-même et les établissements Pinson nest pas
rapportée dès lors, dune part, que les prix des établissements Pinson suivaient
lévolution des prix dAuchan, abstraction faite de toute concertation,
dautre part, quen labsence de preuve dune entente entre les
sociétés Interfuel et Pétrovex (Auchan), il ne peut être soutenu quune entente
ait eu lieu entre les établissements Pinson et Interfuel ;
Considérant que M. Pinson a déclaré, lors de son audition
par procès-verbal du 14 mai 1997 : « Je lui ai fait savoir - à
M. Nolot, responsable de lagence Interfuel de Maubeuge - que mes prix
de vente étaient alignés sur ceux dAuchan Louvroil avec un différentiel de
1 centime environ en dessous de ceux dAuchan en lui précisant que si les prix
dAuchan subissaient des hausses, jaurais pu augmenter mes prix également. Sur
ce, M. Nolot ma indiqué quil allait prendre contact avec les
responsables des distributeurs du secteur dont ceux de lhypermarché de
Louvroil. (...). A cette époque, jai constaté un relèvement de lordre
de 10 centimes des prix de vente du fioul de la part dAuchan (...). Le
relèvement constaté ma permis de relever dans les mêmes proportions mes propres
prix de vente et donc mes marges. » ;
Considérant, cependant, que M. Pinson a encore
précisé : « En résumé, laugmentation de la marge sest
produite vers la deuxième quinzaine doctobre. Je confirme que cette augmentation de
la marge est le reflet des démarches de M. Nolot et de la hausse des prix
dAuchan » ; quil résulte de cette déclaration que, convaincu,
à la suite de la démarche effectuée auprès de lui par la société Interfuel, que
lentente ainsi nouée avait pu sétendre également au magasin Auchan
Louvroil, M. Pinson, qui se croyait, dès lors, assuré du relèvement des prix de
ses deux concurrents, a décidé daugmenter ses propres tarifs au cours de la
deuxième quinzaine doctobre ; que, si linstruction na pas apporté
de preuve directe que M. Pinson aurait augmenté ses prix avant laugmentation
décidée par Auchan, et non après, à titre de simple réaction, la déclaration
précitée établit que cest bien de son propre chef, et sur la base de lidée
quil se faisait de lentente présentée par M. Nolot, quil a pris
sa décision ; que sa marge moyenne, qui était de 20 centimes HT environ
pour une vente de 500 litres de fioul, est alors passée à 38 centimes HT,
ce qui montre que lévolution de ses prix ne sexpliquait pas par les seules
circonstantes extérieures ;
Considérant, dailleurs, quayant, selon ses propres
termes, « considéré cette démarche (de M. Nolot dInterfuel) positive
dans le sens où chacun doit faire fonctionner son entreprise », M. Pinson
a entrepris dorganiser une réunion avec un autre distributeur, pour étendre la
concertation tarifaire : « Ayant pris contact avec M. Cordier Jacques,
responsable des établissements Lefort à Jeumont (...), jai proposé à
M. Cordier de rencontrer M. Nolot. Cette rencontre a eu lieu dans les locaux des
établissements Lefort. Etaient présents : moi-même, M. Nolot et
M. Cordier Jacques. M. Nolot a confirmé au cours de cette rencontre ses
contacts avec la concurrence dans lobjectif dune amélioration des
marges » ; que M. Cordier, entendu le 6 octobre 1994, a reconnu
avoir rencontré M. Nolot « il y a un an environ », tout en
situant le lieu de cette rencontre chez M. Pinson ; que, si leffet réel
ou potentiel de cette rencontre nest pas établi, elle traduit ladhésion
personnelle de M. Pinson au principe de la concertation proposée par
Interfuel ;
Considérant que la société Interfuel soutient encore
quelle na exercé aucune contrainte sur les établissements Pinson ;
Mais considérant que la société Interfuel a averti les
établissements Pinson du déclenchement dune guerre tarifaire au cas où ceux-ci se
refuseraient à rehausser leurs marges et quil résulte des déclarations de
M. Pinson, ci-dessus reproduites, que cette menace de rétorsion a contribué à sa
décision de relever les prix de vente du fioul domestique ; que, pour autant, la
pression exercée ne saurait exonérer les établissements Pinson de leur participation à
lentente ; quau surplus, dautres distributeurs, soumis aux mêmes
pressions, ne se sont pas pliés aux injonctions de la société Interfuel ;
Considérant, enfin, que la société Interfuel fait valoir que
lentente alléguée, serait-elle prouvée, na pas porté datteinte
sensible au jeu de la concurrence ;
Considérant quil résulte des énonciations dun
arrêt rendu le 12 janvier 1999 par la Cour de cassation, que « cest
à bon droit que la cour dappel a énoncé quen labsence de toute
définition légale ou réglementaire dun seuil de sensibilité, il appartient aux
juridictions saisies de vérifier dans chaque cas despèce si leffet potentiel
ou avéré des pratiques incriminées est de nature à restreindre de manière sensible le
jeu de la concurrence sur le marché concerné » ; que lagence
Interfuel de Maubeuge détenait une part de marché de 45 % des ventes sur le marché
de Maubeuge en 1993 et que la part des établissements Pinson sélevait à
4,2 % des ventes ; que la concertation tarifaire a donc concerné au total près
de 50 % de loffre ; quil sensuit que leffet avéré de
la concertation tarifaire a restreint de manière sensible le jeu de la concurrence sur le
marché de la distribution de fioul domestique à Maubeuge ;
Considérant quil résulte de lensemble de ce qui
précède que les pratiques de la société Interfuel et des établissements Pinson, qui
sont établies, constituent une entente anticoncurrentielle prohibée par les dispositions
de larticle L. 420-1 du code de commerce ;
Sur les
sanctions relatives aux pratiques relevées sur le marché de Maubeuge :
Considérant que, pour apprécier limportance du dommage
causé à léconomie, il convient de noter que les pratiques en cause ont eu lieu à
lentrée de lhiver, période pendant laquelle les consommateurs sont
particulièrement captifs, dès lors que les volumes de fioul quils achètent ne
dépendent pas tant du prix que des circonstances climatiques ; que la concertation
tarifaire a concerné près de 50 % de loffre totale sur le marché
pertinent ;
Considérant que, pour apprécier la gravité des faits, il y a
lieu de relever que la société Interfuel, qui appartient à un groupe pétrolier
dimportance mondiale, a fait état de menaces de guerre tarifaire et
dannulation de ses marges particulièrement susceptibles dimpressionner de
petites entreprises ; que, cependant, les pratiques nont eu quune durée
limitée ;
Considérant que, si les établissements Pinson ont adhéré à la
proposition de hausse tarifaire, cette entreprise de très petite taille na pas pris
linitiative de la pratique anticoncurrentielle et pouvait craindre des mesures de
rétorsion de la part dune entreprise appartenant à un groupe très
important ;
Considérant que les établissements Pinson font état, pour
lexercice clos le 31 décembre 1999, dun chiffre daffaires de
7 272 443 F ; quen fonction des éléments généraux et
individuels tels quils sont appréciés ci-dessus il y a lieu de prononcer à leur
encontre une sanction pécuniaire de 7 000 F ;
Considérant que la société Interfuel fait état, pour
lexercice clos le 31 décembre 1999, dun chiffre daffaires de
212 220 F et dune perte de 3 058 555 F ; que le
commissaire du Gouvernement, qui avait proposé dans son mémoire en réponse au rapport
une sanction de 9 800 000 F, a indiqué, en séance, que cette proposition
était basée sur le chiffre daffaires réalisé par la société Interfuel à une
date antérieure à lexercice clos le 31 décembre 1999, mais quil
fallait tenir compte de la très forte diminution de ce chiffre en 1999, consécutive à
une réorganisation du groupe BP ; quen fonction des éléments généraux
et individuels tels quils sont appréciés ci-dessus il y a lieu de prononcer à
lencontre de cette société une sanction pécuniaire de 10 000 F ;
Considérant que la présente décision, si elle sanctionne deux
entreprises pour une entente réalisée sur un marché géographique limité, doit être
portée à la connaissance de lensemble des professionnels de la distribution du
fioul domestique afin déviter le renouvellement de pratiques semblables sur
dautres marchés géographiques ; quil convient, en conséquence, de
prescrire la publication de la présente décision dans la revue Carburants et
Combustibles, aux frais de la société Interfuel, filiale de BP, instigatrice de
lentente sur le marché de Maubeuge,
Décide :
Art. 1er. - Il
nest pas établi que la société Interfuel, les établissements Périn et les
établissements Bernoville ont enfreint les dispositions de
larticle L. 420-1 du code de commerce en ce qui concerne les pratiques
relatives au marché de la distribution du fioul de Saint-Quentin.
Art. 2. - Il est établi que la
société Interfuel et les établissements Pinson ont enfreint les dispositions de
larticle L. 420-1 du code de commece en se livrant aux pratiques
constatées sur le marché de la distribution du fioul de Maubeuge.
Art. 3. - Sont infligées les
sanctions pécuniaires suivantes :
10 000 F à la société Interfuel ;
7 000 F aux établissements Pinson.
Art. 4. - Dans un délai de deux
mois à compter de la notification de la présente décision, la société Interfuel fera
publier la présente décision dans une édition de la revue Combustibles et
Carburants. Cette publication sera précédée de la mention « Décision du
Conseil de la concurrence du 20 décembre 2000 relative à des pratiques
constatées dans le secteur de la distribution du fioul domestique, publiée au frais de
la société Interfuel, filiale de BP ».
Délibéré, sur le rapport de Mme Aloy, par
Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, M. Nasse et
M. Ripotot, membres.
La secrétaire de séance, Patricia Perrin | La vice-présidente présidant la séance, Micheline Pasturel |
© Ministère de l'économie, des Finances et de l'Industrie - 20 février 2001