Décision no 2000-D-44 du Conseil de la concurrence en
date du 26 septembre 2000 relative à une saisine présentée par la société
Hydrokarst
NOR : ECOC0000428S
Le Conseil de la concurrence (commission
permanente),
Vu le courrier enregistré le 7 décembre 1998, sous le
numéro F 1105, par laquelle la société Hydrokarst a saisi le Conseil de la
concurrence de pratiques mises en uvre par les sociétés de la Hogue et Guézé et
EI Montagne dans les secteurs du commerce et du stockage des substances explosives à
la Réunion ;
Vu lordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986
modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret no 86-1309
du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ;
Vu les observations présentées par le commissaire du
Gouvernement ;
Vu la proposition de non-lieu à poursuivre la procédure établie
par le rapporteur et régulièrement transmise à la société Hydrokarst ;
Vu les autres pièces du dossier ;
La société Hydrokarst ayant été régulièrement convoquée à
la séance du 25 juillet 2000 ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement entendus au cours de la séance du 25 juillet 2000 ;
Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du
rapporteur général,
I. - LES CONSTATATIONS
A. - La réglementation
Du fait des risques inhérents aux
substances explosives, les activités de production, vente, importation, détention,
transport et utilisation de ces substances sont strictement réglementées et soumises à
autorisations administratives.
Les activités relatives aux explosifs sont, notamment, régies
par les dispositions de la loi no 70-575 du 3 juillet 1970, portant
réforme du régime des poudres et substances explosives, et par trois décrets :
le décret no 71-753 du 10 septembre 1971
modifié pris pour lapplication de larticle 1er de la loi du
3 juillet 1970 portant réforme du régime des poudres et substances
explosives ;
le décret no 81-972 du 21 octobre 1981
modifié relatif au marquage, à lacquisition, à la détention, au transport et à
lemploi de produits explosifs ;
le décret no 90-153 du 16 juillet 1990
portant diverses dispositions relatives au régime des produits explosifs.
Aux termes de ces dispositions, les explosifs ne peuvent être
entreposés que dans des dépôts sécurisés satisfaisant notamment à des critères
disolement, de gardiennage permanent et de volumes.
Un arrêté ministériel du 5 février 1928 distingue trois
catégories de dépôts dexplosifs en fonction des quantités et de la nature des
substances entreposées : ainsi, aux termes de larticle 3 de ce
texte : « un dépôt est de première catégorie sil peut recevoir
plus de 250 E kilogrammes dexplosifs. Il est de deuxième catégorie
sil peut recevoir de 50 E à 250 E kilogrammes. Il est de troisième
catégorie sil ne doit pas en recevoir plus 5 E kilogrammes ».
La valeur de lunité E est définie par le type
dexplosif : 1 pour la gomme, 2 pour les « nitratés » et 3 pour le
cordeau détonant.
B. - Les activités en cause
1. La commercialisation des explosifs à la Réunion
Jadis florissant grâce à la réalisation de
nombreux travaux dinfrastructure, le commerce des explosifs connaît à la Réunion
un très fort ralentissement depuis plusieurs années.
Le principal utilisateur est le secteur du bâtiment et des
travaux publics qui emploie des explosifs, notamment pour la réalisation de gros travaux
daménagement ; les susbtances explosives utilisées dans ce département sont
peu diversifiées.
Depuis plusieurs années, la demande de substances explosives
sest très sensiblement amoindrie, à cause du nombre limité de travaux
nécessitant lemploi dexplosifs et du développement dautres techniques
comme les brise-roches hydrauliques.
Les besoins courants de substances explosives à la Réunion
varient entre 400 et 500 kg par an ; en labsence de production locale,
elles proviennent, notamment, de métropole.
Seule la société de la Hogue et Guézé est autorisée à
commercialiser des explosifs à la Réunion ; toutefois, les utilisateurs peuvent
aussi acquérir de substances explosives auprès de fournisseurs métropolitains ou
étrangers.
2. Le stockage des explosifs
Six entreprises de BTP, dont la saisissante,
sont autorisées à exploiter des dépôts dexplosifs de 3e catégorie :
chacune est titulaire de deux autorisations, lune pour le dépôt dexplosifs,
lautre pour le stockage des détonateurs, la réglementation interdisant de stocker
dans un même lieu les deux types de produits.
La société de la Hogue et Guézé est autorisée à exploiter le
seul dépôt de 2e catégorie du département ; elle y entreprose des
détonateurs.
la société de la Hogue et Guézé est également titulaire de
lautorisation dexploitation du seul dépôt de 1re catégorie
de la Réunion, dans lequel peuvent être entreposés jusquà
5 × 5 000 E kg
dexplosifs. Lexploitation du dépôt de 1re catégorie
étant chroniquement déficitaire, la société de la Hogue et Guézé avait décidé, en
1996, de cesser cette activité à léchéance de lautorisation administrative
en cours. Par lettre du 24 décembre 1996, le directeur régional de
lindustrie, de la recherche et de lenvironnement de la Réunion avait informé
lensemble des dirigeants dentreprises de BTP utilisant des explosifs du risque
de fermeture du dépôt de 1re catégorie dexplosifs et les avait
invités à trouver une éventuelle solution de reprise.
Cest la société EI Montagne qui prit en charge, à partir
du 1er juillet 1997, la gestion et les frais dexploitation du
dépôt, le titulaire de lautorisation demeurant la société de la Hogue et
Guézé.
C. - Lobjet du litige
Dans sa saisine, la société Hydrokarst,
entreprise de BTP spécialisée dans les travaux sur des lieux difficiles daccès,
expose quelle fut attributaire de deux marchés publics de traitement de falaises à
la Réunion, lun dénommé « RN1 Cap Marianne », réalisé en 1997,
lautre dit du « Cap Lahoussay » réalisé en 1998 ; elle affirme
quen juin 1997, alors quelle soumissionnait pour lattribution du
marché de travaux du Cap Lahoussay, la société de la Hogue et Guézé aurait refusé de
lui fournir et de stocker les substances explosives nécessaires à la réalisation des
travaux et quen octobre 1997, alors quelle avait trouvé une solution
alternative dapprovisionnement en substances explosives, les établissements de la
Hogue et Guézé et la société EI Montagne lui auraient proposé un stockage à un prix
que la saisissante estime discriminatoire et injustifié.
La société Hydrokarst considère que ces faits sont constitutifs
de pratiques anticoncurrentielles :
dune part, en ce que les sociétés de la Hogue
et Guézé et EI Montagne auraient entravé son accès au marché des « marchés
publics de traitement de falaises » car, si la société Hydrokarst ne peut disposer
dexplosifs, elle ne peut exécuter le marché dont elle est adjudicataire ;
dautre part, en ce que les mêmes sociétés, qui exercent
également une activité de travaux publics, utiliseraient leur position dominante pour
refuser dans un premier temps de vendre leurs prestations à un concurrent, puis pour les
proposer à un prix discriminatoire et excessif, ce qui constituerait une pratique
prohibée par larticle 8 de lordonnance du 1er décembre 1986.
Un rapport proposant au Conseil de décider quil ny a
pas lieu de poursuivre la procédure a été notifié à la société Hydrokarst et au
commissaire du Gouvernement.
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL,
A. - Sur lentente
Considérant que la saisissante se borne
à invoquer lexistence dune entente anticoncurrentielle, sans produire aucun
commencement de preuve à lappui de ses allégations ; que, par ailleurs, aucun
élément recueilli lors de linstruction, et notamment au cours de lenquête
prescrite par le rapporteur, ne permet de considérer que des pratiques concertées
prohibées par larticle 7 de lordonnance du 1er décembre 1986
auraient été mises en uvre.
B. - Sur labus de position dominante
1. Sur le marché des substances explosives
Considérant que, si la société de la Hogue
et Guézé était la seule entreprise réunionnaise autorisée à commercialiser des
explosifs à la Réunion, les utilisateurs dexplosifs pouvaient néanmoins acheter
de telles substances soit à létranger, soit en métropole et les faire acheminer
jusquà la Réunion ; que cest, du reste, ce qua fait la société
saisissante ; que le coût de lopération a été, pour elle, selon ses dires,
inférieur à ce qui lui aurait coûté un achat direct à la société de la Hogue et
Guézé ; quainsi, cette société qui, nest pas en mesure de
labstraire de la concurrence que lui livrent les fournisseurs métropolitains ou
étrangers sur le marché des substances explosives, ne détenait pas sur ce marché local
de la Réunion une position dominante ;
2. Sur le marché du stockage des substances explosives
Considérant que la société Hydrokarst
soutient que les prix des prestations de fourniture et de stockage dexplosifs dans
lentrepôt de 1re catégorie proposées par les sociétés de la
Hogue et Guézé et EI Montagne étaient discriminatoires et excessifs ;
Considérant que la société EI Montagne était gestionnaire,
depuis le 1er juillet 1997, du seul dépôt dexplosifs de 1re catégorie
de la Réunion ;
Considérant que le stockage de quantités importantes
dexplosifs ne peut être effectué que dans des dépôts de 1re catégorie ;
Considérant, toutefois, que la division en plusieurs lots des
explosifs, suivie de leur répartition entre plusieurs dépôts de catégories
inférieures, constitue une solution alternative ; queffectivement, dès le
23 juillet 1997, la société Hydrokarst a informé la direction départementale
de léquipement quelle nutiliserait pas le dépôt de 1re catégorie
pour stocker les explosifs nécessaires à la réalisation des travaux prescrits par le
marché du Cap Lahoussay car elle utiliserait un dépôt de 3e catégorie
appartenant à la société SBTPC ; que, le 4 août 1997, la saisissante
précisait quelle stockerait les substances explosives dans trois dépôts de 3e catégorie :
le dépôt SBTPC et deux dépôts de 3e catégorie quelle
envisageait de créer ; que linstruction a, dailleurs, révélé
quune demande dautorisation dexploitation de dépôts de 3e catégorie
a été déposée le 4 novembre 1997 ; que, si cette solution est de nature
à entraîner des surcoûts, au cas despèce ils nont pas été tels
quils aient empêché la société Hydrokarst de soumissionner aux marchés de
travaux publics considérés et dêtre retenue, ni de réaliser les travaux dans les
conditions et délais imposés par le maître duvre ;
Considérant que, selon EI Montagne, le prix de 60 000 F
par mois représentait le coût du maintien en activité du dépôt de 1re catégorie
précédemment géré par la société de la Hogue et Guézé jusquen mars 1998
rapporté au nombre de mois à courir ; quen labsence de toute autre
demande de stockage et de toute autre recette prévisible, le prix pratiqué permettait de
couvrir les coûts directs et indirects quelle supportait de ce chef ;
Considérant que M. Lechaudel, responsable de la division
« développement industriel » de la DRIRE de Saint-Denis-de-la-Réunion, a
déclaré dans un procès-verbal du 26 juillet 1999 : « les frais
des dépôts sont importants (de lordre de 100 à 400 000 F lan),
que la faible quantité dexplosifs commercialisés chaque mois ne permet pas de
couvrir » ; que la société de la Hogue et Guézé avait décidé de
fermer le dépôt en raison des déficits quil générait ; que, par ailleurs,
il nest pas contesté que la société EI Montagne a présenté une offre analogue
à la société DTP ; que, dans ces conditions, il nest pas établi que les
prix proposés par EI Montagne, à supposer même que cette entreprise ait détenu une
position dominante sur le marché du stockage en quantité importante dexplosifs à
la Réunion, aient été excessifs et discriminatoires ;
Considérant quil nest donc pas établi que les
sociétés de la Hogue et Guézé et EI Montagne auraient mis en uvre des pratiques
anticoncurrentielles prohibées par larticle 8 de lordonnance du 1er décembre 1986
sur le marché du stockage des explosifs,
Décide :
Article unique. - Il ny a pas
lieu de poursuivre la procédure.
Délibéré, sur le rapport oral de Mme Nguyen-Nied, par
M. Cortesse, vice-président, président la séance, Mme Pasturel,
vice-présidente, et M. Robin, membre.
La secrétaire de séance, Patricia Perrin |
Le vice-président, présidant la séance,
Pierre Cortesse |
© Ministère de l'économie, des Finances et de l'Industrie-
30 janvier 2001