Arrêt de la cour dappel de Paris (1re chambre,
section H) en date du 21 novembre 2000 relatif au recours formé par la
société Télévision Française 1 « TF1 » contre une décision no 99-D-85
du Conseil de la concurrence en date du 22 décembre 1999 relative à des pratiques de la
société Télévision Française 1 (TF1) dans le secteur de la production, de
lédition et de la publicité des vidéogrammes (1)
NOR : ECOC0000425X
Demanderesse au recours : SA Société
Télévision Française 1 « TF1 », prise en la personne de son président
du conseil dadministration, M. Patrick Lelay, ayant son siège
33, Vaugelas, 75015 Paris, représentée par Me Olivier, avoué,
200, rue de Lourmel, 75015 Paris, assistée de Me O. Sprung,
avocat, 6, rue Anatole-de-la-Forge, 75017 Paris, toque E 1120, et de Mes Louis
et Joseph Vogel, avocats, 30, avenue dIéna, 75116 Paris, toque
P 151 ;
Défenderesse au recours : SA Editions Montparnasse, prise en
la personne de son président du conseil dadministration, M. Renaud Delourme,
ayant son siège 10, impasse Robiquet, 75006 Paris, assistée de
Me H. Lehman, avocat, 72, avenue Victor-Hugo, 75116 Paris, toque
P 286 ;
En présence du ministre de léconomie, des finances et du
budget, représenté aux débats par Mme Montalcino, munie dun mandat
régulier ;
Composition de la cour lors des débats et du délibéré :
M. Coulon, premier président ;
Mme Renard-Payen, président ;
Mme Marais, président ;
Mme Bregeon, conseiller ;
Mme Riffault, conseiller.
Greffier :
Lors des débats : Mme Thierry ;
Lors du prononcé de larrêt : Mme Padel.
Ministère public : M. Woirhaye, substitut général.
Débats : à laudience publique du
19 septembre 2000.
Arrêt prononcé publiquement le 21 novembre 2000, par
M. Coulon, premier président, qui a signé la minute avec Mme Padel, greffier.
Après avoir, à laudience publique du
19 septembre 2000, entendu les conseils des parties, les observations du
ministre chargé de léconomie, des finances et du budget, et celles du ministère
public, les parties ayant eu la parole en dernier ;
Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à
lappui du recours ;
Saisi le 31 mai 1996 par la société Editions
Montparnasse et par la société Citel de pratiques anticoncurrentielles imputées à la
société Télévision française 1 (TF 1) dans le secteur de la production, de
lédition et de la publicité des vidéogrammes, le Conseil de la concurrence (le
Conseil) :
a estimé, par décision no 99-D-85 du
22 décembre 1999, que la société TF 1 avait enfreint les dispositions
des articles 7 et 8 de lordonnance du 1er décembre 1986
(devenus L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce) ;
a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire
de 10 millions de francs et lui a enjoint, dune part, de supprimer dans ses
contrats de coproduction audiovisuelle la clause réservant à une de ses filiales
lexclusivité des droits de reproduction sur vidéogrammes et, dautre part, de
cesser de réserver à la société TF 1 Entreprises un régime spécifique en
matière de publicité télévisée de vidéogrammes et, enfin, pris acte du retrait de la
saisine de la société Citel.
Le Conseil a estimé en effet que les pratiques de la société
TF 1, consistant tout dabord à réserver à ses filiales lexclusivité
de lexploitation vidéographique des uvres quelle coproduit, cette
exclusivité étant renforcée par la durée souvent anormale stipulée dans ces contrats,
et ensuite à accorder à sa filiale la société TF 1 Entreprises des conditions
tarifaires injustifiées pour ce qui concerne la publicité télévisuelle des
vidéogrammes, avaient pu avoir pour effet de limiter laccès au marché de
lédition de vidéogrammes des éditeurs indépendants ainsi quà celui de la
publicité télévisuelle des vidéogrammes et de fausser la concurrence sur ces marchés.
La société TF 1 a saisi la Cour dun recours en
annulation et en réformation contre cette décision et invoque divers moyens au soutien
de ce recours.
Elle soutient en premier lieu que la décision du Conseil est
entachée de nullité :
pour violation des garanties inscrites dans la
Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme (ci-après la Convention)
ainsi que dans le Pacte international des droits civils et politiques, et notamment de la
présomption dinnocence, des principes de légalité des armes et du
contradictoire et plus généralement des règles qui relèvent du droit à un procès
équitable, ces irrégularités concernant tant linstruction du dossier que les
conditions dans lesquelles se sont déroulés laudience, le délibéré et le
prononcé de la décision du Conseil ;
pour violation des règles de procédure inscrites
dans lordonnance du 1er décembre 1986 relatives à la demande
denquête, à linstruction et à la notification des griefs, les vices en
résultant étant insusceptibles de régularisation.
Elle déclare, en second lieu, que la décision attaquée doit
être réformée, et fait valoir :
Sagissant de lexploitation vidéographique des
uvres quelle coproduit :
que lexploitation exclusive des droits
vidéographiques quelle détient sur ces uvres est légitime, tout comme le
sont les durées dexploitation stipulées au profit de sa filiale la société
TF 1 Entreprises, justifiées au cas par cas par les particularités financières du
projet, sauf à violer le principe du libre exercice des droits dauteur et à
exproprier le coproducteur des droits quil détient sur luvre
produite ;
quaucun abus dans lusage de ses droits ne
peut lui être reproché, les producteurs nétant pas en situation de dépendance
par rapport à elle et la preuve dune entente nétant pas rapportée ;
Sagissant de labus de position dominante qui lui est
reproché sur le marché de la publicité télévisuelle des vidéogrammes :
que le marché pertinent de la publicité des
vidéogrammes ne peut être réduit au seul segment de la publicité télévisuelle alors
quil sagit dun marché plurimédia (TV, presse, radio) dont les
caractéristiques sont substituables entre elles et sur lequel elle-même ne détient
aucune position dominante ;
que les conditions tarifaires accordées à la
société TF 1 Entreprises par la société TF 1 Publicité échappent au droit
de la concurrence puisquelles relèvent daccords intragroupe, ces tarifs
étant par ailleurs justifiés.
Elle demande à la Cour :
de constater que les vices de procédure ayant
affecté linstruction, laudience et le délibéré du Conseil constituent des
violations multiples des droits de la défense et des règles de procédure
applicables ;
dannuler lensemble de ces actes ainsi que
la décision attaquée ;
de constater lacquisition de la prescription,
aucun acte de poursuite ou dinstruction valable nayant eu lieu pendant une
période de trois années ;
subsidiairement, de dire quaucun grief
dentente ne peut être relevé à son encontre sagissant de
lexploitation vidéographique des uvres dont elle assure la coproduction, et
que sagissant de labus de position dominante qui lui est reproché, la preuve
nest rapportée ni de lexistence dun marché pertinent tel que défini
par les dispositions de larticle L. 420-2 du code de commerce, ni dune
position dominante détenue par elle-même sur le marché de la publicité plurimédia ou
sur le marché de la publicité télévisuelle des vidéogrammes, ni dun abus dont
elle aurait été lauteur ;
de la mettre hors de cause ;
dordonner la restitution avec intérêts au taux
légal à compter de la date du paiement, de la somme de 10 millions de francs payée
au Trésor public en exécution de la décision attaquée ;
plus subsidiairement, de réduire sensiblement le
montant de lamende prononcée compte tenu de labsence dobjet ou
deffet anticoncurrentiel des faits relevés, et dordonner le remboursement du
trop-perçu par le Trésor public ;
de condamner le Trésor public aux dépens.
La société Editions Montparnasse, défenderesse au recours,
déclare quelle nentend pas répondre aux moyens de nullité soulevés par la
société TF 1 mais relève que la requérante met en cause linstitution même
du Conseil et le fonctionnement habituel de cette autorité de régulation, et non pas
telle ou telle erreur qui aurait été commise dans le cadre de la procédure de sanction.
Sur le fond, elle observe que la société TF 1, qui occupe
une position très forte et en progression constante sur le marché de lédition
vidéo des uvres dexpression française, et qui détient une position
dominante sur le marché de la publicité télévisuelle des vidéogrammes, a mis en place
une « stratégie de ciseaux » constituée par les deux pratiques retenues à
son encontre, en se réservant en amont lexploitation exclusive de la totalité des
uvres, notamment de celles qui sont susceptibles de bénéficier dune
exploitation vidéographique rentable, et en pratiquant en aval une politique
discriminatoire sur le prix des espaces publicitaires, ces pratiques ayant faussé le
marché de lédition vidéographique tant en ce qui concerne
lapprovisionnement des éditeurs indépendants que la commercialisation auprès du
consommateur.
Elle demande à la Cour de rejeter le recours présenté par la
société TF 1 et de la condamner à lui payer 50 000 F au titre de
larticle 700 du nouveau code de procédure civile.
Réfutant chacun des moyens avancés par la société requérante,
le ministre de léconomie conclut à la confirmation de la décision attaquée et au
rejet du recours.
Dans ses observations écrites, le Conseil estime mal fondés les
moyens de nullité soulevés par la société TF 1, dès lors, dune part, que
na été commise aucune violation des garanties inscrites dans la Convention
européenne des droits de lHomme, de nature à mettre en doute limpartialité
du juge, laquelle doit sapprécier objectivement et, dautre part, que les
décisions du Conseil sont soumises dans leur intégralité au contrôle dun organe
judiciaire offrant toutes les garanties dun tribunal au sens de
larticle 6-1 de la Convention.
Sur le fond, il rappelle que le grief dexploitation
exclusive de droits vidéographiques retenu à lencontre de la requérante met en
cause non pas la reconnaissance de ses droits dexploitation, mais une pratique
développée dans le cadre de lusage de ces droits conduisant à limiter
laccès au marché de lédition vidéographique par le gel de ces droits
privés, ladhésion consciente des parties signataires de ces accords constituant
une entente au sens de larticle 7 de lordonnance du 1er décembre
1986 ; il ajoute, en ce qui concerne le grief dabus de position dominante
retenu à lencontre de la société TF 1 sur le marché de la publicité
télévisuelle des vidéogrammes, quil nexiste pas un marché global de la
publicité, mais au contraire plusieurs marchés distincts les uns des autres selon la
nature des supports, et observe que la présence dautres opérateurs importants
nest pas un obstacle à lexistence dune position dominante, les
pratiques sanctionnées ayant eu pour effet de fausser la concurrence au détriment
dentreprises qui nappartenaient pas au même groupe que la requérante.
Le ministère public conclut oralement au rejet des moyens de
procédure et de fond soulevés par la société TF 1 et à la confirmation de la
décision du Conseil.
Lors de linstruction écrite et à laudience, la
requérante a pu répliquer à lensemble des observations présentées.
Sur
ce, la Cour :
I. - Sur les moyens de procédure
Considérant que la requérante déclare
avoir été privée des garanties essentielles dun procès loyal et équitable et
soulève divers moyens de nullité quil convient dexaminer ;
1. Sur la violation de larticle L. 463-2
du code de commerce (21 de lordonnance du 1er décembre 1986)
Considérant que la société TF 1 fait
valoir que le grief initialement notifié, qui concernait notamment un abus de position
dominante sur le marché de la publicité télévisuelle, a été dénaturé, un nouveau
marché pertinent restreint au seul segment de la publicité télévisuelle des supports
vidéographiques ayant été substitué à ce marché dans le rapport soumis au Conseil
sans quil ait été procédé à une notification de griefs complémentaires, la
requérante nayant pu bénéficier du délai de deux mois prévu par les
dispositions de larticle 21 de lordonnance (devenu L. 463-2 du code
de commerce) pour répondre à ce grief nouveau ;
Mais considérant quil nest pas contesté que
lanalyse des marchés par le rapporteur se réfère à des éléments
contradictoirement débattus et prend en compte les observations développées par la
requérante, le grief initialement notifié nayant pas été substantiellement
modifié ; quen outre la requérante a disposé dun nouveau délai de
deux mois à la suite de la notification de ce rapport pour présenter ces observations,
conformément aux dispositions de larticle L. 463-2 du code de
commerce ; que ce moyen nest pas fondé.
2. Sur lirrégularité de la demande denquête
Considérant que la société TF 1
soutient que la demande denquête administrative adressée par le président du
Conseil de la concurrence au directeur général de la concurrence et de la répression
des fraudes dans une lettre du 23 octobre 1996 est entachée de nullité en ce
quelle fixe létendue et la portée de lenquête, alors que
larticle 50 de lordonnance du 1er décembre 1986 (devenu
L. 450-6 du code de commerce) attribue cette faculté au seul rapporteur ;
Considérant quaux termes de larticle 50 de
lordonnance applicable lors de lenquête : « Le président du
Conseil de la concurrence désigne, pour lexamen de chaque affaire, un ou plusieurs
rapporteurs. A sa demande, lautorité dont dépendent [les fonctionnaires
habilités à effectuer des enquêtes] désigne les enquêteurs et fait procéder sans
délai à toute enquête que le rapporteur juge utile » ; quil est
précisé dans cet article que : « Le rapporteur définit les orientations
de lenquête et est tenu informé de son déroulement. » ;
Considérant que par lettre du 23 octobre 1996, versée aux
débats, le président du Conseil a demandé au directeur général de la concurrence et
de la consommation, en application de larticle précité, de faire procéder à une
enquête sur les faits dénoncés par les sociétés Citel et Editions Montparnasse, « dont
les orientations sont définies dans la fiche jointe à ce courrier », et
la informé quil avait « désigné pour rapporter cette affaire
Jean-René Bourhis, qui sera tenu informé du déroulement de
lenquête » ; quà ce courrier est jointe une fiche non signée
intitulée « orientation de lenquête », énumérant les
diligences demandées aux enquêteurs ; quil est indiqué dans le rapport
établi par Jean-René Bourhis (p. 1) que ce dernier a été désigné le
15 juillet 1996 par le président du Conseil pour instruire le dossier ;
Considérant quil résulte de ces éléments et du rappel du
déroulement de la procédure figurant au rapport que le président du Conseil a
régulièrement adressé la demande denquête au directeur général de la
concurrence et de la consommation, après avoir désigné le rapporteur chargé de suivre
son déroulement ; quaucun élément ne permet de mettre en doute le fait que
ce dernier a rédigé la note dorientation litigieuse qui figure sur un document
distinct, même en labsence de mentions lidentifiant expressément ; que
ce moyen sera également rejeté.
3. Sur le défaut dauthentification des griefs
Considérant que la société TF 1
soutient que labsence de signature de la notification des griefs et du rapport par
leur auteur, et labsence de date portée sur la notification de griefs constituent
des vices de forme insusceptibles de régularisation, la méconnaissance de ces
formalités entraînant lannulation des actes viciés sans quil soit
nécessaire détablir un quelconque préjudice ;
Considérant toutefois que les actes litigieux sont suffisamment
authentifiés par la mention portée en première page de chacun deux, quils
ont été « établi[s] par Jean-René Bourhis, rapporteur auprès du Conseil de
la concurrence » ; que la date de la notification des griefs résulte de sa
transmission, faite par le président du Conseil ; que le moyen soulevé par la
requérante nest pas fondé.
4. Sur la participation du président du Conseil de la
concurrence à linstruction
Considérant que la société TF 1 fait
également valoir que si les griefs retenus par le rapporteur et le rapport lui ont été
transmis par le président du Conseil de la concurrence en application de
larticle 18 du décret du 29 décembre 1986, il résulte du fait que ces
actes nont pas été signés par le rapporteur quil ne sagissait pas
dune transmission formelle, mais au contraire dune participation du président
de cette autorité à linstruction de laffaire, au mépris du principe de
séparation des fonctions dinstruction et de jugement quimpose le droit à un
procès équitable inscrit tant dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de
lhomme que dans le Pacte international sur les droits civils et politiques ;
Mais considérant que lauthentification des actes litigieux
ne prêtant pas discussion, le moyen soulevé est inopérant.
5. Sur la violation de la présomption dinnocence
Considérant que la requérante fait grief au
rapporteur davoir méconnu le principe de la présomption dinnocence inscrit
à larticle 6-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
lhomme et davoir instruit lenquête uniquement à charge, en ne
procédant à laudition ni des représentants du Syndicat national des éditeurs
vidéo, ni des responsables des filiales des « majors » américaines
présentes sur le marché de la vidéo, ni des responsables vidéo des télédiffuseurs,
ni des responsables du Centre national de la cinématographie en ce qui concerne la
coproduction des uvres audiovisuelles entre les producteurs et les chaînes de
télévision, alors quont été entendus à la demande des sociétés plaignantes
les représentants des deux organisations syndicales défendant les intérêts des
producteurs indépendants ; quelle lui reproche également de navoir
procédé à aucune investigation sur les conditions dans lesquelles sont commercialisés
les droits vidéo auprès des éditeurs vidéo présents sur le marché ;
Considérant toutefois que le rapporteur, qui dispose dun
pouvoir dappréciation quant à la conduite de ses investigations, nest pas
tenu dentendre la totalité des intervenants sur un marché, et a pu considérer que
les auditions complémentaires sollicitées par la requérante nentraient pas
directement dans le champ de lenquête ;
Que latteinte à la présomption dinnocence alléguée
par la requérante nest pas établie.
6. Sur la violation du principe de légalité des
armes
Considérant que la société TF 1 met en
cause dans son ensemble la procédure de sanction administrative suivie devant le Conseil,
en faisant valoir que toute lorganisation de linstruction place la personne
poursuivie dans une situation de total désavantage par rapport à lorgane de
poursuite, qui dispose de tout le temps quil juge nécessaire pour préparer la
notification des griefs sans autre limite que la prescription de trois ans, et détient en
permanence le dossier, alors que le délai accordé à la personne poursuivie pour
consulter le dossier et préparer sa défense est limité à une durée de deux mois
après notification des griefs ;
Considérant que les décisions du Conseil de la concurrence
prononçant des sanctions pécuniaires relèvent de la matière pénale au sens de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et doivent être assorties
des garanties quelle prévoit ; que des impératifs de souplesse et
defficacité peuvent justifier en effet lintervention préalable dans la
procédure répressive dune autorité administrative ne satisfaisant pas sous tous
leurs aspects aux prescriptions de forme du paragraphe 1er de
larticle 6 de la convention, dès lors que les décisions prises par cette
autorité subissent a posteriori sur les points de fait, les points de droit ainsi
que sur la proportionnalité de la sanction prononcée avec la gravité de la faute
commise, le contrôle effectif dun organe judiciaire offrant toutes les garanties
dun tribunal au sens du texte susvisé ;
Quen lespèce la contestation générale de la
procédure suivie devant le Conseil, soulevée par la requérante, ne fait ressortir
aucune atteinte aux dispositions de la Convention, la personne mise en cause ayant reçu
notification des griefs mis à sa charge, eu accès au dossier et disposé dun
délai suffisant pour préparer sa défense ; que ce moyen sera rejeté.
7. Sur la violation du principe du contradictoire lors de
la séance tenue devant le Conseil
Considérant que la société TF 1 estime que le principe du
contradictoire a été méconnu lors de la séance, dans la mesure où le rapporteur et le
rapporteur général ont développé successivement des observations sur la base dun
rapport écrit qui na pas été communiqué préalablement à la défense alors que
des éléments de cette argumentation ont été formellement repris dans la décision du
Conseil, la requérante nayant pu préparer en temps utile sa défense ;
Considérant toutefois quaucune disposition de
lordonnance du 1er décembre 1986 ni du décret du 29 décembre
1986 nimpose que le rapport oral du rapporteur et celui du rapporteur général
aient préalablement revêtu une forme écrite et aient été communiqués aux
parties ; que le moyen soulevé par la société TF 1 sera également rejeté.
8. Sur la violation du principe de publicité des débats
et de la décision du Conseil
Considérant que la requérante expose que les
débats se sont tenus hors la présence du public, comme le prévoit
larticle 25 de lordonnance du 1er décembre 1986 (devenu
L. 463-7 du code de commerce), et fait valoir que le caractère secret des débats
constitue une violation directe des dispositions de larticle 6-1 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme, et de celles de
larticle 14-1 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques ;
Quelle invoque les mêmes dispositions selon lesquelles le
jugement doit être rendu publiquement, et fait valoir que la décision rendue par le
Conseil na pas fait lobjet dune lecture publique, alors quaucune
disposition de lordonnance du 1er décembre 1986 ne
linterdit ;
Considérant toutefois que le non-respect du principe de
publicité des débats nest pas contraire aux dispositions des instruments
internationaux susvisés, dès lors que les droits de la défense sont sauvegardés lors
de la procédure suivie devant le Conseil et que la décision peut faire lobjet
dun contrôle de pleine juridiction devant un tribunal soumis, notamment quant à la
publicité des débats, à toutes les garanties que ces textes prévoient ;
Que le fait que le prononcé de la décision ne soit pas public ne
saurait faire grief aux parties intéressées, dès lors quelles peuvent se pourvoir
contre la décision devant une telle juridiction ;
Que ces moyens seront écartés.
9. Sur labsence de délibéré
Considérant que la société TF 1
observe que la décision rendue à son encontre est datée du 22 décembre 1999,
soit le jour même de la séance, alors quil était impossible aux membres du
Conseil de porter une appréciation sérieuse et approfondie sur les observations
présentées à laudience et de rendre sa décision le jour même en raison de la
complexité de laffaire, la décision longue de 22 pages nayant
manifestement pas pu être rédigée le même jour ;
Quelle en conclut que ces circonstances laissent supposer
que la décision était acquise avant même quelle ait pu développer ses moyens de
défense à loral, contrairement aux dispositions de larticle 6-1 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme garantissant à tout
justiciable le droit de voir sa cause entendue équitablement ;
Considérant quil résulte du procès-verbal de la séance
du Conseil tenue le 22 décembre 1999, versé aux débats, que les parties, le
commissaire du Gouvernement, le rapporteur général et le rapporteur ayant quitté la
salle, et « après en avoir délibéré, la section III du Conseil de la
concurrence a adopté la décision no 99-D-85 » ;
Considérant que dans ses observations écrites, le Conseil fait
valoir que le fait que cette décision ait été matériellement mise en forme
postérieurement à ce délibéré ne saurait constituer une violation des droits de la
défense ;
Considérant que la décision prise par le Conseil à lissue
de cette délibération a été notifiée le 2 mars 2000 aux parties et publiée
au BOCCRF le 31 mars 2000, conformément aux dispositions des
articles 22-2 du décret du 29 décembre 1986 et 15 de lordonnance du
1er décembre 1986 (devenu L. 464-8 du code du commerce) ;
que la requérante ne produit aucun élément permettant de penser que cette décision
aurait été acquise avant la séance tenue le 22 décembre 1999 et rédigée le
jour même sans que ses moyens de défense aient été examinés ; quil
nest justifié daucun grief tenant à la date portée sur cette
décision ;
Que le moyen soulevé par la société TF 1 nest pas
fondé.
10. Sur lirrégularité de la composition du Conseil
Considérant que la requérante, qui avait mis
en cause la régularité de la composition du Conseil dans la décision attaquée,
déclare abandonner ce moyen ;
Quil convient de lui en donner acte.
11. Sur lutilisation de moyens non visés dans la
notification des griefs ou dans le rapport et de pièces non annexées au rapport
Considérant que la société TF 1 fait grief
au Conseil davoir fondé une partie de son argumentation sur des pièces, en
lespèce des factures adressées par la société TF 1 Publicité à la
société TF 1 Entreprises, et sur « une valeur moyenne de lécran
publicitaire télévisuel de TF 1 Entreprises », qui navaient jamais
été évoquées par le rapporteur et navaient pas été annexées au rapport, et
demande à la Cour décarter lensemble de ces moyens comme ne pouvant fonder
un quelconque grief à son encontre, faute davoir été soumis à la
contradiction ;
Mais considérant que les pièces litigieuses étaient librement
accessibles à la requérante puisquelles figuraient dans le dossier, ce
quelle ne conteste pas, et que lélément de référence utilisé par le
Conseil a été calculé à partir de deux tableaux figurant à la page 43 du
rapport ;
Que ces moyens doivent être également rejetés, latteinte
au principe du contradictoire alléguée par la requérante nétant pas établie.
12. Sur la prescription
Considérant que la requérante demande à la
Cour de déclarer nuls la totalité des actes de linstruction ainsi que la décision
du Conseil, et de constater que les faits qui lui sont reprochés sont couverts par la
prescription, aucun acte de poursuite ou dinstruction valable nayant été
accompli pendant une période de trois années consécutives compte tenu de cette
annulation ;
Mais considérant que lensemble des moyens de nullité
soulevés par la requérante ayant été écartés, le cours de la prescription a été
valablement interrompu ;
Quil convient en définitive de rejeter dans leur totalité
les moyens soulevés par la société TF 1 quant à lirrégularité de la
procédure.
II. - Sur les pratiques reprochées à la société
TF 1
Considérant que les griefs retenus par
le Conseil portent dune part sur lexploitation exclusive par la société
TF 1 de droits vidéographiques attachés aux uvres audiovisuelles quelle
coproduit, ces pratiques étant qualifiées dentente au sens de
larticle L. 420-1 du code de commerce et, dautre part, sur les
pratiques tarifaires de la société TF 1 sur le marché de la publicité
télévisuelle des vidéogrammes, qualifiées dabus de position dominante sur ce
marché au sens de larticle L. 420-2 du même code ;
Quil convient dexaminer chacun de ces griefs,
contestés lun et lautre par la requérante.
1. Sur lexploitation exclusive des droits
vidéographiques par la société TF 1
Considérant quaux termes de
larticle L. 420-1 du code de commerce (7 de lordonnance du 1er décembre 1986)
sont prohibées, lorsquelles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet
dempêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché,
les actions concertées qui tendent notamment à limiter laccès au marché ou le
libre exercice de la concurrence par dautres entreprises, ou à limiter ou
contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès
technique ;
Considérant quil est reproché à la société TF 1 de
subordonner, par le moyen de clauses types insérées dans les contrats de coproduction,
son engagement de financer les uvres audiovisuelles à lacceptation du
producteur délégué de confier, dès la signature de ces contrats, lédition et la
distribution, de luvre sous forme de vidéogrammes à titre exclusif à une de
ses filiales pour une durée allant jusquà dix ans voire quinze à dix-huit ans
pour certains documentaires, sans pour autant prendre aucun engagement quant à
lexploitation effective de luvre sous cette forme, et ainsi de se
réserver le marché aval de lédition vidéographique des uvres
audioviduelles coproduites au détriment déditeurs concurrents ;
Quil résulte des constatations du Conseil quen 1994
et 1995 la société TF 1 a coproduit respectivement 58 et 54 uvres
de fiction, 5 et 3 uvres danimation, 13 et 14 documentaires ;
que la quasi-totalité des contrats de coproduction conclus par le société TF 1,
versés au dossier, prévoient que lexploitation des droits vidéo sera assurée par
la société TF 1 Entreprises ; que certains contrats conclus pendant cette
période fixent la durée dexlusivité de lexploitation à dix ans
sagissant duvres de fiction (Bleu Indigo, La Fontaine, les fables et
la francophonie), à dix ou douze ans sagissant duvres
danimation (Les Petites Sorcières, Les Exploits dArsène Lupin), voire
à quinze ou vingt-huit ans sagissant de documentaires (Le Bébé est une
personne, Les Géants du xxe siècle) ; que sept de ces
conventions prévoient un retour de ces droits non utilisés par la requérante au
contractant à lissue dune période de douze mois, « sous réserve du
versement à TF 1 des recettes qui lui reviennent », la société TF 1
précisant que cette clause a été insérée dans tous les contrats de coproduction
audiovisuelle quelle a conclus à partir de lannée 1996 ;
Que, sans contester devant la Cour lexistence de ces
pratiques, la société TF 1 déclare que le raisonnement suivi par le Conseil
revient à nier la véritable qualité de coproducteur du télédiffuseur et à le priver
des droits correspondant à cette qualité et à ses apports à ce titre, lexigence
dune négociation séparée de lexploitation des droits vidéographiques
conduisant à une double remise en question du droit de propriété et du droit
dauteur ;
Quelle soutient que lexploitation exclusive des droits
vidéographiques par un coproducteur est parfaitement légitime au regard du droit de la
concurrence et ajoute ne pouvoir affecter la concurrence sur le marché aval de
lédition vidéographique en raison de la faible position quelle y occupe, la
preuve nétant pas rapportée de son intention de « fermer le
marché » ;
Considérant que, sil nest pas discuté que le contrat
conclu entre lauteur et le producteur dune uvre protégée emporte
cession au profit de ce dernier des droits exclusifs dexploitation de
luvre, il nen demeure pas moins que lexercice dun droit
exclusif de reproduction dune uvre protégée peut se révéler abusif,
notamment lorsquil apparaît que ses conditions et ses modalités ont pour objet ou
pour effet de neutraliser toute concurrence sur le marché concerné ;
Quen lespèce il nest pas contesté que les
clauses dexclusivité introduites de manière systématique dans les contrats de
coproduction auxquels participe la société TF 1 ont réservé à cette dernière
dès la mise en place du projet et parfois avant même lacquisition des droits
dexploitation par la producteur délégué auprès de lauteur de
luvre les droits dédition et de commercialisation des uvres dont
la requérante assure une partie du financement, tout en excluant un quelconque engagement
de sa part dy donner suite ; que les parties signataires de ces contrats y ont
librement adhéré et ont manifesté leur accord notamment sur ces clauses ;
Considérant que la protection ainsi obtenue par la requérante
contre une exploitation de ces droits par une entreprise concurrente est encore accrue par
les délais inhabituels doctroi de ces droits exclusifs, couramment fixés à sept
voire à dix ans ; que les contrats de coproduction relatifs aux uvres Les
Géants du xxe siècle, Les Exploits dArsène Lupin, et Le
Bébé est une personne, qui prévoient un financement international et une
exploitation exclusive des droits vidéo pendant respectivement quinze, douze et
vingt-huit ans, organisent entre les coproducteurs un partage des territoires en fonction
de leur zone géographique respective, la société TF 1 se voyant octroyer
lexploitation ou la commercialisation des droits vidéo pour la France et les pays
dexpression française ;
Considérant que les représentants de lUnion syndicale de
la production audiovisuelle (USPA) ont dénoncé au cours de lenquête les
conditions dans lesquelles « les chaînes conditionnent la signature du contrat
de commande à la cession concomitante de droits secondaires comme les droits
vidéo » ;
Que le Conseil supérieur de laudiovisuel (CSA), dans un
avis du 11 octobre 1996, a relevé « laccaparement de plus en
plus important par les diffuseurs des droits dexploitation secondaires des
uvres audiovisuelles », et ajouté quafin « déviter
un gel des droits vidéographiques, il [avait] cherché dans les conventions signées
récemment avec les deux chaînes hertziennes en clair TF 1 et M 6 en vue du
renouvellement de leur autorisation, à aménager les conditions dans lesquelles ces
chaînes pouvaient détenir des mandats de commercialisation vidéographique dune
uvre audiovisuelle » ; quainsi larticle 32 de la
décision no 96-614 du 17 septembre 1996 du CSA portant
reconduction pour cinq ans de lautorisation délivrée à la société TF 1
dutiliser les fréquences hertziennes, entrée en vigueur le 1er janvier 1997,
a prévu un dispositif de clarification des contrats passés avec les producteurs,
chiffrant notamment chaque droit acquis (avec individualisation de chaque support de
diffusion), le nombre de passages acquis ou encore la durée de détention des
droits ; quil dispose, sagissant des droits dexploitation
commerciale détenus notamment dans le cadre dun mandat de distribution, que ces
droits sont valorisés lorsquils ne font pas lobjet dun contrat
spécifique, et précise qu« en labsence de minimum garanti et si
aucune vente na lieu dans les dix-huit mois à compter de la première diffusion de
luvre sur lantenne de la société (TF 1), ces droits reviennent à
leur titulaire, que ce soit la société (TF 1) ou le producteur
délégué » ;
Considérant que la société TF 1 ne peut sérieusement
soutenir que les pratiques mises en cause auraient un impact négligeable sur le libre jeu
de la concurrence, alors quelle occupe sur le marché amont de la production
duvres cinématographiques ou audiovisuelles une place significative et
déclare elle-même être « le premier investisseur dans la production française
parmi les chaînes en clair », précisant dans ses écritures être tenue de
consacrer chaque année au moins 15 % du chiffre daffaires net de
lexercice précédent à la commande duvres audiovisuelles européennes
ou dexpression originale française ; quen dépit de la place occupée
par les « majors » américaines sur le marché global de lédition
vidéo en France, la position de la requérante, qui était inférieure à 10 % lors
des faits, est passée à 13,52 % pour lexercice 1999, avec une progression de
16,89 % par rapport à lexercice précédent ; quil convient de
relever à cet égard que le segment de ce marché relatif aux uvres dorigine
française, seul affecté par les pratiques en cause, nest pas occupé par les
sociétés dédition vidéographique américaines ;
Que la société TF 1 ne démontre pas que ces pratiques
soient justifiées par des nécessités particulières au secteur de la télévision, ni
par les exigences propres à lactivité dédition de vidéogrammes ;
quelle ne peut faire grief à la décision attaquée de la priver des droits
quelle détient en sa qualité de coproducteur et de diffuseur, la requérante
admettant elle-même percevoir sur toute exploitation de luvre coproduite sa
quote-part de recettes telle que prévue au contrat de production, que luvre
soit exploitée sous forme vidéographique par elle-même ou par une autre entreprise et
ses droits dauteur étant en tout état de cause préservés ;
Quil résulte de lensemble de ces éléments que la
requérante a cherché à entraver laccès de tout compétiteur potentiel sur le
marché dérivé de lédition vidéographique et à garantir sa progression sur ce
marché, ainsi que le confirme laugmentation très importante de cette position en
quelques années ;
Que ces pratiques, qui conduisent à évincer du marché aval de
lédition et de la commercialisation des vidéogrammes les entreprises tierces aux
contrats de coproduction, constituent des ententes au sens de larticle L. 420-1
du code de commerce et ont affecté de manière suffisamment sensible le jeu de la
concurrence sur ce marché, en en limitant laccès mais aussi les débouchés et la
production au sens de cet article.
2. Sur les pratiques tarifaires de la société TF 1
sur le marché de la publicité télévisuelle des vidéogrammes
Sur
le marché pertinent :
Considérant que la société TF 1 fait valoir que le
marché pertinent ne peut être restreint au marché de la publicité télévisuelle des
vidéogrammes ; quelle verse aux débats une étude réalisée par le
professeur Benzoni, selon laquelle le marché pertinent à considérer est celui de la
demande despaces publicitaires plurimédias, les différents supports constitués
par la presse, la radio et la télévision étant substituables entre eux, et fait valoir
quelle ne dispose que dune part de marché de 22,3 % sur ce
marché ;
Mais considérant que chaque support possède des qualités
propres de nature à le rendre imparfaitement substituable aux autres médias ;
quen lespèce, lespace télévisuel permet dintégrer au message
publicitaire la diffusion dun extrait de luvre concernée que le
destinataire est ainsi en mesure dapprécier directement ;
Que la spécificité du segment constitué par le marché de la
publicité télévisuelle des vidéogrammes et la préférence des éditeurs de
vidéogrammes pour ce marché sont confirmées par les comparaisons effectuées entre le
comportement des éditeurs de vidéogrammes et celui de lensemble des annonceurs,
quil sagisse de la progression générale des investissements publicitaires
multimédias ou de la répartition de ces investissements ;
Que le Conseil a justement considéré que le marché de
référence résultait ici du croisement de loffre despaces publicitaires à
la télévision et de la demande correspondante émanant des éditeurs duvres
vidéographiques ;
Sur la position
dominante occupée par la société TF 1 sur ce marché :
Considérant que la part de marché occupée par la société
TF 1 dans le secteur de la publicité télévisée sest élevée en moyenne à
53,52 % entre 1993 et 1996 ; que sa part daudience qui sélevait en
moyenne à 37,3 % contre 24,46 % pour France 2 pendant cette période,
dépassait de plus de dix points celle du second diffuseur en termes
daudience ; quelle a recueilli en moyenne près de 62 % des
investissements publicitaires des éditeurs de vidéogrammes entre 1994 et 1996 contre
20,3 % en moyenne pour France-Télévision (France 2 et France 3) et 9 à
17 % pour M 6 pendant la même période, bien que les prix pratiqués par la
société TF 1 soient sensiblement plus élevés selon le rapport de la société
Tera Consultants cité dans létude du professeur Benzoni, le prix de
linsertion correspondant aux standards de campagnes publicitaires étant fixé à
148 148 F par TF 1, 81 633 F par France Télévision,
38 835 F par M 6 ; quainsi la présence sur le marché
dautres opérateurs disposant de ressources financières importantes nempêche
pas la requérante de se comporter de manière indépendante vis-à-vis de ses autres
concurrents ;
Quil résulte de ces éléments que la société TF 1
occupe une position prépondérante sur le marché de la publicité télévisée des
vidéogrammes, que lui assurent limportance de ses parts de marché comparées à
celles dont disposent ses concurrents, ainsi que son statut, puisquen tant que
société nationale de programmes elle est titulaire dun droit spécial au sens des
dispositions de larticle 86 du traité instituant la Communauté européenne du
fait de lautorisation dutilisation des fréquences hertziennes dont elle
bénéficie, reconduire en dernier lieu par décision du 17 septembre 1996 du CSA en
application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté
de communication, peu important le fait que la détention de cette autorisation
dutilisation du domaine public, qui constitue la condition daccès au marché
télévisuel, concerne tous les opérateurs privés ;
Sur labus
reproché à la société TF 1 :
Considérant que selon larticle L. 420-2 du code
de commerce (8 de lordonnance du 1er décembre 1986), est
prohibée, lorsquelle a pour objet ou peut avoir pour effet dempêcher, de
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, lexploitation
abusive par une entreprise de sa position dominante sur le marché intérieur ou sur une
part substantielle de celui-ci ;
Considérant que sans contester avoir mis en place des relations
commerciales privilégiées avec sa filiale dans un accord-cadre du 21 avril 1994, la
société TF 1 fait valoir que les conditions tarifaires accordées par la
société TF 1 Publicité à la société TF 1 Entreprises ne
sauraient être examinées au regard du droit de la concurrence, sagissant de
conventions intragroupe ;
Mais considérant que ces tarifs privilégiés, qui nont pas
bénéficié aux éditeurs de vidéogrammes extérieurs au groupe, constituent des
conditions de vente discriminatoires, de nature à favoriser artificiellement la filiale
de la société TF 1 au détriment de ses concurrents ;
Que la société TF 1 fait vainement valoir que les conditions
tarifaires faites à sa filiale font lobjet de contreparties réelles, la
société TF 1 Entreprises nayant obtenu que des « écrans
résiduels sans aucune garantie de programmation », alors quil ressort de
lenquête que la filiale de la requérante a bénéficié à de nombreuses reprises
décrans publicitaires à des horaires bien situés dans la grille de programmation,
sur la base dune rémunération « au rendement » avec versement
forfaitaire de 10 % alors que le forfait demandé aux autres annonceurs du
secteur « éditions musicales et vidéo » dans le cas de publicités
effectuées « au rendement » sélevait à 60 % du tarif ;
Que, dès lors, la société TF 1 a abusé de la position
dominante quelle détient sur le marché de la publicité télévisuelle des
vidéogrammes, cette pratique ayant pu avoir pour effet de limiter laccès à ce
marché dentreprises concurrentes.
III. - Sur les sanctions
Considérant quaux termes de larticle
13 de lordonnance du 1er décembre 1986, « le Conseil
de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles
dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger
une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas dinexécution
des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité
des faits reprochés, à limportance du dommage causé à léconomie
et à la situation de lentreprise ou de lorganisme concerné. Elles
sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné
et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction
est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre daffaires
hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos » ;
Que la société TF 1 critique tant les injonctions
dont elle fait lobjet, que la sanction pécuniaire prononcée à son encontre ;
Sur
les injonctions :
Considérant que le Conseil a dune part ordonné
la suppression dans les contrats de coproduction audiovisuelle conclus par la
société TF 1, de la clause réservant à une de ses filiales lexclusivité
des droits de reproduction vidéographiques, et dautre part enjoint à la
société TF 1 de cesser de réserver à la société TF 1 Entreprises
un régime spécifique en matière de publicité télévisée de vidéogrammes ;
Considérant que la société TF 1 fait valoir que
la clause des contrats de coproduction sanctionnée par le Conseil ne comporte
aucun objet ni aucun effet anticoncurrentiel et quen tout état de cause
de tels effets seraient aujourdhui neutralisés du fait de la décision
no 96-614 prise par le CSA le 17 septembre 1996 qui
introduit dans son article 32 la possibilité dun retour des droits
dexploitation commerciale de luvre au producteur délégué en
cas de non-commercialisation à lissue dune période de dix-huit mois ;
quelle ajoute quune telle interdiction, par sa généralité, ne saurait
être admise ;
Mais considérant que les effets anticoncurrentiels de
ces clauses ont été constatés par la Cour ; que le Conseil a fait une juste
application des pouvoirs dont il est investi, en ordonnant pour lavenir
la suppression dans les contrats de coproduction audiovisuelle conclus par la
requérante, des clauses réservant à cette dernière lexclusivité des droits
dexploitation vidéographique des uvres audiovisuelles coproduites
dans les conditions susdites ; quune telle mesure simpose en
effet afin de rétablir la situation de concurrence compromise par les pratiques
quil a constatées ;
Considérant, en ce qui concerne les pratiques de la
société TF 1 sur le marché de la publicité télévisée des vidéogrammes,
quil convient de confirmer également linjonction faite à la société
TF 1 de cesser de réserver un régime spécifique à sa filiale TF 1
Entreprises ;
Sur
la sanction pécuniaire :
Considérant que les pratiques relatives à lexploitation
exclusive des droits vidéographiques sont directement imputables à la société TF 1,
signataire des contrats ; quen ce qui concerne les conditions tarifaires
consenties par la société TF 1 Publicité à la société TF 1 Entreprises,
il y a lieu de rappeler les déclarations des représentants de la société TF 1,
précisant que lune et lautre, filiales du groupe, sont structurellement
et commercialement intégrées au sein de la société TF 1 et ne disposent
daucune autonomie ;
Considérant quen ce qui concerne la gravité des
pratiques mises en uvre, le Conseil a justement retenu que la société
TF 1 a utilisé son obligation statutaire de financement duvres
audiovisuelles pour développer une pratique consistant à réserver à une de ses
filiales lexploitation vidéographique des uvres audiovisuelles coproduites
en « fermant » laccès dautres éditeurs à ce marché, et
mis à profit le droit spécial conféré sur les fréquences hertziennes qui lui
sont allouées pour réserver des conditions tarifaires privilégiées à la promotion
publicitaire des vidéogrammes édités par son groupe ;
Que le dommage à léconomie résultant de ces pratiques
doit être mesuré en tenant compte de la durée de ces pratiques et du fait quelles
se sont traduites par une diminution significative des possibilités de financement
dautres producteurs, ainsi que par une restriction sensible de loffre
disponible dans le secteur de lédition vidéographique ;
Considérant quil résulte des pièces versées au
dossier que la société TF 1 a réalisé au cours de lexercice 1998
un chiffre daffaires hors taxes de 7 623 367 134 F ;
que la sanction pécuniaire de 10 millions de francs prononcée par le Conseil
est justifiée ;
Considérant quil convient de rejeter le recours ;
Quil ny a pas lieu de faire application
des dispositions de larticle 700 du nouveau code de procédure civile,
Par
ces motifs :
Donne acte à la société TF 1 de ce quelle
renonce à invoquer devant la Cour le moyen dannulation de la décision
tiré dune irrégularité de la composition du Conseil de la concurrence,
Rejette le recours formé par la société TF 1 contre
la décision no 99-D-85 du 22 décembre 1999 du Conseil
de la concurrence,
Rejette la demande formée par la société Editions Montparnasse
sur le fondement de larticle 700 du nouveau code de procédure civile,
Condamne la société TF 1 aux dépens.
Le greffier Le
président
(1) Décision no 99-D-85 en
date du 22 décembre 1999 (BOCCRF no 4 du 31 mars 2000
et no 7 du 22 juin 2000).
© Ministère de l'économie, des Finances et de l'Industrie-
30 janvier 2001