Arrêt de la cour dappel de Paris (1re chambre,
section H) en date du 14 novembre 2000 relatif au recours formé par la SNC
MK 2 Tolbiac contre une décision no 2000-D-24 du Conseil de la
concurrence en date du 10 mai 2000 relative à une saisine de la SNC MK 2
Tolbiac à lencontre de lAssociation de défense de lenvironnement et du
cadre de vie de la Bibliothèque de France (1)
NOR : ECOC0000423X
Demanderesse au recours :
SNC MK 2 Tolbiac prise en la personne de M. Marin
Karmitz, administrateur, ayant son siège 55, rue Traversière, 75012 Paris,
représentée par la SCP Cossec, avoué, 159, rue de la Pompe, 75116 Paris,
assistée de Me J.-P. Gilli, avocat de la SCP Sirat-Gilli,
7, avenue Frédéric-Le Play, 75007 Paris, toque P 0176.
Défenderesse au recours :
Association de défense de lenvironnement et du cadre de vie
de la Bibliothèque nationale de France, prise en la personne de M. Grunwald, son
président, présent aux débats, ayant son siège 18, rue des Reculettes,
75013 Paris, représentée par Me Huyghe, avoué, 52, boulevard
de Sébastopol, 75003 Paris, assistée de Me Le Gall, avocat,
120, rue dAssas, 75006 Paris.
En présence du ministre de léconomie, des finances et du
budget, représenté aux débats par Mme A. Roubert, munie dun mandat
régulier.
Composition de la cour lors des débats et du délibéré :
M. Lacabarats, président ;
M. Bregeon, conseiller ;
M. Le Dauphin, conseiller.
Greffier lors des débats et du prononcé de larrêt :
Mme Jagodzinski.
Ministère public : M. Woirhaye, substitut général.
Débats à laudience publique du 3 octobre 2000.
Arrêt prononcé publiquement le 14 novembre 2000, par
M. Lacabarats, président, qui a signé la minute avec Mme Jagodzinski,
greffier.
Après avoir, à laudience publique du
3 octobre 2000, entendu les conseils des parties, les observations de
Mme le représentant du ministre chargé de léconomie et celles du ministère
public ;
Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à
lappui du recours ;
Par lettre datée du 21 juillet 1999 reçue le
21 décembre suivant, la société en nom collectif SNC MK 2 Tolbiac a saisi le
conseil de la concurrence (le conseil) de pratiques quelle impute à
lassociation de défense de lenvironnement et du cadre de vie de la
Bibliothèque de France et qui auraient, selon elle, pour finalité de restreindre le jeu
de la concurrence sur une partie du marché du cinéma dans lagglomération
parisienne.
Par décision no 2000-D-24 du
10 mai 2000, le conseil a déclaré cette saisine irrecevable sur le fondement
de larticle 19 de lordonnance du 1er décembre 1986.
La
Cour :
Vu les recours en annulation et, subsidiairement, en réformation,
formés les 26 mai et 2 juin 2000 par la SNC MK 2 Tolbiac à
lencontre de cette décision ;
Vu les moyens déposés le 11 juillet 2000, par lesquels
la société requérante demande à la cour de : « déclarer recevable en la
forme (son) appel, au fond, le dire justifié, constater que le recours (exercé par
lassociation défenderesse devant le tribunal administratif de Paris) a pour fin
dinterdire linstallation dun concurrent (et) quil est constitutif
dun détournement de procédure, en conséquence, statuer ce que de droit sur la
répression », aux motifs que :
le maire de Paris lui a délivré le
29 septembre 1998 un permis de construire dans le treizième arrondissement,
dans la zone daménagement concerté « Paris Rive Gauche », un complexe
denviron 9 100 mètres carrés composé de salles de cinéma, de studios
de télévision et de bars thématiques ;
lassociation de défense de lenvironnement
et du cadre de vie de la Bibliothèque de France est une « créature
dUGC », titulaire de plus de 40 % de parts du marché parisien du
cinéma, car elle a été constituée immédiatement après la délivrance de
lautorisation de construction, afin de la contester en justice, par trois personnes
ne résidant pas à proximité du site litigieux et dont deux sont liées à
« UGC », avec un siège social chez un tiers ;
laction introduite devant le tribunal
administratif de Paris est un artifice destiné à lui interdire la mise en uvre
dun projet concurrent, « UGC » disposant dun monopole depuis 1993
et ayant édifié un complexe comportant 18 salles de projection ainsi quun
important espace de restauration sur lautre rive de la Seine ;
Vu les observations en date du 7 août 2000, par
lesquelles lAssociation de défense de lenvironnement et du cadre de vie de la
Bibliothèque de France, mise en cause doffice en vertu de larticle 7 du
décret du 19 octobre 1987, demande à la cour de confirmer la décision
déférée et de condamner la société requérante à lui verser la somme de
20 000 F en application des dispositions de larticle 700 du nouveau
code de procédure civile ;
Vu les observations déposées le 5 septembre 2000 par
le ministre chargé de léconomie tendant à la confirmation de la décision
dirrecevabilité ;
Vu la lettre du 7 septembre 2000 par laquelle le conseil
a indiqué ne pas vouloir faire usage de la faculté de présenter des observations
écrites ;
Vu les conclusions en réponse produites les 15 et
19 septembre 2000 par la société requérante et celles en réplique déposées
le 22 septembre suivant par lassociation défenderesse ;
Le ministère public ayant été entendu en ses observations
orales tendant au rejet du recours,
Sur
ce :
Considérant quaux termes de larticle L. 462-8 du
nouveau Code de commerce reprenant les dispositions de larticle 19 de
lordonnance du 1er décembre 1986, le conseil peut déclarer la
saisine irrecevable sil estime que les faits invoqués nentrent pas dans le
champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés déléments suffisamment
probants ;
Considérant que le présent recours ne peut tendre quau
renvoi de laffaire devant le conseil aux fins de poursuite de la procédure, et non
au prononcé de sanctions, la cour étant dépourvue des pouvoirs et des moyens de
procéder à linstruction de la saisine dans les conditions prévues par les
articles 21 à 23 de lordonnance du 1er décembre 1986
devenus L. 463-2 à L. 463-4 du nouveau Code de commerce ;
Quen application de larticle 2 du décret du
19 octobre 1987, sont seuls recevables les moyens déposés au greffe dans le
délai de deux mois ayant suivi la notification de la décision déférée ;
Considérant quen lespèce, la société MK2 Tolbiac
soutient que le recours pour excès de pouvoir introduit par lassociation de
défense de lenvironnement et du cadre de vie de la bibliothèque de France devant
le tribunal administratif de Paris a été détourné de sa finalité et constitue la mise
en uvre dune pratique anticoncurrentielle pour lui interdire la réalisation
de son projet de construction et dexploitation de salles de cinéma et de
restauration, lassociation étant en fait dirigée par son concurrent
« UGC » ;
Considérant, cependant, que ses affirmations sur les liens
actuels du président et de la secrétaire de lassociation avec « UGC »
ne sont corroborées par aucun élément probant ; que la seule circonstance que le
président de lassociation soit un ancien employé d« UGC » ne
suffit pas à constituer lindice dune entente anticoncurrentielle ;
Que, par ailleurs, labus de position dominante ne peut être
retenu quà lencontre dune entreprise ou dun groupe
dentreprises exerçant une activité de production, de distribution ou de
services ; quil nest pas allégué que lassociation visée par la
saisine soit une entreprise exerçant une telle activité ;
Quen labsence de tout élément communiqué par la
société requérante sur le marché pertinent et la position de lensemble des
opérateurs présents, la position dominante d« UGC » ne peut être
présumée sur la seule affirmation de son « monopole » et sa détention de
« plus de 40 % de parts du marché parisien du cinéma » ;
Considérant au surplus que, statuant dans les limites de la
compétence dérogatoire que lui confrère larticle L. 464-8 du nouveau code de
commerce, dont les dispositions reprennent celles de larticle 15 de
lordonnance du 1er décembre 1986, la cour na pas
compétence pour trancher des questions relevant dautres juridictions de
lordre judiciaire dans lexercice de leur compétence de droit commun ainsi que
pour connaître des actes administratifs ;
Quelle na donc pas à se prononcer sur la régularité
de la constitution et de lobjet de lassociation mise en cause, ainsi que sur
la recevabilité du recours pour excès de pouvoir introduit par celle-ci devant la
juridiction administrative au sujet du permis de construire obtenu par la société
MK 2 Tolbiac ;
Quen définitive, la cour se trouve en mesure destimer
quaucun abus de position dominante ne peut être imputé à quiconque, sans
quil soit nécessaire dordonner la mise en cause d« UGC »
devant elle ;
Quil sensuit que le recours de la société MK 2
Tolbiac ne peut quêtre rejeté ;
Considérant quil convient dattribuer à
lassociation de défense de lenvironnement et du cadre de vie de la
Bibliothèque de France la somme de 10 000 F au titre des frais non compris dans
les dépens ;
Considérant que, dans la procédure relevant de larticle
L. 464-8 du nouveau Code de commerce précité, le ministère davoué
nest pas obligatoire ; quil sensuit que celui de lassociation
de défense de lenvironnement et du cadre de vie de la Bibliothèque de France est
irrecevable à solliciter que la condamnation aux dépens soit assortie à son profit du
droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont il a fait
lavance sans avoir reçu provision ;
Par
ces motifs :
Rejette le recours ;
Condamne la SNC MK 2 Tolbiac à payer à lassociation
de défense de lenvironnement et du cadre de vie de la Bibliothèque de France la
somme de 10 000 F au titre des frais non compris dans les dépens ;
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires ;
Condamne la SNC MK 2 Tolbiac aux dépens.
Le greffier
Le président
(1) Décision no 2000-D-24 en date du
10 mai 2000 (BOCCRF no 7 du 22 juin 2000.)