Sommaire N° 13 du 05 décembre 2000

Rapport du Conseil national de la consommation
sur la publicité et l’enfant
NOR :  ECOC0000415X

    Rapporteurs :
    Mme Christine Reichenbach, pour le collège des professionnels ;
    M. Pierre de Bernières, pour le collège des consommateurs et usagers.
    Le présent rapport est commun aux deux collèges consommateurs et professionnels.
    La publicité s’adresse aux enfants dès leur plus jeune âge et le CNC a donc souhaité adopter un mandat en octobre 1999 qui avait pour but d’établir un état des lieux sur ce sujet et de faire des propositions constructives dans l’intérêt des enfants pour éviter des dérives éventuelles, liées notamment à l’émergence et au développement de nouvelles techniques de communication.
    Après avoir délibéré, pendant plusieurs mois, sur la base du mandat, il a été convenu de réserver au rapport toute la partie analytique de la situation actuelle et de regrouper dans l’avis les recommandations concrètes qui ont été discutées puis énoncées au cours des travaux du groupe de travail.
    Le groupe de travail auquel ont participé régulièrement 11 associations de consommateurs et les organisations professionnelles représentatives, s’est réuni six fois en séances plénières et a procédé à l’examen des textes législatifs et réglementaires intéressés ainsi qu’à plusieurs auditions. Deux réunions internes aux consommateurs ont été tenues en mars et en mai dans le cadre du CNC pour affiner la position commune des associations de consommateurs. Enfin, de nombreuses concertations ont eu lieu entre les rapporteurs tout au long des travaux du groupe.
    Le rapport comporte donc trois parties :
    I.  -  Un état du contexte social et réglementaire ;
    II.  -  Le rappel de certains principes fondamentaux qui doivent régir le comportement des opérateurs économiques et des professionnels de la publicité ;
    III.  -  Les perspectives.

I.  -  Etat du contexte social et réglementaire

    Le CNC retient comme définition des enfants et des jeunes, le mineur en âge scolaire, conformément à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (article 1er).
    Le CNC prend acte du fait que les mineurs sont de plus en plus impliqués dans la vie économique. Toutefois, s’il n’est pas réaliste de les en mettre à l’écart, il convient néanmoins de tenir compte de l’importance du marché qui les concerne (de 12 milliards à près de 600 milliards selon que l’on prend en compte les produits qu’ils achètent directement ou qu’il s’agisse des produits intéressant plus largement la famille) (1).
    Le CNC admet que la population des enfants-consommateurs doit être appréciée en fonction de leur âge, de leur degré d’expérience et de leur capacité de discernement.
    Le CNC reconnaît que la valeur à protéger, le développement mental, spirituel, éthique, civique et physique des enfants est un intérêt social majeur.
    Le CNC insiste sur la nécessité de prendre en compte l’intervention d’un événement important, depuis ses derniers travaux sur ce thème, à savoir l’émergence et l’évolution rapide de nouvelles techniques de communication justifiant une particulière attention. En effet, l’interactivité, l’immédiateté et la fluidité des échanges, l’ouverture des espaces de communication - internet, téléphone, plus largement la convergence des médias - soulèvent d’une façon générale la question de la nécessaire protection des enfants dans ce monde nouveau.
    Le CNC souligne la nécessité de prendre en compte la dimension éminemment subjective de l’impact et de l’interprétation des images en général, dimension qui ne peut être ramenée aux seuls effets de la publicité.
    Le CNC est soucieux de préserver à la publicité son rôle économique et social, son caractère créatif et sa dimension culturelle.
    Le CNC prend acte de la nécessité, au niveau communautaire sinon international, d’intégrer la publicité dans une réflexion commune entre Etats sur les régimes normatifs des nouveaux modes de communication, nouveaux médias électroniques interactifs ; réflexion qui doit être reliée au respect des droits de l’homme, à l’importance de la réglementation et des codes de conduite, à une tradition de coopération culturelle entre les Etats, à des principes démocratiques communs, à une certaine conception de la culture dans l’espace public.
    Le CNC constate une tendance croissante dans la société à exiger, dans les divers médias ainsi que sur les nouveaux moyens de communication électronique et les supports interactifs, une réduction des présentations montrant des scènes susceptibles d’induire des comportements asociaux (alcoolisme, drogue, pornographie, affiliation à des sectes ou violence gratuite, etc.) ou susceptibles de s’avérer, à terme, néfastes pour la santé des intéressés.
    Le CNC prend note que cette exigence sociale s’applique de plus en plus aux publicités que reçoivent des mineurs qui vont retenir ces images et ces textes et peut-être « imiter ces exemples », même lorsque ces publicités ne les concernent pas directement.
    Le CNC se félicite des initiatives prises par des organismes publics (mise en place de pédagothèque), des organisations de consommateurs, d’entreprises et des organisations et/ou groupements professionnels, voire d’organismes privés, pour l’éducation à la publicité à l’école.
    Le CNC prend acte des négociations entre le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie et le ministère de l’éducation nationale en vue d’établir un accord pour développer l’éducation du jeune consommateur.
    Dans le but de bien prendre en compte toutes les données existantes dans les domaines législatifs, réglementaires et déontologiques ont été examinés :
      la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 24 novembre 1989 ;
      les directives européennes relatives à la publicité trompeuse, à la publicité comparative et à la télévision sans frontières (notamment en son article 16) ;
      les dispositions législatives et réglementaires nationales portant sur :
          la protection de l’enfance dans les domaines de l’emploi des enfants de moins de seize ans dans la publicité ou dans la mode comme mannequins (loi du 12 juillet 1990) et dans le domaine des publications destinées à la jeunesse (loi du 16 juillet 1949 modifiée par les lois du 29 novembre 1954 et 31 décembre 1987) ;
          l’escroquerie : articles 313-1 du code pénal et L. 231-1 du code de la consommation ;
          la publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur : articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation ;
          la publicité pour certains produits (tabacs et alcools notamment) : loi Evin du 10 janvier 1991, articles 17 et suivants du code des débits de boissons et des mesures contre l’alcoolisme, articles L. 355-24 et suivants du code de la santé publique, titre 8 (Lutte contre le tabagisme) ;
          les messages à caractère violent ou pornographique dans tous les médias : article 227-24 du code pénal ;
          le contrôle de la publicité télévisée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel : loi du 17 janvier 1989 ;
          les règles de l’affichage : loi du 29 décembre 1979 sur la publicité extérieure et l’affichage, l’article R. 624-2 du code pénal, l’article L. 2212-2 du code des collectivités territoriales (pouvoirs des maires et maintien de l’ordre public) ;
      les dispositions législatives et réglementaires, en matière de publicité, de nos partenaires de l’Union européenne et d’autres Etats européens membres de l’OCDE ;
      le code de bonnes pratiques commerciales de la chambre de commerce internationale, notamment en son article 14 ;
      l’étude commandée par la Commission européenne sur le marketing à l’école en 1998 ;
      les codes de déontologie du bureau de vérification de la publicité et de l’Alliance européenne pour l’éthique en matière de publicité ;
      les règles d’autodiscipline des professionnels de la télévision ;
      les règles d’autodiscipline de l’Association des fournisseurs d’accès et de services internet ;
      les règles d’autodiscipline de l’Union de la publicité extérieure (UPE) ;
      le code édicté par le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL).
    Dans ce but ont été également auditionnés un certain nombre d’experts et acteurs dans le domaine de la publicité et de l’enfant, que ce soit en France ou à l’étranger :
      un expert psychologue-psychanalyste, directeur de thèse sur le développement de l’enfant et plus particulièrement de sa socialisation économique, et un expert psychiatre-psychanalyste, chargé de cours universitaires sur l’impact des images et de missions confiées notamment par le ministère de la culture ;
      un représentant de l’ambassade de Suède qui a présenté le régime juridique de son pays fondé sur une interdiction de la publicité à la télévision en direction des enfants de moins de douze ans ;
      le BVP (bureau de vérification de la publicité) organisme d’autodiscipline créé par l’interprofession (annonceurs, agences de publicité et supports) pour mener une action en faveur d’une publicité loyale, véridique (présidé par une haute personnalité indépendante, son conseil d’administration, outre des représentants de l’interprofession, comprend un représentant de l’INC). Sa mission s’agissant de la publicité et des enfants est particulièrement importante. Il est, en effet, en charge de veiller au respect des règles déontologiques citées plus haut. En matière de publicité télévisée il s’est vu confier en 1991 (décision no 91-690 du 25 juillet 1991) par le CSA le contrôle systématique avant diffusion des publicités télévisées, le CSA continuant à en effectuer le contrôle a posteriori ;
      l’organisation européenne qui coordonne les actions nationales en matière d’autodiscipline (EASA - l’Alliance européenne pour l’éthique en publicité). L’EASA a notamment mis en place une procédure de traitement des plaintes transfrontières que peuvent saisir toutes les parties intéressées dont les consommateurs et leurs associations.
    Le CNC a insisté sur la nécessité, non seulement pour les autorités de contrôle compétentes (DGCCRF, CSA, etc.), mais également pour les organismes d’autodiscipline dont le BVP, de veiller avec une toute particulière vigilance au respect des réglementations et principes inscrits dans les présents rapport et avis. La « Commission de concertation » créée en 1979 et réunissant de façon paritaire consommateurs et professionnels, devra être réactivée (cf. avis). En particulier, s’agissant de la bonne application des principes et orientations définis dans l’avis du CNC sur la publicité et les enfants, elle devra jouer un rôle déterminant dans le suivi des actions du BVP en la matière.
    D’une façon plus générale, cet état des lieux a mis en lumière que la France semble dotée, pour les médias classiques, d’un régime qui répond, dans la plupart des cas, de façon satisfaisante - sous réserve de quelques ajustements et rappels qui sont traités ci-dessous dans l’avis - aux préoccupations de protection des enfants et des adolescents.
    Le groupe de travail a considéré après ces examens que les régimes fondés sur l’interdiction ne constituent pas une solution réaliste. Dans un monde où la publicité sous toutes ses formes fait partie de la vie, il serait illusoire et inefficace de mettre à l’écart les enfants de cette dimension économique de la société.
    Le groupe de travail a en revanche privilégié l’étude des principes qui devaient gouverner le contenu des messages publicitaires afin de prendre en compte l’impact particulier que pouvaient avoir certains types de communication en direction des enfants et des adolescents (appréciés en fonction de leur âge, de leur manque d’expérience, de leur liberté de choix, de leur capacité plus grande à être influencés qu’un consommateur adulte) et de les protéger en tant que de besoin contre tout dommage psychologique, mental, spirituel, éthique et physique.

II.  -  Les principes fondamentaux

    Compte tenu de la très rapide évolution des techniques de communication et d’une utilisation croissante par les enfants des nouveaux médias interactifs (rapport OCDE), le CNC a souhaité rappeler les principes fondamentaux qui doivent gouverner la publicité concernant les enfants.
    Ces principes doivent en effet s’appliquer non seulement sur les médias traditionnels mais sur tout nouveau support de communication, non seulement sur les supports de diffusion nationale mais aussi sur ceux qui sont susceptibles d’une diffusion transfrontière (télévision, internet, télécoms, etc.). Ils devraient constituer dans la réflexion européenne une plate-forme commune de travail.
    Le CNC réaffirme donc les principes fondamentaux qui figurent dans les textes et les normes en usage suivants :
    Ne sont pas admissibles, qu’il s’agisse de messages explicites et/ou implicites :
    1.  Les publicités visant les mineurs qui peuvent être préjudiciables à leur développement psychologique, éthique, spirituel, civique ou physique ;
    2.  La diffusion, dans les médias traditionnels mais aussi, désormais, sur les réseaux numériques, des publicités dont le caractère commercial n’est pas clairement reconnaissable et qui peuvent créer une confusion dans l’esprit des plus jeunes enfants ou détourner leur intérêt ;
    3.  Les publicités comportant des présentations visuelles ou des déclarations qui pourraient mettre en danger la santé et/ou la sécurité des mineurs ou être susceptibles de les induire à des comportements au mépris des règles élémentaires, à court et long terme, de santé et de sécurité des personnes, de protection des biens et de l’environnement (comportements dangereux et violents) ;
    4.  Les publicités pouvant porter atteinte aux valeurs sociales telles que jeter le discrédit sur l’autorité, la responsabilité, le jugement ou le goût (les choix) des parents ou des éducateurs ou inciter à transgresser la loi ou les valeurs civiques, ou encore sembler cautionner des comportements illicites ou répréhensibles au regard de la loi ;
    5.  Les publicités qui créent une incitation abusive en invitant directement les jeunes à acheter (« Tu dois acheter »...) ou qui, profitant de leur manque d’expérience ou de leur crédulité, exercent la même pression en jouant sur des registres variés de sentiments ou encore qui contiennent un message direct visant à les inciter à persuader leurs parents ou tout autre adulte à acheter certains produits ou services (« Dis à ta maman d’acheter »...) ; le CNC rappelle que certaines publicités valorisant les décisions de l’enfant dans le choix de biens ne doivent pas le faire sortir de son cadre de référence économique et psychologique ni transférer sur lui la responsabilité des parents ;
    6.  Les publicités qui, profitant du manque d’expérience ou de la crédulité des enfants, joueraient sur des sentiments tels que la suggestion que la seule possession ou l’utilisation d’un produit lui donnerait un avantage physique, social ou psychologique sur les autres enfants de son âge ; ou qui exploiteraient le sentiment de peur des enfants ou adolescents sans justification d’ordre éducatif ou social ;
    7.  Les publicités mettant en scène des situations de compétition et/ou de concurrence présentées comme étant à la portée des enfants et qui seraient disproportionnées par rapport à leur âge ;
    8.  L’organisation de manifestations ou d’événements qui dissimuleraient des opérations publicitaires totalement étrangères à l’objet de l’événement ou de la manifestation mis en avant dans la publicité initiale (avant-première offerte, adhésion à des clubs d’enfants, parrainage, etc.).

III. - Les perspectives

    Les évolutions techniques et les différents chantiers qui sont menés à la fois en France et à l’échelon européen, en particulier en matière de société de l’information, et de ses développements à la fois technologiques et juridiques, ont conduit le groupe de travail à ressentir le besoin de procéder à un nouveau rendez-vous pour en apprécier les résultats.
    Les associations de consommateurs ont notamment considéré qu’il était utile de procéder de leur côté à des études complémentaires sur la psychologie et le comportement des enfants dans ce nouveau contexte.
    C’est ainsi qu’au terme de ce rapport et dans le cadre de la procédure de suivi des avis du CNC, le groupe de travail « Publicité et enfant » est convenu de se réunir dans douze ou dix-huit mois pour :
      examiner si l’évolution des technologies des nouveaux médias et supports interactifs, ou l’apparition de nouvelles pratiques, non prises en compte dans l’avis, justifient l’adoption de recommandations nouvelles en matière de publicité. A cet égard, le groupe « Publicité et enfant » a réalisé ses travaux dans la suite de l’avis du groupe de travail du CNC « Consommateurs et fournisseurs d’accès » ;
      examiner, au regard de ses travaux actuels et des recommandations qu’il préconise, des éléments d’informations fournis par le groupe « Agroalimentaire et nutrition » et relatifs à des questions qui n’avaient pas été, de la volonté des collèges consommateurs et professionnels, retenues dans le présent mandat pour ne pas interférer avec les travaux de ce dernier groupe ;
      examiner les suites données à ses recommandations sur la publicité par le groupe « Education du jeune consommateur ». En effet, le thème de l’éducation ayant été une préoccupation majeure et permanente du groupe « Publicité et enfant », devrait donner lieu à une attention particulière du groupe « Education du jeune consommateur ». Par ailleurs les éléments constitutifs de la partie IV « Marketing scolaire, partenariats scolaires et éducation du jeune consommateur à la publicité » devraient être intégrés aux travaux plus larges du groupe « Education du jeune consommateur ».


    (1)  Ces chiffres sont approximatifs, ils dépendent des produits ou services compris dans l’assiette des produits ou services que l’on estime à un moment donné intéresser directement ou indirectement les enfants, notion difficile à cerner et nécessairement évolutive.


© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie- 08 janvier 2001