Sommaire N° 13 du 05 décembre 2000
Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie en date du 31 juillet 2000 aux conseils des sociétés Cadbury Schweppes France et Kraft Food France relative à une concentration dans le secteur de la confiserie

NOR :  ECOC0000408Y

            Maîtres,
    Par dépôt d’un dossier dont il a été accusé réception le 31 mai 2000, vous avez notifié l’acquisition par Cadbury Schweppes France des activités de confiserie de sucre de Kraft Food France.
    Cadbury Schweppes France est une filiale du groupe Cadbury Schweppes PLC, qui, outre diverses activités dans l’agroalimentaire, fabrique et commercialise trente-quatre marques de sucreries, dont « La Pie qui Chante », Carambar, Michoko, Stoptou, Pimousse, pour un chiffre d’affaires de 590 MF et un effectif d’environ 1 200 personnes. « La Pie qui Chante » a été cédée par Danone à Cadbury Schweppes France en janvier 1998. Le chiffre d’affaires en France du groupe Cadbury Schweppes PLC, toutes activités confondues (boissons rafraîchissantes, sous les marques Oasis et Schweppes, confiseries de chocolat, biscuiteries, confiserie de sucre), s’élève à 2,6 Mds F.
    Le groupe Kraft Food France (anciennement Kraft Jacobs Suchard France) appartient au groupe américain Philip Morris. Il est actif en France dans les secteurs du café, du chocolat, de la confiserie et du fromage. La confiserie représente un chiffre d’affaires de 1,2 Md F en France sur un total de 5,8 Mds F. Le groupe exploite notamment les marques Hollywood, Malabar, Tonigum, Kréma, La Vosgienne, Kiss Cool, Cachou Lajaunie, Vichy (droits de distribution acquis auprès de Warner Lambert) et Stimorol (contrats de distribution avec le propriétaire danois).
    L’opération d’acquisition sera effectuée en deux phases : l’activité confiserie de Kraft Food France sera regroupée dans deux sociétés qui seront ensuite cédées à Cadbury.
    Cette opération n’étant pas contrôlable en termes de chiffre d’affaires, il convient d’en délimiter les marchés pertinents.
    Le secteur concerné est celui de la « confiserie de sucre », distinct de celui de la confiserie de chocolat : cette distinction a été soulignée dans deux avis du Conseil de la concurrence concernant, pour l’un, l’achat par Nestlé de Rowntree Mackintosh et, pour l’autre, la prise de contrôle du groupe Barry par la société Callebaut AG.
    Au sein du secteur de la « confiserie de sucre », il convient de distinguer selon les circuits de distribution. En effet, les produits sont commercialisés à la fois dans la grande distribution (circuit court) et dans un grand nombre de petits commerces (boulangeries-confiseries, épiceries, bureaux de tabac, stations-service...) par l’intermédiaire de grossistes (circuit long). Cette distinction, qui repose notamment sur la différence des types d’acteurs impliqués dans la chaîne logistique, des prix de revente aux consommateurs et des comportements de ces derniers, est traditionnelle dans ce type de secteurs et a été notamment effectuée lors de l’examen des projets de concentration entre Coca-Cola et Orangina.
    A l’intérieur de chacun de ces circuits, la plupart des professionnels distinguent trois types de produits : produits en sachets, confiserie de poche et gommes, cette distinction provenant notamment d’une disparité des demandes des consommateurs en termes de produit, conditionnement (les volumes sont le plus souvent conditionnés en unités de 90 grammes en poche contre des unités d’environ 300 à 350 grammes en sachet), type d’achat (impulsion ou non...).
    Toutefois, certains clients proposent une segmentation légèrement différente entre confiserie enfants, confiserie famille/adultes, confiserie de poche et gommes, tandis que des concurrents proposent une segmentation entre confiserie sachet enfants et adultes, dragées et pralinés, chewing-gums, sucettes, petite confiserie de poche, gommes ou encore une segmentation fonctionnelle entre bonbons fonctionnels, menthes, enrobés chocolat, caramels, assortiments, sucre fourré, boîtes.
    S’il est certainement possible de segmenter très précisément les catégories de produits selon des critères « marketing » au sein de l’ensemble « confiserie de sucre », que ce soit en sachet ou en conditionnement de poche, les produits en cause sont néanmoins très proches, les prix sont très voisins et la plupart des grands offreurs les proposent tous. Il n’est donc pas nécessaire de considérer ces segments comme constituant autant de marchés pertinents.
    Les marchés pertinents sont donc les confiseries de sucre en sachet, les confiseries de sucre de poche et les gommes commercialisées dans la grande distribution, d’une part, et les mêmes marchés de produits commercialisés dans le circuit long, d’autre part.
    Cette classification proposée par les parties correspond d’ailleurs à celle retenue par les grandes bases de données internationales, comme notamment Ac-Nielsen.
    Les six marchés pertinents précédents sont de dimension nationale compte tenu du caractère national significatif des marques présentes. Ainsi, si les mêmes bonbons sont vendus par Kraft Food International, en Suisse, en Belgique et en Espagne, ils le sont sous une marque différente (Sugus) de la marque française. En outre, les exportations et les importations de chacun des deux groupes sont peu significatives : [moins de 10 %] d’exportations et [moins de 10 %] d’importations pour Cadbury Schweppes France, d’une part, [moins de 10 %] d’exportations et [moins de 10 %] d’importations pour Kraft Food France, d’autre part.
    En amont, l’opération concerne les marchés pertinents des édulcorants et papiers spéciaux d’emballages de confiserie, de taille vraisemblablement européenne.
    En aval, la répartition des parts de marchés pour les deux groupes s’établit comme suit :
    

CIRCUIT COURT CIRCUIT LONG
Sachets Poche Gommes Sachets Poche Gommes
Cadbury [10-20] 0 0 NC 0 0
KFF [0-10] [20-30] [50-60] NC [10-20] [70-80]
Total [20-30] [20-30] [50-60] NC [10-20] [70-80]
Haribo [10-20]   0 NC    
Lamy Lutti [0-10]   0 NC    
MDD [20-30]   0      
Van Melle [0-10] [20-30] 0 NC [40-50]  
Autres [30-40] [50-60] [40-50] NC [40-50] [20-30]
Total 100 100 100 NC 100 100
    Sur le circuit court, la nouvelle entité détiendra [20 à 30 %] du marché des sachets, [20 à 30 %] du marché « de poche » et [50 à 60 %] du marché des « gommes ».
    Sur le circuit long, elle détiendra [10 à 20 %] du marché « de poche » et [70 à 80 %] du marché des « gommes ».
    Cela emporte la contrôlabilité de l’opération.
    S’agissant des effets de l’opération sur les marchés amont :
      sur le marché des édulcorants, les principaux fournisseurs ont indiqué qu’il s’agissait d’un marché européen et que les volumes fournis aux deux groupes parties à l’opération ne constituaient pas une part importante de leur chiffre d’affaires ;
      sur le marché des papiers spéciaux, les achats effectués par Cadbury France et « La Pie qui Chante » ne dépassent pas 2 % et ceux effectués par Kraft Food France auprès de son principal fournisseur ne dépassent pas 0,07 % du chiffre d’affaires de ce fournisseur.
    Sur ces deux marchés, le poids de la nouvelle entité restera modeste et l’opération ne sera pas susceptible de créer de position dominante.
    Sur les marchés situés en aval, il convient de souligner que l’opération ne fait apparaître d’addition de parts de marché que sur un seul marché, celui des bonbons en sachets du circuit court.
    Sur ce marché, le futur groupe devient leader avec [20 à 30 %] de parts de marché mais reste très directement concurrencé par les marques de distributeurs (qui représentent ensemble [20 à 30 %] du total) et plusieurs concurrents puissants.
    Il convient également de noter que le nouveau groupe est très peu actif sur ce marché en tant que fournisseur de marques de distributeurs, à l’inverse de certains de ses concurrents.
    L’ensemble des « autres fabricants » (30 à 40 %) est encore très atomisé. Il réunit notamment un nombre important de fabricants de « spécialités » (qui totalisent un chiffre d’affaires de 530 MF, soit [10 à 20 %] de ce marché), souvent régionales et connues sur le marché national sous des appellations d’origine tels « les Calissons d’Aix », les « Nougats de Montélimar », les « Bergamottes de Nancy » et des petits fabricants que se positionnent sur des « niches » délaissées par ces acteurs majeurs comme les marques « Pierrot Gourmand » (sucettes), « Paul Marcel » (bonbons « traditionnels ») : ces derniers ne sont pas individualisés dans les bases de données mais représentent un chiffre d’affaires de 200 MF (soit [moins de 10 %] du marché des bonbons en sachet).
    Sur les deux marchés de la confiserie de poche, l’opération ne se traduit pas par une addition de parts de marché : le nouveau groupe se situe en troisième position, précédé de deux compétiteurs puissants.
    S’agissant du marché des « gommes », l’opération n’emporte pas d’addition de parts de marché, le nouveau groupe conservant sa position de leader.
    Les marchés des sachets, de la confiserie de poche et des gommes devant être, dans chacun des circuits, considérés comme connexes, il convient d’examiner les effets cumulés de l’opération.
    Il est notamment nécessaire de prendre en compte le risque que crée l’addition de deux portefeuilles de marques importantes : celles de « La Pie qui Chante » comme Carambar, Michoko, Pimousse d’une part, Hollywood, Malabar, Kréma, La Vosgienne, Kiss Cool, Cachou Lajaunie, Vichy d’autre part. Les marques sont en effet fréquemment des barrières à l’entrée dans les marchés de grande consommation, ce que vient attester en l’espèce le poids important des dépenses de publicité (3% pour La Pie qui Chante mais près de 11 % pour Kraft Food France).
    Toutefois, les marques du groupe, même si elles sont très connues, ne semblent pas être incontournables. Il existe notamment de nombreux produits très proches, dont des marques de distributeurs, considérés comme équivalents par les consommateurs. Qui plus est, les principaux concurrents possèdent eux aussi des marques à forte notoriété (Haribo, Chupa Chups, Freedent, Mentos, Lutti, Ricola, Fischermans, Smint).
    L’opération peut également entraîner un risque au regard des effets de gamme. En effet, l’examen des conditions de vente GMS montre l’existence de remises de volume par les deux groupes et de remises de gammes par le groupe Kraft Food France. Bien évidemment, ces pratiques contribuent à accroître l’effet du rapprochement des deux portefeuilles et ce d’autant plus que le groupe est le seul présent sur l’ensemble des marchés de la confiserie de sucre.
    Cette situation était cependant déjà celle de Kraft Food France et ne résulte donc pas de l’opération.
    De plus, il est nécessaire de prendre en compte non seulement les marchés de la confiserie de sucre, mais aussi ceux de la confiserie de chocolat, car les conditions générales de vente sont uniques pour l’ensemble de ces produits. Même si le groupe Cadbury Schweppes est également présent sur la confiserie de chocolat, il fait alors face à de puissants concurrents qui disposent eux aussi de très nombreuses références, comme Nestlé et Kraft Food France (qui demeure présent sur les produits chocolatés). L’accroissement de la gamme ne sera donc pas susceptible d’induire une création ou un renforcement de position dominante.
    Concernant les remises de volume, l’addition des produits n’est pas susceptible de modifier sensiblement l’équilibre concurrentiel, compte tenu du caractère relativement limité de l’accroissement des parts de marché dû à l’opération.
    Enfin, même additionnés, les trois risques précédents ne sont pas susceptibles d’entraîner des effets cumulés préjudiciables à l’équilibre des marchés, notamment du fait de la présence de concurrents puissants, de concurrents potentiels et des marques de distributeurs (pour lesquels le groupe n’est qu’un fournisseur modeste). Les distributeurs seront par conséquent en mesure de concurrencer le groupe par leurs propres marques et aussi, le cas échéant, de susciter ou favoriser le développement d’offreurs présents ou de concurrents potentiels.
    Par conséquent, je considère que l’opération notifiée n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.
    Je vous informe qu’il n’est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette opération.
    Je vous prie d’agréer, Maîtres, l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie,
Pour le ministre et par délégation :
Le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes,
Jérôme  Gallot

    Nota.  -  A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
    Ces informations relèvent du « secret d’affaires », en application de l’article 28 du décret no 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret no 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.


© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie- 08 janvier 2001