NOR : ECOC0000324S
Le Conseil de la concurrence (section III),
Vu les lettres enregistrées le 18 mai 2000
et le 22 mai 2000 sous les numéros F 1233/M 267 et
le mémoire complémentaire enregistré le 19 juin 2000,
par lesquels la société Cinévog SARL a saisi le Conseil de
la concurrence de pratiques de la société anonyme UGC Ciné-Cité,
quelle estime anticoncurrentielles, et a sollicité le prononcé
de mesures conservatoires ;
Vu les lettres enregistrées le 18 mai 2000
et le 22 mai 2000 sous les numéros F 1234/M 268 et
le mémoire complémentaire enregistré le 19 juin 2000,
par lesquels la société Les Cinq Parnassiens SA a saisi le Conseil
de la concurrence de pratiques de la société anonyme UGC Ciné-Cité,
quelle estime anticoncurrentielles, et a sollicité le prononcé
de mesures conservatoires ;
Vu les lettres enregistrées le 18 mai 2000
et le 22 mai 2000 sous les numéros F 1235/M 269 et
le mémoire complémentaire enregistré le 19 juin 2000,
par lesquels la société SNC Studio du Dragon a saisi le Conseil
de la concurrence de pratiques de la société anonyme UGC Ciné-Cité,
quelle estime anticoncurrentielles, et a sollicité le prononcé
de mesures conservatoires ;
Vu la lettre enregistrée le 9 juin 2000 sous
les numéros F 1239/M 271 et le mémoire complémentaire
enregistré le 21 juin 2000, par lesquels la société
anonyme MK2 a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société
anonyme UGC Ciné-Cité, quelle estime anticoncurrentielles,
et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ;
Vu lordonnance no 86-1243 du 1er décembre
1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence
et le décret no 86-1309 du 29 décembre 1986
modifié, pris pour son application ;
Vu lavis du médiateur du cinéma en
date du 17 juillet 2000 ;
Vu les observations présentées par la société
anonyme UGC Ciné-Cité et par le commissaire du Gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le
commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés
Cinévog SARL, Les Cinq Parnassiens SA, SNC Studio du Dragon, MK2 et UGC
Ciné-Cité entendus lors de la séance du 19 juillet 2000 ;
M. François Hurard, directeur du cinéma
du Centre national de la cinématographie, entendu sur le fondement de larticle 25
de lordonnance susvisée du 1er décembre
1986 ;
Après en avoir délibéré hors
la présence du rapporteur et du rapporteur général ;I. - SUR
LA JONCTION Considérant que
les saisines de la société Cinévog SARL, enregistrée
sous les numéros F 1233 et M 267, de la société
Les Cinq Parnassiens SA, enregistrée sous les numéros F 1234
et M 268, de la société SNC Studio du Dragon, enregistrée
sous les numéros F 1235 et M 269, et de la société
MK2, enregistrée sous les numéros F 1239 et M 271,
sont dirigées contre la même pratique émanant dune même
entreprise, portent sur les mêmes questions et ont fait lobjet dune
instruction commune ; quil y a lieu de les joindre pour statuer par
une seule décision ;
II. - SUR LA FIN DE NON-RECEVOIR OPPOSÉE PAR LA SOCIÉTÉ
UGC CINÉ-CITÉ A LENCONTRE DES SAISINES TENDANT AU PRONONCÉ
DE MESURES CONSERVATOIRES PRÉSENTÉES PAR LES SOCIÉTÉS
CINÉVOG, LES CINQ PARNASSIENS ET STUDIO DU DRAGON
Considérant que la société UGC Ciné-Cité
fait valoir que les lettres de saisine des sociétés Cinévog,
Les Cinq Parnassiens et Studio du Dragon, enregistrées le 18 mai 2000,
se borneraient à solliciter un avis du Conseil de la concurrence sur le
fondement de larticle 5 de lordonnance susvisée du 1er décembre
1986 et que, par suite, les demandes desdites sociétés tendant au
prononcé de mesures conservatoires enregistrées le 22 mai 2000
seraient irrecevables, faute davoir été formées accessoirement
à une saisine au fond ;
Mais considérant que, si les lettres de saisine
précitées du 18 mai 2000 demandent, in fine, au
Conseil de la concurrence, de rendre un avis motivé sur les pratiques dénoncées,
les écritures des saisissantes ne visent pas larticle 5 de lordonnance
précitée mais dénoncent explicitement des pratiques dabus
de position dominante et de prix abusivement bas quelles imputent à
la société UGC Ciné-Cité et quelles estiment
prohibées par les articles 8 et 10-1 de lordonnance ; que
ces demandes, qualifiées de plaintes par les intéressées,
tendent à la condamnation par le Conseil desdites pratiques et doivent
donc être regardées comme fondées sur laction contentieuse
prévue par larticle 11 de ladite ordonnance ; que, dès
lors, la société UGC Ciné-Cité nest pas fondée
à soutenir que les demandes présentées par lesdites sociétés
le 22 mai 2000, tendant à ce que le Conseil ordonne larrêt
immédiat de lexploitation de la carte « UGC Illimité »
et lannulation de tous les contrats dabonnement à ladite carte
dores et déjà souscrits, seraient irrecevables faute davoir
été formées accessoirement à une saisine au fond ;
que la fin de non-recevoir opposée par la société UGC Ciné-Cité
doit donc être écartée ;III. - SUR
LA RECEVABILITÉ DES SAISINES AU FOND Considérant
que la société UGC Ciné-Cité a mis en vente, le 29 mars
2000, la carte « UGC Illimité », abonnement annuel
permettant un accès illimité aux salles appartenant au groupe UGC
au prix de 1 176 F, payable par mensualités de 98 F ;
que, dans le cadre du lancement de cette nouvelle offre, la société
a, en outre, offert les frais de constitution de dossier, fixés à
la somme de 200 F, aux clients souscrivant leur abonnement avant le 31 août
2000 ; que, face aux réactions hostiles des professionnels du cinéma
et à la suite dun rapport du médiateur du cinéma remis,
le 25 avril 2000, au directeur général du Centre national de
la cinématographie (CNC), le ministre chargé de la culture a demandé
à la société UGC Ciné-Cité larrêt
de la commercialisation de la carte ; que la société a interrompu
la vente de la carte le 9 mai 2000 à minuit ; quà
cette date, 65 115 abonnements avaient été souscrits au
plan national ;
Considérant que les sociétés Cinévog, Les Cinq Parnassiens
SA, SNC Studio du Dragon et MK2 soutiennent que la carte « UGC Illimité »
émanerait dune entreprise qui serait en situation de position dominante
sur le marché parisien de lexploitation des salles de cinéma
et constituerait une offre de prestation de services dont le prix et les modalités
dexécution auraient pour objet ou pour effet déliminer
de ce marché les entreprises concurrentes qui ne seraient pas en mesure
dy répliquer par des offres similaires ; que cette pratique
serait susceptible dêtre visée tant par larticle 8
de lordonnance du 1er décembre 1986, qui
prohibe les abus de position dominante, que par larticle 10-1 de ladite
ordonnance, qui prohibe les pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement
bas, même en labsence de toute position dominante ; quelles
demandent au Conseil de la concurrence dordonner larrêt de la
commercialisation de la carte « UGC Illimité » et
« lannulation » ou « la suspension des
effets » des abonnements dores et déjà souscrits ;
Considérant, en premier lieu, que, lorsquil
est saisi dune demande de mesures conservatoires, le Conseil na pas
à se prononcer sur le caractère éventuellement illicite des
pratiques dont il est saisi au regard du titre III de lordonnance du
1er décembre 1986, mais seulement à apprécier
si les imputations de pratiques anticoncurrentielles contenues dans la saisine
au fond sont appuyées déléments suffisant probants,
au sens de larticle 19 de ladite ordonnance, pour lui permettre de
retenir quil nest pas exclu que ces pratiques soient constitutives
datteintes à la concurrence ;
Considérant, en deuxième lieu, quil
nappartient pas au Conseil de la concurrence de se prononcer sur la conformité
des modalités de commercialisation de la carte « UGC Illimité »
au code de la propriété intellectuelle, au code de lindustrie
cinématographique et et à la législation fiscale ;
Considérant, en troisième lieu, que, dans
ses avis no 93-A-01 du 12 janvier 1993 relatif à la
cession réciproque de salles de cinéma entre les sociétés
Gaumont et Pathé et no 93-A-12 du 29 juin 1993 relatif
à lacquisition par la société UGC des salles de cinéma
des complexes Georges V, Forum Horizon et Forum Orient-Express, le Conseil
de la concurrence a distingué, de lamont vers laval, le marché
de la production cinématographique, celui de la distribution des films
et celui de lexploitation des salles de cinéma ; quil
a subdivisé ce dernier en trois marchés distincts ; celui de
la diffusion des films classés « X », celui qui se
consacre aux reprises, aux continuations ou aux uvres de recherche et, enfin,
celui de la première diffusion de films non classés « X »,
qui concerne les salles dexclusivité ; quil convient sans
doute dy ajouter le marché des salles consacrées à
la diffusion des films selon le procédé « IMAX »,
lesquelles utilisent une technique de projection et un catalogue de films non
substituables aux moyens et aux modes de projection classiques ; que, si,
pour estimer que Paris constitue une partie substantielle du marché national
de la distribution des films, le Conseil sest appuyé sur le fait
que certaines salles, situées dans des « quartiers directeurs »
de Paris, jouent un rôle déterminant dans le succès commercial
dun film, il ny a pas lieu den déduire que le marché
aval de lexploitation des salles de cinéma serait circonscrit, sur
le plan géographique, à Paris ou à certains de ses quartiers ;
quen effet, dans les deux avis précités, le Conseil a relevé
que limportance de lécart existant entre lindice de fréquentation
de Paris et celui de la banlieue démontrait que les habitants de la banlieue
fréquentaient largement les salles de Paris et que linverse nétait
pas vrai ; que les indices de fréquentation de 1999, soit 12,9 entrées
annuelles par habitant à Paris, 2,42 en petite couronne (départements 92,
93 et 94) et 2,07 en grande couronne (départements 77, 78, 91 et 95),
confirment ce raisonnement et permettent de retenir, en létat, que
les zones dattraction des salles de cinéma implantées dans
Paris sétendent au-delà de la capitale ; que, par suite,
le marché pertinent ne se limite pas géographiquement à cette
dernière ;
Considérant que le réseau des salles détenues
par la société UGC Ciné-Cité a réalisé,
au cours de lannée 1999, 37,2 % des recettes à Paris
« intra-muros » et 26 % des recettes de la région
Ile-de-France, hors Paris, alors que, dans le même temps, la société
Gaumont, principal concurrent de la société UGC Ciné-Cité,
réalisait 27 % à Paris et 9,5 % en région Ile-de-France
hors Paris ; que les autres opérateurs présents sur le marché
sont nombreux et ne disposent que de parts de marchés minimes, à
lexception de Pathé en région Ile-de-France, hors Paris, qui
totalise 9,9 % des recettes, et, à Paris, des sociétés
MK2, Majestic et de lentreprise Radwansky, qui totalisent, respectivement,
10,4 %, 3 % et 3,7 % des recettes ;
Considérant que lintégration verticale
de la société UGC Ciné-Cité dans un groupe de sociétés
intervenant sur le marché de la production cinématographique et
sur le marché de la distribution des films lui procure, en tant quexploitant,
via le réseau de programmation constitué par le GIE UGC Diffusion,
et en tant que distributeur, via la société UFD, dans le cadre de
laquelle le groupe UGC est allié au studio américain FOX, un point
dappui sur le marché aval de lexploitation des salles qui lui
permet, tout à la fois, dassurer laccès de ses propres
salles aux films, quils soient commerciaux ou à vocation plus culturelle,
et, dans une moindre mesure, de contrôler laccès des salles
concurrentes aux films, alors quil est constant que la réussite économique
dune salle de cinéma est dabord fondée sur la qualité
de sa programmation ;
Considérant que la société UGC Ciné-Cité
détient trois des six multiplexes de la capitale, lesquels lui assurent
plus de moité de ses recettes à Paris, et deux des sept multiplexes
implantés en périphérie parisienne ; quil résulte
de linstruction, et notamment du rapport rédigé par M. Francis
Delon sur les multiplexes, en janvier 2000, à la demande du ministre chargé
de la culture, que le poids des multiplexes dans lexploitation des salles
va croissant en raison de limportance de leur fréquentation et de
leur plus grande rentabilité économique, alors que ce format nest
accessible quà un petit nombre dopérateurs du marché,
en raison du montant élevé (de 50 à 250 millions de
francs) des investissements nécessaires et des autorisations administratives
quil requiert ; quau surplus les multiplexes entrent en concurrence
directe avec les salles traditionnelles, y compris celles classées « art
et essai », quant à la programmation des films, dès lors
que loffre décrans importante quils proposent les conduit
à diversifier leur programmation et à proposer ainsi un éventail
de films susceptibles dintéresser un public de plus en plus important
et varié ;
Considérant quil résulte de tout ce
qui précède que la société UGC-Ciné-Cité
se présente comme lun des premiers opérateurs sur le marché
de lexploitation des salles de cinéma dans Paris et dans ses environs ;
quainsi il ne peut être exclu, à ce stade de la procédure,
que cette société puisse être en situation de position dominante ;
Considérant, en quatrième lieu, que le parties
saisissantes soutiennent que la carte « UGC Illimité »
aurait pour effet de rendre captif tout spectateur de cinéma qui contractera
cet engagement individuel dun an reconductible tacitement et de détourner
ainsi le public des habitués des salles indépendantes, dès
lors que cet abonnement les dissuadera fortement de fréquenter dautres
salles que celles auxquelles il donne accès ; que cet abonnement constituerait
un détournement de clientèle qui porterait directement atteinte
aux salles indépendantes et dart et essai parisiennes dès
lors quil est avéré que, par ailleurs, la programmation des
salles du réseau UGC entre directement en concurrence avec ces dernières
pour les films art et essai dits « porteurs », qui permettent
déquilibrer les recettes des salles ayant une programmation « exigeante » ;
Mais considérant que le fait, pour une entreprise,
de tenter de fidéliser sa clientèle nest pas en tant que tel
condamnable au regard du droit de la concurrence ; que ce nest que
si cette fidélisation est acquise au moyen dune pratique anticoncurrentielle
quelle est susceptible dêtre appréhendée par le
droit de la concurrence ; quau surplus de nombreux exploitants de salles
de cinéma, y compris les parties saisissantes, pratiquent déjà
des abonnements pour fidéliser leur clientèle ; que, par conséquent,
il napparaît pas, en létat de linstruction, que
le fait pour la société UGC Ciné-Cité de tenter de
fidéliser le public qui fréquente ses salles de cinéma par
un système dabonnement soit, en lui-même, susceptible dêtre
regardé comme une pratique anticoncurrentielle de détournement de
clientèle ;
Considérant, en cinquième lieu, que les
parties saisissantes soutiennent que la carte « UGC Illimité »
constituerait une vente de prestation de services à un prix inférieur
à ses coûts variables moyens ;
Considérant que, dans la ligne de la jurisprudence
européenne relative aux prix prédateurs (CJCE C 62/86,
3 juillet 1991, AKZO rec. p. I 3359), le Conseil
de la concurrence, dans sa décision no 94-D-30 du 24 mai 1994
relative à une saisine de la SARL Sobéa concernant la situation
de la concurrence sur le marché du béton prêt à lemploi
dans le département du Tarn, a estimé que le fait, pour un producteur
en position dominante, de chercher à éliminer un concurrent en vendant
son produit à un prix inférieur à son coût variable
constitue une pratique de prix prédateur, une telle stratégie daccumulation
délibérée des pertes ne pouvant sexpliquer que par
la volonté de lentreprise déliminer son concurrent dans
la perspective de réaliser ultérieurement des profits une fois ce
concurrent disparu ; que le Conseil a également considéré
que le fait, pour un producteur dominant, de vendre à des prix inférieurs
à ses coûts moyens totaux, mais supérieurs à ses coûts
moyens variables, peut être regardé comme une pratique de prix prédateur
si une intention prédatrice est établie ; que, dans son avis
no 97-A-18 du 8 juillet 1997 répondant à
une demande du ministre délégué aux finances et au commerce
extérieur concernant lapplication de larticle 10-1 de
lordonnance au secteur du disque, le Conseil de la concurrence a rappelé
que les « prix abusivement bas » prévus audit
article sinscrivent dans la jurisprudence communautaire et nationale sur
les prix de prédation, même si la pratique de prix abusivement bas
peut être sanctionnée en labsence de position dominante ;
Considérant quà lappui de leurs
prétentions les parties saisissantes font valoir que, dans la décision
no 98-MC-03 du 19 mai 1998 relative à une demande
de mesures conservatoires présentée par lAssociation française
des opérateurs privés de télécommunication et relative
à la connexion des établissements scolaires à internet, le
Conseil de la concurrence a estimé que le caractère éventuellement
prédateur de loffre tarifaire forfaitaire proposée devait
sapprécier non pas, comme le soutenait France Télécom,
en fonction de la durée réelle de connexion observée, mais
de la possibilité reconnue aux établissements scolaires de bénéficier
de loffre de prestations jusquau plafond du forfait ; quelles
en déduisent que le caractère éventuellement prédateur
dune offre forfaitaire doit sapprécier au regard de la consommation
maximale autorisée par le forfait et que cette règle doit être
appliquée au cas des forfaits illimités ;
Mais considérant que, dans laffaire précitée,
qui portait sur une offre de prestation de services limitée, le Conseil
de la concurrence na pas enjoint à la société France
Télécom daugmenter son tarif jusquà ce quil
équilibre les coûts marginaux des abonnés utilisant le forfait
à son maximum ; quayant constaté que loffre dabonnement
par la société France Télécom aux établissements
scolaires était de 60 % inférieure au tarif dinterconnexion
pratiqué par cette dernière vis-à-vis de ses concurrents
sur le segment de la prestation dinterconnexion à internet dont elle
était la seule à pouvoir disposer, ce qui conduisait à un
effet de ciseau tarifaire mettant lesdits concurrents dans limpossibilité
de proposer un prix concurrentiel, le Conseil a enjoint à la société
France Télécom de suspendre son offre dabonnement jusquà
ce quelle ait proposé aux opérateurs concurrents une offre
tarifaire spécifique et non discriminatoire dinterconnexion sur ledit
segment ; quau surplus, dans sa décision no 99-MC-11
du 21 décembre 1999 relative à une demande de mesures
conservatoires présentée par la société AOL Compuserve
France et Cegetel, le Conseil sest fondé sur la consommation effective
des abonnés quand il a considéré que les coûts variables
de loffre promotionnelle proposée par France Télécom
Interactive sur ses abonnements « Les Intégrales »,
comportant un doublement du forfait dheures de communication téléphonique
et la fourniture daccès à internet, « nétaient
plus couverts lorsque la consommation effective des forfaits dépasse onze heures
pour le forfait dix heures en promotion et seize heures pour le forfait
dix-huit heures en promotion » et que cette circonstance « ne
suffit pas à établir que France Télécom pratiquerait
des prix prédateurs dans le but déliminer ses concurrents
du marché concerné mais peut en constituer un indice » ;
Considérant quà la lumière
de ces éléments il y a lieu de constater que, contrairement aux
deux cas précédents qui portent sur une prestation de services limitée,
tout abonnement forfaitaire ouvrant droit à une prestation illimitée,
comme la carte « UGC Illimité », atteint nécessairement
un seuil, au moins théorique, au-delà duquel les coûts marginaux
de chaque unité de consommation supplémentaire de services par labonné
ne sont plus couverts par la recette de labonnement ; quainsi,
sauf à interdire par nature toute forme dabonnement offrant des prestations
illimitées, alors que de telles offres se rencontrent dans les secteurs
les plus divers, lappréciation du prix dune offre de prestation
de services à caractère illimité au regard du critère
matériel du prix prédateur doit sopérer non en fonction
dun quantum de consommation virtuellement illimité mais en fonction
de la consommation effective moyenne (constatée ou évaluée
à partir des comportements connus des consommateurs) des clients ayant
accepté cette offre ; que cette référence est la seule
qui permet de savoir si loffre présente un intérêt économique
pour lentreprise et, donc, de mettre en lumière, dans le cas contraire,
quune stratégie prédatrice en constitue la seule justification ;
Considérant que lensemble des parties au
litige présente une vision homogène des coûts dexploitation
dune salle de cinéma quelles classent en deux grandes catégories :
les coûts qui varient en fonction du nombre dentrées réalisées
et les coûts fixes nécessaires à son fonctionnement et indépendants
du niveau de fréquentation de la salle ; que les coûts qui varient
en fonction du nombre dentrées réalisées sont :
la location du film qui sert à rémunérer les distributeurs
et les producteurs, dès lors que son montant est proportionnel aux recettes
de lexploitant et, donc, au nombre dentrées, de même
que la taxe spéciale additionnelle qui sert à abonder le fonds de
soutien du cinéma et les droits versés à la Sacem ;
que cest dans le cadre de cette approche des coûts que la société
UGC Ciné-Cité a arrêté le prix de la carte « UGC
Illimité » à 1 176 F, en fonction dune
valeur théorique de la place de cinéma de labonné fixé
à 33 F qui ne paraît pas économiquement déraisonnable
dès lors que le prix moyen dune place de cinéma à lunité
en France en 1999 était de 35,21 F, le prix moyen dune
place de cinéma au sein du réseau UGC de 37,20 F et, dans les
salles de la société MK 2, de 34,2 F ; que, par ailleurs,
lensemble des tarifs produits par les parties saisissantes et la société
UGC Ciné-Cité montre que dans les diverses formules dabonnement
proposées par les intéressées, le prix de la place oscille
autour de 35 F, le prix de 33 F étant celui de labonnement
« UGC 5 » actuellement en vigueur au sein de la société ;
quen outre les exploitants de salles proposent divers tarifs réduits
(matinée, chômeurs, moins de douze ans, scolaires...) fixés
généralement autour de 29 F ; que, par ailleurs, la société
UGC Ciné-Cité a produit une étude visant à déterminer
le niveau dutilisation de la carte au-dessus duquel les recettes tirées
de labonnement néquilibrent plus les coûts variables ;
que les hypothèses retenues par cette étude sont les suivantes :
coût de la location du film et
de la Sacem, soit 41 % du prix du billet fixé fictivement à
33 F, ce qui représente un montant par entrée de 13,50 F ;
montant de taxe spéciale additionnelle,
soit 3,60 F par entrée ;
quote-part du coût de gestion
de la carte « UGC Illimité » (frais de confection
dune carte magnétique supplémentaire et son traitement informatique)
qui représente 11,69 F par abonné et par an ;
Considérant que, sur la base de ces coûts
variables, dont le total représenterait une somme globale denviron
17,50 F par entrée, les recettes de la carte « UGC Illimité »
ne permettraient plus de couvrir lesdits coûts à partir de la 66e
ou de la 70e entrée annuelle, selon que sont prises en
compte ou non les subventions perçues par la société au titre
du fonds de soutien automatique et de la subvention « Canal + » ;
que les parties saisissantes nont pas discuté la validité
des données figurant dans cette étude versée au contradictoire ;
que, notamment, la base de calcul de la recette du distributeur, soit 41 %
de 33 F, na fait lobjet daucune contestation sérieuse ;
que la recette des distributeurs sétablit, dailleurs, en moyenne,
à 41,2 % de la « recette guichets », ce pourcentage
devant réglementairement être compris entre 25 et 50 % ;
Considérant, en revanche, que les parties au litige
soutiennent des positions contraires sur les conditions de la prise en compte,
par la société UGC Ciné-Cité, du comportement prévisible
des abonnés ; que, dans le cadre de lexamen des demandes de
mesures conservatoires, il ne revient pas au Conseil darbitrer ce point
du litige qui relève de lexamen des saisines au fond ; que,
cependant, il apparaît quà la date où le Conseil statue,
les chiffres connus de la consommation réelle des abonnés durant
quatorze semaines dexploitation de la carte en France (du 29 mars au
4 juillet 2000), soit un peu plus de trois mois de consommation, produits
par la société UGC Ciné-Cité font apparaître
que les 65 115 abonnés ont réalisé ensemble 652 412 entrées,
ce qui représente une moyenne de dix entrées par abonné pour
quatorze semaines, soit une moyenne de fréquentation inférieure
à un film par semaine (0,7) ; quen séance, la société
UGC Ciné-Cité a précisé quau cours des dernières
semaines du mois de juin, les titulaires de la carte « UGC Illimité »
auraient représenté une moyenne de 50 000 entrées
par semaine au plan national, ce qui semble confirmer une fréquentation
moyenne par abonné inférieure à une entrée par semaine ;
quen supposant cette fréquentation moyenne de 0,7 entrée
par semaine rapportée à 52 semaines, la consommation annuelle
serait de 37,2 entrées, chiffre très inférieur au seuil
de 66 entrées susmentionné ;
Mais considérant que les chiffres produits par
la société UGC Ciné-Cité nont quun caractère
provisoire et ne portent que sur une courte période dutilisation ;
quen outre, ils ne permettent de connaître ni le nombre ni le comportement
des abonnés en région parisienne ; que, de plus, la présentation
statistique consistant à rapporter le nombre total des entrées « UGC
Illimité » constatées au 4 juillet 2000 au nombre
total de cartes vendues jusquau 9 mai 2000 conduit nécessairement
à une sous-estimation du niveau réel dutilisation de la carte
par chaque abonné ; quen effet, toutes les cartes nont
pas été vendues au démarrage de lopération ;
quainsi, les chiffres produits ne permettent pas de connaître le rapport
réel, semaine après semaine, du nombre dentrées réalisées
au nombre dabonnements en circulation au titre de la semaine considérée ;
que, par suite, ces chiffres incomplets ne permettent pas décarter
toute éventualité dun usage effectif moyen de la carte qui
dépasserait le seuil induisant des coûts variables moyens supérieurs
aux recettes ; quen outre, les données utilisées pour
déterminer le montant des coûts variables demandent à être
plus amplement vérifiées ; que, dans ces conditions et sous
réserve de lexamen au fond, il ne peut être exclu que la vente
de la carte « UGC Illimité » présente le caractère
dune vente à un prix prédateur susceptible de constituer une
pratique visée par les articles 8 ou 10-1 de lordonnance du
1er décembre 1986 ;IV. - SUR
LES DEMANDES
DE MESURES CONSERVATOIRES Considérant
quaux termes de larticle 12 de lordonnance du 1er décembre
1986 susvisée : « Le Conseil de la concurrence peut,
après avoir entendu les parties en cause et le commissaire du gouvernement,
prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées par le ministre
chargé de léconomie, par les personnes mentionnées
à larticle 5 ou par les entreprises. Ces mesures ne peuvent
intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave
et immédiate à léconomie générale, à
celle du secteur intéressé, à lintérêt
du consommateur ou à lentreprise plaignante. Elles peuvent comporter
la suspension de la pratique concernée ainsi quune injonction aux
parties de revenir à létat antérieur. Elles doivent
rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour
faire face à lurgence... » ;
Considérant que les parties saisissantes soutiennent
que labonnement à la carte « UGC Illimité »
aurait pour conséquence dinciter les spectateurs assidus et réguliers
à augmenter leur fréquentation des salles UGC au détriment
des salles indépendantes et dart et essai ; que ces dernières
verraient leur équilibre compromis à très court terme par
la perte ou la diminution de cette clientèle importante pour elles, dautant
que nombre de ces salles sont déjà dans une situation financière
précaire proche de la cessation dactivité ; que cette
perte de clientèle serait dautant plus préjudiciable que les
salles indépendantes et dart et essai ne pourraient pas répliquer
à cette offre car elles nen ont ni les moyens logistiques ni les
moyens financiers ; quau surplus, la baisse possible de fréquentation
provoquée par la carte « UGC Illimité » au
détriment des salles indépendantes et dart et essai induirait
mécaniquement une baisse des aides automatiques du fonds de soutien qui
sont déterminées en fonction du nombre dentrées alors
que ces aides contribuent au maintien de lactivité de ces salles ;
quil en irait de même de laide attribuée par la société
Canal +, laquelle est répartie entre les exploitants au prorata du
nombre dentrées réalisées ;
Considérant que la SNC Studio du Dragon, qui exploite
la salle Le Lincoln aux Champs-Elysées, soutient quelle se trouverait
aujourdhui confrontée à la situation nouvelle créée
par la carte « UGC Illimité » dans ce quartier où
la société UGC Ciné-Cité détient 20 %
des salles, programme les mêmes films quelle mais offre aux spectateurs
des conditions financières contre lesquelles elle ne peut lutter ;
quau cours de la période allant du 29 mars 2000 au 30 mai
2000, Le Lincoln aurait connu une baisse de ses entrées de 5,03 %
par rapport à la même période de lannée dernière,
alors que la tendance du marché est actuellement très à la
hausse, et une baisse de son chiffre daffaires de 6,7 % ; que
des difficultés analogues se poseraient à létablissement
Les Sept Parnassiens, exploité par la société les Cinq Parnassiens,
situé dans le quartier Montparnasse où la société
UGC Ciné-Cité exploite dix salles, ainsi quaux salles Les
Cinq Caumartins, exploitées par la société Cinévog
dans le quartier du faubourg Montmartre et qui subirait désormais la concurrence
directe de lUGC Ciné-Cité de Bercy ;
Considérant quen défense la société
UGC Ciné-Cité fait valoir quaucun effet déviction
imputable à la carte « UGC Illimté » nest
établi ; que la programmation des salles de la société
UGC Ciné-Cité sadresserait déjà à des
publics réguliers et assidus à travers les cartes dabonnement
UGC 5 et UGC 7 ; que, dailleurs, depuis le lancement de la
carte « UGC Illimité », la vente des entrées
UGC 5 et 7 aurait nettement diminué ce qui démontrerait
un déplacement de la clientèle UGC vers le nouvel abonnement ;
que, selon la société, lévolution de ses parts de marché
à Paris nétablit pas leffet déviction imputé
à la carte « UGC Illimité » ; quune
entreprise peut par principe gagner des parts de marché par linnovation
ou la baisse des prix, surtout si celles-ci étaient, comme cest son
cas en lespèce, supérieures à la moyenne de ses concurrents
et notamment des sociétés saisissantes ; quelle relève
que leffet déviction est dautant moins apparent que toutes
les entreprises du secteur connaissent en moyenne une progression de 27,9 %
de leurs entrées par rapport à la même période de lannée
précédente ; que, notamment, la société MK 2
progresse de 11,2 % par rapport à la même période de
lannée dernière et lensemble des autres exploitants
dits indépendants de 8,7 % ; quelle soutient que les sociétés
Cinévog, Studio du Dragon et Les Cinq Parnassiens ne produisent pas
déléments autres que ceux concernant le cinéma Le Lincoln,
qui aurait connu une baisse dentrées de 5,03 % par rapport à
la même période de lannée précédente et
une baisse de chiffre daffaires de 6,7 %, alors que cette baisse ne
serait significative ni en valeur absolue (moins 1 444 entrées),
ni en valeur relative, dès lors que, de 1992 à 1999, les entrées
du Lincoln seraient restées stables à 110 000 entrées
en dépit dune augmentation moyenne de 35 % du marché
sur la même période ; quainsi, le lien de causalité
entre la baisse des entrées du Lincoln et la mise sur le marché
de la carte « UGC Illimité » ne serait pas établi ;
quau contraire, les salles Sept Parnassiens et Cinq Caumartins connaîtraient
une hausse de leur fréquentation, respectivement de 14,73 % et 2,88 %,
par rapport à la même période de lannée précédente ;
quen ce qui concerne la société MK 2, aucun élément
sur leffet éventuel déviction que lui ferait subir la
mise sur le marché de la carte « UGC Illimité »
nest allégué, alors que, selon la défenderesse, la
société MK 2 verrait ses entrées, son chiffre daffaires
et ses résultats croître dannée en année ;
Considérant, en premier lieu, quen ce qui
concerne Paris et sa région, les seules données fiables à
la disposition du Conseil à la date de la présente décision
proviennent de lanalyse de la remontée régulière des
bordereaux de recettes des exploitants de salles faite par le CNC, qui porte,
à la date du 26 juin 2000, sur 63 établissements
réalisant 92 % des recettes à Paris ; que cette analyse
révèle, certes, un déplacement de parts de marché
en termes de fréquentation à lavantage du réseau UGC,
qui gagne sur la période considérée 4,7 points de part
de marché, au détriment notamment de la société Gaumont :
(- 1 point de part de marché), de la société MK 2 :
(- 1,2 point de part de marché) et des indépendants en général :
(- 0,4 point de part de marché) ;
Mais considérant que la conclusion générale
du CNC sur ce constat est que ces chiffres « démontraient
la poursuite de la progression de la part de fréquentation dUGC,
laggravation de lérosion pour Gaumont... En revanche, les parts
de marché des autres exploitations indépendantes se
sont, pour le moment, stabilisées » ; que les données
fournies par le CNC montrent, à titre principal, que lensemble des
exploitants de salles de cinéma connaît une très importante
augmentation en valeur absolue des entrées sur la période du 29 mars
au 6 juin 2000 par rapport à la même période de
lannée 1999, la progression de la société UGC
Ciné-Cité étant de 34,5 %, avec 530 000 entrées
supplémentaires, celle de la société Gaumont de 33,5 %,
avec 323 000 entrées supplémentaires, celle de la société
Pathé de 25,3 %, avec 44 000 entrées supplémentaires,
celle de la société MK 2 de 11,2 %, avec 51 000 entrées
supplémentaires, celle de Majestic, de + 13,5 %, avec 18 000 entrées
supplémentaires, celle de Radwansky, de + 7,5 %, avec 11 000 entrées
supplémentaires et celle des autres indépendants en augmentation
de 5,2 % avec 5 000 entrées supplémentaires ;
Considérant, en deuxième lieu, quen
séance, les parties saisissantes ont convenu quelles nétaient
pas en mesure détablir un quelconque processus déviction
dont elles seraient les victimes et qui serait imputable à la carte « UGC
Illimité », alors, par ailleurs, quelles ont admis quà
la suite des réactions suscitées dans la profession par le lancement
de la carte, la société UGC Ciné-Cité avait proposé
par voie de presse une concertation en vue détudier les conditions
dextension de ladite carte aux exploitants intéressés, proposition
restée sans écho auprès, notamment, des exploitants indépendants ;
Considérant, en troisième lieu, que la SNC
Studio du Dragon, qui exploite le cinéma Le Lincoln sur les Champs-Elysées,
et qui se fondait dans ses écritures sur des chiffres montrant quelle
avait connu, au cours de la période du 29 mars au 30 mai 2000
une baisse de ses entrées de 5,03 %, par rapport à la même
période de lannée 1999 et une baisse de son chiffre daffaires
de 6,7 %, a admis, lors de la séance, que sa situation sétait
améliorée depuis cette date et quelle avait, à ce jour,
enregistré une fréquentation cumulée depuis le 1er janvier 2000
supérieure de plus de 2 000 entrées à celle de
la même période de lannée 1999 ; que ni la
société MK 2, ni la société Cinévog, ni
la société Les Cinq Parnassiens nont contesté
le fait quelles connaissent, depuis le début de lannée 2000,
une hausse de la fréquentation de leurs salles par rapport à la
même période de lannée 1999 ;
Considérant ainsi, quà la date à
laquelle le Conseil statue, aucune atteinte grave et immédiate aux entreprises
saisissantes ou au secteur intéressé dont la carte « UGC
Illimité » serait la cause nest établie ;
Considérant, en quatrième lieu, quen
létat, aucun dommage grave et immédiat à léconomie
générale ou au consommateur nest établi ;
Considérant quil résulte de tout ce
qui précède que les conditions exigées par larticle 12
précité de lordonnance du 1er décembre 1986
pour le prononcé, par le Conseil de la concurrence, de mesures conservatoires
sollicitées par les sociétés Cinévog, Les Cinq
Parnassiens, Studio du Dragon et MK 2 doivent être rejetées,
sans préjudice de la faculté ouverte à ces dernières
de saisir le Conseil de la concurrence de nouvelles demandes de mesures conservatoires
en cas de survenance déléments nouveaux,
Décide :
Article unique. - Les demandes
de mesures conservatoires enregistrées sous les numéros M 267,
M 268, M 269 et M 271 sont rejetées.
Délibéré, sur le rapport de M. Beaufays,
par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente,
M. Jenny, vice-président, M. Ripotot, M. Robin et Mme Boutard-Labarde,
membres.
La
secrétaire de séance,
Sylvie Grando | La présidente,
Marie-Dominique Hagelsteen |
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