Sommaire N° 6 du 23 mai 2000

Décision no 2000-MC-04 du Conseil de la concurrence en date du 5 avril 2000 relative à des pratiques de la Chambre syndicale Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or sur le marché des transactions immobilières

NOR :  ECOC0000156S

    Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
    Vu les lettres enregistrées le 31 décembre 1999 et le 31 janvier 2000 sous les numéros F 1195/M 254, par lesquelles l’Eurl Cabinet Pacotte a saisi le Conseil de la concurrence des pratiques de la Chambre syndicale Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or sur le marché des transactions immobilières, qu’elle estime anticoncurrentielles, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ;
    Vu l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret no 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ;
    Vu les observations présentées par la Chambre syndicale Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or et par le commissaire du Gouvernement ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants du Cabinet Pacotte et de la Chambre syndicale Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or entendus lors de la séance du 22 mars 2000 ;
    Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général adjoint ;
            Sur la saisine du fond :
    Considérant que, par lettre enregistrée le 31 décembre 1999, l’Eurl Cabinet Pacotte, agence immobilière, dont le siège social est sis à Ruffey-lès-Echirey en Côte-d’Or, a saisi le Conseil de la concurrence des pratiques de la Chambre syndicale Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or sur le marché local des transactions immobilières ; qu’elle expose que ladite Chambre impose à ses adhérents l’utilisation d’un modèle de contrat de mandat non exclusif de vente d’un bien immobilier contenant une stipulation en vertu de laquelle le client vendeur, après avoir souscrit un mandat simple de vente auprès d’un quelconque agent immobilier, adhérent de la Fnaim, s’interdit de consentir tout mandat exclusif de vente auprès d’un autre agent immobilier sans avoir au préalable dénoncé dans les formes ce précédent mandat simple, « sauf à substituer à celui-ci pendant sa durée, un mandat exclusif au bénéfice des seuls membres de la Chambre syndicale de la Fnaim de la Côte-d’Or » ; qu’elle soutient que cette stipulation aurait pour effet de favoriser les membres d’une bourse immobilière locale, groupement de fait créé et géré par la Chambre syndicale, rassemblant des agents immobiliers adhérents de la Fnaim, dont l’objet est la mise en commun de mandats exclusifs, bourse à laquelle l’entreprise Pacotte ne peut avoir accès faute de répondre aux conditions posées à son entrée, lesquelles seraient discriminatoires ; qu’elle indique qu’au cours de l’année 1999 l’application de cette clause a permis à des agences membres de la bourse de détourner à son détriment trois mandats simples en cours d’exécution, ce qui aurait directement porté atteinte au chiffre d’affaires potentiel de l’agence ;
    Considérant qu’en outre le Cabinet Pacotte produit une lettre du 17 janvier 2000, par laquelle le président de la Chambre syndicale Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or lui fait part de la décision du conseil d’administration de la Chambre de ne pas le titulariser parmi les membres de la Fnaim de la Côte-d’Or et du fait que cette décision a pour conséquence de mettre fin à la garantie financière dont il bénéficiait auprès de la Caisse de garantie de l’immobilier de la Fnaim ; que, selon la partie saisissante, ce refus de titularisation non motivé établirait la volonté de la Chambre syndicale Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or de l’évincer du marché local, dès lors qu’il devait justifier auprès de l’autorité préfectorale, au plus tard le 28 février 2000, d’une garantie financière pour le renouvellement de sa carte professionnelle ; que cette dernière pratique constituerait, à elle seule, une atteinte grave et immédiate de nature à remettre en cause l’existence même de son agence ; que le Cabinet Pacotte soutient que ces pratiques seraient contraires tant à l’article 7 qu’à l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et demande, par voie de conséquence, au Conseil de la concurrence d’enjoindre à la Chambre Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or, sur le fondement de l’article 12 de l’ordonnance, de suspendre l’application de la clause litigieuse et de prononcer à l’encontre de ladite Chambre une injonction laissée à son appréciation ;
            Sur la recevabilité de la saisine au fond, en tant qu’elle est dirigée contre la pratique résultant de la décision du 17 janvier 2000, par laquelle le conseil d’administration de la Chambre Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or a refusé la titularisation de M. Jean-François Pacotte :
    Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 11 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence est saisi « in rem » des pratiques anticoncurrentielles révélées par les pièces du dossier ou par l’instruction, qui concernent les mêmes marchés ou des marchés connexes, se rattachent aux comportements économiques dénoncés et visent au même objet ou peuvent avoir le même effet, à l’exclusion des pratiques qui sont postérieures à la date d’enregistrement de la saisine ;
    Considérant que la décision du 17 janvier 2000, par laquelle le conseil d’administration de la Chambre Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or a refusé la titularisation de M. Jean-François Pacotte au sein de la Fnaim, est intervenue postérieurement au 31 décembre 1999, date d’enregistrement de la saisine au fond de l’Eurl Cabinet Pacotte ; que, par suite, la pratique susvisée ne peut être examinée dans le cadre de cette saisine ;
            Sur le surplus :
            En ce qui concerne la clause imposée par la Chambre Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or :
    Considérant que le contrat de mandat simple dans lequel est mentionnée la clause contestée par l’entreprise Pacotte est un modèle conçu et édité par la Chambre Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or ; que, par un courrier du 19 novembre 1999, M. René Pernot, président de la Chambre Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or, confirmait, sur demande écrite du Cabinet Pacotte, que ce modèle de contrat était d’usage obligatoire pour les adhérents Fnaim de la Côte-d’Or, précisait que « le fait de ne pas utiliser les formulaires conçus et édités par le service juridique de la Chambre ne permet pas de déroger à cette règle » et ajoutait « je vous conseille très fortement d’utiliser lesdits mandats » ; que le Cabinet Pacotte fait valoir qu’au cours de l’année 1999, l’application de ladite clause aurait conduit trois de ses mandants à mettre fin prématurément au mandat simple qu’ils avaient donné à l’agence, après avoir été démarchés par des agences appartenant à la bourse immobilière de la Fnaim de la Côte-d’Or, étant précisé que les membres de ce groupement imposeraient, en fait, à leurs mandants potentiels la signature d’un contrat exclusif en échange de l’accès aux services commerciaux de la bourse ;

    Considérant que la Chambre Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or fait valoir que la clause litigieuse, issue d’une pratique locale antérieure à la constitution de la bourse immobilière, aurait pour objet principal de prévenir les litiges commerciaux entre adhérents Fnaim consécutifs au défaut de notification de la dénonciation du mandat par le client, les litiges éventuels nés de l’application de cette clause devant être obligatoirement soumis à une instance arbitrale de la Chambre Fnaim ; qu’en outre elle fait valoir que le fait, pour un agent immobilier, de démarcher des clients ayant confié un mandat à un concurrent est une pratique courante dans la profession ; que, notamment, il est fréquent qu’un mandat exclusif succède à des mandats simples qui n’ont pas débouché sur une vente ; qu’à ce titre les pertes déclarées par le Cabinet Pacotte en 1999, soit un mandat simple sur trois, sont normales ; qu’elle souligne aussi que, dans les trois cas cités par l’Eurl Pacotte à l’appui de ses allégations, les agents immobiliers concurrents visés n’ont pas eu, dans les faits, un comportement d’éviction vis-à-vis de l’entreprise Pacotte mais, au contraire, lui ont proposé une solution de compromis ou ont spontanément inclus dans le contrat de mandat une clause qui préservait les intérêts du Cabinet Pacotte ; qu’enfin elle observe que, si la partie saisissante entendait ne pas se soumettre aux règles statutaires de confraternité posées par la Chambre, il lui appartenait d’exercer son activité indépendamment de la Fnaim, dès lors qu’il est constant qu’une fois obtenue la carte professionnelle d’agent immobilier, l’entreprise Pacote disposait d’un libre accès au marché ;
    Considérant, qu’en séance, la Chambre syndicale Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or a pris l’engagement formel de supprimer la clause litigieuse de ses modèles de contrat de mandat simple, ce dont il convient de prendre acte ; que, toutefois, cet engagement, qui ne vaut que pour l’avenir, n’exclut pas que, pour la période soumise à l’appréciation du Conseil, l’application de la clause précitée ait pu jouer comme un avantage discriminatoire en faveur des agences immobilières appartenant à la Chambre syndicale Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or ; que, de même, il n’est pas exclu que ladite clause ait pu avoir pour effet de restreindre la liberté commerciale des adhérents de la Chambre syndicale, dès lors que le fait de ne pas s’y conformer est susceptible de donner lieu au prononcé d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à la radiation, étant observé que cette dernière mesure entraîne le retrait de la garantie financière souscrite par l’adhérent auprès de la Caisse de garantie de l’immobilier de la Fnaim et contraint celui qui en est l’objet à rechercher une autre garantie financière répondant aux exigences de la loi no 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce et de son décret d’application ; que cette clause est donc susceptible de constituer une pratique pouvant être qualifiée sur le fondement du titre III de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
            En ce qui concerne la bourse immobilière de la Chambre syndicale Fnaim de la Côte-d’Or :
    Considérant qu’aux termes du règlement intérieur de ce groupement il est exigé de tout candidat à l’entrée qu’il soit membre titulaire de la Chambre syndicale Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or ou, par dérogation, membre stagiaire dans des cas limitativement énumérés, qu’il soit agréé par le conseil d’administration de la Chambre Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or après avis de la commission Bourse immobilière et qu’il prouve qu’il négocie régulièrement des transactions portant sur des locaux d’habitation ; qu’en outre l’intéressé doit acquitter un droit d’entrée d’un montant de 100 000 F avec la possibilité de payer en trois fois sur trois ans et s’engager à apporter à la bourse tous les mandats exclusifs de son agence avec un engagement d’apport annuel d’au moins quinze mandats exclusifs, obligation prescrite à peine de sanction, sous forme d’abord de pénalités financières d’un montant maximal de 5 000 F et pouvant aller jusqu’à l’exclusion définitive de la bourse ; qu’enfin le règlement de la bourse précise qu’il est interdit aux membres de la bourse de faire partie d’un groupement autre que constitué par les membres de la Fnaim ;
    Considérant que la Chambre syndicale Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or soutient que les conditions du règlement intérieur ne reflètent pas la réalité des pratiques en vigueur depuis 1973, année de création de la bourse ; qu’en fait la formalité de l’agrément n’aurait jamais été mise en œuvre ; que le paiement de la cotisation d’entrée ferait l’objet de facilités de règlement fréquentes ; que la règle de l’apport obligatoire des mandats exclusifs ne serait pas toujours respectée par les membres ; qu’elle ajoute que la bourse n’est pas totalement étanche vis-à-vis de l’ensemble des agences adhérentes Fnaim puisque des partages de commissions sont intervenus avec des agences extérieures à la bourse qui ont apporté un client pour une affaire détenue en mandat exclusif par une agence de la bourse ;
    Mais considérant qu’il résulte des éléments produits que la bourse Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or est un groupement économique de fait qui a été créé en 1973 par la Chambre Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or, laquelle en assure l’organisation, le fonctionnement et la gestion financière directe, notamment par la collecte des droits d’entrée, des cotisations des membres et des redevances perçues sur chaque vente réalisée au sein de la bourse ; qu’ainsi, outre l’exercice de sa vocation statutaire traditionnelle de défense et de contrôle de la profession, notamment par la labellisation des agences immobilières, la Chambre Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or participe directement, par son activité au sein de la bourse, au marché local de la transaction immobilière ; que l’appartenance à la bourse paraît constituer un avantage concurrentiel ; qu’il n’est pas exclu que les conditions d’accès à celle-ci soient discriminatoires et que les conditions de son fonctionnement relèvent de pratiques susceptibles d’être qualifiées sur le fondement de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu’à supposer que les quelques exemples cités par le Cabinet Pacotte n’établissent pas un comportement d’éviction de la part des membres de la bourse immobilière au détriment des autres adhérents Fnaim, il doit néanmoins être relevé que 68 % des agences Fnaim de la Côte-d’Or, soit 42 adhérents sur 62, proposent les services de cette bourse ;
    Considérant, ainsi, que, sous réserve de l’instruction de l’affaire au fond, et sans qu’il soit besoin de se demander à ce stade de la procédure si les pratiques dénoncées par l’Eurl Cabinet Pacotte entrent aussi dans le champ d’application de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, il n’est pas exclu que ces pratiques puissent être qualifiées sur le fondement du titre III de l’ordonnance précitée ;
            Sur la demande de mesures conservatoires :
    Considérant qu’aux termes de l’article 12 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 des mesures conservatoires « ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante » ; que les mesures susceptibles d’être prises à ce titre « doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence » ; qu’en application des dispositions précitées l’Eurl Cabinet Pacotte demande au Conseil qu’il enjoigne à la Chambre syndicale Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or de suspendre l’application de la clause contestée et qu’il adresse à ladite Chambre une injonction laissée à son appréciation ;
    Considérant, en premier lieu, qu’il n’est pas allégué que les pratiques dénoncées portent une atteinte grave et immédiate à l’économie générale ou à celle du secteur intéressé ; qu’en deuxième lieu, sans qu’il soit besoin de déterminer si les pratiques dénoncées par l’Eurl Cabinet Pacotte sont de nature à lui porter une atteinte grave et immédiate, il est constant qu’à la date où il est statué par le Conseil de la concurrence sur la demande de l’entreprise Pacotte cette dernière n’est plus adhérente de la Fnaim et, par suite, n’est plus soumise à aucune obligation de comportement professionnel et commercial vis-à-vis de ce syndicat professionnel ; qu’au surplus la Chambre Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or s’est engagée en séance à mettre fin à l’application de la clause contestée ; que, dans ces conditions, la demande de la partie saisissante relative à la suspension de cette clause n’a plus d’objet ; qu’en troisième lieu il n’appartient pas au Conseil de la concurrence de décider d’une mesure conservatoire dont ni l’objet, ni la nature n’ont été définis par la partie saisissante ; que, par suite, la demande, tendant à ce que le Conseil de la concurrence décide d’une injonction laissée à son appréciation à l’encontre de la Chambre Fnaim de l’immobilier de la Côte-d’Or, n’est pas recevable ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la demande de mesures conservatoires présentée par l’Eurl Cabinet Pacotte ne peut qu’être rejetée,
                    Décide :
    Article unique.  -  La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 254 est rejetée.
    Délibéré, sur le rapport oral de M. Beaufays, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel et M. Cortesse, vice-présidents.

La secrétaire de séance, Sylvie  Grando La présidente, Marie-Dominique  Hagelsteen

© Ministère de l'économie, des Finances et de l'Industrie- 13 juin 2000