Sommaire N° 5 du 21 avril 2000
Décision no 2000-D-07 du Conseil de la concurrence en date du 18 février 2000 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la SA Forum cartes et collections

NOR :  ECOC0000135S

    Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
    Vu les lettres enregistrées les 9 et 16 novembre 1999 sous les numéros F 1180 et M 247, par lesquelles la SA Forum cartes et collections a saisi le Conseil de la concurrence de faits susceptibles d’entrer dans le champ d’application de l’article 8 de l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 concernant la situation de la concurrence dans le secteur de la télématique et a demandé le prononcé de mesures conservatoires ;
    Vu l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret no 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ;
    Vu les observations présentées par la société France Télécom, par la société Forum cartes et collections et par le commissaire du Gouvernement ;
    Vu l’avis no 99-1048 adopté le 8 décembre 1999 par l’Autorité de régulation des télécommunications (ci-après ART), à la demande du Conseil, sur le fondement des dispositions de l’article L. 36-10 du code des postes et télécommunications ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, les représentants de la société Forum cartes et collections et de la société France Télécom entendus au cours de la séance du 1er février 2000 ;
    Le président du Syndicat national des éditeurs de presse télématique et téléphonique (SNEPTT) et un des membres de ce syndicat entendus conformément à l’article 25 de l’ordonnance susvisée ;
    Après en avoir délibéré hors la présence du rappporteur et du rapporteur général ;
    Considérant que, par lettres en date des 9 et 16 novembre 1999, la société Forum cartes et collections qui développe notamment des activités de centre serveur et de fournisseur de services télématiques, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société France Télécom relatives aux redevances d’abonnement des codes d’accès Télétel dont elle allègue qu’elles sont prohibées par les dispositions de l’article 8 de l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 ; qu’elle a assorti sa saisine d’une demande de mesures conservatoires ;
    Considérant que le programme Télétel de la société France Télécom a été lancé en 1984 et s’est accompagné de la mise à disposition par la société France Télécom, auprès de ses abonnés, de terminaux domestiques, les Minitels ; que l’offre Télétel permet à un utilisateur du réseau téléphonique de la société France Télécom, à partir du Minitel, d’accéder à un point d’accès vidéotex (PAVI), puis d’être relié, par la société Transpac, à des centres serveurs hébergeant des services dont les contenus sont édités par des fournisseurs de services télématiques ;
    Considérant que les relations juridiques entre la société France Télécom, les centres serveurs et les fournisseurs de services sont régies par un contrat intitulé « contrat Télétel », fixant les droits et les obligations des parties ; que le contrat peut être bipartite ou tripartite, selon que le fournisseur de services et le centre serveur sont ou non les mêmes personnes ;
    Considérant que, afin que le fournisseur de services puisse percevoir la rémunération des services qu’il édite, un décret du 4 janvier 1985 a permis à la société France Télécom de recouvrer, par le biais des factures téléphoniques, les sommes correspondant à la consommation globale des services télématiques puis de reverser aux fournisseurs de services ou aux centres serveurs qui les hébergent la part qui leur revient, déduction faite du prix de transmission de l’information et des frais liés à la facturation et au recouvrement de ces prestations ; que ce service est dénommé « prestation Kiosque » ;
    Considérant que le prix payé par l’utilisateur et le montant du reversement de la société France Télécom aux fournisseurs de services dépendent de paliers tarifaires fixés par France Télécom ; qu’en effet, le contrat Télétel prévoit notamment une typologie des services à laquelle correspondent des paliers tarifaires non négociables et qui influe directement sur les revenus des fournisseurs de services (article 3 et annexe 1 du contrat Télétel) ;
    Considérant que les tarifs des services, qu’il s’agisse des services fournis au client final ou des prestations effectuées pour les fournisseurs de services télématiques, sont fixés par la société France Télécom et homologués par le ministre chargé des télécommunications et le ministre chargé de l’économie après avis de l’ART ;
    Considérant que le contrat Télétel prévoit également, en application d’un décret du 21 décembre 1988, le paiement par le fournisseur de services de frais de création et de modification et de frais d’abonnement mensuels pour chaque code réservé ; que ce sont ces frais d’abonnement mensuels qui sont l’objet de la saisine de la société Forum cartes et collections et de sa demande de mesures conservatoires ;
    Considérant, par ailleurs, que s’agissant de la prestation assurée par la société Transpac, le centre serveur ou le fournisseur de services, s’il dispose de son propre centre serveur, paie une redevance mensuelle à la filiale de la société France Télécom ;
    Considérant que, par une décision no 98-110 E du 20 août 1998, la société France Télécom a modifié la redevance mensuelle d’abonnement aux codes de services télématiques ;
    Considérant que, préalablement à l’annonce de cette modification aux fournisseurs de services, la société France Télécom a, le 20 août 1998, conformément à l’article 17 de son cahier des charges du 27 décembre 1996, transmis sa nouvelle tarification d’abonnement au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, aux fins d’homologation et a demandé l’avis de l’ART ; qu’un avis favorable de l’ART est intervenu le 16 septembre 1998 ; que la modification tarifaire a été homologuée tacitement le 24 octobre 1998 ;
    Considérant que, par lettre simple du 5 novembre 1998, la société France Télécom a annoncé à ses clients, les centres serveurs et fournisseurs de services télématiques vidéotex, que la redevance mensuelle d’abonnement aux codes des services Télétel, jusqu’alors d’un montant unique de 252,95 francs hors taxe par code, était remplacée, à compter du 1er décembre 1998 « par quatre nouveaux tarifs modulés suivant le palier tarifaire du code et son numéro d’accès » :

PALIER
tarifaire
du code
T0 à T 20 T 22 à T 43 T 44 et T 70
sauf 3617
T 46 et T 60
08 3628 T 60
08 3629 T 70
3623 T 60
3617
T 46 et T 60
Nouveau
tarif
(francs HT)
200 F 350 F 600 F 1 000 F
    Considérant que la société France Télécom précise dans ladite lettre que ces modifications tarifaires de la redevance mensuelle d’abonnement ont été décidées « afin d’encourager la baisse du prix des services Télétel et de favoriser les bas paliers tarifaires » et « qu’elles s’accompagnent d’une prestation de services enrichie pour les fournisseurs de services et centres serveurs :
    -  la gratuité du reroutage depuis les pages M et de l’accès aux services par le 3623 ;
    -  le magazine “En Ligne” bimestriel avec toute l’actualité des services Internet-Minitel-Audiotel ;
    -  une modernisation des applications de gestion pour un service plus souple et plus efficace. ».
    Considérant que la société France Télécom justifie également ces augmentations dans un courrier à la société Forum cartes et collections du 23 décembre 1998 :
    « ... Les changements adoptés s’inscrivent dans le plan d’action de France Télécom pour développer les services Minitel les moins chers. L’évolution de la télématique se caractérise par une montée en prix des services et par une forte pression publicitaire sur les données les plus chères : ainsi, entre 1994 et 1998, le nombre de services ouverts en 3617 à 5,57 F/minute a-t-il été multiplié par 4. En 1997, la moitié des investissements publicitaires pour des services Minitel concernait des services en 3617. Ceci est dû au comportement de fournisseurs de services intéressés par les paliers les plus chers et les plus rémunérateurs pour eux et à une multiplication de services identiques à des prix différents... Le montant de l’abonnement aux codes télématiques fixé depuis plus de dix ans, n’a jamais été modifié depuis. Ce montant ne reflète plus la réalité des charges supportées par France Télécom » ; que l’ART, dans son avis no 99-1048 du 8 décembre 1999, expose que : « d’après les informations fournies par France Télécom accompagnant la décision tarifaire relative à la modulation des tarifs d’abonnement..., l’augmentation a pour effet d’inciter les fournisseurs de services à déplacer leurs services d’un palier cher pour les consommateurs à un palier moins cher... » ;
    Considérant que la société Forum cartes et collections estime que cette modification tarifaire de la redevance d’abonnement, par son ampleur et sa brutalité, est constitutive d’un abus de la position de monopole que la société France Télécom détient sur le marché de la télématique et que cet abus lui cause un préjudice grave et immédiat au sens de l’article 12 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu’elle explique, pour les codes qu’elle exploite, que le tarif d’abonnement est passé de 252,95 F (HT) à 600 F (HT) par mois et par code, soit une augmentation de 137 % ;
    Considérant que la société Forum cartes et collections fait valoir que, face à une telle hausse, elle ne pouvait s’adresser à un autre opérateur sur le marché, puisque la société France Télécom est en position de monopole sur le marché du Télétel ; qu’elle considère que la nouvelle grille tarifaire d’abonnement est en contradiction avec les justifications de cette mesure révélée par la société France Télécom aux fournisseurs de services, notamment dans la lettre du 5 novembre 1998 ; qu’à cet égard, elle fait remarquer qu’à coût utilisateur égal, les abonnements pour les codes situés sur les paliers T 44 et T 22 sont environ 70 % plus chers que ceux des paliers T 43 et T 2 ; qu’à l’inverse, alors que le coût utilisateur des codes situés sur le palier T 70 est le plus élevé de la grille établie par la société France Télécom (9,21 F/minute) et 65 % plus cher que le coût des codes situés sur le palier T 46 (3,48 F/minute), le palier T 70 bénéficie d’un abonnement 40 % moins cher que le T 60 ; que, dans ces conditions, la société Forum cartes et collections estime que la société France Télécom ne peut prétendre que l’augmentation du tarif d’abonnement avait pour objet « d’encourager la baisse du prix des services Télétel et de favoriser les bas paliers tarifaires » ; que, par ailleurs, dans son étude d’impact prévisionnel d’août 1998 citée par l’ART dans son avis précité, France Télécom n’a jamais envisagé aucun développement des codes sur les bas paliers ;
    Considérant que la société Forum cartes et collections soutient également que la décision de la société France Télécom d’augmenter les tarifs d’abonnement est une mesure discriminatoire, puisqu’un même service est vendu à des prix très différents selon les codes ; qu’elle fait valoir aussi que la société France Télécom ne peut justifier de telles augmentations tarifaires par des prétendues « prestations enrichies » dans la mesure où ces services existaient déjà avant la mise en œuvre du nouveau tarif ;
    Considérant que la société Forum cartes et collections fait valoir encore que l’augmentation litigieuse a eu pour effet de faire disparaître un grand nombre de codes et des fournisseurs de services et, donc, de limiter la concurrence entre services et qu’elle n’a aucun impact positif pour le consommateur ; que la société Forum cartes et collections soutient que l’augmentation des tarifs d’abonnement avait en réalité pour objet et a eu pour effet d’augmenter de manière non négligeable les ressources de la société France Télécom ; qu’elle soutient également qu’en réalité, l’objectif inavoué de France Télécom est de faire disparaître les petits sites et de diminuer la compétitivité de concurrents potentiels ; qu’elle relève à cet égard que la société France Télécom, outre sa position de monopoleur sur le marché de la fourniture d’accès et de l’acheminement des données, développe depuis plusieurs années une activité de fournisseur de services qui la met en situation de concurrence avec ses clients sur le marché de la fourniture de services Minitel au consommateur ;
    Considérant que la société Forum cartes et collections dénonce également le projet de France Télécom de faire disparaître l’annuaire papier dénommé « les pages Minitel », principal vecteur de promotion du Télétel ;
    Considérant que, s’agissant des modalités de mise en œuvre de la mesure litigieuse, la société Forum cartes et collections soutient que, contrairement à ce qu’affirme France Télécom, aucune réunion de concertation portant sur le montant de la hausse tarifaire ne s’est tenue avec les associations des professionnels de la télématique ; qu’à cet égard, l’ART relève dans son avis no 99-797 que « certaines associations, d’accord sur le diagnostic de la situation, n’ont pas adhéré à la solution préconisée par France Télécom » ; que, par ailleurs, le délai de vingt-cinq jours entre l’annonce et l’entrée en vigueur de la modification tarifaire n’est pas conforme à l’article 11-2 du contrat Télétel qui prévoit que les conditions générales de celui-ci peuvent être modifiées à l’initiative de France Télécom en respectant un délai de six mois ;
    Considérant que la société Forum cartes et collections soutient, enfin, que l’augmentation des tarifs d’abonnement causerait une atteinte grave et immédiate à l’économie du secteur, du fait de la disparition d’un nombre important de codes ; que, de la même façon, la pratique dénoncée porterait atteinte à l’intérêt des consommateurs qui voient l’offre de services s’appauvrir alors que les prix restent au même niveau qu’auparavant ; qu’enfin, la pratique litigieuse lui porte une atteinte grave et immédiate en rendant son activité télématique déficitaire ;
    Considérant que, pour l’ensemble de ces motifs, la société Forum cartes et collections demande notamment au Conseil de la concurrence de suspendre l’application de la nouvelle grille tarifaire et de revenir à l’ancien tarif pour tous les fournisseurs de services, de revenir à « l’état antérieur de l’offre télématique pour ce qui est encore possible, par exemple, en faisant obligation à France Télécom d’adresser aux entreprises ayant résilié leurs codes un courrier proposant la réouverture sans frais des codes clôturés, le remboursement des sommes indûment perçues et d’interdire à France Télécom toute nouvelle augmentation sur les mêmes motifs et dans les mêmes conditions » ;
            Sur l’étendue des pouvoirs du Conseil de la concurrence :

    Considérant que la société France Télécom considère que, lorsque les pratiques dénoncées ont déjà donné lieu à une précédente décision du Conseil de la concurrence, la saisine, même si elle émane d’une autre partie, est irrecevable ; qu’en l’espèce, elle soutient que le Conseil s’étant prononcé par une décision d’irrecevabilité à l’encontre de la saisine de la société Phototelem (no 99-D-55 du 7 octobre 1999) relative aux mêmes pratiques que celles dénoncées dans la présente saisine, il doit, conformément au principe de l’autorité de la « chose décidée », se prononcer dans le même sens ; qu’elle cite, au soutien de sa thèse, la décision de non-lieu à poursuivre no 93-D-45 du 26 octobre 1993, que le Conseil avait justifiée par le fait que les pratiques dénoncées avaient fait précédemment l’objet d’une décision no 91-D-29 du 4 juin 1991 et d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 février 1992 ;
    Mais considérant que, contrairement à ce qu’avance France Télécom, les décisions no 91-D-29 et no 99-D-55 ne sont pas de même nature et n’ont pas le même fondement ; qu’en effet, dans la décision no 91-D-29, le Conseil s’était prononcé au fond ; qu’il avait considéré que, si les comportements dénoncés constituaient des pratiques concertées au sens de l’article 7 de l’ordonnance susvisée, elles pouvaient bénéficier des dispositions de son article 10-2 parce qu’elles contribuaient au progrès économique ; qu’en conséquence, il avait considéré, dans la décision no 93-D-45, qu’ayant précédemment statué sur la qualification des mêmes pratiques, il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure ; qu’en revanche, dans la décision no 99-D-55, le Conseil n’a pas statué au fond, ne s’est pas prononcé sur la qualification des pratiques, mais a simplement constaté que la saisine ne contenait pas d’éléments suffisamment probants et, en conséquence, était irrecevable ; que, dès lors, dans le cas d’espèce, le Conseil ne peut, contrairement à ce que soutient la société France Télécom, opposer l’irrecevabilité de la saisine de la société Forum cartes et collections du seul fait que la saisine antérieure de la société Phototelem a été déclarée irrecevable ; qu’il doit au contraire examiner la nouvelle saisine et en apprécier les mérites tant en ce qui concerne sa recevabilité que, le cas échéant, sa valeur au fond ;

            Sur la compétence du Conseil de la concurrence :
    Considérant que la société France Télécom soutient que le Conseil n’est pas compétent pour examiner les demandes de la société Forum cartes et collections dès lors qu’elles tendent à ce que lui soient alloués des dommages et intérêts et à ce que lui soient remboursés ses frais de justice ; que de telles demandes, en effet, relèvent de la compétence du juge judiciaire ; que, par voie de conséquence, la saisine au fond est irrecevable ainsi que la demande de mesures conservatoires ; qu’elle cite au soutien de cette allégation la décision du Conseil de la concurrence no 91-MC-01 ;
    Considérant que, si, comme il l’a rappelé dans la décision citée par la société France Télécom, le Conseil n’a pas compétence pour prononcer la nullité de stipulations contractuelles ou accorder une réparation sur le fondement de l’article 1382 du code civil, il est saisi in rem des pratiques qui lui sont dénoncées ; qu’ainsi, sans être tenu par les conclusions des parties, il peut rechercher si les pratiques dénoncées peuvent être qualifiées au regard des articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et 81 et 82 du traité de Rome ;
            Sur la saisine au fond :
            En ce qui concerne le marché en cause :
    Considérant que la société France Télécom estime ne détenir aucune position dominante, dès lors que, compte tenu du développement considérable de l’offre de services sur le réseau Internet et du mouvement opéré par de nombreux fournisseurs Minitel effectuant désormais une migration de leurs services vers Internet, une substituabilité du produit Minitel avec Internet peut être retenue ;
    Considérant, en premier lieu, que, pour l’utilisateur final, le seul service fournissant des prestations proches de celles fournies par Télétel est Internet ; que, cependant, Internet, s’il assure certaines fonctionnalités comparables, voire plus élaborées que celles qu’offre Télétel, ne peut être considéré comme lui étant substituable compte tenu du nombre encore limité de ses utilisateurs et de ses caractéristiques d’accès et de coût ;
    Considérant, en effet, qu’en octobre 1999, d’après les sources publiées par l’Association des fournisseurs d’accès à Internet (AFA), il est possible d’estimer à près de deux millions le nombre de raccordements individuels à Internet en avril 1999, alors qu’il existe 5,6 millions de terminaux Minitel installés, dont 64 % chez la clientèle « résidentiels » et 25 % chez les « professionnels » (magazine En ligne de la société France Télécom, juillet 1999) ; qu’en outre l’accès à Internet requiert l’utilisation d’un ordinateur, l’installation d’un modem et la souscription d’un abonnement auprès d’un fournisseur de services d’accès à Internet, à la différence de l’utilisation d’un Minitel qui ne nécessite que la disposition d’une ligne téléphonique et d’un terminal ad hoc (initialement distribué gratuitement puis loué à un prix modique par la société France Télécom) ;
    Considérant, en second lieu, que, si un système Kiosque a été élaboré par la société France Télécom dans le secteur de l’Internet, il ne connaît pas une grande diffusion ; qu’ainsi, faute d’une possibilité de payer les informations à la consultation, celles-ci sont, sur Internet, soit fournies gratuitement, soit accessibles uniquement après la souscription d’un abonnement ; que, parallèlement au développement d’Internet, on constate également un développement des services Télétel sur les paliers les plus chers du 3617, ce qui laisse présumer que ces services ne sont pas substituables ; que la spécificité de l’usage du Minitel est d’ailleurs soulignée par la société France Télécom elle-même dans son magazine En Ligne de juillet 1999, qui présente les services Minitel comme des services qui « couvrent des besoins non satisfaits par ailleurs » ; que sont également listés les usages spécifiques pour lesquels Minitel est le mieux adapté, par rapport aux services Audiotel (télématique vocale), à Internet et aux messageries mobiles ; que, dans ces conditions, les prestations offertes par Internet ne sont pas, pour le moment, substituables, en France, aux services offerts par Télétel ;
    Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, pour les fournisseurs de services, les recours au Minitel et à Internet ne permettent pas d’atteindre la même clientèle ni d’offrir des conditions de paiement comparables ; que ces deux choix techniques n’apparaissent donc pas substituables et qu’il n’est donc pas exclu que doive être reconnu comme pertinent le marché des prestations nécessaires à la fourniture au grand public de services disponibles sur Minitel ;
            En ce qui concerne la position de la société France Télécom sur ce marché :
    Considérant que les équipements de télécommunication nécessaires à la fourniture de services télématiques au grand public sont constitués par la partie terminale d’un réseau téléphonique et par des points d’accès à partir de ce réseau téléphonique à un service de transport de données par paquets (service dit X 25) ;
    Considérant qu’il ressort de l’avis no 99-1048 du 8 décembre 1999 de l’ART qu’actuellement seule la société France Télécom est en mesure d’assurer la circulation de l’information entre les fournisseurs de services et les terminaux de type Minitel installés chez leurs clients par l’intermédiaire de ses infrastructures : boucle locale de France Télécom et service X 25 national de Transpac ; que, de même, seule la société France Télécom offre aux fournisseurs de services la possibilité d’être rémunérés par leurs clients par l’intermédiaire de la facture téléphonique de ces derniers ;
    Considérant, en effet, que, sur le marché de la boucle locale, la société France Télécom détient encore, en septembre 1999, un quasi-monopole de fait ; que la situation n’a pas évolué de façon significative depuis des décisions et avis récents du Conseil de la concurrence, notamment, son avis no 98-A-20 en date du 1er décembre 1998 relatif à une saisine du Sipperec au sujet de la création d’un groupement de commandes dans le secteur des télécommunications, et son avis no 98-A-23 du 16 décembre 1998 relatif à une demande d’avis de l’Autorité de régulation des télécommunications portant sur des problèmes soulevés par la commercialisation du service téléphonique longue distance par des distributeurs ainsi que sa décision no 99-MC-04 du 10 mars 1999 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par l’AFOPT et l’AOST ;
    Considérant aussi que la société France Télécom, par le biais de sa filiale Transpac, est de facto le seul opérateur à fournir un service de transport de données pour la fourniture de services télématiques ; que, malgré la libéralisation des services de transport de données en 1992, aucun opérateur n’a, depuis cette date, mis en œuvre un autre service de transport de données, en norme X 25, adapté aux services télématiques de type Kiosque ; que, si certains opérateurs de télécommunications ont fait une demande de numéros non géographiques auprès de l’Autorité dans la série ouverte par la décision no 98-1046 du 23 décembre 1998, numéros qui pourraient être utilisés pour des services télématiques, dans leur grande majorité ces demandes concernent des services de télématique vocale (services dits « Audiotel ») plutôt que des services de télématique écrite ; qu’ainsi les services de Transpac pour des prestations aux fournisseurs de services télématiques demeurent encore un monopole de fait ;
    Considérant, enfin, que la société France Télécom est, jusqu’à présent, le seul opérateur offrant aux prestataires de services informatiques le système de facturation Kiosque permettant d’intégrer le paiement de service rendu au consommateur à la facture téléphonique de ce dernier ; que, si une offre de facturation pour compte de tiers est en cours d’élaboration par la société France Télécom, dans le cadre de ses obligations d’interconnexion, ses propositions n’ont pas été, à ce jour, approuvées par l’Autorité ; qu’elles ne sont donc pas disponibles pour les autres opérateurs ; qu’en tout état de cause, même en présence d’une offre de facturation pour compte de tiers, un opérateur alternatif ne pourrait, à lui seul, offrir toute la gamme des services nécessaires à la fourniture de services Minitel ;
    Considérant, ainsi, que, malgré les évolutions récentes en matière d’interconnexion, la société France Télécom détient aujourd’hui encore un monopole sur le marché pertinent ;
            En ce qui concerne la qualification des pratiques dénoncées :
    Considérant qu’il est, en principe, loisible à un opérateur occupant une position dominante sur un marché de relever ses tarifs ; qu’en l’espèce, la mesure contestée aurait été prise par France Télécom à la suite de la constatation de ce que s’étaient surtout développés les services télématiques situés sur les paliers les plus chers, ce qui conduisait le consommateur final à se détourner de l’usage du Minitel ; que l’objectif de la hausse modulée des tarifs d’abonnement était de conduire les fournisseurs de services à offrir leurs prestations sur des paliers tarifaires moins coûteux pour le consommateur final ; qu’ainsi, l’objectif affiché par France Télécom n’était pas anticoncurrentiel ; qu’il convient, toutefois, de rechercher si la pratique dénoncée n’avait pas un autre objet ou un effet anticoncurrentiel ;
    Considérant, en premier lieu, que, si l’augmentation des tarifs d’abonnement aux codes télématiques est importante, aucun élément n’est apporté dans la saisine qui permettrait de penser que le niveau absolu de ces tarifs serait en lui-même abusif, alors surtout qu’aucune augmentation n’était intervenue depuis de nombreuses années ;
    Considérant, en deuxième lieu, que la décision prise par France Télécom d’augmenter la redevance mensuelle d’abonnement aux codes Télétel s’est appliquée de la même manière à l’ensemble des opérateurs présents sur le marché ; qu’en l’absence de toute discrimination, il importe peu que, pour certains concurrents, l’augmentation des tarifs d’abonnement soit plus lourdement ressentie du fait d’un rapport charges fixes sur charges totales élevé ; que la société Forum cartes et collections ne peut donc utilement invoquer la sensibilité particulière de ses résultats d’exploitation à l’augmentation pratiquée ;
    Considérant, en troisième lieu, s’agissant précisément de la question de la discrimination que l’allégation de la société Forum cartes et collections selon laquelle l’augmentation tarifaire décidée par France Télécom, qui s’est appliquée d’une manière générale à l’ensemble du secteur, aurait pu avoir pour objet ou pour effet de favoriser au détriment de leurs concurrents les filiales de la société France Télécom qui exercent une activité de fournisseur de services télématiques, n’est appuyée sur aucun élément ;
    Considérant, en quatrième lieu, que, si les débats en séance ont montré que le nombre de codes télématiques avait diminué d’environ 20 % en un an, il est apparu que seule une partie de cette diminution était imputable à l’augmentation des tarifs d’abonnement, une tendance de longue durée à la diminution du nombre de codes ayant été observée ; que, surtout, aucun élément probant n’a été apporté qui permettrait de penser que la part de cette diminution imputable à l’augmentation tarifaire aurait eu un impact tel sur l’offre de services que l’intensité concurrentielle sur au moins un marché de services télématiques en aurait été affectée ;
    Considérant d’ailleurs, en cinquième lieu, que, s’agissant plus particulièrement de la société Forum cartes et collections, il résulte de ses propres indications qu’elle a pour activité principale la vente par correspondance d’objets de collection, d’antiquité et de brocante et que l’exploitation de codes télématiques ne représente que 6,4 % de son chiffre d’affaires ;
    Considérant, en sixième lieu, qu’il n’est pas démontré que la mesure tarifaire décidée par France Télécom aurait eu un effet défavorable sur le niveau moyen des prix facturés au consommateur ;
    Considérant, enfin, que, si France Télécom a reconnu en séance avoir le projet de supprimer l’annuaire papier dénommé « les pages Minitel », il est apparu que ce support était très peu consulté par les consommateurs de services Minitel qui se réfèrent de préférence à l’annuaire télématique ;
    Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la saisine ne contient aucun élément probant à l’appui des allégations selon lesquelles les pratiques dénoncées constitueraient un abus de la position dominante détenue par France Télécom ; qu’il y a lieu, en application de l’article 19 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, de déclarer ladite saisine irrecevable et de rejeter, par voie de conséquence, la demande de mesures conservatoires de la société Forum cartes et collections,
                    Décide :
    Art.  1er.  -  La saisine enregistrée sous le numéro F 1180 est déclarée irrecevable.
    Art.  2.  -  La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 247 est rejetée.
    Délibéré, sur le rapport oral de Mme Daudret-John, par Mme Hagelsteen, présidente, MM. Cortesse et Jenny, vice-présidents.

Le secrétaire de séance,
Sylvie  Grando
La présidente,
Marie-Dominique  Hagelsteen

© Ministère de l'économie, des Finances et de l'Industrie- 20 mai 2000