Sommaire N° 4 du 31 mars 2000

Arrêt de la cour d’appel de Paris (1re chambre, section H) en date du 15 février 2000 relatif au recours formé par la SARL Société ploërmelaise de friction industrielle (SPFI) et autres contre une décision no 99-D-31 du Conseil de la concurrence en date du 18 mai 1999 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des garnitures de freins pour poids lourds (1)

NOR :  ECOC0000091X

    Demanderesse au recours :
    SARL Société ploërmelaise de friction industrielle (SPFI), ayant son siège ZI du Bois Vert, BP 20, 56801 Ploërmel Cedex, prise en la personne de son gérant, M. Emmanuel Henneton, assistée de Me M. Lacorne, toque T 11, 26, boulevard Raspail, 75007 Paris.
    Demandeur au recours :
    Le ministre de l’économie, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ayant son siège bâtiment 5, 59, boulevard Vincent-Auriol, 75703 Paris Cedex 13, représenté par Mme Bibet, munie d’un mandat régulier.
    En présence des :
    Société Kemper Freins - TLC, ZA de Kergoussel Kergouaran, rue Georges-Eiffel, 56859 Caudan, agissant par ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège ;
    Société TOD Freinage, ZI du Martray, route de Rouen, 14730 Giberville, agissant par ses représentants légaux domiciliés audit siège,
représentées par la SCP Bernabe Ricard Chardin Cheviller, 22, rue Bergère, 75009 Paris, et assistées de Me Thierry Ygouf, SCP Chapron Laniece Ygouf, du barreau de Caen, et
    Auto Pièces Nantais, 15, boulevard de Stalingrad, BP 330, 44011 Nantes, agissant par son directeur et assistée de Me Bernard Rineau, SCP Cornet, du barreau de Nantes, 28, boulevard de Launay, 44186 Nantes Cedex ;
    Société Hery Auto Industrie, 8, avenue du Général-Ferie, ZI Sud, 35400 Saint-Malo, prise en la personne de son président-directeur général, représentée par la SCP Lagourgue, 19, boulevard de Sébastopol, 75001 Paris, et assistée de Me Nicolas Menage, avocat au barreau de Rennes, cabinet Fidal, 15, rue du Professeur-Jean-Pecker, 35042 Rennes Cedex ;
    SA Autodistribution, 119-131, avenue René-Morin, 91427 Morangis Cedex, prise en la personne de son président-directeur général, représentée par la SCP Annie Baskal, 3, rue du 29-Juillet, 75001 Paris, et assistée de Me Agnès Vallée-Jego, cabinet Karsenty Ricard, 70, boulevard de Courcelles, 75017 Paris, toque R 156 ;
    Société Renault Véhicules industriels DCPRS, route de Lyon, BP 226, 69803 Saint-Priest Cedex, prise en la personne de son président-directeur général, représentée par la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, 23, rue du Louvre, 75001 Paris, et assistée de Me Pierre Servan-Schreiber, cabinet Sullivan et Cromwell, avocats au barreau de Paris, 8, place Vendôme, 75001 Paris ;
    Société Ferodo Abex, 58, rue Juliette-Adam, BP 20, 91192 Gif-sur-Yvette, prise en la personne de son président-directeur général, représentée par Me Louis-Charles Huygue, avoué, 52, boulevard de Sébastopol, 75003 Paris, et assistée de Me Daniel Marmond, du barreau de Lyon.
    Composition de la cour lors des débats et du délibéré :
    Mme Thin, président ;
    Mme Deurbergue, conseiller ;
    M. Savatier, conseiller.
    Greffier lors des débats et du prononcé de l’arrêté : Mme Thierry, greffier en chef.
    Ministère public : M. Woirhaye, substitut général.
    Arrêt prononcé publiquement le 15 février 2000, par Mme Thin, président, qui en a signé la minute avec Mme Thierry, greffier en chef.
    Après avoir, à l’audience publique du 4 janvier 2000, entendu les conseils des parties, les observations du ministre chargé de l’économie et celles du ministère public ;
    Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours ;
    Saisi par la Société ploërmelaise de friction industrielle, ci-après SPFI, puis par le ministre chargé de l’économie et des finances, de pratiques relevées dans le secteur des garnitures de freins pour poids lourds de rechange, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, par décision no 99-D-31 du 18 mai 1999, estimé qu’il n’était pas établi que les sociétés Ferodo Abex, RVI, Kemper Freins, Todd Freinage, Autodistribution, Auto Pièces Nantais et Héry avaient enfreint les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986.
    La SARL SPFI et le ministre chargé de l’économie ont introduit chacun un recours contre cette décision, dont ils poursuivent l’annulation ou la réformation en limitant leurs critiques au fond.
    Référence faite à la décision du Conseil pour l’énoncé des faits, il convient de rappeler les éléments essentiels suivants, nécessaires à la solution du litige :
    La société SPFI, créée en avril 1992, ayant pour activité principale l’importation de matériels de frictions et de pièces détachées pour poids lourds et véhicules spéciaux, a entrepris de diffuser des garnitures de freins de rechange sans amiante pour poids lourds, de la marque Sun Abex, fabriqués par une société indienne (Sundaram Brake Linings Ltd) issue de la fusion entre une entreprise américaine, Abex Corporation (qui contrôlait Ferodo Abex jusqu’en 1990) et la société TV Sundram (Inde). Peu après, Ferodo Abex, qui commercialisait déjà des garnitures de freins pour poids lourds, alertée par deux de ses distributeurs indépendants, a établi deux documents mettant en cause la qualité et la fiabilité du produit Sun Abex, ce qui a conduit SPFI à saisir le Conseil pour solliciter des mesures conservatoires. Cette demande a été accueillie, et il a été enjoint, à titre principal, à Ferodo Abex et à la société Kemper Freins de cesser de communiquer tout document faisant référence à des essais concernant les produits de la SPFI qui n’auraient pas été réalisés avec l’accord de cette entreprise ou à la demande et sous le contrôle des autorités administratives compétentes.
    Au soutien de sa demande, SPFI reproche en substance à Ferodo Abex et à ses grossistes, plus particulièrement à Kemper Freins, d’avoir échangé des informations et diffusé aux intervenants sur le marché une note interne du 11 septembre 1992 ainsi qu’une analyse comparative des produits Abex et Sunb Abex du 8 octobre 1992 dénigrant ses garnitures, ce qui a eu pour conséquence d’entraîner des annulations de commandes, une baisse de son chiffre d’affaires, ainsi que de faire obstacle à son entrée sur le marché et d’en exclure son produit selon la société SPFI. Les éléments constitutifs d’une action concertée sont établis, à savoir une coopération pratique entre des sociétés, un objet et un effet restrictifs sur la concurrence. De plus, Ferodo Abex a continué à dénigrer les garnitures Sun Abex postérieurement à la décision ordonnant les mesures conservatoires, et ce alors même que le Laboratoire interrégional de la répression des Fraudes de Massy, dans un rapport du 17 juin 1994, a conclu à sa non-dangerosité même s’il présente des non-conformités à la directive 71/320/CE. SPFI critique la décision du Conseil en ce qu’elle a :
      retenu qu’il n’y avait pas de preuve que les grossistes se seraient entendus avec Ferodo Abex pour qu’elle établisse la note interne et l’analyse comparative, ce qui n’était pas soutenu ;
      fait une distinction sur l’intérêt autonome qu’auraient eu Ferodo Abex, d’une part, à dissiper la confusion avec son produit, Kemper Freins, d’autre part, à limiter la fuite de sa clientèle ou à répondre à ses interrogations, ce qui ne les autorisait pas à dénigrer un produit concurrent ;
      estimé que la transmission des note et analyse était insuffisant à établir un accord de volontés.
    En conséquence, SPFI demande :
      d’annuler, ou en tant que de besoin, de réformer la décision du Conseil ;
      de condamner les sociétés Ferodo Abex, Kemper Freins et Auto Pièces Nantais pour entente prohibée au sens de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
      d’ordonner aux frais de Ferodo Abex la publication intégrale de l’arrêt dans les revues France Route et Le Journal de l’Automobile.
    Le ministre de l’économie critique l’ensemble de la décision du Conseil. Il est d’abord soutenu que les comportements de dénigrement, qui procèdent d’une décision unilatérale de Ferodo Abex à laquelle Kemper Freins a adhéré, sont qualifiables d’entente, qu’ils ont convaincu les acheteurs que les garnitures Sun Abex n’étaient pas conformes aux normes en vigueur, et les ont incités à les rejeter, qu’ils ont eu un effet réel sur le marché puisqu’ils se sont traduits, notamment, par une annulation de commande et par la suspension de relations commerciales. A le supposer établi, le délit d’usage de la marque sans autorisation ne justifiait pas la mise en œuvre de telles pratiques, le même raisonnement s’appliquant aux risques de confusion des produits. L’objectif de sécurité invoqué ne pouvait relever que des autorités publiques, seules habilitées à prendre des mesures d’interdiction ou de rappel des produits. Or les conclusions du second rapport de l’UTAC du 19 septembre 1994 étaient insuffisantes pour fonder une décision de retrait des garnitures. Le ministre estime ensuite que le Conseil aurait dû retenir les trois autres griefs qui avaient été notifiés. Il était, en effet, justement reproché à Ferodo Abex d’avoir élaboré et appliqué des conditions générales de vente opaques et discriminatoires, ne comportant aucun barème quantitatif, ni conditions spécifiques, et révélant des écarts dans les prix entre les clients. Dans la mesure où ceux-ci ont passé des commandes, les éléments d’une entente prohibée sont réunis, et la circonstance que l’entreprise a procédé à la refonte générale de sa politique commerciale constitue la reconnaissance de la pratique reprochée. le ministre rappelle qu’un autre grief a été notifié aux sociétés Ferodo Abex, Todd Freinage, Auto Pièces nantais, Héry et Autodistribution, pour avoir, de concert, mené une action commerciale - qui a eu pour objet, en comprimant la marge de Freinage Poids Lourds Service (FPLS), d’imposer à ce revendeur un prix minimum de vente et de restreindre ainsi le jeu de la concurrence intra-marque entre les différents revendeurs indépendants de l’Ouest de la France - et qui a eu pour effet de limiter la concurrence entre les revendeurs de Ferodo Abex en faisant obstacle à ce que FPLS fixe de façon indépendante ses prix de revente des garnitures Abex. Selon le ministre, la menace adressée à FPLS de réduire le montant des remises et ristournes jusque-là accordées et de limiter sa zone d’action ne se résume pas à un conflit de personnes entre leurs dirigeants, mais procède d’un accord de volontés entre Ferodo et les revendeurs ci-dessus cités, ces derniers réagissant comme s’ils avaient été les membres d’un réseau de distribution sélective pratiquant une véritable police des prix. L’argument de l’absence de baisse du chiffre d’affaires de FPLS n’est pas une cause d’exonération des pratiques relevées. Le ministre met en cause dans un dernier grief Ferodo Abex et RVI, reprochant à cette dernière d’avoir fait pression sur la première pour qu’elle intervienne auprès de Billi SA en sorte que cette société majore les prix qu’elle consentait au transporteur Dentressangle. Une telle intervention s’est, en effet, traduite par une remontée des prix pour Billi, et s’est inscrite dans une stratégie globale des prix et d’immixtion dans la politique tarifaire des distributeurs visant à limiter la liberté commerciale des revendeurs. Le ministre propose en conclusion, sur la base des chiffres d’affaires de l’année 1997, avec une modulation tenant compte de la participation plus ou moins active de chaque entreprise aux pratiques reprochées, les sanctions suivantes :
      Ferodo Abex : 1 000 000 F ;
      Kemper Freins : 72 000 F ;
      Todd Freinage : 260 000 F ;
      Héry : 74 000 F ;
      Auto Pièces Nantais : 210 000 F ;
      Autodistribution : 500 000 F ;
      RVI : 500 000 F.
    Concluant à la confirmation de la décision du Conseil et au rejet de toute sanction, Ferodo Abex apporte en résumé la réplique suivante :
      SPFI a parasité son produit et utilisé la marque Abex sans l’autorisation de son propriétaire qui en avait concédé la licence exclusive à la concluante sur le territoire français ;
      elle pouvait légitimement lever la confusion créée par son ancien salarié, Jean-Pierre Henneton, devenu dirigeant de SPFI, sur les garnitures commercialisées par chaque partie ;
      les études auxquelles elle a procédé étaient sérieuses et fiables ; elles ont démontré des non-conformités aux normes européennes et elles ont été corroborées par le test du 26 mai 1994 de l’UTAC, la DGCCRF confirmant aussi le danger de l’utilisation de ces garnitures dans une lettre du 5 août 1994 ;
      elle n’a pas communiqué de manière systématique les résultats des études à ses clients et elle n’a fait que répondre aux interrogations de certains d’entre eux, se limitant à leur faire part, comme à ses commerciaux, d’avis purement techniques ;
      elle n’a pas donné de consigne à ses grossistes de diffuser ses études à leur propre clientèle ;
      cette simple information ne caractérise pas un accord de volontés entre elle et Kemper Freins. C’est à bon droit que le Conseil a retenu que dès lors qu’elle était confrontée au risque de perte commerciale par suite de la confusion régnant entre ses produits et ceux de Sun Abex, elle avait un intérêt autonome à diffuser à sa force de vente et à ses clients les notes en cause, indépendamment du comportement de Kemper Freins qui avait, elle-même, un intérêt autonome à remettre de tels documents à ses clients. Elle souligne que Kemper Freins et elle ne réagissaient pas au même contexte, ni même au même stade du circuit économique, et qu’elles étaient dans des situations juridiques indépendantes. Elle ajoute qu’elle ne détenait pas de position dominante sur ce marché, ni la même clientèle que SPFI.
    Pour ce qui concerne les autres griefs, elle fait valoir :
      à propos de ses conditions générales de vente, qu’elle a, depuis les faits, entrepris une refonte générale de sa politique commerciale devenue claire et cohérente, insistant sur le fait qu’auparavant les prix étaient fixés à la suite de négociations bilatérales avec chaque revendeur, ce pourquoi aucune dérogation tarifaire n’était automatique ;
      au sujet de FPLS, qu’elle a finalement renoncé à diminuer les rabais et ristournes consentis à cette dernière, et n’est donc pas intervenue sur sa politique de prix, les dissensions étant dues à un conflit de personnes ;
      concernant les sociétés Billi et RVI, que la seconde n’a jamais fait pression sur elle pour que la première augmente ses prix de vente au transporteur Dentressangle, étant observé que le chiffre d’affaires de Billi avec elle-même n’a cessé d’augmenter.
    Dans son mémoire en réplique, la société Kemper Freins observe, à titre liminaire, que les moyens développés par SPFI se rapportent à une action en concurrence déloyale qu’elle a engagée contre Ferodo Abex et que, lorsque la requérante a saisi le Conseil, elle ne l’avait pas mise en cause. Kemper Freins estime que le concours de volontés nécessaire à caractériser une entente n’est pas établi. Elle affirme n’avoir agi que dans un but de sécurité (au vu des notes techniques de Ferodo Abex concluant à la dangerosité, l’inefficacité et l’instabilité du produit Sun Abex) et pour éviter tout risque d’une confusion entre les garnitures des deux marques par sa clientèle qui désirait être informée exactement sur le produit en cause. Elle prétend avoir été trompée par son fournisseur, qui bénéficiait d’une grande notoriété, et qui a d’ailleurs licencié son directeur des ventes du matériel de rechange. Elle dénie en conclusion toute action concertée avec Ferodo Abex afin d’éliminer SPFI du marché et demande la confirmation de la décision du Conseil.
    Todd Freinage soutient que c’est à juste titre que le Conseil a écarté le grief visant FPLS dès lors que les pièces, sur lesquelles le ministre fonde son raisonnement, n’établissent pas une action concertée entre Ferodo Abex et certains de ses distributeurs. En effet, le courrier du 19 mai 1992 de son PDG, M. Tomasina, ne fait pas état d’un différend avec le dirigeant de FPLS, mais évoque seulement la décision de Ferodo Abex de changer son système de distribution sur le secteur de Rennes, où la concluante n’intervient pas puisqu’elle n’exerce son activité qu’en Basse et Haute-Normandie. Au demeurant, il ne peut être reproché au fournisseur d’avoir trouvé une solution au conflit opposant certains de ses revendeurs, d’autant que FPLS a poursuivi son activité dans son secteur d’implantation. Todd Freinage conclut en conséquence à la confirmation de la décision du Conseil.
    La société Auto Pièces Nantais fait la remarque, en préambule, que le rapporteur au Conseil a pratiqué l’amalgame entre les différents grossistes de l’ouest de la France, alors que leurs situations sont disparates et qu’en particulier elle-même n’est qu’un opérateur moyen parmi les principaux clients de Ferodo Abex. Pour ce qui concerne les garnitures Sun Abex, elle n’a fait qu’interroger son fournisseur, ce qui relève de la vie normale des affaires, et les déclarations de son chef d’agence à Rézé, qui n’ont aucun caractère probant, ne l’engagent pas. Elle affirme n’être pour rien dans la décision de Ferodo Abex de réorganiser son réseau de distribution et nie avoir exercé une quelconque pression sur cette société. Elle sollicite la confirmation de la décision entreprise et la condamnation de SPFI à lui rembourser 80 000 F pour les frais de justice exposés depuis l’origine de la procédure.
    Au soutien de sa demande de confirmation, la société Héry expose que :
      seul, M. Massé, licencié depuis les faits par Ferodo Abex, cite son nom, sans préciser la nature des pressions qu’on lui reproche d’avoir exercées, alors qu’il est clairement fait état par M. Fourleigne, directeur commercial du fournisseur, d’un conflit entre leur ancien directeur des ventes du matériel de rechange et le dirigeant du FPLS ;
      FPLS a mené une politique commerciale agressive dans d’autres départements que celui de l’Ille-et-Vilaine où la concluante exerce son activité ;
      aucun membre de son personnel n’a été interrogé et amené à s’expliquer sur les faits reprochés ;
      à supposer qu’elle ait fait part de son mécontentement à Ferodo Abex, aucune preuve n’est apportée d’une collusion avec cette entreprise ou avec d’autres revendeurs.
    La société Autodistribution, qui relève que SPFI ne formule aucune demande contre elle, dénie avoir mené une action commerciale et avoir participé à une concertation en vue de limiter la concurrence des revendeurs de Ferodo Abex. Soulignant que les déclarations des directeurs commerciaux de cette entreprise ne sont pas probants, elle fait observer qu’aucun de ses représentants n’a été interrogé. Elle prétend être étrangère aux pressions exercées sur le fournisseur, dont le comportement a été dicté par le souci de favoriser son principal distributeur, Todd Freinage, alors qu’il existait par ailleurs un conflit avec FPLS. En conclusion, Autodistribution demande de confirmer la décision du Conseil et de condamner le ministre de l’économie à lui régler 30 000 F en vertu de l’article 700 du NCPC.
    La société Renault Véhicules industriels constate que le ministre de l’économie argumente sur l’existence d’une communication téléphonique entre Jean-Paul Martin, son directeur chargé des pièces de rechange, et Ferodo Abex. Or, cet entretien n’avait pour objet que d’obtenir des renseignements sur les prix pratiqués par Billi SA dont RVI estimait qu’ils étaient abusivement bas, avec une éventualité de ventes à perte. Il n’y a donc pas eu de concertation entre elle et le fournisseur, et il ne peut y avoir de sanction sur une simple présomption. La demande du ministre de l’économie sera donc rejetée.
    Dans ses observations écrites, le Conseil rappelle que la qualification d’une entente nécessite que soit établi le consentement de chacune des parties, mais aussi un but : celui de limiter l’accès au marché ou à la libre concurrence.
    Il souligne essentiellement que le fait que Kemper Freins n’a pas respecté le caractère confidentiel des documents que Ferodo Abex lui avait adressés, ne signifie pas qu’elle avait eu l’accord de cette société pour les diffuser. Pour ce qui concerne les conditions générales de vente, le Conseil estime non applicable la jurisprudence en matière de conditions générales de vente comportant des clauses anticoncurrentielles invoquée par le ministre de l’économie. Enfin les demandes d’information à propos de FPLS ne suffisent pas à caractériser le consentement, ou la volonté de mise en œuvre d’une entente.
    Le ministère public a conclu oralement au rejet des recours, après avoir relevé que :
      l’utilisation des notes et analyse comparative par Ferodo Abex, puis par Kemper Freins, s’inscrit dans des logiques différentes, en fonction d’intérêts spécifiques, et relève en conséquence d’initiatives individuelles exclusives d’un processus de concertation ;
      pour les conditions générales de vente, s’il y a eu discrimination, cela relève du seul comportement de Ferodo Abex, hors le cadre d’une entente ;
      rien n’établit que l’intervention de RVI soit allée au-delà d’une simple demande d’information ;
                    Sur ce, la cour :
            1o  Sur la diffusion d’allégations relatives à la qualité des produits Sun Abex distribués par SPFI :
    Considérant que Ferodo Abex reconnaît avoir transmis à deux de ses distributeurs, Kemper Freins et Auto Pièces Nantais, la copie d’un « document confidentiel » (lettre du 14 septembre 1992 à Kemper Freins), d’un « rapport confidentiel » (lettre du 16 septembre 1992 à Auto Pièces Nantais), consistant dans une note du 11 septembre 1992, à laquelle étaient annexés des essais comparatifs réalisés en mai 1992 sur des garnitures de freins sans amiante qu’elle commercialisait et sur un produit de même type fabriqué par une société indienne (Sundaram) qui lui avait été remis par Ferodo Abex Italiana ; que cette note, dont la diffusion devait être initialement limitée à sa force de vente, concluait de manière tranchée que le produit Sun Abex était dangereux, inefficace et instable ;
    Considérant que cette note a été complétée par une analyse comparative des garnitures des deux marques, datée du 8 octobre 1992, évoquant « des fortes présomptions des dangers réels » présentés par le produit Sun Abex ;
    Considérant que le directeur des ventes de Ferodo Abex a expressément reconnu que ce document avait été communiqué à douze revendeurs de l’entreprise et que, comme le relève exactement le Conseil, des courriers et des témoignages établissent que la note du 11 septembre 1992 a également été diffusée à des clients potentiels de SPFI, l’un de ceux-ci (Goujon VI) indiquant qu’elle lui avait été remise directement par un représentant de Ferodo Abex au Salon de l’automobile ;
    Considérant que Kemper Freins admet elle-même avoir transmis cette note à neuf de ses clients ; que tel n’est pas le cas d’Auto Pièces Nantais, qui n’est pas visée par le grief, ni des dix autres revendeurs évoqués par le directeur des ventes de Ferodo Abex, et à l’égard desquels aucune investigation particulière n’a été effectuée, la poursuite étant uniquement limitée aux comportements de Ferodo Abex et de Kemper Freins ;
    Considérant que la décision de Ferodo Abex de remettre des documents à usage interne à Kemper Freins n’a pas été dictée d’emblée par la volonté d’éliminer un concurrent, mais par le souci de répondre de manière convaincante à l’inquiétude manifestée par son distributeur devant l’arrivée sur le marché d’un produit similaire vendu à un prix inférieur, sous un nom de marque quasi identique (Abex B 2873 927 pour la société française et Sun Abex AF 27 pour la société indienne) ; que la confusion entre les deux éléments d’équipement de freins est suffisamment caractérisée par les questions ou remarques des revendeurs ( « La garniture Sun Abex, c’est la même que Abex » in lettre du 7 septembre de Kemper Freins), et que SPFI, dont le dirigeant, Jean-Pierre Henneton était un ancien VRP de Ferodo Abex, pouvait avoir intérêt à l’entretenir volontairement (« le représentant [de SPFI] laisse entendre que c’est la même chose que votre caissette Trailor B 2873 927 » in lettre de Auto Pièces nantais du 3 septembre 1992) ;
    Considérant que la tentative ultérieure d’expliquer cette démarche par le reproche fait à SPFI d’un usage de la marque Abex sans l’autorisation de son titulaire (Abex Corporation en avait concédé l’exploitation à la société T & N France SA en lui cédant Abex Equipements SA devenue Ferodo Abex) ne saurait justifier le dénigrement du produit commercialisé par ce concurrent ; qu’il en est de même de la fiabilité des tests techniques, dont le caractère sérieux n’est pas en cause selon le rapporteur au Conseil (Rapport page 26), ou de l’objectif de sécurité qui, s’il constitue un argument de vente, ne doit pas consister à discréditer le produit concurrent ; que la circonstance que les garnitures de freins Sun Abex ne sont pas conformes à la directive 71/320/CE, et que la DGCCRF avait mis en garde SPFI contre les risques liés à leur utilisation, avant de revenir sur ce point après intervention de cet importateur, demeure anecdotique ;
    Considérant que pour autant, il n’appartenait pas au Conseil, comme il l’a exactement relevé, de même qu’il n’incombe pas à la cour, de qualifier au regard des textes réprimant la diffamation ou la publicité trompeuse les faits reprochés, ou encore d’examiner une action en concurrence déloyale, ce à quoi tend le recours de SPFI ;
    Considérant que c’est à juste titre que le ministre de l’économie observe que Ferodo Abex et Kemper Freins n’étaient pas situées au même stade du circuit économique, mais que c’est à tort qu’il soutient qu’elles n’ont pas réagi de manière individuelle à un contexte différent, en ne se référant, en l’absence de toute preuve directe d’une action concertée, qu’au seul indice du rapprochement de la note transmise le 14 septembre 1992 à Kemper Freins et de sa diffusion par cette entreprise à ses clients ;
    Considérant qu’en effet, sans qu’il existe d’argument sérieux remettant en cause le raisonnement suivi par le Conseil, le simple fait que Ferodo Abex ait transmis ses notes à Kemper Freins en indiquant, d’une part, qu’il s’agissait de notes confidentielles qui avaient été diffusées à son équipe de vente et, d’autre part, qu’il était demandé à Kemper Freins d’en faire « le meilleur usage », formule vague qui ne s’apparente pas à une consigne, est insuffisant pour établir l’existence d’un accord de volontés entre les deux sociétés ; que devant la confusion créée dans l’esprit de sa clientèle entre son matériel et celui importé et commercialisé par SPFI, avec le risque de perte qui pouvait en découler, Ferodo Abex a pu de manière unilatérale communiquer ces renseignements à ses commerciaux et à ses clients, indépendamment du comportement que l’un d’entre eux pouvait adopter, étant observé que, seule, la société Kemper Freins a entrepris de répercuter l’information ainsi reçue, et uniquement dans sa zone d’activité ; que pour ce qui la concerne, cette entreprise avait également un intérêt propre à répondre aux interrogations de ses clients et à éviter qu’ils ne la délaissent ; que la simple convergence des intérêts particuliers des deux entreprises, qui étaient dans des situations objectives différentes, n’est pas un élément de preuve suffisant d’une pratique concertée destinée à fausser le jeu de la concurrence ;
    Considérant que SPFI reproche à Ferodo Abex d’avoir continué à dénigrer ses produits postérieurement à la décision du Conseil du 5 janvier 1993 prescrivant des mesures conservatoires ; que cependant elle n’en tire pas de conséquence dans la présente procédure, et qu’aucun grief n’a été notifié à Ferodo Abex à raison de la non-exécution des injonctions qui lui avaient été faites ;
            2o  Sur les conditions générales de vente de Ferodo Abex :
    Considérant qu’il est reconnu par Ferodo Abex que les conditions générales de vente qu’elle appliquait jusqu’en 1993, date à laquelle elle a entamé une modification de sa politique commerciale, ne comportaient aucun barème quantitatif, ni conditions spécifiques pour l’octroi de prix spéciaux, de remises ou de ristournes ;
    Considérant que le ministre de l’économie postulant l’acceptation des revendeurs à ces conditions dont il souligne l’opacité, puis appliquant un raisonnement par analogie fondé sur un arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 mai 1995 (secteur de l’outillage portatif) concernant l’adhésion des distributeurs à des conditions comportant des clauses anticoncurrentielles, en déduit que les éléments constitutifs d’une entente prohibée sont réunis, en imputant ce grief uniquement à Ferodo Abex ;
    Considérant que, toutefois, si des écarts ont été constatés entre les prix facturés aux différents revendeurs, il résulte des éléments du dossier que les conditions étaient octroyées en fonction des capacités de négociation de chaque distributeur, et il est indiqué dans le rapport de la DNEC (page 51) qu’il n’avait pas été constaté que ces écarts relevaient a priori d’une volonté anticoncurrentielle ;
    Considérant qu’ensuite dans la mesure où chaque revendeur était dans l’ignorance des conditions consenties aux autres il n’est pas établi que ceux-ci avaient adhéré à ces conditions et intégré en connaissance de cause un processus concerté de distribution ayant une finalité discriminatoire ; que, s’il y a eu discrimination, elle procède du seul comportement de Ferodo Abex, sans que celui-ci puisse être qualifié d’entente au regard de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
            3o  Sur les nouvelles conditions commerciales imposées à FPLS et la restriction géographique de son activité :
    
Considérant que le ministre de l’économie soutient qu’en réduisant le montant des remises précédemment accordées à FPLS et en restreignant la zone territoriale d’activité de cette entreprise Ferodo Abex n’a pas agi de manière autonome dans le cadre d’une relation commerciale avec son distributeur, mais dans celui d’un accord de volontés avec les revendeurs Todd Freinage, Auto Pièces Nantais, Héry et Autodistribution ;
    Considérant que selon la déclaration conjointe des directeurs financier et des ventes de Ferodo Abex, au cours de l’année 1992, les distributeurs précités sont intervenus auprès d’eux pour que « FPLS évite de faire du dumping hors secteur », ajoutant que cette attitude risquait de « faire capoter l’accord avec Todd Freinage » ;
    Considérant qu’il ressort de l’enquête que le directeur des ventes des pièces de rechange de Ferodo Abex a informé M. Guyodo, président-directeur général de FPLS, qu’il allait réduire le taux de remise qui lui était accordée et qu’il ne lui octroierait plus de prix spéciaux (lettre du 20 mai 1992), puis qu’il est revenu ultérieurement sur cette décision (lettre du 5 août 1992) qui, n’ayant jamais reçu exécution, est restée au stade d’une simple intention et qui ne s’est donc pas traduite par une remontée des prix pratiqués par FPLS ;
    Considérant que les parties ont dans le même temps eu des discussions sur le secteur d’activité de FPLS et sont parvenues à un accord aux termes distributeurs à des conditions comportant des clauses anticoncurrentielles, en déduit que les éléments constitutifs d’une entente prohibée sont réunis, en imputant ce grief uniquement à Ferodo Abex ;
    Considérant que ces négociations ne peuvent être détachées des autres points en conflit ; qu’en effet, même si par la suite les relations entre le fournisseur et son distributeur se sont améliorées pour parvenir à une collaboration étroite se traduisant par une augmentation notable des ventes, Ferodo Abex avait arrêté la livraison de ses marchandises faute d’être payée et reprochait à FPLS de ne pas faire son travaill sur la zone de Rennes ; que les discussions ont repris en partie parce que le client a réglé son fournisseur ;
    Considérant que les négociations qui se sont poursuivies pendant plusieurs mois relèvent du strict cadre de la relation commerciale que Ferodo Abex entretenait avec FPLS et qui ne s’est pas révélée dévaforable à cette dernière ; que si les entreprises Auto Pièces Nantais, Héry, Autodistribution et Todd Freinage ont suscité dans une certaine mesure ces discussions, elles n’y ont pris aucune part ; que Jean-Pierre Tomasina, président-directeur général de cette dernière société reconnaît être intervenu auprès du fournisseur, mais déclare que son courrier n’a eu aucune suite ; que M. Vrignaud de l’agence d’Auto Pièces Nantais à Rezé ne se prononce pas à cet égard, et qu’aucun responsable des entreprises Héry et Autodistribution n’ayant été entendu à ce sujet, les déclarations de Jean-Pierre Massé ne peuvent être ni confirmées ni vérifiées en ce qui les concerne ;
    Considérant qu’il n’est pas établi que les distributeurs soient allés au-delà de la dénonciation du comportement de leur concurrent et qu’ils aient exigé de leur fournisseur qu’il lui impose des conditions exorbitantes sur les prix ou sur sa zone d’activité ; que les mesures prises par Ferodo Abex n’ont tendu qu’à faire mettre fin au différend opposant ses distributeurs, sans avoir à augmenter les avantages commerciaux consentis à ceux qui se plaignaient de l’attitude de l’un d’entre eux ;
    Considérant qu’en l’absence d’éléments plus explicites sur les intentions et les attentes des entreprises Todd Freinage, Autodistribution, Auto Pièces Nantais et Héry à l’égard de Ferodo Abex, leurs interventions qui se sont limitées à demander des explications et à dénoncer la pratique commerciale de FPLS, au regard de la motivation individuelle du fournisseur qui l’a conduit à mettre de l’ordre dans l’organisation du réseau de distribution de ses produits, ne peuvent suffire à caractériser le consentement, ou la volonté, de mise en œuvre d’une pratique concurrentielle constitutive d’une entente ;
            4o Sur les prix minimaux de vente imposés à Billi SA :
    Considérant qu’il n’est pas discuté par RVI qu’elle a fait une démarche auprès de Ferodo Abex pour avoir des explications sur les prix pratiqués par Billi SA qui, comme elle, commercialisait des garnitures de freins pour remorque au transporteur Dentressangle ; qu’elle craignait que ce concurrent qui, selon elle, consentait des prix abusivement bas, ne vende à perte ;
    Considérant que les déclarations de Jean-Paul Martin, directeur de RVI à Saint-Priest, restent évasives sur ce point, puisqu’il a répondu qu’il était probable en ce qui concerne ce transporteur que RVI avait eu une remontée d’information, et que, dans un tel cas, sa société cherchait à avoir des explications pour réagir éventuellement ;
    Considérant que si cette requête a suscité de la part de Ferodo Abex une vérification auprès de Billi SA et que le fournisseur paraissait avoir obtenu que son distributeur augmente ses prix sur deux références se situant « hors de la norme », selon la déclaration conjointe de MM. Massé et Lefebvre, responsables de Ferodo Abex, il résulte des déclarations de M. Fondraz, président-directeur général de Billi SA, que dans les faits cette hausse n’a pas été appliquée à l’égard du transporteur concerné ;
    Considérant que certes, Billi SA a pu craindre, comme le mentionne la note interne de Ferodo Abex du 6 mai 1992, que ses prix soient communiqués à RVI pour la déstabiliser auprès du transporteur Dentressangle, mais que tel n’a pas été le cas, la seule information répercutée à son concurrent étant qu’elle n’effectuait pas de ventes à perte ;
    Considérant qu’il n’est dès lors pas établi, comme l’a estimé le Conseil, que la requête de RVI, qui ne constitue pas en elle-même une entente, avait pour objet d’obtenir de Ferodo Abex qu’elle oblige Billi SA à remonter ses prix de revente, et que le comportement unilatéral du fournisseur pouvait avoir été dicté par la volonté de ne pas avoir à renégocier les conditions commerciales faites à RVI ; que les indices invoqués par le ministre de l’économie ne sont pas suffisamment précis et concordants pour aboutir à la conclusion que les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ont été enfreintes ;
    Considérant qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la publication de la présente décision dans les journaux cités par SPFI ;
    Considérant qu’il n’est pas inéquitable que les parties conservent la charge des frais non compris dans les dépens qu’elles ont exposés au cours de la procédure,
                    Par ces motifs :
    Rejette les recours ;
    Dit n’y avoir lieu à ordonner la publication sollicitée par SPFI ;
    Déboute les sociétés Auto Pièces Nantais et Autodistribution de leurs demandes en remboursement de leurs frais irrépétibles ;
    Condamne les requérants aux dépens.
Le greffierLe président

    (1)  Décision no 99-D-31 en date du 18 mai 1999 (BOCCRF no 15 du 31 août 1999).


© Ministère de l'économie, des Finances et de l'Industrie- 23 avril 2000