Décision no 99-D-77 du Conseil de la concurrence en date
du 7 décembre 1999 relative à une saisine de la société Télésélection
à lencontre des sociétés M6, M6 Interactions et Téléshopping
NOR : ECOC0000043S
Le Conseil de la concurrence
(section II),
Vu la lettre enregistrée le 23 novembre 1995 sous le numéro
F 817, par laquelle la société Télésélection a saisi le Conseil de la
concurrence de pratiques mises en uvre par les sociétés M6, M6 Interactions et
Téléshopping ;
Vu lordonnance no 86-1243 du 1er
décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le
décret no 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son
application ;
Vu les observations présentées par le commissaire du
Gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement entendus, le représentant de la société Télésélection ayant été
régulièrement convoqué ;
Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du
rapporteur général ;
Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur
les motifs (II) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
A. - Le secteur
Le téléachat
Le secteur concerné par les pratiques
dénoncées par la société Télésélection est celui de la distribution de produits
divers, ayant comme caractéristique davoir été présentés dans des émissions
télévisées de téléachat. Le téléachat est défini par le décret no 95-77
du 24 janvier 1995 comme « une émission consacrée en tout ou partie à la
présentation et à la promotion de biens ou de services offerts directement à la
vente ».
Lors de son apparition en France à la fin des
années 80, plusieurs émissions de téléachat ont été créées sur les chaînes
hertziennes puis ont rapidement disparu. En 1995, à lépoque des faits
concernés par la présente décision, subsistaient une émisssion diffusée par TF1,
intitulée « Téléshopping », et une émission diffusée sur M6, intitulée
« M6 Boutique ».
Pour la réalisation de son émission, M6, via sa filiale
Interactions, était, en 1995, associée au groupe suédois Kinnevik, ainsi
quà la société PBRK (Pierre Bellemare et Roland Kluger) et à Lyonnaise
Communications. Leur filiale commune, la société Home Shopping Service (Kinnevik,
56 % ; PBRK, 13,5 % ; Lyonnaise Communications, 13,5 % ; M6
Interactions, 17 %), réalisait également une émission de téléachat diffusée sur
la chaîne câblée Paris Première, à laquelle sest ajoutée depuis une émission
de téléachat diffusée sur la chaîne câblée Teva. De son côté, TF1 a créé une
filiale, Téléshopping, chargée de la réalisation de lémission
« Téléshopping », dont la société PBRK détenait 15 % du capital
en 1995. Aujourdhui, M6 et TF1 contrôlent en totalité le capital de leur
filiale spécialisée dans le téléachat.
Par ailleurs, en 1995, deux chaînes câblées étaient dédiées
au téléachat. La première, « Club Téléachat », associait la société
PBRK, le groupe Kinnevik, M6 et Lyonnaise Communications et a depuis été reprise par la
société Home Shopping Service. La seconde, « Télé Achat », avait été
lancée par la société Plaisance Films et le groupe Générale des Eaux. Elle a cessé
démettre en 1997.
Plus récemment, plusieurs chaînes de téléachat ont été
lancées sur les bouquets satellite par les grandes chaînes hertziennes. Canal Plus
diffuse depuis 1996 « Spectacle », une chaîne dinformations culturelles
et de téléachat de produits culturels, sur Canal Satellite. La chaîne « Club
Téléachat » est émise en continu depuis 1998 sur TPS et la société
Téléshopping a créé la même année la chaîne « Shopping Avenue »,
diffusée également sur TPS.
Ces émissions proposent divers produits : électroménager,
produits dentretien et de décoration, bricolage, hifi-vidéo, ustensiles de
cuisine, bijoux, produits alimentaires, etc. Il est possible de trouver certains de ces
produits dans dautres circuits de distribution, comme les grandes surfaces ou la
vente par correspondance.
La distribution de ces produits est en outre assurée par un
réseau de six boutiques exploitées directement par M6 sous lenseigne « M6
Club », implantées dans les villes de Lille, Nancy, Bordeaux, Grenoble, Rennes et
Lyon. Ces boutiques offrent à la vente des produits présentés dans lémission de
téléachat « M6 Boutique », avec le support de téléviseurs diffusant
lémission en continu. TF1 a également ouvert un réseau de boutiques sous
lenseigne « Téléshopping » qui fonctionnent sur le même mode.
B. - Les faits
1. Le réseau Télésélection et le contrat de
distribution
conclu avec la société Mediashop
La SA Télésélection, créée par
M. Jean-Roger Richard le 30 juin 1995, a racheté à la SA Financière Inforter,
dont M. Richard était le P-DG, lactivité de distribution de produits
« vus dans des émissions de téléachat » créée par celle-ci quelques mois
auparavant, ainsi que la marque « Télésélection ». Début 1995, la
société Financière Inforter avait constitué un réseau de boutiques offrant à la
vente des produits vus dans des émissions de téléachat. Elle avait notamment diffusé
dans lICF Commerce de janvier, magazine spécialisé dans la franchise, un dossier
publicitaire vantant les avantages de la vente directe en magasin par rapport à la
commande par téléphone au cours de lémission de téléachat. Le réseau
Télésélection reposait sur un contrat de concession et dassistance par lequel la
société Financière Inforter concédait à ces magasins le droit dutiliser
« le concept Télésélection » et de sidentifier par lenseigne
Télésélection. Elle-même était chargée dassurer lapprovisionnement de
ces magasins en produits « vus dans des émissions de téléachat » et
négociait à cette fin avec les fournisseurs sélectionnés.
Le fournisseur à titre principal était Mediashop, une société
de droit luxembourgeois, créée par le groupe suédois Kinnevik et la société PBRK
(Pierre Bellemarre et Roland Kluger), pour la réalisation démissions de
téléachat dans des pays non francophones, ainsi que lachat et la vente des
produits qui y sont présentés.
La société Financière Inforter avait signé le 27 janvier
1995 avec Mediashop un contrat de distribution qui concédait à celle-ci
lexclusivité de la vente des produits présentés dans lémission « M6
Boutique », hormis dans les villes où existait une boutique « M6
Club ». De son côté, la société Financière Inforter sengageait à
sapprovisionner exclusivement auprès de la société Mediashop, ou de tout
fournisseur désigné par elle, pour tous les produits figurant en annexe du contrat. Pour
chaque produit sélectionné, il était prévu que la société Mediashop remette à
Financière Inforter un master de la cassette vidéo du film de présentation du produit,
que Financière Inforter était autorisée à reproduire pour satisfaire aux besoins des
concessionnaires Télésélection. Selon M. Oudet, directeur général de la
société Home Shopping Service, ce contrat a été passé avec Mediashop, et non avec
Home Shopping Service, chargée de la commercialisation des produits proposés dans
lémission de téléachat « M6 Boutique », parce que les statuts de
cette dernière ne lui permettaient pas de vendre à un réseau de distribution classique.
Le réseau Télésélection a connu, selon M. Richard, un
développement rapide puisquà lété 1995, huit magasins à lenseigne
Télésélection étaient ouverts et huit autres étaient en projet. Les produits
distribués dans ces magasins étaient pour la plupart commandés à la société
Mediashop ou aux fournisseurs indiqués par cette dernière. Selon M. Richard, la
société Télésélection sefforçait de développer des relations commerciales
avec dautres fournisseurs et avait approché TF1 afin de négocier un contrat
lui permettant dêtre approvisionnée en produits vus dans lémission
« Téléshopping », similaire à celui relatif aux produits de
lémission « M6 Boutique ».
Selon les déclarations de M. Richard, des problèmes
seraient rapidement apparus dans lexécution du contrat de distribution passé avec
la société Mediashop, les délais de livraison prévus nayant jamais été
respectés. A partir de juillet 1995, les livraisons auraient été de plus en plus
mal assurées et les relations avec la société Home Shopping Service se seraient
dégradées. M. Richard assure quun responsable de la société Home Shopping
Service lui aurait communiqué la liste des fournisseurs en lui conseillant de
sadresser directement à eux. Il soutient que beaucoup de ces fournisseurs ont
cependant refusé de le livrer en objectant quil ne faisait pas partie du réseau
M6.
La société Mediashop a ensuite dénoncé en septembre 1995 le
contrat de distribution passé avec Télésélection. M. Oudet explique cette
dénonciation par le fait que la gérante de la boutique M6 Club à Bordeaux a
constaté que la boutique Télésélection de lagglomération bordelaise diffusait
en boucle sur des moniteurs vidéo, non seulement le film de présentation du produit,
fourni par la société Mediashop conformément au contrat, mais aussi des enregistrements
de lémission « M6 Boutique » diffusée sur M6, sur lesquels
apparaissaient clairement les logos M6 et M6 Boutique et les animateurs de
lassociation. Considérant que cette utilisation des émissions « M6
Boutique » était tout à fait contraire à lesprit du contrat de
distribution, la société Mediashop a rompu ses relations commerciales avec
Télésélection et les sociétés Métropole Télévision M6 et M6 Interactions
ont engagé des poursuites contre cette société.
2. Les actions en justice engagées
par les sociétés Métropole Télévision M6 et M6 Interactions
Au cours du mois de septembre 1995, à la
demande de M6 et de M6 Interactions, des huissiers se sont rendus dans sept magasins
à lenseigne Télésélection. Le 29 septembre 1995, une perquisition
effectuée au siège de la société Télésélection, à la demande de M6 et de
M6 Interaction, a permis à lhuissier de conclure que certaines cassettes
vidéo diffusées dans ces boutiques contenaient des enregistrements de lémission
« M6 Boutique » et que les prix pratiqués par le réseau
Télésélection étaient les mêmes que celui annoncé dans cette émission. M6 et
M6 Interaction ont ensuite, le 19 octobre 1995, assigné la société
Télésélection et les concessionnaires du réseau devant le tribunal de grande instance
de Toulon pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale et parasitaire. Ces
sociétés constataient de plus que Télésélection dénigrait le téléachat dans la
publicité destinée à recruter de nouveaux concessionnaires.
Par jugement du 4 novembre 1996, le président du tribunal de
grande instance de Toulon, à la demande de la société Télésélection, a sursis à
statuer en attendant la décision du Conseil de la concurrence.
Au vu des poursuites engagées par M6, les concessionnaires du
réseau se sont retournés contre Télésélection en protestant que cette société leur
avait assuré avoir le soutien de la chaîne de télévision. Ils ont refusé de payer les
droits prévus par le contrat de concession, entraînant la cessation dactivité de
la société Télésélection.
3. Le litige opposant la société Télésélection
et la société Téléshopping
Le 5 octobre 1995, la société Téléshopping
a assigné la société Financière Inforter devant le tribunal de grande instance de
Nanterre en contrefaçon de marques et concurrence déloyale et parasitaire ; ayant
ensuite appris que la société Financière Inforter avait cédé sa branche
dactivité de développement de réseau de vente, elle a, les 13, 14, 15,
20 février et 1er mars 1996, assigné la société Télésélection,
avec dautres entreprises, devant la même juridiction et aux mêmes fins que la
société Financière Inforter ; la société Télésélection a demandé
reconventionnellement lallocation de dommages et intérêts pour procédure
abusive ;
Le tribunal de grande instance de Nanterre a débouté les deux
parties le 7 septembre 1998 : la société Téléshopping, au motif que « celle-ci,
à laudience de plaidoiries, ne versait aux débats aucun dossier, aucune pièce à
lappui de ses prétentions », la société Télésélection, au motif
quelle nétablissait pas que « la procédure aurait eu pour seul but
de lui interdire dexister sur le marché et quelle aurait subi un préjudice
de 2 000 000 francs, que ce préjudice nest démontré par aucun
document, aucun moindre commencement de preuve ; que par ailleurs elle ne prouve pas
que la procédure aurait été engagée de façon abusive et quil ny a lieu à
dommage et intérêts de ce chef ».
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS
QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL,
Considérant que la société Télésélection,
dans la saisine déposée devant le Conseil, conteste les accusations de contrefaçon de
marque et de concurrence déloyale et parasitaire portées contre elle par les sociétés
Téléshopping, M6 et M6 Interactions ; quelle soutient que les sociétés
Téléshopping, M6 et M6 Interactions, qui détiennent le monopole des émissions de
téléachat, ont abusé de leur position dominante sur le marché connexe de la vente de
produits ayant fait lobjet dune émission de téléachat en poursuivant la
société Télésélection en justice et en interrompant leurs relations contractuelles
avec elle ;
Considérant, cependant, que laccès au juge est un droit
fondamental ; que le fait pour une entreprise qui occuperait une position dominante
dintenter une action en justice ne saurait être qualifié de pratique
anticoncurrentielle que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, lorsque
laction ne vise manifestement pas à faire valoir ce que lentreprise peut
légitimement considérer comme étant son droit et quelle est conçue dans le cadre
dun plan ayant pour but déliminer, par ce harcèlement, la concurrence ;
Considérant que les sociétés M6 et Téléshopping peuvent
raisonnablement estimer être titulaires, sur les marques « M6 », « M6
Boutique » et « Téléshopping » quelles ont déposées à
lINPI, des droits qui leur sont conférés par larticle L. 713-2 du code
de la propriété intellectuelle, et être fondées à les défendre devant les tribunaux
compétents ; que, dès lors, et sans quil y ait lieu de se prononcer sur le
mérite des demandes de ces sociétés, dont lappréciation relève du seul juge
compétent, les actions en justice concernées ne sauraient être analysées comme des
abus, peu important, à cet égard ; quil nest donc pas nécessaire de
rechercher si lune ou lautre de ces entreprises était, à lépoque des
faits, en situation dominante sur un marché pertinent au regard de lactivité
exercée par la société Télésélection ;
Considérant, par ailleurs, que le fait pour plusieurs entreprises
dagir en justice de concert contre une tierce entreprise ne pourrait également
être qualifié de pratiques anticoncurrentielle que dans des circonstances tout à fait
exceptionnelles ; quen tout état de cause, il nest pas établi que les
actions en justice engagées, à quatorze jours dintervalle, par M6 et M6
Interactions, dune part, et par Téléshopping, dautre part, aient fait
lobjet dune concertation, le simple parallélisme de comportement étant, en
labsence dautres éléments, insuffisant pour établir lexistence
dune entente ; que ce parallélisme peut, en effet, résulter de prises de
décisions identiques, mais indépendantes, dentreprises réagissant dans le même
contexte, en loccurence la mise en place du réseau de magasins Télé
Sélection ;
Considérant, de même, quaucun élément du dossier ne
permet de considérer que la dénonciation, également motivée par la défense du droit
de la propriété intellectuelle, par la socité Mediashop du contrat de distribution
signé avec Télésélection le 27 janvier 1995 aurait eu un objet ou un effet
concurrentiel ; quen conséquence, la rupture de ce contrat et larrêt
des livraisons au réseau Télésélection qui en est résulté relèvent dun litige
commercial étranger au champ dapplication du titre III de lordonnance du
1er décembre 1986 susvisée ;
Considérant quil résulte de ce qui précède que les faits
dénoncés ne peuvent être considérés comme des pratiques prohibées par le
titre III de lordonnance du 1er décembre 1986 susvisée et
quil y a donc lieu de faire application des dispositions de larticle 20
de lordonnance du 1er décembre 1986,
Décide :
Article unique. - Il ny a pas
lieu de poursuivre la procédure.
Délibéré, sur le rapport de Mme Mouy, par
Mme Hagelsteen, présidente, Mmes Boutard-Labarde, Flüry-Herard,
MM. Lasserre, Nasse, Robin, membres.
Le secrétaire de séance, Sylvie Grando |
La présidente, Marie-Dominique Hagelsteen |
© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie- 27
mars 2000