S’agissant plus généralement des personnes
morales de droit public, la jurisprudence judiciaire a longtemps
répondu par la négative à cette
question.
Dans un arrêt de principe du 13 janvier 1960, la chambre criminelle de
la Cour de cassation avait jugé qu’une commune n’était pas
fondée à évoquer un préjudice moral à raison d’une violation de
règlements
municipaux.
Concernant plus particulièrement l’Etat, la chambre criminelle de la
Cour de cassation avait précisé dans un arrêt du 18 février 1998, à l’occasion d’une affaire relative à une loterie
publicitaire illicite réalisée à l’aide de documents utilisant
l’en-tête de la trésorerie générale, que l’Etat ne pouvait
obtenir la réparation d’un préjudice moral à raison d’une
infraction, au motif que « le préjudice moral allégué ne se
distinguait pas du trouble social que réparait l’exercice de
l’action publique
».
Dans la droite ligne de cette jurisprudence, la cour d’appel de Pau,
dans un arrêt du 10 septembre 2009, dans l’affaire dire de l’ourse Cannelle, dernier ours
pyrénéen de souche, malencontreusement abattu par un chasseur, avait
considéré que « le préjudice moral de l’agent judiciaire du
Trésor, représentant l’Etat, n’apparaît pas distinct de
l’atteinte portée à l’intérêt général de la société dont la
réparation est assurée par l’exercice de l’action publique
».
Néanmoins, la cour d’appel d’Aix en Provence, dans un arrêt
novateur du 15 mai 2002, dans une importante affaire de corruption, de
favoritisme et de faux commis au préjudice de l’Etat, avait pour la
première fois accordé à l’agent judiciaire du Trésor, devenu
l’agent judiciaire de l’Etat depuis un décret n° 2012- 985 du 23
août 2012, réparation de son préjudice moral, au motif que « les
infractions reprochées aux prévenus, agents de l’Etat, jettent le
discrédit sur la fonction publique toute entière, affaiblissent
l’autorité de l’Etat dans l’opinion publique et lui causent un
préjudice personnel direct
».
Cette solution a été approuvée par la chambre criminelle de la Cour
de cassation dans un arrêt du 10 mars 2004.
Deux ans plus tard, dans un arrêt du 4 mai 2006 relatif à l’affaire dite de l’arsenal de Toulon où
des faits de favoritisme avaient été commis par un agent de l’Etat
et une personne privée, la chambre criminelle de la Cour de cassation
a confirmé la réparation du préjudice moral de l’Etat, à la somme
de 10 000€, au motif que les infractions commises par les prévenus
« ont jeté le discrédit sur l’ensemble des personnels civils et
militaires du ministère de la défense et constituent un facteur
d’affaiblissement de l’autorité de l’Etat dans l’opinion
publique ». Ainsi, le principe de l’existence d’un préjudice
moral pour l’Etat était
consacré.
Depuis lors, les juridictions du fond admettent régulièrement
l’existence d’un préjudice moral pour l’Etat, que parfois elles
qualifient de préjudice
économique.
C’est ainsi que le tribunal correctionnel de Bobigny, dans un
jugement du 26 mai 2011, a considéré
que « l’Etat est fondé à demander réparation de son préjudice
moral résultant des délits d’extorsion de fonds commis par des
agents dans l’exercice de leurs fonctions, dès lors que ces
agissements sont détachables de la fonction à l’occasion de
laquelle ils ont été commis, jettent le discrédit sur l’ensemble
de la fonction publique, affaiblissent l’autorité de l’Etat dans
l’opinion publique et causent un préjudice distinct de l’atteinte
à l’intérêt social et ce d’autant plus que cette affaire a été
largement médiatisée
».
Plus récemment, la cour d’appel de Riom, dans un arrêt du 11 juin
2015 relatif à une affaire de
fouilles archéologiques sans déclaration ni autorisation préalables,
a jugé que « le remblaiement du souterrain ainsi que l’ampleur des
fouilles, [...] établie sans qu’il soit justifié que ces
interventions aient été menées par des personnes techniquement
qualifiées, laissent largement supposer que des dégâts
irrémédiables ont pu être commis [...], ce qui constitue en soi un
préjudice moral indemnisable, outre le fait que l’autorité de la
DRAC a été contournée
».
Tout dernièrement, dans un jugement non définitif du 11 septembre
2015, le tribunal correctionnel de Lyon, dans une affaire de
détournement de fonds publics par un greffier en chef, a retenu
l’existence d’un préjudice économique pour l’Etat, résultant
des agissements imputables à la prévenue qui ont incontestablement
porté atteinte au crédit de l’Etat et de l’autorité judiciaire
et plus particulièrement à la confiance qu’ont les justiciables
envers
celle-ci.
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