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L’Etat peut-il se prévaloir de l’existence d’un préjudice moral?


Jean-Paul BESSON,

Sous-directeur du droit privé et du droit pénal
de la Direction des affaires juridiques (DAJ) des ministères économiques et financiers

En application des articles 2 et 3 du code de procédure pénale, l’action civile devant une juridiction répressive est ouverte à tous ceux qui ont personnellement et directement souffert d’un dommage matériel, corporel ou moral découlant de faits pénalement répréhensibles, qu’il s’agisse d’une contravention, d’un délit ou d’un crime. C
es dispositions concernent aussi bien les personnes physiques que les personnes morales. Mais ont-elles vocation à s’appliquer également à l’Etat ?

S’agissant plus généralement des personnes morales de droit public, la jurisprudence judiciaire a longtemps répondu par la négative à cette question.

Dans un arrêt de principe du 13 janvier 1960, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait jugé qu’une commune n’était pas fondée à évoquer un préjudice moral à raison d’une violation de règlements municipaux.

Concernant plus particulièrement l’Etat, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait précisé dans un arrêt du 18 février 1998, à l’occasion d’une affaire relative à une loterie publicitaire illicite réalisée à l’aide de documents utilisant l’en-tête de la trésorerie générale, que l’Etat ne pouvait obtenir la réparation d’un préjudice moral à raison d’une infraction, au motif que « le préjudice moral allégué ne se distinguait pas du trouble social que réparait l’exercice de l’action publique ».

Dans la droite ligne de cette jurisprudence, la cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 10 septembre 2009, dans l’affaire dire de l’ourse Cannelle, dernier ours pyrénéen de souche, malencontreusement abattu par un chasseur, avait considéré que « le préjudice moral de l’agent judiciaire du Trésor, représentant l’Etat, n’apparaît pas distinct de l’atteinte portée à l’intérêt général de la société dont la réparation est assurée par l’exercice de l’action publique ».

Néanmoins, la cour d’appel d’Aix en Provence, dans un arrêt novateur du 15 mai 2002, dans une importante affaire de corruption, de favoritisme et de faux commis au préjudice de l’Etat, avait pour la première fois accordé à l’agent judiciaire du Trésor, devenu l’agent judiciaire de l’Etat depuis un décret n° 2012- 985 du 23 août 2012, réparation de son préjudice moral, au motif que « les infractions reprochées aux prévenus, agents de l’Etat, jettent le discrédit sur la fonction publique toute entière, affaiblissent l’autorité de l’Etat dans l’opinion publique et lui causent un préjudice personnel direct ».

Cette solution a été approuvée par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 10 mars 2004.

Deux ans plus tard, dans un arrêt du 4 mai 2006 relatif à l’affaire dite de l’arsenal de Toulon où des faits de favoritisme avaient été commis par un agent de l’Etat et une personne privée, la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé la réparation du préjudice moral de l’Etat, à la somme de 10 000€, au motif que les infractions commises par les prévenus « ont jeté le discrédit sur l’ensemble des personnels civils et militaires du ministère de la défense et constituent un facteur d’affaiblissement de l’autorité de l’Etat dans l’opinion publique ». Ainsi, le principe de l’existence d’un préjudice moral pour l’Etat était consacré.

Depuis lors, les juridictions du fond admettent régulièrement l’existence d’un préjudice moral pour l’Etat, que parfois elles qualifient de préjudice économique.

C’est ainsi que le tribunal correctionnel de Bobigny, dans un jugement du 26 mai 2011, a considéré que « l’Etat est fondé à demander réparation de son préjudice moral résultant des délits d’extorsion de fonds commis par des agents dans l’exercice de leurs fonctions, dès lors que ces agissements sont détachables de la fonction à l’occasion de laquelle ils ont été commis, jettent le discrédit sur l’ensemble de la fonction publique, affaiblissent l’autorité de l’Etat dans l’opinion publique et causent un préjudice distinct de l’atteinte à l’intérêt social et ce d’autant plus que cette affaire a été largement médiatisée ».


Plus récemment, la cour d’appel de Riom, dans un arrêt du 11 juin 2015 relatif à une affaire de fouilles archéologiques sans déclaration ni autorisation préalables, a jugé que « le remblaiement du souterrain ainsi que l’ampleur des fouilles, [...] établie sans qu’il soit justifié que ces interventions aient été menées par des personnes techniquement qualifiées, laissent largement supposer que des dégâts irrémédiables ont pu être commis [...], ce qui constitue en soi un préjudice moral indemnisable, outre le fait que l’autorité de la DRAC a été contournée ».


Tout dernièrement, dans un jugement non définitif du 11 septembre 2015, le tribunal correctionnel de Lyon, dans une affaire de détournement de fonds publics par un greffier en chef, a retenu l’existence d’un préjudice économique pour l’Etat, résultant des agissements imputables à la prévenue qui ont incontestablement porté atteinte au crédit de l’Etat et de l’autorité judiciaire et plus particulièrement à la confiance qu’ont les justiciables envers celle-ci.