Avis numéro 17-4 relatif à une demande d’avis sur la possibilité pour des opérateurs de prévoir, dans leurs accords contractuels, que la date de réalisation de la vente correspond à la « livraison » selon la définition donnée par l’Incoterm applicable

 

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 5 août 2016, sous le numéro 16-48, par laquelle un cabinet d’avocats demande à la Commission si des opérateurs économiques peuvent prévoir, dans leurs accords contractuels, que la date de réalisation de la vente au sens de l’article L. 441-3 du code de commerce est la date de « livraison » définie par l’Incoterm. Il s’agirait ainsi de mieux encadrer la date d’émission de la facture en s’appuyant sur les Incoterms qui définissent, au niveau international, la livraison ou la prise en charge, notamment sur l’Incoterm FOB ou Free On Board (Franco à bord).

Vu les articles L440-1 et D440-1 à D440-13 du code de commerce ;

Les rapporteurs entendus lors de sa séance plénière du 2 mars 2017 ;

Réponse :

 

Résumé

Sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux quant à la notion de « réalisation de la vente », les parties peuvent prévoir contractuellement qu’en application des dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce la facture doit être émise à la date de « livraison » définie par l’Incoterm, c’est-à-dire à la date de la remise de la marchandise à bord du navire au port du départ dans le cadre de l’Incoterm FOB. Cette date fera ainsi courir le délai de paiement légal conventionnel.

La législation fiscale autorise le vendeur à émettre la facture au moment de la « livraison », au sens de l’Incoterm FOB, dans la mesure où la remise matérielle des biens (en l’espèce, la livraison à bord) est effectuée dans le mois suivant la date où le transfert du pouvoir de disposer de ces biens comme un propriétaire est intervenu. Dans le cas contraire, la facture doit être émise dans le mois suivant la date prévue au contrat relative au transfert du pouvoir de disposer de ces biens comme un propriétaire.

Les règles concernant la date d’émission de la facture sont définies par l’article L. 441-3 du code de commerce mais aussi par les articles 256 et 289 du code général des impôts. Cette date d’émission permet en effet de déterminer le point de départ des délais de paiement légaux ainsi que la date d’exigibilité de la TVA. Dans ce cadre, il sera traité du cas plus spécifique de la date d’émission de la facture lorsque le contrat de vente est régi par des Incoterms, en particulier l’Incoterm FOB.

I/ La date d’émission de la facture : principes généraux

1. La facture doit être émise dès la réalisation de la vente en application du droit commercial

Le deuxième alinéa de l’article L. 441-3 du code de commerce précise que « le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service ».

En l’absence d’interprétation de la notion de « réalisation de la vente » par la jurisprudence, il est admis de considérer que celle-ci peut coïncider avec le transfert de propriété. Ainsi, l’émission d’une facture dès la date de transfert de propriété des marchandises apparaît légale. Toutefois, la facture est souvent émise par le vendeur à la livraison des marchandises, sans que cette pratique n’ait été sanctionnée par les tribunaux. 

La jurisprudence constante en matière commerciale retient que la livraison consiste en la remise matérielle de la marchandise à l’acheteur (ou son commissionnaire ou mandataire) qui l’accepte ou qui est mis en demeure d’en vérifier l’état (quitte à assortir son acceptation de réserves), puis d’en prendre effectivement possession[1].

Ainsi, en application des dispositions du code de commerce et sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, le fournisseur apparaît pouvoir émettre sa facture dès la date de transfert de propriété des marchandises vendues ou dès la date de leur remise matérielle à son acheteur.

2. La facture doit être émise dès la réalisation de la livraison en application du droit fiscal

Le premier alinéa de l’article 289-I-3° du code général des impôts dispose que « la facture est, en principe, émise dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de services. » Le 1° du II de l’article 256 du même code précise que : « est considéré comme livraison d’un bien, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire ».

Le 3° du II de l’article 256  de ce code prévoit par ailleurs que sont également considérés comme livraisons de bien « la remise matérielle d’un bien meuble corporel en vertu d’un contrat qui prévoit la location de ce bien pendant une certaine période ou sa vente à tempérament et qui est assorti d’une clause selon laquelle la propriété de ce bien est normalement acquise au détenteur ou à ses ayants droits au plus tard lors du paiement de la dernière échéance » ou « la remise d’un bien meuble corporel en vertu d’un contrat de vente qui comporte une clause de réserve de propriété ».

La direction générale des finances publiques précise également : « Pour les livraisons de biens meubles corporels, dont le fait générateur intervient lors du transfert de propriété, il est admis que la facture ne soit établie qu'au moment de la remise du bien au client, lorsque celle-ci intervient dans un court délai après la réalisation du fait générateur. Ce délai doit être en tout état de cause inférieur à un mois. À défaut, la facture doit être établie sans attendre la remise matérielle, c’est-à-dire au plus tard dans le mois suivant l’échange des consentements (dans le mois suivant la conclusion du contrat). Sous le bénéfice de cette précision, la facture doit être émise au plus tard lors de la remise du bien au client, c'est-à-dire :

  • le jour de l'enlèvement par le client ou le jour de l'expédition lorsque le transport est effectué par un transporteur agissant pour le compte de l'acheteur ;
  • le jour de la réception par le client lorsque le transport est effectué par le vendeur ou par un transporteur agissant pour son compte[2]. »

Ainsi, en application des dispositions fiscales, la facture doit être émise dès le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire ; il est cependant admis qu’elle ne soit établie qu’au moment de la remise de ce bien lorsque celle-ci intervient moins d’un mois après la date à laquelle l’acheteur peut disposer de celui-ci comme un propriétaire.

II/ La date d’émission de la facture : cas des contrats régis par des Incoterms

Les Incoterms déterminent les obligations réciproques du vendeur et de l'acheteur dans le cadre d'un contrat d'achat/vente international. Ils fixent le point de départ des transferts de risque et de frais mais ne définissent pas le moment où la propriété est transférée.

S’agissant de l’Incoterm FOB ou Free On Board (Franco à bord), l’article L. 5424-5 du code des transports prévoit que « Toute clause "franco à bord" oblige le vendeur à livrer à bord du navire. » La direction générale des douanes et droits indirects précise  ainsi: « La marchandise est livrée sur le navire désigné par l'acheteur. Aux termes des règles 2010, la notion de passage de bastingage qui matérialisait jusqu'alors le transfert de risque a disparu. Désormais, le transfert de risque et de frais s'opère quand la marchandise a été livrée sur le navire. Le vendeur règle les frais de transport jusqu'au port d'embarquement, ainsi que les frais de chargement et effectue les formalités d'exportation, acquitte les frais, droits et taxes liés à ces formalités. »[3]

Ainsi, lorsqu’une vente au départ est soumise à l’Incoterm FOB, les marchandises sont réputées remises au client ou à son représentant lorsqu’elles sont placées à bord du navire au port du départ et non pas lors de la livraison des marchandises sur le port ; il peut donc être considéré que la facture doit alors être émise, conformément aux exigences de l’article L. 441-3 du code de commerce, dès la remise de la marchandise à bord du navire, dès lors que l’acheteur, ou son mandataire ou son commissionnaire, l’accepte ou est mis en mesure d’en vérifier l’état et en prend effectivement possession. En application de la doctrine fiscale, il convient aussi de prendre en compte la date à laquelle intervient, entre le vendeur et l’acheteur, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire compte tenu du fait que le délai entre celle-ci et la date de remise du bien au client doit être inférieur à un mois.

En conclusion, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux quant à la notion de « réalisation de la vente », les parties peuvent prévoir dans leur contrat que la date de réalisation de la vente au sens de l’article L. 441-3 du code de commerce est la date de livraison définie par l’Incoterm. Toutefois, les parties devront également tenir compte des dispositions fiscales qui prévoient que, sauf cas dérogatoires, la facture peut être émise à la date de la remise matérielle des biens lorsque celle-ci est effectuée dans le mois suivant la date où le transfert du pouvoir de disposer de ceux-ci comme un propriétaire est intervenu. Dans le cas contraire, la facture doit être émise dans le mois suivant la date relative au transfert du pouvoir de disposer de ces biens comme un propriétaire qui est prévue au contrat.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 2 mars 2017, présidée par Madame Annick LE LOCH

Fait à Paris, le 2 mars 2017,
La présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales

 

Annick LE LOCH

 


[1] Cf. Cour de Cassation, chambre commerciale, 17 novembre 1992 - n° de pourvoi n° 90-22147.

[2] Cf. Bulletin Officiel des Finances Publiques-impôts – Identifiant juridique : BOI-TVA-DECLA-30-20-10-20140113 – date de publication : 13/01/2014 – TVA-Régimes d’imposition et obligations déclaratives et comptables – Règles relatives à l’établissement des factures – Délivrance de factures.

[3] Cf. site internet de la direction générale des douanes et droits indirects : www.douane.gouv.fr/articles/a10836-incoterms-pour-une-meilleure-perform….