La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 12 avril 2016, sous le numéro 16-28, par laquelle une fédération professionnelle dans le secteur de l’accompagnement des transports exceptionnels sollicite l’avis de la Commission sur les conditions générales d’achat imposées par un groupe.
Vu les articles L440-1 et D440-1 à D440-13 du code de commerce ;
Les rapporteurs entendus lors de sa séance plénière du 19 janvier 2017 ;
La CEPC n’est pas en mesure de se prononcer, sur la base des informations contenues dans la saisine, sur la conformité des conditions générales d’achat (CGA) du groupe A aux règles du code de commerce.
Cependant, elles pourraient contrevenir à ces règles si elles conduisent, le cas échéant, à l’exclusion des conditions générales de vente (CGV) et si elles ne permettent pas une négociation véritable entre les parties et, en cas de relations commerciales établies, donnent lieu à une menace de rupture de ladite relation afin d’obtenir des conditions abusives concernant les prix (article L442-6-I, 4°) ou, plus généralement à un déséquilibre significatif (article L442-6, I, 2°), voire à l’imposition des prix du service avant la passation de commande sans engagement de volume (en cas de recours régulier au même fournisseur : article L442-6-I, 3°).
1. Objet de la saisine.
Une fédération dans le secteur de l’accompagnement des transports exceptionnels regroupe depuis 2011 des professionnels (voitures pilotes et guideurs motos).
La fédération alerte les pouvoirs publics (DREAL, préfectures, ministères) sur les abus, manquements et incohérences constatés sur le terrain qui menacent la sécurité des usagers de la route mais aussi des personnels d’accompagnement.
Elle saisit la CEPC au sujet des conditions générales d’achat qu’impose le groupe A aux entreprises et indépendants auxquels ce groupe sous traite l’accompagnement de ses convois exceptionnels.
Ces conditions imposées unilatéralement lui paraissent abusives et sujettes à compromettre son activité :
- parce qu’elles sont très mal rédigées, très peu lisibles et sujettes à interprétation
- parce que le rédacteur semble confondre amplitude et temps de travail
- parce que le rédacteur prétend appliquer à « ses » guideurs et voitures pilotes des règles sur la disposition de temps libre qu’il ne voudrait certainement pas s’appliquer à lui-même
- parce que ce sont des conditions « générales » qui nient le droit du travail
- parce que ce sont des conditions « générales » à caractère léonin.
L’auteur de la saisine présente les conditions générales actualisées s’appliquant automatiquement aux voitures pilotes et sociétés de guidage travaillant pour le compte du groupe A.
Les conditions générales d’achat sont les suivantes :
« *L’entreprise A souhaite être informée de la durée réelle des prestations d’escorte et de guidage faites pour son compte. Pour cela il est notamment demandé de faire une « fiche de suivi » détaillée avec les horaires de début et fin de service jour par jour. Cette feuille de route doit être signée par le prestataire affrété et par le chef de convoi. Cette feuille de route sera envoyée par fax ou par mail au maximum le week-end suivant la fin de la prestation.
« *L’entreprise A refuse que le prestataire ré-affrète l’escorte une fois que celle-ci a été attribuée par ses soins (sauf accord de sa part).
« *Dès que les tarifs évoluent, une grille tarifaire à jour doit être transmise à l’entreprise A dans les plus brefs délais. Sans quoi l’entreprise se réserve le droit de refuser toute hausse tarifaire.
« *L’entreprise A n’accepte de régler ni les frais d’approches ni les frais de retour : le tarif convenu avec le prestataire les comprend.
« *Les frais de péage sont à la charge de la VP (ou moto) tout comme les frais de nourriture et d’hébergement.
« *Pour chaque convoi il pourra vous être demandé d’aider le chauffeur (bâchage…) ; ces prestations sont comprises dans le prix journée, ½ journée ou nuit.
« *En cas d’attente, si le chef du convoi vous indique que le prestataire est libre de telle heure à telle heure (temps de repos, restaurant, coupure, attente avant traversée de ville…), il dispose de son temps comme bon lui semble et ce temps ne lui sera donc pas payé. Par contre, si le temps d’attente n’est pas connu et que le prestataire reste près du conducteur pour repartir dès que possible, il sera dans ce cas payé.
« *Lors des pauses déjeuners et interruptions obligatoires de conduite du chauffeur, le prestataire n’est pas payé car durant ces périodes il est libre d’utiliser ce temps comme bon lui semble.
« Exemple 1 : « vous entamez votre journée à 8 heures et que vous la terminez à 20 heures. Cela représente 12 heures d’amplitude. Mais ce jour-ci votre déjeuner a duré 2 heures, votre amplitude de travail sera de 10 heures, vous n’avez donc pas dépassé l’amplitude journalière de travail. Vous serrez donc payé au tarif jour normal ».
« Exemple 2 : « coupure obligatoire conducteur de 45 minutes, vous n’êtes pas payé durant cette période car vous disposez librement de votre temps ».
« Le prix à la journée inclut : au maximum 10 heures d’amplitude par jour.
« Le prix à la ½ journée inclut : au maximum 5 heures d’amplitude par jour (basculement en forfait journée complète si dépassement).
« Voiture pilote :
« -forfait nuit complète (10 heures d’amplitude maximum comprises entre 21 heures et 6 heures) : prix forfait jour + 50 €
« - forfait ½ nuit (5 heures de travail comprises entre 21 heures et 6 heures) : prix forfait ½ journée + 50 €
« - forfait 10 heures d’amplitude maximum à cheval sur jour et nuit : forfait jour + 6 € / heure de nuit
« - forfait 5 heures d’amplitude maximum à cheval sur jour et nuit : forfait ½ journée + 6 € / heure de nuit
« - forfait 2 heures (pour une fin de convoi) : votre tarif ½ journée divisé par 2 + forfait 20 € si heures de nuit (exemple : si vous êtes à 200 € la ½ journée, tarif ½ jour / 2 = 100 € donc vous êtes payé 50 € de l’heure et 60 € si heures de nuit)
« - en cas de dépassement du forfait 10 heures (sans empiétement heure de nuit) : + 20 € de l’heure
« - en cas de dépassement du forfait 10 heures (avec empiétement heure de nuit) : + 30 € de l’heure
« - en cas d’annulation de convoi (inférieur ou égal à 6 heures avant début convoi) : votre tarif ½ journée
« - en cas d’annulation de convoi (supérieur ou égal à 6 heures avant début convoi) : pas de dédommagement.
« Moto de guidage :
« - forfait nuit complète (10 heures d’amplitude maximum comprises entre 21 heures et 6 heures) : prix forfait jour + 90 €
« - forfait ½ nuit (5 heures de travail comprises entre 21 heures et 6 heures) : prix forfait ½ journée + 90 €
« - forfait 10 heures d’amplitude maximum à cheval sur jour et nuit : forfait jour + 10 € / heure de nuit
« - forfait 5 heures d’amplitude maximum à cheval sur jour et nuit : forfait ½ journée + 10 € / heure de nuit
« - forfait 2 heures (pour une fin de convoi) : votre tarif ½ journée divisé par 2 + forfait 50 € si heures de nuit (exemple : si vous êtes à 400 € la ½ journée, tarif ½ jour / 2 = 200 € donc vous êtes payé 100 € de l’heure et 110 € si heures de nuit)
« - en cas de dépassement du forfait 10 heures (sans empiétement heure de nuit) : + 40 € de l’heure
« - en cas de dépassement du forfait 10 heures (avec empiétement heure de nuit) : + 50 € de l’heure
« - en cas d’annulation de convoi (inférieur ou égal à 6 heures avant début convoi) : votre tarif ½ journée
« -en cas d’annulation de convoi (supérieur ou égal à 6 heures avant début convoi) : pas de dédommagement.
« Remarque : certains prestataires ont convenu des tarifs spéciaux avec la société A pour des trajets spécifiques. Si cela est votre cas, les accords priment et ces dispositions s’appliqueront si rien n’avait été prévu avec le prestataire.
« Toute acceptation de commande entraîne automatiquement une acceptation des conditions ci-dessus et l’engagement à les respecter et/ou à les faire respecter aux salariés, aux associés ou à toute autre personne que le prestataire peut exceptionnellement être amené à affréter pour le compte de la société A ».
2. Analyse de la saisine.
La saisine soulève de nombreuses questions dont toutes ne relèvent pas des compétences de la CEPC (code de la route et législation du travail en particulier).
Il est néanmoins utile de comprendre que le marché de l’accompagnement des convois exceptionnels est un marché libéralisé récemment (2011) de sorte que les acteurs de ce marché sont encore en train de chercher à s’organiser avec un grand nombre de petites structures qui peuvent se retrouver face à de « gros acheteurs » et à leurs conditions générales d’achat.
A propos des textes applicables à cet accompagnement des convois exceptionnels, on se référera en particulier au décret n°2011-335 du 28 mars 2011 relatif à l’accompagnement des transports exceptionnels, issu de la révision générale des politiques publiques en matière de transport routier (codifié aux articles R. 433-17 et suivants du code de la route), qui confie la mission d’accompagnement de convois exceptionnels à des personnels privés, qui ont reçu une formation adéquate, en lieu et place des motards de la gendarmerie ou de la police nationale qui assumaient, auparavant, cette mission. Depuis le 3 juin 2013, l’activité des « services d’accompagnement de convois routiers exceptionnels (guidage, protection et sécurité de circulation) » a été ajoutée par l’INSEE à la sous-classe correspondant aux services auxiliaires des transports terrestres. Concernant les compétences conférées aux « guideurs », ces derniers sont chargés de mettre en œuvre les mesures de circulation indiquées dans l’arrêté préfectoral autorisant le transport exceptionnel.
L’arrêté interministériel modifié du 4 mai 2006 relatif aux transports exceptionnels de marchandises d’engins ou de véhicules et ensembles de véhicules comportant plus d’une remorque prévoit une signalisation et un équipement des véhicules qui les rendent reconnaissables par les autres usagers de la route. Le même arrêté fixe les détails relatifs à l’encadrement juridique du dispositif d’accompagnement, y compris en matière de droit social (article 13). On comprend notamment que les conducteurs de ces convois sont soumis aux mêmes règles en matière de temps de pause que les autres formes de transports routiers « non exceptionnels ». Il apparait également que le chef de convoi a toute autorité sur le convoi, y compris sur les véhicules d’accompagnement.
L’activité semble donc bien encadrée (même si différents documents en provenance du Ministère des transports pointent du doigt le manque de respect de la réglementation du travail). Il semble notamment utile de souligner que l’accompagnement des transports exceptionnels est soumis aux mêmes règles que le transport routier de marchandises « classique » et notamment à l’article L. 1431-1 du code des transports, selon lequel : « Les conditions dans lesquelles sont exécutées les opérations de transport public, notamment la formation des prix et tarifs applicables et les clauses des contrats de transport, permettent une juste rémunération du transporteur assurant la couverture des coûts réels du service rendu dans des conditions normales d’organisation et de productivité ».
Il conviendrait par ailleurs de pouvoir vérifier s’il existe des règles spécifiques en matière de tarification (notamment tarifs de nuit). Il existe en principe une majoration de la rémunération des conducteurs pour travail de nuit (entre autres, toute heure de nuit réalisée entre 21 heures et 6 heures donne lieu à une prime horaire qui s’ajoute à la rémunération effective). Toute entreprise bien gérée se doit de prendre en compte ce paramètre dans la construction de son tarif.
A la lecture de la saisine, la question susceptible d’être débattue serait essentiellement celle de la tarification « imposée » par le groupe A aux entreprises et indépendants auxquels ce groupe sous traite l’accompagnement de ses convois exceptionnels.
A cet égard plusieurs points méritent d’être rappelés :
- On ne peut pas reprocher à un cocontractant d’être en position de force, dès lors qu’il n’en abuse pas (par exemple au regard de l’article L442-6, I, 2° et 3°, voire 4° du code de commerce, le cas échéant) ;
- Les conditions générales de vente (CGV) constituent le socle unique de la négociation commerciale en application de L.441-6 du code de commerce (cf : CA Paris, 18/12/2013 et Cass, 27/05/2015, à propos des clauses prévoyant l’exclusion des conditions générales de vente des fournisseurs au profit des conditions générales d’achat de la SC GALEC : la Cour a notamment relevé « l’intangibilité de ces CGA, leur systématisation excluant toute négociation véritable », qui conduit à « l’inversement de la situation de négociation voulue par le législateur ») ;
- On ne peut déduire de la saisine que les fournisseurs ne disposent pas de CGV : en tout état de cause, les petites entreprises du secteur de l’accompagnement des convois exceptionnels disposent a minima de tarifs de prestation. Or, comme l’a relevé la CEPC dans un avis de 2004 : « Certes, les « conditions générales » du fournisseur ne fixent pas la totalité des conditions de la relation commerciale entre fournisseur et distributeur (…) Mais elles ne sauraient être globalement remises en cause par des conditions d’achat souvent qualifiées à tort de générales » (avis n°04-04 concernant certaines clauses contenues dans des conditions d’achat).
Cependant, les tribunaux ont reconnu qu’en l’absence de CGV, les CGA peuvent trouver à s’appliquer comme base de la négociation (Nîmes, 25 février 2010).
Il convient également de mentionner l’incidence éventuelle de la réforme du droit des obligations, en partie concernant le déséquilibre en cas de contrat d’adhésion (dans la mesure où, en l’espèce, les CGA sont d’application « automatique ») :
- article 1110 nouveau du code civil : « Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties. Le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties » ;
- article 1171 nouveau du code civil : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation » (souligné par nous).
Par conséquent, la CEPC n’est pas en mesure de se prononcer sur la base des informations contenues dans la saisine sur la conformité des CGA du groupe A aux règles du code de commerce.
Cependant, elles pourraient contrevenir à ces règles si elles conduisent, le cas échéant, à l’exclusion des CGV et si elles ne permettent pas une négociation véritable entre les parties et, en cas de relations commerciales établies, donnent lieu à une menace de rupture de ladite relation afin d’obtenir des conditions abusives concernant les prix (article L442-6-I, 4°) ou, plus généralement à un déséquilibre significatif (article L442-6-I, 2°), voire à l’imposition des prix du service avant la passation de commande sans engagement de volume (en cas de recours régulier au même fournisseur : article L442-6, I, 3°).
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 19 janvier 2017, présidée par Madame Annick LE LOCH
Fait à Paris, le 19 janvier 2017,
La présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales
Annick LE LOCH