La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 13 novembre 2014 sous le numéro 14-113, par laquelle un professionnel interroge la Commission sur la validité des conditions de révision du prix d’un abonnement.
Vu les articles L440-1 et D440-1 à D440-13 du code de commerce ;
Le rapporteur entendu lors de ses séances plénières des 26 mars et 21 mai 2015 ;
La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie par une entreprise afin de recueillir son avis sur la conformité au droit des conditions de révision du prix d’un abonnement mensuel acquitté au titre de prestations de conseil et reposant sur l’application d’une clause d’indexation. Aux termes des conditions générales acceptées lors de la conclusion du contrat, a été prévue une révision annuelle de plein droit du prix par application d’un indice en réalité supprimé antérieurement à la date du contrat. Cinq ans après, et alors que l’augmentation du prix de l’abonnement sur la période a été de près de 35 % sans que soit indiqué l’indice sur la base duquel la révision était effectuée, de nouvelles conditions générales ont été envoyées au client, faisant référence pour la révision automatique du prix à un nouvel indice, mais comportant également une stipulation en vertu de laquelle le prestataire « se réserve le droit de réviser le prix de l’abonnement à l’échéance de l’une quelconque des périodes de règlement si la consommation des services, y compris pour les synthèses (établies par le prestataire), n’était plus en adéquation avec le prix de l’abonnement indiqué aux conditions particulières, notamment au regard de la consommation moyenne observée pour les clients de même catégorie . A défaut d’accord du client sur le nouveau prix, (le prestataire) pourra procéder à la résiliation du contrat par lettre recommandée avec accusé de réception moyennant un préavis d’un mois ».
L’avis de la Commission portera successivement sur la tarification elle-même, puis sur l’indexation du prix.
sur la tarification
S’agissant de la tarification en elle-même, il convient de rappeler, à titre liminaire, qu’en droit français, le principe, énoncé à l’article L. 410-2 du code de commerce, est celui de la libre détermination des prix par le jeu de la concurrence et que la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a entendu restituer aux parties à la relation commerciale la liberté de négocier, notamment les prix, sous la réserve cependant des abus éventuels de cette liberté.
Dans la mesure où le client, en relation continue depuis cinq années, avec le prestataire de service, pourrait être considéré comme un « partenaire commercial », le prix de la prestation pourrait faire l’objet d’un contrôle sur le fondement de l’article L. 442-6-I-1° et 2° du code de commerce.
Tout d’abord, la rémunération perçue au titre de la prestation de service, est susceptible de contrevenir à l’article L. 442-6-I 1° qui vise le fait « d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ».
Certes, l’exposé des motifs du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques ayant introduit cette règle dans le droit français des pratiques restrictives indiquait à son propos : « ainsi, sera présumée constituer un avantage discriminatoire toute coopération commerciale ou toute forme de marge arrière sans contrepartie proportionnée ; il établit aussi le principe d'une contrepartie proportionnée pour les fournisseurs lors de l'octroi d'un avantage financier au distributeur ».
Du reste, la plupart des applications de cette disposition concerne effectivement des services de coopération commerciale et autres services rendus par le distributeur au fournisseur, tels qu’envisagés à l’article L. 441-7 du code de commerce. Cependant, la lettre du texte, visant « le service commercial » sans aucune autre précision ni restriction n’en limite pas l’application à ces seuls services et la jurisprudence a pu en faire application à d’autres hypothèses (v. notamment, CA Angers, 2 décembre 2014, n° 13/00373, à propos du montant des cotisations d’assurance ; CA Angers, 2 décembre 2014, n° 13/03350, à propos du montant de la commission obtenue au titre de la mise en relation par un apporteur d’affaires de l’entrepreneur avec le maître de l’ouvrage ; CA Paris, 10 décembre 2014, n° 11/13313, à propos de services consistant en des programmes de formation et des travaux comptables ).
Toutefois, il résulte de la relation des faits qu’un service est effectivement rendu. S’agissant, par ailleurs, de savoir si le prix de l’abonnement est manifestement disproportionné au regard de la valeur du service, le seul élément mentionné, à savoir une augmentation de prix de 35 % sur cinq ans, permet d’autant moins de se prononcer qu’en l’occurrence, s’agissant d’un abonnement ouvrant droit à des consultations à la demande du client, l’appréciation de la valeur du service est dans la dépendance de l’usage qui en est fait par ce dernier. En toute occurrence, le prestataire de services conserve la possibilité, sous réserve de supporter la charge de la preuve, de démontrer que la rémunération n’est pas manifestement disproportionnée à partir d’éléments intrinsèques à la prestation accomplie au profit d’un client déterminé et dans les circonstances de l’espèce.
En ce qui concerne ensuite, l’application éventuelle de l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce, il est incontestable au regard de la lettre du texte, visant « les obligations » de façon générale, sans aucune précision ni exclusion comme de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris que cette disposition permet d’« examiner si les prix fixés entre des parties contractantes créent, ou ont créé, un déséquilibre entre elles et si ce déséquilibre est d'une importance suffisante pour être qualifié de significatif » (Paris, Pôle 5, ch. 5, 23 mai 2013, n° 12/01166).
Compte tenu du caractère cumulatif des deux éléments constitutifs requis par le texte, l’examen du résultat obtenu ou recherché, sous la forme d’un déséquilibre significatif, n’est utile que s’il est préalablement établi un comportement consistant à « soumettre ou tenter de soumettre », que la cour d’appel de Paris identifie au fait « d’imposer » (Paris, Pôle 5, ch. 5, 23 mai 2013, n° 12/01166) ou encore de « faire peser ou tenter de faire peser sur un partenaire commercial, du fait du déséquilibre du rapport de force existant » (Paris Pôle 5, Ch 4, 1er octobre 2014, 13/16336).
A supposer que ce soit effectivement le cas, il importe ensuite d’examiner, ainsi qu’y invite la cour d’appel de Paris dans un arrêt où elle fait précisément application de la règle à un déséquilibre tarifaire, si les « conditions commerciales (sont) telles que (le partenaire) ne reçoit qu'une contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne » (Paris, Pôle 5, ch. 5, 23 mai 2013, n° 12/01166). Comme cela a été observé à propos de l’article L. 442-6-I-1° du code de commerce, les éléments disponibles sont extrêmement réduits et d’une mise en œuvre d’autant plus délicate que, s’agissant d’un abonnement ouvrant droit à des consultations à la demande du client, l’appréciation de la valeur du service est dans la dépendance de l’usage qui en est fait par ce dernier.
sur l’indexation
S’agissant de l’indexation de l’abonnement, il convient de rappeler que le fait de prévoir la révision du prix par application d’une clause d’indexation est licite au regard des articles L. 112-1 et suivants du code monétaire et financier dès lors que l’indice choisi est en relation directe avec l’objet du contrat ou avec l’activité de l’une des parties, ce qui paraît être le cas des indices successivement choisis.
En revanche, il demeure qu’en raison de la référence initiale à un indice supprimé, les révisions de prix ont été effectuées pendant plusieurs années sans que l’indice de substitution ait été indiqué et ceci alors même que des explications ont été demandées quant aux calculs effectués. Ainsi la révision du prix a-t-elle effectuée de façon arbitraire, cette situation étant aggravée par la clause ajoutée dans les nouvelles conditions générales qui confère au prestataire le pouvoir de réviser, en dehors du jeu de l’indexation, le prix de l’abonnement à la seule condition que la consommation des services ne soit « plus en adéquation avec ce prix ». Aucune indication n’est apportée à cet égard si ce n’est la référence non exhaustive (« notamment ») et assez imprécise « à la consommation moyenne observée pour les clients de même catégorie ».
Cette pratique pourrait contrevenir à l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce, applicable de façon générale aux obligations quelles qu’elles soient.
Compte tenu du caractère cumulatif des deux éléments constitutifs requis par le texte, il convient de se demander si le prestataire a effectivement soumis ou tenté de soumettre son client, comportement que la cour d’appel de Paris identifie au fait « d’imposer » ou tenter d’imposer (Paris, Pôle 5, ch. 5, 23 mai 2013, n° 12/01166) ou encore de « faire peser ou tenter de faire peser sur un partenaire commercial, du fait du déséquilibre du rapport de force existant » (Paris Pôle 5, Ch 4, 1er octobre 2014, 13/16336).
S’agissant de la clause insérée dans les nouvelles conditions générales, il est permis de conclure par l’affirmative dès lors qu’il est indiqué lors de leur envoi au client sur le verso d’une facture qu’elles « sont applicables à compter du 1er mars 2014 » et que « le client déclare en avoir pris connaissance et les accepter ».
S’agissant en revanche de l’application de révision tarifaire alors que l’indice de référence a disparu, il convient d’observer que le client n’a demandé aucune explication jusqu’à récemment, de sorte que l’on peut douter que la révision soit le résultat d’une soumission dans l’interprétation qui en a été faite jusqu’à présent.
Quant au résultat recherché ou obtenu sous la forme d’un déséquilibre significatif, la nouvelle clause insérée dans les dernières conditions générales confère au prestataire un pouvoir unilatéral qui, ne faisant quasiment l’objet d’aucun encadrement, apparaît discrétionnaire ; elle apparaît dépourvue de réciprocité, de contrepartie et de justification et partant être à l’origine d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Tel ne serait cependant pas le cas si le prestataire faisait valoir et démontrait, conformément au droit commun de la preuve, que la relation contractuelle, compte tenu de la présence de dispositions favorables au fournisseur et contrebalançant utilement la pratique litigieuse, rend licite cette dernière (v. en ce sens Com. 3 mars 2015, n° 13-27525).
Il importe de préciser que le fait que la clause prévoit qu’ « à défaut d’accord du client sur le nouveau prix, (le prestataire) pourra procéder à la résiliation du contrat par lettre recommandée avec accusé de réception moyennant un préavis d’un mois » n’est aucunement de manière à contrebalancer utilement le pouvoir unilatéral conféré au prestataire puisque c’est à ce dernier qu’il revient de décider du sort du contrat.
Tout au contraire, cette précision pourrait de surcroît contrevenir à l’article L. 442-6-I-4° du code de commerce. En effet, à partir du moment où la clause prévoit qu’au gré du prestataire, le refus de la révision du tarif entrainerait la résiliation à bref délai (un mois), le bénéficiaire de la stipulation qui en fait usage procède à la menace d’une rupture brutale des relations commerciales au sens de ce texte. Il s’expose ainsi à une condamnation sur le fondement de cette disposition dans le cas où le résultat recherché ou obtenu par ce moyen correspond à « des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ».
Au regard de la jurisprudence (Paris, Pôle 5, ch. 11, 7 juin 2013, n° 11/08674 ; Rouen, ch. Civ. 1, 12 décembre 2012, n° 12/01200 ; Paris Pôle 5, Chambre 4, 29 octobre 2014, RG n° 13/11059), la clause nouvellement insérée dans les conditions générales pourrait, en raison de sa contrariété à l’article L. 442-6-I du code de commerce, être frappée de nullité ou réputée non écrite (v. déjà CEPC, Avis n° 14-02 relatif à une demande d’avis d’une entreprise sur la possibilité pour le partenaire commercial lésé de cumuler une action en responsabilité contre le partenaire commercial et une action en nullité de la clause abusive sur le fondement de l’article L442-6-I, 2° du code de commerce).
Délibéré et adopté par la commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 21 mai 2015, présidée par Monsieur Daniel TRICOT
Fait à Paris, le 21 mai 2015
Le vice-président de la Commission d’examen
des pratiques commerciales
Daniel TRICOT