Avis n°15-21 relatif à une demande d’avis d’un professionnel concernant l’application de l’article L442-6 du code de commerce au secteur d’activité du conseil aux entreprises

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 4 novembre 2014 sous le numéro 14-111, par laquelle une entreprise interroge la Commission sur la conformité au droit des pratiques restrictives de concurrence de la pratique par un apporteur d’affaires d’un taux de rémunération de 50% alors que le taux de rémunération d’un apport d’affaires en usage dans le secteur serait compris entre 10 et 20%.

Vu les articles L440-1 et D440-1 à D440-13 du code de commerce ;

Le rapporteur entendu lors de ses séances plénières des 26 mars et 21 mai 2015 ;

La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie par une entreprise exerçant son activité dans le secteur du conseil aux entreprises afin de recueillir son avis sur la conformité au droit des pratiques restrictives de concurrence de la pratique par un apporteur d’affaires d’un taux de rémunération de 50 % alors que le taux de rémunération d’un apport d’affaires en usage dans le secteur serait compris entre 10 et 20 %.

De façon préalable, il convient de rappeler qu’en droit français, le principe, énoncé à l’article L. 410-2 du code de commerce, est celui de la libre détermination des prix par le jeu de la concurrence et que la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a entendu restituer aux parties à la relation commerciale la liberté de négocier, notamment les prix, sous la réserve cependant des abus éventuels de cette liberté.

Ce contrôle peut être exercé sur le fondement de deux règles énoncées à l’article L. 442-6-I du code de commerce à la condition que la victime des pratiques puisse être considérée comme un « partenaire commercial » au sens de ces dispositions.

Tout d’abord, s’agissant d’une prestation de service, la rémunération perçue au titre de l’apport d’affaires est susceptible de contrevenir à l’article L. 442-6-I 1° visant le fait « d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ». 

Certes, l’exposé des motifs du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques ayant introduit cette règle dans le droit français des pratiques restrictives indiquait à son propos : « ainsi, sera présumée constituer un avantage discriminatoire toute coopération commerciale ou toute forme de marge arrière sans contrepartie proportionnée ; il établit aussi le principe d'une contrepartie proportionnée pour les fournisseurs lors de l'octroi d'un avantage financier au distributeur ».

Du reste, la plupart des applications de cette disposition concernent effectivement des services de coopération commerciale et autres services rendus par le distributeur au fournisseur, tels qu’envisagés à l’article L. 441-7 du code de commerce.

 Cependant, la lettre du texte, visant « le service commercial » sans aucune autre précision ni restriction n’en limite pas l’application à ces seuls services et la jurisprudence a pu en faire application à d’autres hypothèses (v. notamment, CA Angers, 2 décembre 2014, n° 13/00373, à propos du montant des cotisations d’assurance ; CA Angers, 2 décembre 2014, n° 13/03350, à propos du montant de la commission obtenue au titre de la mise en relation par un apporteur d’affaires de l’entrepreneur avec le maître de l’ouvrage ; CA Paris, 10 décembre 2014, n° 11/13313, à propos de services consistant en des programmes de formation et des travaux comptables).

S’il résulte de la relation des faits qu’un service est effectivement rendu par l’apporteur d’affaires, se pose en revanche la question de savoir si le taux de rémunération perçu n’est pas manifestement disproportionné au regard de la valeur du service.

L’examen de la jurisprudence (v. notamment les bilans de jurisprudence publiés sur le site de la Commission et l’analyse proposée dans les rapports annuels) montre que les méthodes comparatives ont les faveurs des juridictions appelées à se prononcer sur l’existence d’une disproportion manifeste. La circonstance que le taux (de 50 %) pratiqué soit très nettement supérieur au taux en usage dans le secteur (compris entre 10 et 20 %) est incontestablement à prendre en considération ; ce différentiel de 2,5 à 5 paraît bien traduire un niveau de tarif élevé. Toutefois, les décisions paraissant se référer à un ensemble de circonstances, il pourrait également être intéressant de mettre en perspective les conditions tarifaires pratiquées avec le coût de revient des prestations. Par ailleurs, et en toute occurrence, le prestataire de services conserve la possibilité, sous réserve de supporter la charge de la preuve, de démontrer que la rémunération n’est pas manifestement disproportionnée à partir d’éléments intrinsèques à la prestation accomplie au profit d’un client déterminé et dans les circonstances de l’espèce.

Ensuite, il convient d’envisager également le jeu de l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce, disposition qui ne comporte quant à elle aucune précision quant au type de contrat susceptible d’être contrôlé sur son fondement. Quoique l’application de cette règle aux déséquilibres tarifaires ait parfois été contestée, il est incontestable que sa lettre vise « les obligations » de façon générale, sans aucune précision ni exclusion. Du reste, la cour d’appel de Paris - à laquelle les pouvoirs publics français ont réservé la connaissance en appel des litiges relatifs à l’article L. 442-6 du code de commerce – a affirmé très nettement qu’il incombe au juge, sur le fondement de cette disposition, d’ « examiner si les prix fixés entre des parties contractantes créent, ou ont créé, un déséquilibre entre elles et si ce déséquilibre est d'une importance suffisante pour être qualifié de significatif » (Paris, Pôle 5, ch. 5, 23 mai 2013, n° 12/01166).

Compte tenu du caractère cumulatif des deux éléments constitutifs requis par le texte, l’examen du résultat obtenu ou recherché, sous la forme d’un déséquilibre significatif, n’est utile que s’il est préalablement établi un comportement consistant à « soumettre ou tenter de soumettre », que la cour d’appel de Paris identifie au fait « d’imposer » (Paris, Pôle 5, ch. 5, 23 mai 2013, n° 12/01166) ou encore de « faire peser ou tenter de faire peser sur un partenaire commercial, du fait du déséquilibre du rapport de force existant » (Paris Pôle 5, Ch 4, 1er octobre 2014, 13/16336).

Si tel est bien le cas, il importe ensuite d’examiner, ainsi qu’y invite la cour d’appel de Paris dans un arrêt où elle fait précisément application de la règle à un déséquilibre tarifaire, si les « conditions commerciales (sont) telles que (le partenaire) ne reçoit qu'une contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne » (Paris, Pôle 5, ch. 5, 23 mai 2013, n° 12/01166).

Ainsi l’appréciation à porter pour identifier un éventuel déséquilibre significatif d’ordre tarifaire se rapproche nettement de celle requise en application de l’article L. 442-2-6-I-1° appréhendant  l’avantage manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. La démonstration peut donc être effectuée de façon similaire.

En conclusion :

Le fait pour un apporteur d’affaires de pratiquer un taux de rémunération nettement supérieur à celui en usage dans le secteur serait compris entre 10 et 20 % contrevient, dans le cas où la rémunération est manifestement disproportionnée à la valeur du service,  à l’article L. 442-6-I-1° du code de commerce. Lorsqu’une telle rémunération est constitutive d’un déséquilibre significatif qui résulte d’un comportement consistant à soumettre un partenaire commercial, la pratique est également contraire à l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce.

Une telle pratique, qu’elle soit appréhendée sur le fondement de l’une et/ou de l’autre de ces dispositions, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé.

La nullité peut également être demandée et entraîner le jeu des restitutions réciproques qui s’effectueront en valeur, à défaut de pouvoir s’effectuer en nature en ce qui concerne la prestation de services.

La pratique expose également son auteur, en cas d’action exercée par le ministre de l’Economie, à une amende civile pouvant aller jusqu’à deux millions d’euros ou trois fois le montant des sommes indûment perçues.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 21 mai 2015, présidée par Monsieur Daniel TRICOT

Fait à Paris, le 21 mai 2015
Le vice-président de la Commission d’examen
des pratiques commerciales
Daniel TRICOT