Avis n°14-02 relatif à une demande d’avis d’une entreprise sur la possibilité pour le partenaire commercial lésé de cumuler une action en responsabilité contre le partenaire commercial et une action en nullité de la clause abusive

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 19 septembre 2013 sous le numéro 13-103, par laquelle une entreprise évoluant dans le secteur des services demande l’avis de la Commission sur la question de savoir si la victime d’un déséquilibre significatif contraire à l’article L. 442-6-I 2° du code de commerce peut, non seulement engager la responsabilité civile de son partenaire commercial, mais aussi demander la nullité de la clause ou du contrat en dépit du fait que l’article L. 442-6-I se réfère uniquement à la responsabilité de l’auteur de la pratique.

Vu les articles L440-1 et D440-1 à D440-13 du code de commerce ;

Le rapporteur entendu lors de sa séance plénière du 23 janvier 2014 ;

La demande est formulée par une entité qui, au regard de son domaine d’activité, relève du champ d’application du Livre IV du code de commerce et s’estime lésée par une pratique commerciale dont elle entend pouvoir demander en justice le prononcé des sanctions applicables. Cette saisine entre bien dans la mission de la Commission d’examen des pratiques commerciales et doit être déclarée recevable.

S’il est vrai que l’article L. 442-6-I du code de commerce mentionne uniquement l’engagement de la responsabilité civile de l’auteur de la pratique, cette disposition spéciale n’interdit pas à la victime d’une pratique visée par ce texte de demander la nullité de la clause ou du contrat contraire à l’ordre public concurrentiel sur le fondement du droit commun. De même, ni les cas spéciaux de nullité de plein droit prévus à l’article L. 442-6-II, ni les prérogatives spécifiquement reconnues au ministre de l’Economie et au ministère public par l’article L. 442-6-III ne font interdiction au contractant lésé de mettre à néant la stipulation ou l’engagement illicite en application des articles 6, 1131 et 1133 du code civil.

Telle est d’ailleurs la position adoptée par la jurisprudence dominante, d’abord en ce qui concerne la rémunération des services en contravention à l’article L. 442-6-I-1° du code de commerce, puis, plus récemment, dans le cas des déséquilibres significatifs.

« Dès lors qu’une clause d’une convention ou un contrat prévoit l’obligation pour une partie d’exécuter une obligation prohibée par des dispositions légales ou d’ordre public, telles les dispositions de l’article L. 442-6-I du code de commerce, cette obligation repose nécessairement sur une cause illicite », a considéré par exemple la Cour d’appel de Nîmes avant de prononcer la nullité de l’engagement concerné (Nîmes, 25 février 2010 ; v. aussi notamment Paris, Pôle 5 chambre 5, 24 mars 2011 ou encore, de façon implicite, Paris, Pôle 5, chambre 5, 4 octobre 2012). Par ailleurs, la Cour de cassation, devant laquelle était critiquée une décision ayant prononcé, à la demande de l’un des contractants, la nullité de contrats de coopération commerciale, a eu à se prononcer sur le délai de prescription applicable et a, à cette occasion, approuvé nettement l’arrêt d’avoir « exactement » retenu que « la prescription de dix ans énoncée par [l’article L. 110-4 du code de commerce] s'applique aux demandes fondées sur la nullité d'ordre public économique des contrats de coopération commerciale » (Cass com 11 septembre 2012, numéro 11-17458).

La même solution a été retenue au profit de la victime d’un déséquilibre significatif, mais avec une adaptation pour tenir compte du fait que le déséquilibre se manifeste parfois dans une clause en particulier. La Cour d’appel de Rouen a ainsi considéré qu’une clause à l’origine d’un déséquilibre significatif, « contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L442-6-1 2° », « doit être réputée non écrite » (Rouen, chambre civile 1, 12 décembre 2012, N° 12/01200). Une solution similaire a été ultérieurement retenue par la Cour d’appel de Paris qui a, à son tour, mis en œuvre cette forme de nullité partielle (Paris, Pôle 5, chambre 11, 7 juin 2013, n° 11/08674).

Il convient enfin de préciser, en réponse à la question soulevée par le saisissant, que la victime d’une pratique contraire à l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce a la possibilité, à la fois, d’agir en nullité de la clause ou du contrat illicite et d’engager la responsabilité civile de l’auteur de la pratique.

 

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 23 janvier 2014, présidée par Monsieur Daniel TRICOT

 

Fait à Paris, le 23 janvier 2014

Le vice-président de la Commission d’examen des pratiques commerciales

Daniel TRICOT