Avis n° 24-4 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur la légalité de la pratique consistant à facturer au forfait une prestation de services administratifs effectuée par une auto-entrepreneuse au profit d’un client professionnel
La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 16 octobre 2023, sous le numéro 23-28, par laquelle un professionnel interroge la Commission sur le cadre légal entourant la relation entre une auto-entrepreneuse effectuant une prestation de services administratifs et un client professionnel.
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
La rapporteure entendue lors de sa séance plénière du 21 mars 2024 ;
Un professionnel, notamment un auto-entrepreneur, peut proposer une prestation de services, comme des travaux administratifs, faisant l’objet d’un prix forfaitaire. Le contrat conclu entre les parties ou le document en tenant lieu doit alors mentionner le forfait faisant l’objet de l’accord et détailler son contenu.
Dans le cas d’un forfait mensuel, la facture doit être émise mensuellement, et peut ne faire référence qu’au seul forfait mentionné dans le contrat s’agissant de la dénomination précise de la prestation. Des prestations de service complémentaires ne peuvent par ailleurs être facturées que si ces prestations ont été demandées par l’acheteur et ont fait l’objet d’un accord sur le prix et les modalités de réalisation.
La CEPC rappelle par ailleurs que même si elle n’a pas vocation à se prononcer sur la conformité au droit du travail d’une activité commerciale, il apparaît, au vu de la jurisprudence, que l'existence d'une relation de travail dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité et que l’existence d'un contrat de travail peut être établie lorsqu’une personne fournit des prestations dans des conditions qui la placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre.
Enfin, la CEPC rappelle que la profession d’expert-comptable est strictement réglementée par l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, les experts-comptables bénéficiant d’un monopole sur un certain nombre de tâches concernant les comptabilités des entreprises.
1. Objet de la saisine et contexte
La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie d’une demande d’avis sur la licéité de la facturation au forfait d’une prestation de services administratifs effectuée par une auto-entrepreneuse au profit d’un client professionnel.
La saisissante souhaite ainsi savoir :
- si une facturation au forfait est possible dans le cadre d’une prestation de services administratifs ;
- si un cahier des charges est nécessaire ;
- si ce type de situation peut être apparenté à un salariat déguisé ;
- si une facturation complémentaire peut être refusée faute de devis préalable.
2. Analyse de la saisine
Au préalable, la Commission d'examen des pratiques commerciales tient à rappeler, concernant la troisième question, qu’elle n’a pas, en principe, vocation à se prononcer sur la conformité au droit du travail d’une activité commerciale.
Néanmoins, au vu de la jurisprudence récemment rendue par la Cour de cassation, Chambre sociale (28 novembre 2018, pourvoi n° 17-20.079 Take eat easy et 4 mars 2020 pourvoi n° 19-13.316 Uber), reprise par la Chambre commerciale, financière et économique à l’occasion d’un procès en concurrence déloyale (12 janvier 2022 n° 20-11.139), elle estime devoir rappeler les principes qui gouvernent la matière.
Il résulte de ces décisions, comme de celles qui les précédaient déjà d’ailleurs, que :
- “l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs »
- “l'existence d'un contrat de travail peut en effet être établie lorsqu’une personne fournit des prestations dans des conditions qui la placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre”
- ce “lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné”.
Cette caractérisation suppose une analyse concrète des conditions effectives d’exercice de l’activité litigieuse, qui ne peut être menée dans le cadre de la présente saisine.
Dans la même perspective, et dans la mesure où la saisissante indique effectuer des travaux de comptabilité, la Commission souhaite rappeler également que les experts-comptables, qui exercent une profession strictement réglementée par l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, bénéficient, en vertu des articles 2 et 20 de ce texte, d’un monopole sur un certain nombre de tâches concernant les comptabilités des entreprises, et que l’ordre des experts-comptables se montre vigilant quant à la protection de ce monopole, n’hésitant pas poursuivre les personnes qu’il estime y porter atteinte, tant sous l’angle pénal, de l’exercice illégal de la profession, prohibé par les article 433-17 et 433-25 du code pénal (Crim. 20 décembre 2017 pourvoi n° 16-83.914), que sous celui, civil, de l’action en responsabilité pour concurrence déloyale (Com. 14 juin 2014 pourvois n° 11-27.450 et 13.26.332), voire, en référé, de la cessation d'un trouble manifestement illicite (Com. 20 février 2019 pourvoi n° 17-22.047 et sa suite, Com.22 septembre 2021 pourvoi n° 20-10.552).
Il convient donc, pour la saisissante, d’être attentive à la nature exacte des travaux de comptabilité qu’elle est appelée à effectuer sous le couvert de ses prestations à forfait.
Ces rappels préalables étant effectués, la Commission peut développer des éléments de réponse aux autres questions abordées dans la saisine examinée.
Le 1er alinéa du I de l’article L. 441-9 du code de commerce prévoit que « tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle fait l'objet d'une facturation ».
La demandeuse effectuant une prestation de services administratifs (secrétariat et comptabilité) pour un client professionnel, les dispositions de cet article sont donc applicables.
Par ailleurs, en application du I de l’article L. 441-1 du code de commerce, tout prestataire de services est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout demandeur desdites prestations qui en fait la demande pour une activité professionnelle.
Elles comprennent les conditions de vente, le barème des prix unitaires, les réductions de prix et les conditions de règlement. Le 3ème alinéa du III du même article précise que « lorsque le prix d'un service ne peut être déterminé a priori ou indiqué avec exactitude, le prestataire de services est tenu de communiquer au destinataire qui en fait la demande la méthode de calcul du prix permettant de vérifier ce dernier, ou un devis suffisamment détaillé ».
Ainsi, un professionnel, notamment un auto-entrepreneur, peut proposer une prestation de services, comme des travaux administratifs, faisant l’objet d’un prix forfaitaire.
Le contrat conclu entre les parties ou le document en tenant lieu doit alors mentionner le forfait faisant l’objet de l’accord et détailler son contenu (notamment, et par exemple, au cas d’espèce : le nombre de jours de travail par semaine sur la base duquel ce forfait est calculé et le détail des travaux devant être effectués). En revanche, l’obligation de rédaction d’un cahier des charges n’est pas spécifiquement prévue par la réglementation en vigueur.
S’agissant des dispositions de l’article L. 441-9 du code de commerce, celles-ci prévoient notamment que la facture doit être émise dès la réalisation de la prestation de service et qu’elle mentionne le prix unitaire des services rendus. Au cas particulier, s’agissant d’un forfait mensuel, la facture doit donc être émise mensuellement, et peut ne faire référence qu’au seul forfait mentionné dans le contrat s’agissant de la dénomination précise de la prestation.
Enfin, des prestations de service complémentaires, autres que la prestation de service forfaitaire prévue initialement, ne peuvent être facturées que si ces prestations ont été demandées par l’acheteur et ont fait l’objet d’un accord sur le prix et les modalités de réalisation.Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 21 mars 2024, présidée par Madame Agnès MOUILLARD
Fait à Paris, le 9 avril 2024
La vice-présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales