Avis n° 24-3 relatif à une demande d’avis d’une association portant sur le champ d’application de l’obligation de contractualisation écrite pour les ventes de produits agricoles entre producteurs et premiers acheteurs

Avis n° 24-3 relatif à une demande d’avis d’une association portant sur le champ d’application de l’obligation de contractualisation écrite pour les ventes de produits agricoles entre producteurs et premiers acheteurs.

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 29 mars 2023, sous le numéro 23-6, par laquelle une association interroge la Commission sur la possibilité, pour un producteur en circuit court, de ne pas contractualiser, par écrit, la relation commerciale l’unissant avec son client distributeur.  

Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;

Les rapporteurs entendus lors de sa séance plénière du 18 janvier 2024 ;

La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie par une association qui estime que les obligations en matière de contractualisation écrite et de transparence ne sont pas adaptées aux producteurs qui vendent en circuits courts.

La définition des circuits courts, admise par l’administration, correspond à une vente présentant un intermédiaire au plus[1]. Elle peut comprendre la vente directe qui correspond à une remise des produits du producteur au consommateur. On peut également citer les points de vente collectifs autrement appelés « magasins de producteurs » qui regroupent plusieurs exploitants agricoles dans un point de vente collectif. Le code rural et de la pêche maritime (CRPM) en encadre l’exercice à l’article L. 611-8.

Cependant, la saisine vise la vente à de « petites, moyennes ou grandes surfaces locales ». En l’absence de précision de la saisine, on peut estimer que celle-ci vise à la fois des commerces de vente au détail de produits agricoles et alimentaires indépendants et ceux appartenant à un réseau de distributeurs ou intégrés au sein d’un groupe de distribution, qui relèvent à la fois des magasins de types supermarché ou hypermarché (>1000 m2) ou des magasins de dimension plus faible (<1000 m2).

La saisine invoque plus particulièrement l’application de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs dite « EGAlim 2 » à ce type de relation commerciale. Cette loi dite « EGAlim 2 » vient compléter et renforcer la loi du 30 octobre 2018 (dite « EGAlim »), dont l’objectif est d’améliorer l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire.

La saisine se décompose en plusieurs questions, que l’avis propose ici de traiter, après un rappel du droit applicable.

  • Y a-t’il une obligation d’établissement d’un contrat écrit entre le producteur local vendant en circuits courts et son client, distributeur ?
  • Cette obligation existe-t-elle pour les relations commerciales anciennes construites sans contrat écrit ?
  • Comment déroger à une réglementation construite pour les filières longues qui ne prend pas en compte les spécificités des circuits courts ?

Rappel du formalisme obligatoire du contrat de vente de produit agricole

La Foire aux questions publiée par le ministère de l’Agriculture sur la loi EGAlim 2 rappelle le droit applicable : « Le code de commerce régit de manière générale les contrats de vente de produits alimentaires, alors que le code rural et de la pêche maritime régit les seuls contrats de vente de produits agricoles lors de « la cession à leur premier acheteur » et dès lors que ces contrats sont conclus par un « producteur agricole » auteur de la proposition de contrat selon les termes du II de l’article L. 631-24 du CRPM ».

La loi EGAlim 2 est venue renforcer le principe de la contractualisation en rendant obligatoire le recours à un contrat écrit de trois ans minimum pour la vente de produit agricole entre un producteur et son premier acheteur. Ce formalisme, prévu à l’article L. 631-24 du CRPM, prévoit que le contrat doit être précédé d'une proposition du producteur agricole. Celle-ci doit contenir plusieurs clauses et notamment la clause relative à la durée, qui ne peut être inférieure à trois ans, et une clause fixant la durée de préavis. Ce même formalisme est exigé également dans la rédaction du contrat.

L’article L. 631-24 dispose en effet dans son premier alinéa : « Tout contrat de vente de produits agricoles livrés sur le territoire français est conclu sous forme écrite et est régi, dans le respect des articles 1365 et 1366 du Code civil, par le présent article ». Le II de cet article précise que ses règles s’appliquent au contrat de vente écrit relatif à la cession au premier acheteur par le producteur de produits agricoles figurant à l'annexe I du règlement (UE) n° 1308/2013.

Depuis le 1er janvier 2023, la loi EGAlim 2 est pleinement en vigueur pour l’ensemble des filières agricoles, et les contrats conclus sous l’ancienne législation qui continueraient à produire leurs effets doivent être mis en conformité avant le 1er janvier 2024.

Ainsi, aujourd’hui, le principe des relations commerciales agricoles est celui de l’obligation de la contractualisation écrite conforme aux dispositions de l’article L. 631-24 du CRPM dans le cadre d’une relation commerciale entre un agriculteur et son premier acheteur. Cependant certaines dérogations existent.

Rappel des dérogations possibles à la contractualisation écrite obligatoire.

Si la loi EGAlim 2 pose le principe de la contractualisation écrite obligatoire, dans certains cas la contractualisation peut échapper à cette obligation ou faire l’objet d’une dérogation.

Cependant ces dispositions ne font pas échec à l’application du 1 bis des articles 148 et 168 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil, en application desquels le producteur peut exiger de l'acheteur une offre de contrat écrit même si celui-ci n’est pas obligatoire.

D’une part, le deuxième alinéa du I de l’article L.631-24 précise qu’un produit agricole vendu par un producteur qui exerce une activité agricole à son premier acheteur peut ne pas se conclure sous forme écrite :

  • s’il s’agit d’une vente directe au consommateur ;
  • s’il s’agit d’une cession réalisée au bénéfice des organisations caritatives pour la préparation de repas destinés aux personnes défavorisées ;
  • s’il s’agit d’une cession à prix ferme de produits agricoles sur les carreaux affectés aux producteurs et situés au sein des marchés d'intérêt national ou sur d'autres marchés physiques de gros de produits agricoles.

D’autre part, le deuxième alinéa du I de l’article L. 631-24 indique qu’un décret en Conseil d’État peut fixer des seuils de chiffre d’affaires (CA) en-dessous desquels l’obligation de contractualisation écrite n'est pas applicable aux producteurs ou aux acheteurs de produits agricoles. L’article R. 631-6 du CRPM fixe ces seuils, avec un seuil producteur de 10 000 € de CA par production, et des seuils acheteurs et producteurs spécifiques pour certaines productions animales et végétales.

Enfin, l’article L. 631-24-2 prévoit que certains produits agricoles peuvent déroger à l’obligation de conclure un contrat écrit en vertu d’un accord interprofessionnel étendu ou d’un décret en Conseil d’État. Dans ce cas, si le contrat est tout de même conclu sous la forme écrite, un certain formalisme doit être respecté par les parties.

Le décret 2022-1668 du 26 décembre 2022 fixe les produits et les catégories de produits pour lesquels le contrat de vente ou l’accord-cadre peut ne pas être conclu sous forme écrite en application de l’article L. 631-24-2 du CRPM. La liste est codifiée à l’article R. 631-6-1 du CRPM. 

En synthèse, les exclusions concernent principalement les productions végétales (céréales, riz, lin et chanvre, fourrages séchés et tourteaux, semences, oléo-protéagineux, fruits et légumes frais et transformés, bananes, fruits et légumes secs, certaines appellations viticoles, plantes vivantes et produits de la floriculture, alcool d’origine agricole et produits de l’apiculture). En revanche, la quasi-totalité des productions animales demeure soumise à la contractualisation écrite obligatoire (viandes bovines, ovines, caprines, porcines, volailles, laits et produits laitiers, œufs).

Par ailleurs, il convient de mentionner l’article L. 631-24-3, s’agissant des relations entre une organisation de producteurs avec transfert de propriété et ses membres ou entre une société coopérative agricole et ses associés coopérateurs. Celles-ci sont réputées respecter les dispositions de l’article L. 631-24 du CRPM, car elles mettent en œuvre des mécanismes produisant des effets similaires à ces dispositions pour les producteurs. Dans ce cas, le premier acheteur est considéré comme étant l’organisation de producteur ou la coopérative. 

Application aux questions du saisissant

  • Y a-t-il une obligation d’établissement d’un contrat écrit entre le producteur local vendant en circuits courts et son client, distributeur ?

Depuis le 1er janvier 2023, en application de l’article L. 631-24 du CRPM qui est le droit applicable à cette relation commerciale, tous les contrats de vente de produits agricoles par un producteur à un premier acheteur doivent être conclus sous la forme écrite et respecter les dispositions de l’article L. 631-24 relatives aux clauses devant figurer dans ce contrat.

Le seul canal de commercialisation au détail pour lequel une exception est prévue est la vente directe au consommateur. La vente à un distributeur en circuit court n’est donc pas visée par cette exception.

Cependant, si le producteur réalise un CA annuel inférieur au seuil visé à l’article R. 631-6 du CRPM (ou, le cas échéant l’acheteur si ce seuil est pertinent), pour le produit faisant l’objet du contrat, celui-ci pourra ne pas être conclu sous forme écrite.

Enfin, en application de l’article L. 631-24-2, soit en vertu d’un accord étendu applicable au produit en cause ou en raison de la présence de ce produit dans la liste fixée par l’article R. 631-6-1, le contrat pourra ne pas être conclu sous la forme écrite.

  • Cette obligation existe-t-elle pour les relations commerciales anciennes construites sans contrat écrit ?

En application du I de l’article 16 de la loi EGAlim 2, tous les contrats établis doivent être mis en conformité avec les nouvelles dispositions introduites par la loi EGAlim 2 au plus tard 1 an après le 1er janvier 2023.

  • Comment déroger à une réglementation construite pour les filières longues qui ne prend pas en compte les spécificités des circuits courts ?

En dehors des dérogations rappelées ci-dessus, et qui ne sont pas propres aux ventes visées par la saisine, il n’existe pas, en l’état de la législation, d’autres possibilités de déroger au droit en vigueur.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 18 janvier 2024, présidée par Madame Annaïg LE MEUR

Fait à Paris, le 30 janvier 2024
La présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales
Annaïg LE MEUR