Avis n° 24-1 relatif à une demande d’avis d’un cabinet d’avocats portant sur le champ d’application de la notion de grossiste dans un contexte de fourniture de produits alimentaires à marque de distributeur

Avis n° 24-1 relatif à une demande d’avis d’un cabinet d’avocats portant sur le champ d’application de la notion de grossiste dans un contexte de fourniture de produits alimentaires à marque de distributeur

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 5 avril 2023, sous le numéro 23-7, par laquelle un cabinet d’avocats interroge la Commission sur le point de savoir si la seule fourniture de produits alimentaires à marque de distributeur (MDD) par une entreprise a pour conséquence d’exclure la qualité de grossiste et d’attribuer, au contraire, la qualité de fournisseur à l’entreprise vendant les produits MDD quand bien même cette dernière ne fabriquerait pas elle-meme les produits concernés mais en ferait assurer la fabrication par des tiers.

Vu les article L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;

Les rapporteurs entendus lors de sa séance plénière du 18 janvier 2024 ;

La question posée à la CEPC consiste à déterminer si la seule fourniture de produits à marque de distributeur (MDD) par une entreprise a ou non pour conséquence d’exclure la qualification de « grossiste » la concernant au sens de l’article L. 441-1-2 du code de commerce et d’attribuer, au contraire, la qualité de « fournisseur » au sens de l’article L. 441-7 du code de commerce à l’entreprise vendant les produits MDD, quand bien même cette dernière ne fabrique pas elle-même les produits concernés mais en fait assurer la fabrication par des tiers.

L’entreprise représentée par le saisissant fabrique des produits sous marque de distributeur, pour le compte des principales enseignes de la grande distribution, dans le secteur de la panification. L’entreprise, ne possédant aucun site de production en propre, fait fabriquer ces produits par des sous-traitants, en France comme en Europe. Les contrats sont cependant uniquement conclus entre l’entreprise et les enseignes.

Dans la mesure où elle ne fabrique pas les produits elle-même, l’entreprise estime qu’elle se livre à une activité d’achat-revente et se considère donc comme grossiste. Elle s’estime ainsi exclue du champ d’application de l’article L. 441-7 du code de commerce qui encadre les contrats portant sur la fabrication de produits à marque de distributeur au motif que celui-ci ne concernerait que les « fournisseurs » de produits alimentaires, et non les grossistes. En conséquence, elle serait notamment dispensée de l’obligation de prévoir une clause de révision automatique des prix dans les contrats MDD conclus avec ses clients distributeurs.

Or, cette interprétation ne paraît pas conforme aux dispositions du code de commerce portant sur les contrats MDD, qui n’opèrent aucune distinction entre les fournisseurs, selon qu’ils soient grossistes ou non.

  1. Sur la qualification de grossiste de la société saisissante

Tout d’abord, la qualification de grossiste concernant cette société n’est pas évidente. En effet, le grossiste est défini à l’article L. 441-1-2 du code de commerce comme « toute personne physique ou morale qui, à des fins professionnelles, achète des produits à un ou à plusieurs fournisseurs et les revend, à titre principal, à d'autres commerçants, grossistes ou détaillants, à des transformateurs ou à tout autre professionnel qui s'approvisionne pour les besoins de son activité. Sont assimilées à des grossistes les centrales d'achat ou de référencement de grossistes.

Sont exclus de la notion de grossiste les entreprises ou les groupes de personnes physiques ou morales exploitant, directement ou indirectement, un ou plusieurs magasins de commerce de détail ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale d'achat ou de référencement pour des entreprises de commerce de détail. ».

La notion de grossiste est donc caractérisée par une activité d’achat et de revente de produits et non par une activité de donneur d’ordre consistant à faire fabriquer des produits par un tiers pour les lui acheter. Dans le cadre de leur activité d’achat-revente, les grossistes doivent dont conclure avec leurs clients distributeurs un contrat de vente qui prend la forme de la convention visée à l’article L. 441-3-1 du code de commerce.

Dans le cadre du contrat MDD conclu entre l’entreprise et ses clients distributeurs, il n’y a pas d’opération d’achat-revente. En effet, l’entreprise s’engage à fabriquer les produits à partir de spécifications sur la base d’un cahier des charges fourni par le distributeur et sur lesquels celui-ci apposera sa marque.

Or, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation[1], ce contrat est qualifié de contrat d’entreprise, c’est-à-dire une convention par laquelle une personne s'oblige contre rémunération à exécuter un travail de façon indépendante et sans représenter son cocontractant.

Dans sa note d’information d’octobre 2014 sur l’application des dispositions de la loi relative à la consommation (dite « loi Hamon ») modifiant le livre IV du code de commerce sur les pratiques commerciales restrictives de concurrence, la DGCCRF rappelle et précise la jurisprudence de la Cour de cassation en ce sens : « En application de la jurisprudence de la Cour de cassation, le contrat n’apparaît pas être un contrat de vente mais un contrat d’entreprise si une partie confie à la seconde la réalisation d’un produit spécifique qui ne correspond pas à des caractéristiques déterminées à l’avance par cette dernière mais qui est destiné à satisfaire aux besoins particuliers exprimés par la première partie, incompatibles avec une production en série susceptible d’être réalisée au profit d’autres clients. ».

Dans le cadre d’un contrat portant sur la fabrication de produits MDD, il n’y a pas à proprement parler de vente ou revente des produits qui est inhérente à l’activité de grossiste.

2 . Sur le champ d’application de l’article L. 441-7

La définition juridique du produit vendu sous MDD est prévue dans le code de la consommation en son article R. 412-47 qui dispose : « Est considéré comme produit vendu sous marque de distributeur le produit dont les caractéristiques ont été définies par l’entreprise ou le groupe d’entreprises qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu. ».

A la lecture de ce texte, deux conditions cumulatives sont déterminantes pour la qualification d’un produit vendu sous marque de distributeur, à savoir la définition de spécifications transmises par l’entreprise donneur d’ordre et l’activité de vente au détail de cette dernière.

L’article L. 441-7 du code de commerce prévoit que celui-ci est applicable au « contrat conclu entre un fournisseur et un distributeur portant sur la conception et la production de produits alimentaires selon des modalités répondant aux besoins particuliers de l'acheteur et vendus sous marque de distributeur. ». En d’autres termes, l’article L. 441-7 encadre le contrat portant sur la fabrication de produits MDD tels que définis à l’article R. 412-47 du code de la consommation, qui est alors un contrat d’entreprise et non pas un contrat de vente Il en résulte que la qualification de grossiste est sans incidence sur l’applicabilité de l’article L. 441-7 du code de commerce. 

Par conséquent, dès lors que l’entreprise fait fabriquer des produits sous marque de distributeur, pour le compte des principales enseignes de la grande distribution, réputées vendre ces produits au détail, le contrat conclu pour ces produits entre l’entreprise et les enseignes n’est pas un contrat de vente, mais un contrat d’entreprise auquel l’article L. 441-7 du code de commerce s’applique. Conformément à cet article, ces contrats doivent comporter une clause de révision automatique des prix.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 18 janvier 2024, présidée par Madame Annaïg LE MEUR

Fait à Paris, le 26 janvier 2024
La présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales
Annaïg LE MEUR

 

[1] Cass com 3 janvier 1995, 92.20.735 ; v. CEPC Recommandation n° 22-1 relative à un guide de bonnes pratiques en matière de contrats portant sur des produits à marque de distributeur (MDD)