Avis n° 23-9 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur la légalité de la pratique consistant à appliquer une hausse significative du prix après le renouvellement tacite d’un contrat d’achat de licence
La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 2 août 2022, sous le numéro 22-36, par laquelle un professionnel interroge la Commission sur la légalité de la pratique consistant à imposer, après le renouvellement tacite d'un contrat souscrit par l’entreprise, une augmentation significative du prix sans en avoir informé ladite entreprise ni lui avoir donné la possibilité d'y consentir avant le renouvellement tacite.
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
Les rapporteurs entendus lors de ses séances plénières du 22 juin et du 14 septembre 2023 ;
Sur les responsabilités encourues en application de l’article L. 442-1 I, 1° et 2° du code de commerce après le renouvellement, par tacite reconduction, d'un contrat d'achat de licence conclu annuellement avec un intégrateur, et portant sur un logiciel entreprise fourni par un éditeur, avec un tarif « public » représentant une augmentation du prix de 48 % par rapport à l'année précédente, le client ne peut pas, en l’absence de lien contractuel avec l’éditeur, rechercher la responsabilité de ce dernier sur le fondement de ce texte, mais uniquement celle de l’intégrateur, avec lequel il entretient des relations contractuelles, à charge pour celui-ci, le cas échéant, de se retourner contre l’éditeur sur le même fondement si les faits le justifient.
Les conditions générales de vente de l’intégrateur, jointes au contrat en format non modifiable, prévoyant qu’en cas de renouvellement tacite faute de dénonciation par le client au plus tard deux mois avant l’échéance, il y aurait lieu de faire application, pour le nouveau contrat, du tarif public de l’éditeur en vigueur à la date d’échéance du contrat en cours, alors qu’au moment où ce renouvellement a opéré dans son principe, les « prix publics » de l’éditeur de logiciels n’étaient pas publiés sur son site internet et qu’aucune information sur les nouveaux tarifs n’avait été communiquée par l’intégrateur, le nouveau prix s’est imposé au client qui, ne pouvant pas résilier le contrat faute de disposer d’une solution alternative immédiate, n’avait pas d’autre choix que d’accepter l’augmentation, ce qui pourrait caractériser une soumission.
Il devrait être possible, en disposant des éléments pertinents, de vérifier si la tarification augmentée ne constitue pas un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné (L. 442-1, I, 1° du code de commerce), sachant qu'en ce cas également, et dans la mesure où elle aurait été imposée au client, elle serait susceptible de caractériser une soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (L. 442-1, I, 2° du code de commerce).
Enfin, indépendamment de toute disproportion manifeste, les conditions dans lesquelles cette nouvelle tarification est intervenue pourraient caractériser un déséquilibre significatif dans les obligations respectives des parties (L. 442-1, I, 2°), dans la mesure où, par le jeu des stipulations contractuelles relatives à la reconduction du contrat, le client doit consentir au renouvellement sans connaître le coût de la licence qu'il aura à acquitter, ce qui permet à l'intégrateur de lui transférer le risque d'augmentation du tarif au cours de cette période de deux mois, sans que l'on voie ce qui pourrait justifier un tel désavantage.
La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie par une entreprise afin de recueillir son avis sur la conformité au droit des pratiques restrictives de concurrence de la pratique consistant à appliquer, après le renouvellement par tacite reconduction d’un « contrat d’achat de licence » conclu annuellement avec un « intégrateur », et portant sur un logiciel entreprise fourni par un « éditeur », un tarif « public » représentant une augmentation du prix de 48 % par rapport à l’année précédente.
Le client, auteur de la saisine, expose que les conditions générales de vente de l’intégrateur, adjointes au contrat intégrateur en format non modifiable, prévoient, qu’en cas de renouvellement tacite, faute de dénonciation par le client, au plus tard deux mois avant l’échéance, il y aura lieu de faire application, pour le nouveau contrat, du tarif public de l’éditeur en vigueur à la date d’échéance du précédent contrat. Cependant, celui-ci n’était pas connu par le client au moment où la tacite reconduction du contrat a opéré dans son principe : les « prix publics » de l’éditeur de logiciels ne sont pas publiés sur le site internet, lequel indique seulement que ces tarifs sont « disponibles auprès du service commercial ». Comme alternative, l’intégrateur a communiqué sa nouvelle offre au client, accompagnée des nouveaux tarifs de l’éditeur représentant pour le client une augmentation du prix de 46%, plus d’un mois après que la reconduction tacite eut jouée.
Le client expose qu’une interruption des services de la solution informatique aurait entraîné l’arrêt de son activité commerciale et qu’il a donc été contraint d’accepter par la signature d’un bon de commande les nouveaux tarifs qui s’étaient imposés avec la reconduction du contrat, tout en adressant une lettre de réserve.
Les pratiques décrites par la saisine tiennent ainsi à ce que le client, par le jeu des stipulations, a dû accepter la reconduction du contrat avec l’intégrateur alors qu’il était dans l’ignorance de l’augmentation du tarif qui lui serait appliquée concernant la licence du logiciel et que celle-ci est substantielle. Son examen est effectué, sans envisager le droit commun des contrats, sur le fondement de deux dispositions du droit des pratiques restrictives de concurrence (1).
L’auteur de la saisine interroge également la Commission sur le point de savoir qui, de l’intégrateur et/ou de l’éditeur, est l’auteur des pratiques et dans quelle mesure leur responsabilité solidaire peut être retenue. Il convient donc d’apporter des précisions sur l’imputabilité des pratiques (2) avant de s’attacher à la qualification des pratiques (3).
1. Textes applicables
La Commission examinera la conformité de ces pratiques à l’article L. 442-1, I, 1° et 2° du code de commerce aux termes desquels : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :
1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ;
2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. ».
L’intégrateur aussi bien que l’éditeur de logiciels exercent des « activités de production, de distribution ou de services », de sorte que leurs pratiques peuvent être examinées à l’épreuve de l’article L. 442-1, I, 1° et 2° du code de commerce. De son côté, l’entreprise cliente est bien « l’autre partie » à laquelle le bénéfice de ces deux règles est réservé.
Par ailleurs, chacune de ces deux dispositions est pourvue d’une lettre générale, l’une mentionnant des « obligations », l’autre « un avantage », sans aucune précision, ni exclusion.
2. Imputabilité des pratiques
Il résulte des documents remis à la Commission que l’intégrateur est “habilité” par l’éditeur à commercialiser la solution informatique de ce dernier et à « fournir un support en cas de difficultés techniques rencontrées par les clients ».
Le client ne semble pas avoir de relations contractuelles directes avec l’éditeur. On peut donc considérer que ce dernier facture la licence à l’intégrateur, lequel se fait ensuite payer par le client, vraisemblablement en prenant une marge.
Dans ce cas de figure, la responsabilité de l’éditeur ne peut pas être recherchée en principe sur le fondement de l’article L. 442-1, I, 1° et 2° du code de commerce.
En effet, il résulte des termes mêmes de ce texte, qui vise des agissements commis “dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat” par “toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services”, à l’égard de “l’autre partie”, que la responsabilité qu’il prévoit ne concerne que des personnes directement intéressées par un contrat, soit qu’elles l’aient conclu, soit qu’elles négocient en vue de sa conclusion.
Et si, par exception au principe d’indépendance des personnes morales, il a été considéré qu’un tiers à la relation contractuelle (société-mère ou tête de réseau) pouvait être tenu pour responsable d’une rupture brutale, en l’absence d’autonomie de décision de la filiale ou du distributeur quant au choix des cocontractants et de la poursuite de la relation avec ceux-ci (Com. 5 juillet 2016, n° 14-27030 ; Com. 22 juin 2022, n° 21-14.230), tel ne paraît pas être le cas de la présente espèce.
En l’absence de lien contractuel avec l’éditeur, le client ne peut donc pas, en principe, rechercher la responsabilité de ce dernier sur le fondement de l’article L. 442-1, I, 1° et 2° du code de commerce, mais uniquement celle de l’intégrateur avec lequel il entretient des relations contractuelles, à charge pour celui-ci, le cas échéant, de se retourner contre l’éditeur sur le même fondement si les faits le justifient.
3. Qualification des pratiques
Dans la mesure où la saisine fait état d’une augmentation substantielle supportée par le client, Il convient de vérifier si cette tarification ne constitue pas un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné (L. 442-1, I, 1°), puis si, dans la mesure où elle lui aurait été imposée, elle ne caractérise pas une soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (L. 442-1, I, 2°).
Par ailleurs, au-delà de toute disproportion manifeste, les conditions dans lesquelles cette nouvelle tarification est intervenue pourraient caractériser un déséquilibre significatif dans les obligations respectives des parties (L. 442-1, I, 2°) dans la mesure où, par le jeu des stipulations relatives à la reconduction du contrat, le client doit consentir au renouvellement sans connaître le coût de la licence qu’il aura à acquitter.
L’avis de la Commission porte donc successivement sur la tarification elle-même, puis sur la procédure de reconduction telle qu’elle est prévue dans les conditions générales du contrat.
A - La tarification
Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu’en droit français, le principe, énoncé à l’article L. 410-2 du code de commerce, est celui de la libre détermination des prix par le jeu de la concurrence et que la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a entendu renforcer la liberté des parties à la relation commerciale de négocier, notamment les prix, en supprimant l’interdiction de la discrimination sous la réserve cependant des abus éventuels de cette liberté.
A ce titre, la Cour de cassation a admis que tant le 1° que le 2° de l’article L. 442-1, I sont applicables au prix. Il résulte, d’une part, d’un arrêt de la Chambre commerciale du 25 janvier 2017 (n° 15-23547) que la règle sur le déséquilibre significatif « autorise un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». D’autre part, la même formation a jugé que le texte appréhendant l’avantage manifestement disproportionné est applicable « quelle que soit la nature de cet avantage » et peut donc concerner le prix (Cass. Com. 11 janvier 2023, n° 21-11163).
S’agissant des hausses tarifaires, il résulte de la jurisprudence rendue, en matière de tarification excessive, sur le fondement de l’interdiction des abus de position dominante, que « l'application d'une augmentation tarifaire n'est rien d‘autre que la fixation d'un prix et que l'appréciation du caractère équitable ou non équitable d'une telle augmentation se confond avec celle du caractère équitable ou non équitable du prix en résultant » (Cass. Com. 7 juillet 2021, n° 189-25586, Paris ch. 5-7, 14 novembre 2019, n° 18-23992).
La rémunération perçue est ainsi, tout d’abord, susceptible de contrevenir à l’article L. 442-1, I, 1° qui vise le fait « d'obtenir ou de tenter d'obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie. ».
Dans la mesure où le client bénéficie effectivement d’une prestation, il s’agit de savoir si le nouveau prix est manifestement disproportionné au regard de la valeur de cette contrepartie. Les seuls éléments portés à la connaissance de la Commission tiennent, d’une part, à ce que l’augmentation de prix est de 46 % pour une offre qui comporte des fonctionnalités supplémentaires par rapport à la solution précédente, alors que précédemment, les hausses intervenues au moment des renouvellements étaient comprises entre 1% à 24 %, d’autre part, à ce que le client a par la suite obtenu auprès d’un concurrent de meilleures conditions tarifaires pour une offre dont on ne connaît pas le contenu précis. Ainsi, même si ce faisceau d’éléments (importance de la hausse, comparativement aux années antérieures, tarification supérieure à celle d’un concurrent) pourrait accréditer l’existence d’une disproportion manifeste, il n’est pas possible, en l’état des éléments de comparaison disponibles, de se prononcer avec certitude (pour une approche comparable, CEPC, avis n°15-22 relatif à une demande d’avis d’un professionnel sur la validité des conditions de révision de prix d’un abonnement).
En toute occurrence, le prestataire conserve la possibilité, sous réserve de supporter la charge de la preuve, de démontrer que la rémunération n’est pas manifestement disproportionnée à partir d’éléments intrinsèques à la prestation accomplie au profit du client et dans les circonstances de l’espèce.
En ce qui concerne ensuite, l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce, ce texte requiert cumulativement deux éléments constitutifs. Dès lors, l’examen du résultat obtenu ou recherché, sous la forme d’un déséquilibre significatif, n’est utile que s’il est préalablement établi un comportement consistant à « soumettre ou tenter de soumettre », que la jurisprudence identifie au fait « d’imposer ou tenter d’imposer sans possibilité de négociation » (par exemple, Cass. com. 27 mai 2015, n° 14-11387, Galec ; Cass. com. 20 nov. 2019, n°18-12.823, ITM). La réunion de ces éléments étant dans l’étroite dépendance des circonstances particulières de chaque espèce, l’avis de la Commission ne peut être tranché sur ce point.
En l’espèce, il importe de tenir compte de la dépendance technologique du client qui subit une augmentation substantielle du prix (disproportion entre l’ancien prix et le nouveau prix) sans pouvoir résilier le contrat tant qu’il ne dispose pas d’une solution alternative. La Commission observe à cet égard qu’il est courant, lorsqu’un logiciel crée une dépendance chez les utilisateurs qui ne peuvent changer aisément de système d’information, que les augmentations de prix de ce logiciel soient annoncées suffisamment à l’avance pour permettre à ces derniers de trouver des solutions alternatives, la longueur du délai de prévenance étant supposée proportionnée à leur dépendance technologique (voir également CEPC avis 16-4 relatif à une demande d’avis d’une société sur l’existence d’un délai légal de transmission de nouveaux tarifs à ses clients).
En l’occurrence, aucune information sur les nouveaux tarifs n’ayant été communiquée par l’intégrateur a priori, le nouveau prix s’est imposé a posteriori au client qui n’avait pas d’autre solution que d’accepter l’augmentation, ce qui pourrait caractériser une soumission.
S’agissant du point de savoir si les conditions tarifaires sont à l’origine d’un déséquilibre significatif, les éléments disponibles sont réduits ainsi que l’observation en a déjà été faite, si bien qu’il n’est pas davantage possible de se prononcer avec certitude.
B - La clause relative aux mécanisme et conditions tarifaires du renouvellement du contrat
Cette clause prévoit qu’en l’absence de dénonciation par le client, au plus tard deux mois avant l’échéance, il y aura lieu de faire application, pour le nouveau contrat, du tarif public de l’éditeur en vigueur à la date d’échéance du précédent contrat, sauf pour le client à accepter l’offre alternative de l’intégrateur. Cette clause figure dans les conditions générales de vente dont il est précisé qu’elles sont annexées au bon de commande dans un format non modifiable.
En prévoyant que le contrat est reconduit au tarif en vigueur lors de sa reconduction, cette procédure a pour effet d’imposer au client de prendre sa décision, deux mois plus tôt, dans l’ignorance du tarif applicable, alors que le prix est un élément essentiel du contrat, ce qui paraît difficilement acceptable.
L’intégrateur transfère ainsi sur le client le risque d’augmentation du tarif au cours de cette période de deux mois, sans que l’on voie ce qui pourrait justifier un tel désavantage.
Ainsi, même si l’on ignore les conditions exactes de l’habilitation de l’intégrateur, on peut considérer que le fait de dissocier le moment de la décision de reconduction tacite du tarif applicable, en imposant au client de s’engager à nouveau sans connaître le prix qu’il aura à acquitter au titre de la licence, lequel ne sera connu que deux mois plus tard, pourrait caractériser une soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 14 septembre 2023, présidée par Madame Agnès MOUILLARD
Fait à Paris, le 4 octobre 2023
La vice-présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales
Agnès MOUILLARD