Avis n° 23-5 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur le non-renouvellement d’un accord-cadre dans le secteur du lait de vache

La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 13 juillet 2022, sous le numéro 22-30, par laquelle un professionnel interroge la Commission sur la légalité de la pratique consistant, pour un acheteur à ne pas renouveler l'accord-cadre l’unissant à une association d'organisations de producteurs qui avait reçu mandat de plusieurs organisations de producteurs du secteur laitier pour négocier un contrat, et ce, alors que ledit accord-cadre stipule qu’en cas de non-renouvellement, les relations individuelles se poursuivent en un contrat de gré à gré, au regard des articles L. 631-24 et L. 631- 25 du code rural et de la pêche maritime et de l’article L. 442-1 du code de commerce.
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
Le rapporteur entendu lors de sa séance plénière du 20 avril 2023 ;
La pratique, consistant pour un acheteur à notifier, en respectant le préavis de deux ans prévu par les parties, le non-renouvellement de l’accord-cadre conclu avec une association d’organisation de producteurs (AOP) pour l’achat de lait de vache aux producteurs, lesquels ont donné mandat à leur organisation de producteur (OP), ayant elle-même donné mandat à l’AOP pour la négociation de la commercialisation de leur production, n’est pas contraire au droit de la concurrence.
Néanmoins, le fait pour un acheteur de conclure un contrat directement avec le producteur alors même que celui-ci a donné mandat à une OP ayant elle-même donné mandat à une AOP, sans avoir conclu d’accord-cadre, est prohibé et peut faire l’objet d’une sanction administrative conformément à l’article L. 631-25 du code rural et de la pêche maritime
La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie afin de recueillir son avis sur la conformité au droit de la pratique, consistant pour un acheteur à notifier le non-renouvellement de l’accord-cadre conclu avec une association d’organisation de producteurs (AOP) pour l’achat de lait de vache aux producteurs, lesquels ont donné mandat à leur organisation de producteur (OP), ayant elle-même donné mandat à l’AOP pour la négociation de la commercialisation de leur production.
La saisine invoque plus particulièrement les articles L. 631-24 et L. 631-25 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), ainsi que les articles L. 420-2, relatif à l’abus de position dominante, et L. 442-1, relatif aux pratiques restrictives de concurrence, du code de commerce.
La saisine se décompose en plusieurs questions sous-jacentes, que l’avis propose ici de traiter.
1 . Notification de non-renouvellement de l’accord-cadre
Le saisissant estime que la pratique consistant pour un acheteur à notifier le non-renouvellement de l’accord-cadre plus de 24 mois avant son échéance serait constitutive d’une pratique restrictive de concurrence, au principal motif que l’acheteur achète la totalité des volumes produits par les producteurs.
a) Rappel du formalisme obligatoire du contrat de vente de produit agricole
Avec l'arrêt programmé des quotas laitiers au 1er avril 2015, un dispositif de contractualisation écrite entre les producteurs de lait de vache et leurs acheteurs a été rendu obligatoire en France à compter de 2011. Ces dernières années, plusieurs lois se sont inspirées du secteur du lait de vache pour renforcer le formalisme contractuel entourant la vente des autres produits agricoles. En ce qui concerne le lait de vache cru, depuis 2011, la contractualisation écrite est obligatoire et la durée minimale des contrats est de cinq ans[1].
Plus récemment, la loi n° 2021-1357 visant à protéger la rémunération des agriculteurs dite « EGAlim 2 » est venue renforcer le principe de la contractualisation en rendant obligatoire le recours à un contrat écrit de trois ans minimum pour la vente de produit agricole entre un producteur et son premier acheteur. Il demeure toutefois possible pour certains produits agricoles d’y déroger par accord interprofessionnel étendu ou par décret en Conseil d’État.
Ce formalisme, prévu à l’article L. 631-24 du CRPM, prévoit que le contrat doit être précédé d'une proposition du producteur agricole. Celle-ci doit contenir plusieurs clauses et notamment la clause relative à la durée, qui ne peut être inférieure à trois ans, et une clause fixant la durée de préavis. Ce même formalisme est exigé également dans la rédaction du contrat.
Par dérogation, par accord interprofessionnel étendu ou par décret en Conseil d’État, la durée peut être portée à cinq ans ou à sept ans pour les producteurs ayant récemment engagé leur production.
b) La structuration de l’offre en OP et AOP
Dans une logique de structuration de l’offre agricole, la règlementation européenne a progressivement prévu des dérogations au droit de la concurrence en permettant aux agriculteurs de se regrouper en Organisation de Producteurs (OP) et en Association d’organisations de producteurs (AOP) pour négocier des contrats-cadres avec leurs acheteurs.
Ces contrats-cadres doivent respecter à minima le formalisme contractuel exigé pour les contrats de vente de produits agricoles (IV de l’article L. 631-24 du CRPM). Ils doivent en outre prévoir des clauses précisant la quantité totale des produits à livrer, leur répartition et les modalités de gestion des écarts entre les quantités à livrer et celles effectivement livrées. L’accord-cadre doit par ailleurs fixer la durée de préavis applicable en cas de non-renouvellement. Lorsque ce préavis émane de l'acheteur, il ne peut être inférieur à trois mois (VI du même article L. 631-24).
Ainsi, lorsqu’un accord-cadre a été conclu, l’acheteur doit proposer au producteur un contrat conforme à l’accord-cadre (II de l’article L. 631-24). Le fait pour un acheteur, de conclure un contrat ne respectant pas les dispositions de l’accord-cadre peut faire l’objet d’une sanction administrative.
En effet, le 2° de l’article L. 631-25 prévoit que « Le fait, pour un producteur ou un acheteur, de conclure un contrat ne respectant pas, en méconnaissance du II dudit article L. 631-24, les stipulations d'un accord-cadre […] est passible d'une amende administrative, dont le montant ne peut être supérieur à 2 % du chiffre d'affaires hors taxes […] ».
c) Rupture de la relation commerciale
Les parties demeurent libres de mettre fin à une relation commerciale ; en revanche, toute rupture d’une relation établie doit être précédée d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. À défaut, la responsabilité de son auteur peut être engagée et il peut être dans l’obligation de réparer le préjudice causé par cette rupture brutale (II de l’article L. 442-1 du code de commerce).
À la lecture de la loi et au regard des usages dans le secteur du lait, le respect d’un préavis de deux ans pour un accord-cadre d’une durée minimale de cinq ans semble être suffisant et ne saurait être constitutif d’une pratique restrictive de concurrence prohibée par le Titre IV du Livre IV du code de commerce. En tout état de cause, la dénonciation du contrat dans ces délais permet d’exclure la rupture brutale.
Le saisissant invoque la relation de dépendance économique, qui serait constitutive, selon lui, d’un déséquilibre significatif, voire même d’un abus de position dominante. Il s’agit de deux notions complexes qui supposent l’analyse de nombreux éléments de fait et de droit et un examen approfondi et concret de la relation commerciale liant l’association d’organisations de producteurs et son acheteur. La CEPC, ne disposant d’aucun de ces éléments, n’est pas en mesure de se prononcer sur de telles qualifications.
2. Poursuite de la relation commerciale à l’issue du non-renouvellement de l’accord-cadre
Le fait pour un acheteur de conclure un contrat directement avec le producteur alors même que celui-ci a donné mandat à une OP ayant elle-même donné mandat à une AOP, sans avoir conclu d’accord-cadre, peut également faire l’objet d’une sanction administrative.
En effet le c) du 6° de l’article L. 631-25 prévoit que « Le fait, pour un acheteur, d'acheter des produits agricoles à un producteur […] sans avoir conclu d'accord-cadre écrit avec l'organisation de producteurs ou l'association d'organisations de producteurs à laquelle il a donné mandat pour négocier la commercialisation de ses produits […] est passible d'une amende administrative, dont le montant ne peut être supérieur à 2 % du chiffre d'affaires hors taxes ».
De façon analogue, la mention à l’accord-cadre d’une clause selon laquelle en cas de non-renouvellement d’un accord-cadre, les relations individuelles se poursuivent en un contrat de gré à gré avec les producteurs ayant donné mandat à une OP, ayant elle-même donné mandat à ladite AOP, est contraire à la loi.
Par conséquent, en cas de non-renouvellement d’un accord-cadre suivant un préavis suffisant, deux possibilités s’offrent aux parties si celles-ci veulent poursuivre leur relation commerciale selon que le mandat de négociation est ou non en cours :
a) Mandat de négociation toujours en cours
Dans le cas où il existe un mandat de négociation encore valable entre les producteurs et leur OP et les OP vis-à-vis de l’AOP, l'acheteur doit négocier un nouvel accord-cadre préalablement à l’achat de nouveaux produits aux producteurs.
La durée de préavis de 24 mois, dans le cas mentionné dans la saisine, doit être mise à profit pour conclure un nouveau contrat-cadre. En l’absence d’accord, la relation commerciale entre l’AOP et son acheteur sera rompue.
b) Mandat de négociation échu ou révoqué
Dans le cas où le mandat de négociation entre les OP et l’AOP ne serait plus valable, l’acheteur serait libre d'acheter directement aux organisations de producteurs, aux modalités déterminées par les parties, en respectant le formalisme prévu à l’article L. 631-24.
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 20 avril 2023, présidée par Madame Agnès MOUILLARD
Fait à Paris, le 21 avril 2023
La vice-présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales
Agnès MOUILLARD
[1] Décret n° 2020-960 du 31 juillet 2020 relatif à l'obligation de conclure des contrats de vente écrits pour la vente de lait de vache cru