Avis n° 23-4 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur la conformité de clauses d’un contrat de prestation de services de télécommunication au regard du déséquilibre significatif
Avis n° 23-4 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur la conformité de clauses d’un contrat de prestation de services de télécommunication au regard du déséquilibre significatif
La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 23 novembre 2022, sous le numéro 22-48, par laquelle un professionnel interroge la Commission sur l’appréciation de la qualité de non-professionnel au sens du 2° de l’article liminaire du code de la consommation et sur la conformité de clauses d’un contrat de prestation de services de télécommunication relatives à la résiliation et au versement par le client d’une somme d’argent qualifiée d’indemnité au regard de l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce.
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
La rapporteuse entendue lors de sa séance plénière du 20 avril 2023 ;
La Commission d’examen des pratiques commerciales n’est pas compétente pour apprécier la conformité d’une clause au regard du code de la consommation.
Les clauses d’un contrat de prestation de services de télécommunication relatives à la résiliation et au versement par le client d’une somme d’argent qualifiée d’indemnité peuvent être tenues pour contraires à l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce en présence d’une soumission ou tentative de soumission (premier élément) à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (deuxième élément).
L’insertion des stipulations litigieuses dans des conditions générales préétablies ne suffit pas en soi à établir l’impossibilité de négociation effective caractéristique de la soumission.
De telles clauses, lorsqu’elles sont stipulées à l’avantage exclusif du prestataire et sont nettement défavorables au client, apparaissent de nature à créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au contrat lorsqu’elles ne répondent à aucune justification légitime apparente et ne sont assorties d’aucun avantage de même nature ou contrepartie au bénéfice du client. Le prestataire conserve toutefois la possibilité d’établir l’absence de déséquilibre significatif à l’échelle de la relation commerciale.
La Commission d’Examen des Pratiques Commerciales a été saisie par une entreprise exerçant une activité de commerce de gros d’une demande d’avis sur la conformité au droit de plusieurs stipulations insérées dans les conditions générales du contrat de prestations de services conclu avec un opérateur de télécommunications.
L’une des questions soumises concerne l’appréciation de la qualité de non-professionnel au sens du 2° de l’article liminaire du code de la consommation et bénéficiaire possible du dispositif protecteur contre les clauses abusives édicté par ce code (art. L. 212-1 et L. 212-2 du code de la consommation). Comme cela a déjà été relevé (avis 15-03), la Commission d’examen des pratiques commerciales n’est pas compétente pour apprécier la conformité d’une clause au regard du Code de la consommation. Sous réserve de l’appréciation qui serait portée par une juridiction, l’entreprise saisissante ne paraît pas être un « consommateur », ni un « non-professionnel » au sens du code de la consommation et respectivement définis, selon l’article liminaire, comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole » et « toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles ».
L’autre question soulevée par la demande d’avis porte sur le point de savoir si les clauses du contrat relatives à la résiliation et au versement, dans différents cas de figure, par le client d’une somme d’argent qualifiée d’indemnité contreviennent à l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce appréhendant « le fait de soumettre ou tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Cette disposition désigne l’auteur des pratiques comme « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services », ce qui est le cas de l’opérateur de télécommunications. L’entreprise cliente est bien « l’autre partie » à laquelle le bénéfice de la règle est réservé. Par ailleurs, la lettre générale du texte permet d’en faire application à n’importe quelle obligation.
Il reste à savoir si les deux éléments constitutifs cumulativement requis, consistant d ‘une part, dans « le fait de soumettre ou tenter de soumettre » et, d’autre part, en « un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties », sont satisfaits.
Le premier élément constitutif a été identifié par la Cour de cassation comme le fait d’imposer ou tenter d’imposer sans réelle possibilité de négociation effective (Cass. com. 27 mai 2015, n° 14-11387 ; Cass. com., 20 nov. 2019, n 18-12823). Cela nécessite, par exemple, que le contractant ait fait l’objet « de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l’acceptation » (Paris Pôle 5 ch. 4, 16 mai 2018, n° 17/11187 ), se soit trouvé dans « une obligation de contracter, ne laissant aucune alternative à la personne soumise » (Paris Pôle 5 ch. 4, 28 février 2018, n° 16/16802), ait tenté, sans y parvenir, d’obtenir la modification des conditions ou encore qu’aucune suite n’ait été donnée à ses réserves ou contrepropositions à ce propos.
En l’occurrence, les stipulations litigieuses sont insérées dans des conditions générales préétablies, ce qui constitue un indice mais ne suffit pas à caractériser l’impossibilité de négociation effective desdites clauses entre les parties (Com. 11 mai 2022, n° 20-23298 ; CEPC, avis 09-05, dont il résulte que « Proposer des clauses pré rédigées n’est toutefois pas interdit dès lors que celles-ci peuvent être modifiées à l’issue d’une réelle négociation entre les parties »).
En l’état limité des éléments de fait portés à la connaissance de la Commission, il est impossible de se prononcer avec certitude sur la possibilité que le client a eue d’effectivement négocier les clauses litigieuses.
A supposer que le prestataire ait effectivement soumis ou tenté de soumettre son client, il faut encore établir le second élément requis, à savoir le résultat recherché ou obtenu sous la forme d’« un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties »
S’agissant d’un déséquilibre d’ordre juridique, les clauses litigieuses doivent être appréciées selon la grille de lecture développée par la jurisprudence, faisant état de l'absence de réciprocité, de la disproportion entre les obligations des parties ou encore d’obligations ou d’avantages injustifiés, sans contrepartie ou sans motif légitime.
Le contrat comporte, tout d’abord, des stipulations prévues en cas de déménagement du client. Celles-ci confèrent au prestataire une faculté de résiliation de plein droit à effet immédiat, soit en cas de défaut d’information du changement de locaux par ce dernier au moins 60 jours avant, soit dans le cas où la mise aux normes des nouveaux locaux permettant l’acheminement des services de télécommunications s’avérerait impossible. Cette faculté de résiliation unilatérale est assortie de l’exigibilité immédiate, dans le premier cas, de toutes les sommes dues au titre du contrat, dans le second cas, d’une indemnité correspondant à douze mois d’abonnement.
L’opérateur de télécommunications a, ensuite, la possibilité de se prévaloir d’une clause résolutoire stipulée à son seul bénéfice et dont il faut relever, d’une part, la formulation extrêmement large en ce qu’elle vise, outre un retard de paiement, le « non-respect de l’une de ses obligations », ainsi que, d’autre part, ses effets puisqu’elle entraine notamment le versement de frais de résiliation anticipée. En cas de résiliation pour impayés ou usages abusifs de services, le client est redevable d’une indemnité de résiliation de 110 % du montant des redevances restant à courir jusqu’au terme du contrat. A l’inverse, il est prévu que le client aura la possibilité de résilier le contrat s’il n’a pas été remédié dans un délai de quinze jours à la coupure totale des services de téléphonie. En outre, la responsabilité contractuelle du prestataire est plafonnée en pareil cas (montant correspondant aux sommes perçues au titre de l’abonnement forfaitaire dans la limite de six mois).
Au regard de la grille de lecture issue de la jurisprudence, ces clauses, stipulées à l’avantage exclusif du prestataire et nettement défavorables au client, ne semblent assorties ni d’un avantage de même nature ni d’aucune contrepartie au bénéfice de ce dernier, et ne paraissent pas répondre à une justification légitime de sorte que, soit isolément, soit par leur jeu cumulé, elles apparaissent de nature à créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au contrat.
Il reste toutefois possible au prestataire d’établir l’absence de déséquilibre significatif de la relation commerciale, notamment en apportant la preuve que le déséquilibre attaché à ces différentes clauses se trouve compensé par d’autres dispositions contractuelles ou des avantages (Cass. Com, 3 mars 2015, n°14-10.907, Provera France ; Cass. Com, 27 mai 2015, n°14-11387, Galec ; Cass. Com, 29 septembre 2015, n°13-25043, EMC).
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 20 avril 2023, présidée par Madame Agnès MOUILLARD
Fait à Paris, le 21 avril 2023
La vice-présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales
Agnès MOUILLARD