Avis n° 23-1 relatif à une demande d’avis d’une organisation professionnelle sur la conformité de documents contractuels d’un constructeur automobile au regard du droit de la concurrence

Avis n° 23-1 relatif à une demande d’avis d’une organisation professionnelle sur la conformité de documents contractuels d’un constructeur automobile au regard du droit de la concurrence.

Avis n° 23-1 relatif à une demande d’avis d’une organisation professionnelle sur la conformité de documents contractuels d’un constructeur automobile au regard du droit de la concurrence 

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 22 mars 2022, sous le numéro 22-20, par laquelle une organisation professionnelle interroge la Commission sur la conformité de documents contractuels émanant d’un constructeur automobile au regard des articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 442-1 du code de commerce.

Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;

Les rapporteurs entendus lors de sa séance plénière du 16 février 2023 ;

Contexte

La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie par un syndicat professionnel du secteur automobile, afin de recueillir son avis sur la conformité de la « version 2021 » de plusieurs documents contractuels, dont des conditions générales d’achat et des conditions de garantie, émanant d’un constructeur automobile aux dispositions du code de commerce relatives aux pratiques anticoncurrentielles et aux pratiques restrictives de concurrence.

I. Rappel des principes d’analyse des pratiques et stipulations contractuelles au regard des règles relatives à l’avantage sans contrepartie et du déséquilibre significatif

Aux termes de l’article L. 442-1, I, du code de commerce, dans sa rédaction applicable aux contrats conclus à partir du 26 avril 2019 : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :

1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ;

2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; (…) ».

L’une et l’autre de ces règles désignent, de la même façon, l’auteur des pratiques comme « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services », ce qui est le cas d’un constructeur automobile. Le fabricant avec lequel le constructeur automobile conclut un contrat pour la fabrication de telle ou telle pièce détachée peut sans le moindre doute être considéré comme « l’autre partie » au profit de laquelle le bénéfice de ces dispositions est réservé.

Par ailleurs, la lettre des textes, visant respectivement « un avantage » ou « les obligations » sans aucune précision ni exclusion, les rend applicables largement, sous réserve que les éléments constitutifs requis soient satisfaits.

Tandis que la règle de l’article L. 442-1, I, 1° comprend un seul élément constitutif correspondant au résultat recherché ou obtenu sous la forme d’un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie, celle relative au déséquilibre significatif repose sur deux éléments cumulatifs. Le déséquilibre significatif recherché ou obtenu doit être le résultat d’un comportement consistant à « soumettre ou tenter de soumettre » l’autre partie. Ce comportement, dont la Cour de cassation a précisé qu’il ne se limite pas à la contrainte, consiste à « imposer ou tenter d’imposer sans possibilité de négociation » (Cass. com. 27 mai 2015, n° 14-11387, Galec).  Dans le dernier état de la jurisprudence, il est nécessaire d’établir l’absence de négociation effective (Cass. com., 20 nov. 2019, n° 18-12823), étant précisé que cette démonstration peut être effectuée relativement à une partie du contrat seulement (Cass. com. 3 mars 2015, n° 13-27.525, Eurauchan).

Au regard de la jurisprudence, la preuve de l’existence d’une soumission ou tentative de soumission peut être rapportée par l’existence d’un faisceau d’indices dont les juges sont les seuls à pouvoir en déterminer la teneur et apprécier leur pertinence au regard du cas d’espèce qui leur est soumis.

Ainsi, le simple fait que des contrats soient pré-rédigés et présentés à un nombre important de prestataires n’est pas suffisant pour caractériser la soumission ou la tentative de soumission (Paris, 16 février 2018, RG 16/05737 pour un rappel, CEPC, avis 09-05). Cependant, l'uniformité et l’emploi systématique de clauses qui s'appliquent indifféremment à l'ensemble des partenaires commerciaux, sont des indices sérieux accréditant l'existence d’une telle soumission. Dans son appréciation, le juge peut également prendre en compte d’autres éléments et notamment le contexte de la relation, c’est-à-dire la structure du marché au sein duquel celle-ci prend place.

En l’occurrence, les conditions générales d’achat (CGA) du constructeur introduisent le principe de l’inopposabilité des conditions générales de vente (CGV) du fournisseur, ainsi que de toutes ses réserves ou corrections, en contradiction manifeste avec l’article L. 441-1 du code de commerce aux termes duquel les CGV sont le socle de la négociation commerciale. Cette stipulation matérialise un comportement consistant à tenter à tout le moins d’empêcher l’autre partie de négocier à partir de ses CGV comme prescrit par la loi qui pourrait dès lors constituer le fait de soumettre ou tenter de soumettre au sens de l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce.

De même, il est ajouté dans le préambule des conditions générales de garantie : « Par la présente, le Vendeur exprime son accord et sa compréhension des Conditions de Garantie et s’engage à les appliquer ». Les conditions de garantie du constructeur sont donc non négociables (« s’engage à les appliquer »), à l’image des CGA, de sorte que le raisonnement exposé ci-dessus vaut de la même manière.

S’agissant du second élément requis, il est précisé que la recherche d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties s’effectue à partir d’une analyse in concreto des stipulations en cause, appréciées dans leur contexte, au regard de l'économie de la relation contractuelle, en prenant en compte le contrat dans sa globalité (Cass. com. 3 mars 2015, n°14-10.907, Provera France ; Cass. com., 29 septembre 2015, n° 13-25043, EMC). Les clauses litigieuses doivent être appréciées selon la grille de lecture développée par la jurisprudence, faisant état notamment de l'absence de réciprocité, de la disproportion entre les obligations des parties ou encore d’obligations ou d’avantages injustifiés, sans contrepartie ou sans motif légitime.

Il résulte des arrêts de la Cour de cassation que la démonstration du déséquilibre significatif donne lieu à une répartition du fardeau probatoire (Cass. com. 27 mai 2015, n° 14-11387, Galec) : une fois qu’un déséquilibre significatif est caractérisé à partir de l’analyse d’une ou plusieurs stipulations, il appartient, le cas échant, à l’autre partie d’établir l’absence de déséquilibre significatif à l’échelle du contrat, notamment en apportant la preuve que le déséquilibre se trouve compensé par d’autres dispositions contractuelles ou des avantages au bénéfice du fournisseur.

Lorsqu’elles sont sans contrepartie et qu’elles permettent à une partie de tirer un avantage au détriment de l’autre, les clauses sont également susceptibles d’être appréhendées sur le fondement de l’avantage sans contrepartie.

II. Clauses constitutives d’une soumission à un déséquilibre significatif, et le cas échéant susceptibles d’être appréhendées sur le fondement de l’avantage sans contrepartie

En l’espèce, plusieurs clauses des CGA et des conditions de garantie paraissent constitutives d’un déséquilibre dans les droits et obligations des parties au contrat, et le cas échéant susceptibles d’être également appréhendées sur le fondement de l’avantage sans contrepartie.

L’une des stipulations des CGA a pour objet de soumettre le fournisseur aux CGA du constructeur, en introduisant le principe de l’inopposabilité des CGV du fournisseur, ainsi que de toutes ses réserves ou corrections, en contradiction manifeste avec l’article L. 441-1 du code de commerce qui dispose que les CGV sont le socle de la négociation commerciale. Il a déjà été considéré, en pareil cas, qu’une telle stipulation était à l’origine d’un déséquilibre significatif (Cass. Com. 27 mai 2015, n° 11387).

Les autres clauses du contrat sont appliquées dans le contexte d’acceptation découlant de cette première clause. 

Elles peuvent être regroupées en quatre catégories indiquées ci-après :

  • Les clauses portant sur l’organisation logistique

Les CGA prévoient la possibilité de modifier, à la discrétion de l’acheteur, la fréquence et la quantité des livraisons sans consentir aucun délai pour l’entrée en vigueur de ces modifications. Le fournisseur est réputé responsable des coûts et dépenses associés aux nouvelles exigences de livraison, y compris lorsqu’il s’agit de nouvelles exigences modifiées à la discrétion de l’acheteur, comme par exemple une méthode de transport plus rapide.

Les CGA prévoient la possibilité de modifier, à la discrétion de l’acheteur, des exigences d’expédition et d’emballage sans consentir aucun délai pour l’entrée en vigueur de ces modifications et en laissant les coûts de ces modifications à la charge du fournisseur sans renégociation possible.

Les modifications de l’organisation logistique sont laissées à la discrétion de l’acheteur (méthode de transport, exigences d’expédition ou d’emballage) et ceci sans laisser au fournisseur un délai suffisant pour lui permettre de s’adapter. Cela est d’autant plus vrai que les coûts découlant de ces modifications doivent être estimés précisément, répartis entre les parties ou, le cas échéant, donner lieu à une renégociation des nouvelles conditions tarifaires. Ces stipulations, telles que prévues dans les CGA, sont caractéristiques d’un déséquilibre significatif au détriment du fournisseur.

La répartition unilatérale des coûts et l’absence de délai raisonnable des clauses susvisées est en outre patente. À ce titre, les CGA prévoient que les modifications à la discrétion de l’acheteur s’agissant des dessins et des spécifications du bien doivent être prises en compte par le vendeur sans consentir aucun délai pour l’entrée en vigueur.

Le caractère unilatéral et la répartition des coûts amplifie le déséquilibre de la relation contractuelle concernée. À ce titre, une stipulation, qui porte sur la qualité, précise que le vendeur se conformera, à tous égards, aux exigences et procédures de l’acheteur telles que modifiées ou mises à jour régulièrement par l’acheteur. Cette clause prévoit également une nécessité pour le vendeur de s’efforcer à l’amélioration permanente de la qualité des biens, des processus de fabrication et de logistique.

Une stipulation relative au recours et à l’indemnisation précise en outre que si le vendeur n’exécute pas pleinement et en temps voulu l’une de ses obligations, l’acheteur sera en droit de réclamer auprès du vendeur tous les dommages directs, indirects, accessoires, spéciaux et consécutifs, les pertes de profits et de revenus, ainsi que tous les honoraires et coûts juridiques encourus par l’acheteur. Ces obligations accentuent, une nouvelle fois, le déséquilibre entre les droits et obligations au détriment du vendeur.

  • Les clauses portant sur les conditions tarifaires applicables

Une clause prévoit que pendant les cinq premières années après l’arrêt de la production des véhicules, le fournisseur doit maintenir le prix convenu sauf variation des coûts d’expédition et de conditionnement.

Le maintien pendant une longue durée d’un prix arrêté dans le cadre de la « première-monte », autrement dit en considération de quantités plus importantes que celles susceptibles d’être commandées au titre de l’après-vente, peut être à l’origine d’un déséquilibre significatif sur le plan économique en même temps qu’un avantage manifestement disproportionné au regard de la contrepartie.

Il convient d’observer que cette clause prévoit un engagement du fournisseur à fournir les pièces jusqu’à 15 ans après l’arrêt de la production des véhicules, sans engagement réciproque de la part du constructeur et sans que soit envisagée l’hypothèse dans laquelle le fournisseur ferait face à l’indisponibilité d’un composant.

  • Les clauses concernant les garanties dues par le fournisseur

Il convient d’observer, à titre préalable, que les conditions de garantie prévoient que « L’acheteur conserve tous les droits et recours énoncés » dans un des articles des CGA dont il a déjà été observé qu’il est de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Les conditions de garantie renvoient à un article des CGA qui fait peser sur le seul fournisseur la responsabilité de la conformité et de la qualité des produits fabriqués pour l’acheteur. Si un fabricant est en effet tenu de garantir la conformité de ses produits, que ce soit au titre de la responsabilité extracontractuelle du fait des produits défectueux prévue aux articles 1245 et suivants du code civil, de l’obligation de délivrance du droit commun des contrats (art. 1604 et suivants du code civil), de la garantie des vices cachés (art. 1641 et suivants du code civil) ou d’une obligation de garantie spécifique dans le contrat conclu avec l’acheteur, tant la législation que la jurisprudence reconnaissent la possibilité pour un fabricant d’écarter ou de réduire sa responsabilité : force majeure ou cas fortuit, fait d’un tiers ou du prince, ou encore faute de la victime.

Or ni l’article des CGA ni les conditions de garantie ne prévoient de possibilité d’exonération de responsabilité pour le fournisseur, même en cas de faute de l’acheteur (par exemple, dans le cas où la non-conformité résulterait d’erreurs dans les « spécifications, dessins, échantillons, description et normes de qualité fournis ou autrement spécifiés par l’Acheteur », mentionnés par cet article).

En ce qu’il fait peser l’entière responsabilité de la qualité des produits sur le fournisseur, sans réserver le cas où le défaut de fabrication serait imputable à l’acheteur, cet article des CGA crée un déséquilibre dans les droits et obligations des parties qui ne semble pas être compensé par une autre clause dans les CGA ou les conditions générales de garantie.

En effet, si un autre article des conditions de garantie explicite la mise en œuvre de la garantie prévue au sein d’une clause des CGA en attribuant un coefficient de pondération de la responsabilité du fournisseur, selon le cas à 50 % ou à 25 %, cela ne semble pas de nature à remettre en cause ce qui précède.

Cela est d’autant plus vrai qu’une incertitude existe pour le fournisseur quant à la date d’échéance de la garantie qui est conditionnée, sauf convention entre les parties, à la date d’expiration la plus lointaine entre :

  • la date d’expiration de la garantie résultant de la loi ;
  • la date d’expiration de la garantie fournie par l’acheteur à son client final pour le véhicule dans lequel les produits du fournisseur sont incorporés ;
  • la date d’expiration de la garantie convenue dans le contrat d’achat ;
  • la date d’expiration de toute norme de performance et de durabilité prévue dans tout document incorporé par référence dans le contrat d’achat, y compris dans les spécifications ou les normes de qualité de l’acheteur.

En ce que cette clause fait reposer dans les trois derniers cas l’échéance de la garantie due par le fournisseur à une date qui dépend de la seule volonté de l’acheteur (puisque les GCA et les conditions de garantie sont non négociables), elle constitue pour l’acheteur un déséquilibre significatif et, le cas échéant, un avantage sans contrepartie au détriment du fournisseur.

Il convient de relever une différence rédactionnelle entre l’article des CGA et celui des conditions de garantie. Ces dernières ne retiennent pour leur part que trois cas :

  • la date d’expiration de la garantie résultant de la loi ;
  • la date d’expiration de la garantie fournie par l’acheteur à son client final pour le véhicule dans lequel les produits du fournisseur sont incorporés ;
  • la date d’expiration de la garantie convenue dans le contrat d’achat.

L’un des articles des conditions de garantie vise dans certains cas, des coûts objectivement quantifiables (les coûts encourus ou remboursés aux concessionnaires). Dans d’autres cas, les coûts reposent sur la seule volonté de l’acheteur qui sera seul maître de leur évaluation puisqu’il s’agit des coûts que celui-ci « évalue raisonnablement d’encourir et/ou de rembourser à leurs concessionnaires » sans avoir à en justifier d’une quelconque façon.

Sauf pour l’acheteur à démontrer que cette disposition est contrebalancée par une autre en faveur du fournisseur, elle constitue un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment du fournisseur.

L’article des conditions de garantie qui traite de l’action curative, définie comme l’action visant à résoudre les problèmes de terrain, à l’exception des campagnes de rappel, prévoit que celle-ci donnera lieu à la même contrepartie financière que celle due en cas de campagne de rappel et qu’elle peut être déclenchée par l’acheteur lorsque ce dernier « estime que le vendeur est responsable », soit que la responsabilité du vendeur est avérée (taux d’occurrence supérieur au niveau de qualité contractuellement convenu), soit que le problème de terrain puisse avoir un impact négatif sur la marque de l’acheteur ou du client final de l’acheteur.

Dans cette dernière occurrence, l’acheteur a toute latitude pour décider, sans avoir à avancer une quelconque justification, de mettre en jeu la responsabilité du vendeur. Une telle stipulation, laissant là encore place à l’arbitraire au bénéfice de l’acheteur, crée un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties.

L’un des articles des conditions de garantie traite des campagnes de rappel, définies comme « les actions proactives lancées pour résoudre les problèmes » et pouvant être déclarées pendant la période de garantie ou en dehors de celle-ci.

Si certaines situations semblent justifier une campagne de rappel, telles que celles destinées à répondre un problème de sécurité, de non-conformité ou de performance technique, d’autres sont laissées au bon vouloir de l’acheteur et font peser sur le fournisseur la charge financière d’une campagne de rappel qui n’est en réalité pas justifiée par un problème. Il en est ainsi des campagnes dites « over the air » (OTA), qui consistent par exemple à mettre à jour à distance les logiciels embarqués dans un véhicule. Or une campagne OTA peut très bien ne pas être fondée sur la nécessité d’apporter une correction à un défaut, mais sur la décision d’un constructeur automobile d’améliorer le véhicule ou ses fonctionnalités, indépendamment de tout problème technique.

Par ailleurs, les conditions de garantie laissent au seul acheteur ou au client final la possibilité de déclencher une action de rappel « quelle que soit la partie qui peut être responsable de la non-conformité ».

De surcroît, elles prévoient que, même si la responsabilité du fournisseur n’est pas établie et en l’absence d’accord sur cette dernière, l’acheteur lui adressera une facture égale à 50% des coûts estimés de la campagne de rappel (appelée « acompte »). En cas d’accord sur la responsabilité du fournisseur, ce dernier se verra facturer, le cas échéant, un complément pour couvrir l’ensemble des coûts supportés par l’acheteur. Cependant, le sort de cet « acompte », en cas d’absence d’accord ou de non-responsabilité du fournisseur, n’est pas précisé.

En ce qu’elle fait notamment peser sur le fournisseur la moitié de la charge financière, même en l’absence de responsabilité de ce dernier, la disposition relative aux campagnes de rappel crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, qui ne semble pas contrebalancé par d’autres clauses contractuelles. Elle paraît également créer un avantage sans contrepartie au bénéfice de l’acheteur.

Cette situation est de surcroît aggravée par l’article relatif aux litiges, selon lequel le fournisseur dispose de 30 jours pour contester la facture de l’acheteur, étant précisé que la contestation ne peut pas remettre en cause « la responsabilité du vendeur déterminée par les parties », laquelle peut être automatique comme vu plus haut. Il semblerait que par le jeu combiné de ces articles, même en présence d’une contestation sérieuse de la part du fournisseur, une somme restera à sa charge au titre d’une responsabilité non établie et de la « partie non contestée de la facture » prévue par cet article.

En outre, les conditions de garantie prévoient que seul l’acheteur pourra compenser ou récupérer les sommes dues par le fournisseur sans que ce dernier bénéficie d’une faculté réciproque. Certes, le principe de la compensation, désormais inscrit dans le code civil aux articles 1347 et suivants, n’est pas d’ordre public selon la jurisprudence (Req, 11 mai 1880, et civ, 6 mai 1969). Cependant, le caractère unilatéral de la clause de compensation, sans contrepartie ni justification, semble créer un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties en ce qu’il réserve une prérogative importante au bénéfice de l’acheteur sans réciprocité pour le fournisseur.

Il convient, en revanche, de relever qu’à supposer même que les sommes concernées soient qualifiées de « pénalités logistiques », les dispositions de l’article L. 442-1, I, 3° appréhendant le fait « D'imposer des pénalités logistiques ne respectant pas l'article L. 441-17 » ne paraissent pas pouvoir être invoquées.

Cela tient à ce que l’article L. 441-17 du code de commerce concerne les relations entre un fournisseur et un distributeur, c’est-à-dire un professionnel qui achète un produit pour le revendre. Cela ne correspond donc pas à la relation entre un fabricant de composants ou de pièces et un constructeur automobile qui constitue plutôt un contrat d’entreprise ou de sous-traitance industrielle, car les pièces seront incorporées dans un ensemble complexe, le véhicule, qui sera distribué par le réseau de concessionnaires du constructeur. N’étant pas soumise à l’article L. 441-17 du code de commerce, cette relation ne devrait pas l’être davantage au 3° de l’article L. 442-1, I.

Telle est l’interprétation retenue, sous réserve de l’appréciation des tribunaux, par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans sa « Foire aux questions portant sur les lignes directrices en matière de pénalités logistiques[1] » : « Si l’article L. 442-1 du code de commerce s’applique à toute personne exerçant des activités de distribution mais aussi de production ou de services, les références à la seule catégorie du distributeur au sein de l’article L. 441-17 du code de commerce indiquent que cet article s’applique en bloc aux seules relations entre fournisseurs et distributeurs, y compris quand ses alinéas ne mentionnent pas le mot « distributeur ».

  • Les clauses concernant les droits de propriété intellectuelle

L’un des articles des CGA traite du sort des droits de propriété intellectuelle des deux parties. Aux termes de cet article, les « droits de propriété intellectuelle excluent toutes les marques, marques déposées, noms commerciaux, slogans et logos » du fournisseur et du constructeur, « sauf s’ils sont spécifiquement identifiés comme un produit livrable ou un produit de travail » du fournisseur, conformément au contrat. Il convient de relever à ce propos l’étendue des droits concédés, de dimension mondiale.

Une telle cession pourrait créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations respectives des parties.

Dans un jugement du 2 septembre 2019 portant sur le secteur des places de marché en ligne, le tribunal de commerce de Paris a cependant considéré, à propos d’ une clause relative à la cession et à l’octroi de licence de marque et aux éléments de propriété intellectuelle, qu’il ne s’agissait pas d’une cession de droits de propriété intellectuelle mais du simple octroi d’une licence non exclusive et gratuite portant sur un droit dont l’usage est intrinsèquement lié au contrat, relevant en outre que ce type de clause est usuel dans les contrats de distribution par lesquels un opérateur est chargé de vendre ou de promouvoir les produits et services de son cocontractant. Il a néanmoins ajouté que cette clause, par sa rédaction d’une très grande généralité, sans réciprocité, pourrait être susceptible de constituer un déséquilibre significatif mais qu’il n’avait pas été établi concrètement en quoi cette généralité serait susceptible de permettre à son bénéficiaire d’utiliser des éléments de propriété d’un vendeur tiers à son détriment.

En l’espèce, les droits de propriété intellectuelle du fournisseur peuvent faire l’objet, dans certaines circonstances d’une licence « libre de redevance et entièrement payée » tandis que le constructeur peut de son côté consentir des sous-licences pour lesquelles il peut librement se faire rémunérer.

Les clauses en l’espèce, notamment celle relative à la cession exclusive des droits de propriété industrielle ou intellectuelle du fournisseur pourraient, selon le cas, être déséquilibrées en raison de leur caractère très large sans droit de modification.

En dehors de ces quatre différentes catégories de clauses, certaines stipulations des CGA permettent au constructeur de mettre fin au contrat de façon immédiate, dans différents cas de figure, par exemple en présence d’un quelconque retard de livraison ou encore lorsque le constructeur a « un motif raisonnable » de douter de la capacité du fournisseur à tenir ses engagements et que ce dernier ne communique pas des assurances adéquates de bonne exécution.

Le caractère imprécis et général de cette formule pourrait contrevenir aux dispositions issues de l’article L. 442-1, I, 2° conférant un pouvoir discrétionnaire voire arbitraire au constructeur de rompre, sans motif légitime, la relation commerciale.

En conclusion, il convient de rappeler que, dans le cas de la règle sur le déséquilibre significatif, un rééquilibrage peut être opéré à l’échelle du contrat dans son ensemble, ce qui n’est pas apparu à la lecture des CGA, mais qu’il incombe en toute hypothèse à l'entreprise mise en cause d’établir.

Conformément à l’article L. 442-4 du code de commerce, les stipulations et pratiques contractuelles contrevenant à l’article L. 442-1 du code de commerce peuvent donner lieu, outre à une action en cessation, à une action en réparation du préjudice.

La partie victime des pratiques ainsi que le ministère de l’Economie ont également la possibilité de faire constater par la juridiction saisie la nullité des différentes clauses illicites ainsi que de demander la restitution des avantages indus. En outre, le ministère de l'Economie peut solliciter le prononcé d’une amende civile.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 16 février 2023, présidée par Madame Annaïg LE MEUR

Fait à Paris, le 27 février 2023
La présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales
Annaïg LE MEUR